Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

 

Ce que nous voulons...

(1935)

 

[Ce texte a été publié par Esdras Minville en 1935. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

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Nous réclamions une doctrine nationale.

 

Avec une franchise presque brutale, nous osions naguère sommer en quelque sorte nos chefs de renoncer à leur superbe isolement et de s'entendre pour nous la donner.

 

C'était au temps dit de la prospérité. La déchéance déjà nous menaçait, elle nous minait. Mais ceux qui s'en rendaient compte étaient l'infime minorité. On avait de l'«argent sous le pouce»—pas beaucoup!— et on croyait, on se comportait en tout cas comme si on croyait que cela répondait à tout et de tout. Nos campagnes, il est vrai, se vidaient, notre classe moyenne se détruisait, notre population se prolétarisait, nos entreprises disparaissaient les unes après les autres, notre langue s'anémiait, notre vie se matérialisait. Mais tout cela passait inaperçu aux yeux des foules. Nos ouvriers avaient de «l'ouvrage», ils touchaient des salaires et on se faisait un argument de leur doci­lité, de leur peu d'exigence. Bref, la quiétude partout, dans tous les esprits... sauf chez une poignée de théoriciens pessimistes, ergoteurs et radoteurs, inaptes, à force de bon sens, à apprécier les beautés du progrès à l'américaine.

 

Puis la crise est venue — crise universelle conséquence elle-même, aboutissement insoup­çonné d'un régime économico-social qui la conte­nait en germe aussi sûrement que la tige contient la fleur et le fruit. Elle ne nous a certes pas épar­gnés, car nulle part plus que chez nous le régime qui l'a engendrée n'avait affermi ses prises. En introduisant la gêne dans nos foyers elle a révélé l'extrême précarité d'une situation que l'on croyait ou faisait mine de croire foncièrement saine. Au désarroi des choses on a pu ainsi mesurer le désarroi des esprits. Le problème national pour lequel on n'avait feint qu'indifférence, voire, raillerie, s'est alors posé, âpre, dur, inéluctable. Il s'est posé sans nous, malgré nous, pour ne plus s'effacer, Car si la crise économique, par quoi se manifeste le plus ostensiblement la crise des consciences, tend à se résorber, la crise sociale, elle, demeure et elle demeurera tant que le problème national — les deux chez nous sont corrélatifs — n'aura pas reçu de solution.

 

Il fallait cela, il ne fallait pas moins que cela pour qu'on s'avisât enfin jusqu'à quel point, dans la conduite d'un peuple, il est dangereux d'ignorer, de violenter certains faits. Aujourd'hui les esprits sont ouverts — l'adversité les a ouverts aux vérités qu'autrefois on eût enseignées en vain. Lorsque, il y a dix ans, nous réclamions une doc­trine nationale capable de chasser les nuées dont les intelligences étaient obscurcies, de capter et de galvaniser les volontés éparses et fléchissantes, nous exprimions sans doute un besoin profond; mais peut-être parlions-nous comme quelqu'un qui ignore la nécessité de la souffrance régénératrice dans la vie des peuples comme dans celle des individus. Ce qui était irréalisable dans l'atmos­phère de l'époque s'est effectué pour ainsi dire de soi-même de nos jours, parce que depuis lors la souffrance nous a visités.

 

De soi-même ? Non ! Les doctrines ne s'élaborent pas d'elles-mêmes. Il y faut un homme. Il y faut la pensée d'un homme. Il y faut le coeur et le courage d'un homme. Le père Delos, le constate: «L'histoire du IXe et du XXe siècles montre que les peuples ne s'éveillent pas d'eux-mêmes, mais que de puissantes individualités les révèlent à eux-mêmes». (1)

 

Cet homme de pensée et de coeur, cette indivi­dualité assez puissante pour nous arracher à notre torpeur mortelle et nous replacer sur les sentiers de la vie, la Providence ne nous l'a pas refusé en ce moment tragique entre tous de notre histoire. Chacun le désigne déjà avant même que nous ne l'ayons nommé, c'est M. l'abbé Lionel Groulx.

 

Ceux qui le suivaient depuis dix ou quinze ans ne cessaient d'ailleurs de le répéter : lui seul nous donnerait la doctrine à la fois ample et cohérente, fondée en droit et en philosophie, simple et lumi­neuse, dont, dans le désarroi de nos consciences, nous avions si impérieusement besoin.

Il en avait au hasard de ses multiples articles, discours et conférences, dégagé les principes fondamentaux, les linéaments essentiels. Il s'agissait d'ordonner le tout, de l'organiser, l'inquiétude générale, l'appel angoissé qui depuis cinq ans monte de tous les milieux et de toutes les classes vers une pensée capable de mettre enfin de l'ordre et de la clarté dans le chaos des idées et des senti­ments, créaient l'atmosphère qu'il faut. L'Action Nationale est ainsi née d'une pensée d’apostolat, Elle a voulu, comme toute oeuvre sérieuse, atta­quer le mal dans ses causes. D'où sa campagne d'éducation nationale, en particulier son enquête, dont, on ne l’ignore pas, M. l'abbé Groulx a été l'initiateur, l’inspirateur, l’ordonnateur. Elle procède, cette enquête, d'une idée, à savoir, que les maux qui nous accablent prenant leurs racines au plus profond des intelligences, il faut, pour remettre l'ordre dans les choses, en mettre d'abord dans les esprits.

 

Inspirateur et initiateur de cette enquête, M. l'abbé Groulx a voulu en être aussi le commen­tateur. Depuis deux ans surtout il n'a traité d'autres sujets dans ses conférences, discours, articles répandus dans tous les milieux. Il l'a dis­cutée, analysée, commentée. Et ainsi, les uns après les autres, les principes fondamentaux de notre enquête sur l'éducation nationale ont été repris par celui même qui était le plus en état de les déve­lopper à la lumière de l'histoire, de la philosophie, du droit et de l'enseignement catholique. Ces conférences, discours et articles forment un tout lié, ordonné, où la question nationale est enfin posée dans toute son ampleur, sous son vrai jour, démontée pièce par pièce, et résolue en une série de propositions qui en appellent à l'intelligence, des classes cultivées comme au gros bon sens des classes populaires. Ce sont ces conférences et discours que les Editions du Zodiaque viennent de publier en volume, sous un titre trop modeste en vérité, mais qui indique assez bien toutefois le sens et la portée du livre Orientations.

 

 

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Ce que nous voulons, ce que veulent les direc­teurs de l'Action Nationale, ce que veut M. l'abbé Groulx, notre maître à tous, c'est assez simple en vérité. Et l'étonnant est bien que nous en soyons encore à le désirer quand nous devrions en avoir toujours vécu.

 

«Si les nationaux-socialistes entendent remettre en honneur, sauver, cultiver, exalter même tout ce qui est allemand, s'ils entendent ramener l'Allemagne à ses traditions et à son esprit, lui restituer la conscience de soi-même, le sens de son génie propre, la foi dans ses destinées; s'ils enten­dent lui rendre sa dignité, sa fierté, son indépen­dance, sa joie de vivre la vie allemande, alors ils font une oeuvre saine, une oeuvre d'intelligence et de volonté. Ils donnent ainsi l'exemple à bien d'autres peuples. Je veux espérer que j'interprète justement leurs intentions.»

 

Ce que, en 1933, Gonzague De Reynold ne faisait ainsi qu'espérer de Hitler et de ses chemises brunes, il aurait pu dès lors, il pourrait encore aujourd'hui l'écrire en toute vérité de M. l'abbé Groulx et des directeurs de l'Action Nationale. Impossible en moins de lignes de résumer plus exactement leur pensée. «Remettre en honneur, sauver, cultiver, exalter (peut-être même n'irions-nous pas jusque-là) tout ce qui est canadien-français; ramener le Canada français à ses tradi­tions et à son esprit; lui restituer la conscience de soi-même, le sens de son génie propre, la foi dans ses destinées... sa dignité, sa fierté, sa joie de vivre la vie canadienne-française...» Eh bien! quoi que prétende certain lanceur d'excommuni­cations, cela épuise nos ambitions. Quiconque a suivi l'Action Nationale depuis ses débuts s'en est rendu compte et quiconque méditera le dernier ouvrage de M. l'abbé Groulx achèvera de s'en convaincre. Car, nous le répétons, ce volume composé de pièces écrites les unes en ces derniers mois, les autres il y a quelques et même plusieurs années, constitue néanmoins un lumineux commen­taire avant, pendant et après le fait, de notre enquête sur l'éducation nationale.

 

Il était certes temps qu'une doctrine nationale fût formulée. Qui dira jamais ce qu'il nous en a coûté d'avoir laissé notre patriotisme se ravaler au niveau de l'instinct, capable sans doute de sursauts même violents, mais incapable d'action méthodique continue. L'urgent n'est-il pas de nettoyer enfin les esprits des idéologies malsaines qui ont empoisonné nos vies et compromis notre existence comme groupe, de redonner à notre patriotisme ses raisons, et de le relever à son rang véritable dans la hiérarchie des règles qui gouvernent une vie d'homme.

 

Ce que nous voulons? Qu'on nous permette, sans entrer dans les détails, de resserrer la question d'un peu plus près.

 

Ce que nous voulons d'abord, avant tout, par-dessus tout, c'est d'un catholicisme — puisque aussi bien, on l'admet volontiers, qui dit Canadien français dit catholique — qui soit autre chose qu'une routine désuète et poussiéreuse, un ramassis d'habitudes vidées de toute substance : une conception éclairée, profonde, qui saisisse tout l'être, informe toute la vie, vie collective et vie personnelle, vie publique et vie privée, pénètre tout l'organisme social, tout l'organisme national, inspirant et guidant chacune de leurs actions, chacun de leurs mouvements. Nous n'al­lons certes pas jusqu'à professer qu'il y a identité entre le catholicisme et le nationalisme canadien-français, ni que la préservation de notre intégrité nationale soit indispensable à la survie et à l'expan­sion chez nous de la foi catholique. Mais nous prétendons qu'un nationalisme sain, c'est-à-dire un nationalisme qui connaît ses limites et s'inspire de la justice plutôt que de l'esprit de domination, ne vient, ne saurait venir en contradiction avec l'enseignement catholique, et qu'en certains cas il peut être à la fois d'un précieux secours. Et si nous avouons ainsi franchement notre manière de voir, nous entendons bien qu'on comprenne une fois pour toutes que c'est en toute soumission aux directives de l'Eglise que nous voulons tra­vailler au triomphe de nos idées.

 

Ce que nous voulons en second lieu, c'est d'un patriotisme canadien-français qui, ainsi que nous l'écrivions il y a un instant, se distingue de l'ins­tinct, en ceci qu'il sache et sa fin et ses raisons; donc d'un patriotisme qui procède d'une connais­sance au moins élémentaire de l'histoire de notre peuple, d'une certaine fierté de nos origines, d'une foi raisonnée en la valeur de notre culture, et de la volonté de transmettre à nos descendants les richesses spirituelles dont nous avons nous-mêmes hérité. Il ne s'agit nullement ici, on le voit, du pseudo-patriotisme dont nous avons été trop

longtemps coutumiers, papelard et bavard, tou­jours prêt à se dissoudre en un contentement orgueilleux et puéril de nous-mêmes, en un optimisme béat et sans fondement; mais d'un patriotisme conscient de la situation dans laquelle les circons­tances nous ont appelés à organiser notre vie, des périls qui nous menacent, des droits dont nous pouvons nous prévaloir et des devoirs qui nous incombent envers nous-mêmes et envers le reste de la population; d'un patriotisme qui, respectueux de l'ordre des valeurs, n'accepte pas, sous prétexte d'avantages matériels souvent illusoires et toujours précaires, de sacrifier les biens intellectuels et moraux qui constituent notre richesse la plus vraie, la plus sûre, la plus féconde, la plus propre même à consolider notre situation économique aujourd'hui si délabrée.

 

Bref, ce que nous voulons, en ce coin de pays qui est nôtre, ce sont des Canadiens français qui marchent sur les pieds comme des hommes et non sur la tête comme des clowns.— Des Cana­diens français qui, sans morgue, sans forfanterie, mais sans honte non plus, se comportent partout et spontanément en Canadiens français et par le seul fait de leur priorité dans notre province y imposent les cadres sociaux qu'impliquent leur esprit et leur caractère particuliers.— Des Cana­diens français qui sachent enfin organiser leur vie conformément à leur génie propre plutôt que selon les désirs et les vues des étrangers.

 

En un mot, pour reprendre une formule de M. l'abbé Groulx lui-même, ce que nous voulons, c'est un peuple français dans un pays français.

 

Tout cela on le trouvera longuement, clairement expliqué dans Orientations. Ce livre en vérité renferme plus que son titre l'annonce : une doc­trine précise, la doctrine dont nous avions besoin, que nous étions quelques-uns à réclamer et qu'il faudra bien un jour ou l'autre faire passer dans notre vie si nous voulons que s'opère la reprise qui nous sauvera, comme peuple et comme indi­vidu, du désastre définitif.

 

Comme toute doctrine, celle-ci est destinée à la multitude, mais elle s'adresse d'abord à l'élite, aux dirigeants, à ceux que leurs talents ou leurs fonctions placent aux postes de commandement, qui ont pour mission d'éclairer et de guider la foule. Il ne leur sera plus permis désormais de répudier leurs responsabilités nationales. Toute une jeunesse se lève qui leur reproche volontiers leur longue pusillanimité, leur acoquinement inté­ressé à des partis et à des clans dont ils attendaient bénéfice personnel au détriment de leur magistère de chefs. Cela a assez duré. Il faudra que désor­mais ils acceptent, avec la gloire et le profit, les responsabilités et les devoirs de leurs fonctions. Mais un tel revirement dans la conduite suppose un redressement préalable des esprits, l'accord sur un certain nombre d'idées fondamentales.

 

Ils trouveront dans le livre de M. l'abbé Groulx de quoi nourrir leurs pensées, de quoi dégourdir leur volonté. Nous leur signalons en particulier les chapitres sur : Nos positions, Notre avenir en Amérique, Nos responsabilités intellec­tuelles, L' Université et l'éducation nationale, La déchéance de notre classe moyenne. Ils méditeront d'ailleurs tout le livre avec profit car, nous le répétons, si paradoxal que cela puisse paraître, ce sont eux, les chefs de file, les maîtres de notre vie économique, de notre vie sociale, de notre vie politique, qui ont le plus impérieusement besoin d'éducation nationale. Sauront-ils l'admettre en cette heure pénible de notre histoire et sauront-ils effectuer le redressement qui nous sauvera et les sauvera?

 

(1). Cité par M. l'abbé Groulx.

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Source : Esdras MINVILLE, «Ce que nous voulons …», dans l’Action nationale, Vol. VI, No 6 (octobre 1935) : 92-102.

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College