Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Esdras Minville

Le sens d'une vie

(1975)

 

[Ce texte est l'éloge funèbre prononcé par François-Albert Angers au moment des obsèques d'Esdras Minville en 1975. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

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Nous nous trouvons réunis à cette cérémonie pour rendre un dernier hommage à la dernière présence phy­sique parmi nous d'un des fils les plus éminents du Qué­bec. Prononcer le nom d'Esdras Minville, c'est tout de suite évoquer d'autres grands noms qui occupent une place dominante à notre Temple de la Renommée : Henri Bourassa, Edouard Montpetit, Olivar Asselin, Lionel Groulx. II les a tous connus. Ils ont tous été ses maîtres à des degrés divers. Ils l'ont tous directement inspiré, Groulx plus que tout autre, mais aussi directement Montpetit aux H.E.C. et Asselin à la Rente. C'est avec eux, et par eux, dans leur enseignement et leur conti­nuité, qu'il a voulu servir sa patrie et un idéal commun, patriotique et social, mais autant culturel et religieux. Mais par eux et avec eux, il est devenu lui-même un maître qui aura profondément marqué son époque par la richesse de sa pensée et de sa personnalité.

 

Mais nous sommes aussi, pour cette cérémonie, dans une église catholique. Et pour Esdras Minville, cela revêt une très grande importance. En effet, plus que toute autre chose, il a d'abord voulu être 'un chrétien accompli et fidèle. Et je ne crois pas avoir connu dans mes ren­contres ou mes lectures, d'homme qui ait plus que Esdras Minville le souci de couler toutes et chacune de ses démarches dans le moule d'une profonde spiritua­lité. Aussi toute son activité prenait-elle le caractère d'une méditation vivante au bout d'une vie de méditation. De ce fait, sa vie, entièrement occupée aux problèmes politiques, économiques, sociaux, académiques, cultu­rels et spirituels du Canada français, s'est déroulé très concrètement, très immédiatement, sous le signe des trois grandes vertus théologales de foi, d'espérance et de charité.

 

La cérémonie des funérailles, devant l'événement, se sent comme obligée de mettre une sourdine à l'accent charité, comme pour nous réconforter parla mise en valeur de nos raisons de foi et d'espérance. Pour Esdras Minville en effet, le temps de la charité vivante sur terre est terminée. Et commence celui des avènements auxquels sa foi a cru et ses espérances se sont attachées. Mais quand on parle de charité à propos d'Esdras Minville, on entre dans le sens profond de sa vie. Pour lui, ce n'était pas le sens restreint des générosités envers d'autres plus démunis que lui dans la vie. Ce fut une vie totalement donnée, consacrée, par la mise des talents au service du bien commun — et non pas seulement du bien-être — du peuple dont il était issu. Et cela dans un esprit de totale disponibilité et de profonde modestie.

 

Sa modestie lui venait sans doute de ses origines modestes de fils de pêcheur gaspésien. Et son élévation graduelle vers un rôle de plus en plus éminent au Canada français n'en changea rien parce qu'en même temps il accédait lui-même au sens et aux perspectives de l'universel. Un trait significatif de cette modestie apparaît dans le fait que lui qui, par sa formation et par sa situation, a consacré sa vie aux problèmes économi­ques, bien sûr cependant dans toutes leurs dimensions aussi bien sociales, culturelles et spirituelles ! Lui qu'au moins l'un des plus grands économistes de l'heure au monde a reconnu comme un éclaireur dans la voie des concepts économiques les plus modernes ! Il a toujours refusé de se dire économiste ! L'idée haute qu'il se faisait de ce que doit être un économiste, un savant à son point de vue, lui interdisait de s'attribuer ce titre.

 

Mais je soupçonne qu'intervenait ici son sens du service à son peuple, de sa disponibilité à cette fin. Il ne voulait pas lui-même être ce type de savant, pour qui il avait la plus haute estime. Il voulait d'abord être un bienfaiteur de son peuple, l'aider concrètement à sortir de ses difficultés immédiatement. Plutôt que de travailler en chambre à des théories savantes mais à portée pratique plus lointaine, il a voulu marquer toute son oeuvre à ce sceau : concevoir pour servir et pour produire des effets bénéfiques immédiats. Oeuvre de politique économique en effet, plus que de science pure.

 

Pour mesurer la profondeur de cette charité, il faut savoir jusqu'à quel point cette tâche lui a été ardue. De santé très frêle, il a pourtant accompli sa tâche à travers un travail incessant, poursuivi bien au-delà des heures de travail normal. Ses accomplissements sont en eux-mêmes un véritable triomphe de la force de l'esprit sur la matière, un miracle de la volonté de servir envers et contre toutes les déficiences d'une nature fragile. Mais il y trouvait son bonheur ; et l'on imagine par là quelle cruelle épreuve ont dû être pour lui ces quinze années de maladie qui l'ont saisi au moment de sa retraite et l'ont empêché de parfaire l'oeuvre déjà accom­plie.

Mais ce n'est pas par hasard que j'ai parlé au début d'un hommage à la dernière présence physique d'Esdras Minville parmi nous. La foi et l'espérance pour lui et pour nous, ce n'est pas seulement l'espoir d'une vie meilleure dans l'éternité. Esdras Minville reste vivant parmi nous par son oeuvre dont la valeur était loin d'être circonstancielle. II a pu apprendre avant ce départ, qu'après l'intervalle du conflit des générations que nous avons connu, avec ses tendances à mettre sur les tablettes ou à reléguer aux oubliettes les oeuvres des an­ciens, la jeunesse actuelle le retrouve dans ses recher­ches et s'émerveille de sa vision des choses. De toute façon, il a trop apporté d'idées neuves, de suggestions pratiques et constructives, trop influencé de gens pour que nous ne vivions pas aujourd'hui et longtemps encore des fruits de son travail dans ce qui nous arrive de mieux.

 

Inclinons-nous donc respectueusement et avec gra­titude devant cette dépouille d'un grand Canadien-Fran­çais. Et disons-nous, nous particulièrement, ses amis, ses disciples, ses collègues, que nous avons un devoir envers sa foi et son espérance. Que sa vie nous soit non seulement un exemple, mais l'oeuvre vivante dont nous aurons le souci de valoriser les fruits.

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Source : François-Albert ANGERS, « Le sens d’une vie », dans L’Action nationale, Vol. LXV, Nos 9-10 (mai-juin 1976) : 800-803. Il s’agit de l’éloge funèbre prononcé par François-Albert Angers à l’église Saint-Pascal-Baylon, le 12 décembre 1975.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College