Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Janvier 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Les ouvres de Cartier

 

 

 

On ne connaît pas de politique canadien qui ait travaillé plus que sir Georges-Etienne Cartier. Son activité s'est exercée dans tous les domaines de l'administration. Il a eu une vision juste des besoins et de l'avenir du pays.

 

La période tourmentée qui précéda et suivit les troubles de 1837 fut une cause de ralentissement du progrès. Dans un pays, pour l'avantage commun, les différents groupes de la population doivent être unis le plus intimement possible. Or, en ce temps-là, les divisions géographiques, les langues, les religions, tout éloignait les Canadiens les uns des autres. Les liens physiques, d'intérêt commercial, sont toujours les plus faciles à établir. Et en pareil cas, les liens par excellence à créer c'étaient bien les chemins de fer. Le premier, au Canada, avait été construit en 1836, entre Laprairie et Saint-Jean.

 

Cartier comprit immédiatement l'importance de développer le plus rapidement possible les voies de communication. On le vit, dès 1846, préconiser la construction des chemins de fer et le creusement des canaux. Avec sa franchise coutumière, il reproche aux citoyens de Montréal leur apathie et leur paresse. La métropole était alors une ville importante, comme aujourd'hui la plus importante du pays: il ne lui manquait pour accélérer son développement et doubler ses richesses qu'un chemin de fer la reliant à quelque autre grande ville américaine après avoir traversé la partie agricole de la province. Enfin, fut construit le chemin de fer de Montréal à Portland.

 

Pour rapprocher, au moins commercialement, le Bas et le Haut-Canada, il fallait un chemin de fer de Montréal à Toronto. Le Grand -Tronc l'entreprit avec l'aide du gouvernement. Cartier était alors l'avocat de la grande compagnie. C'est lui qui prépara sa charte. En 1854, il s'en vante en pleine Chambre, pour répondre aux critiques de ses adversaires. Grâce à ses efforts persévérants auprès du gouvernement et de la Compagnie, il détermina celle-ci à prolonger la voie du côté de l'est jusqu'à la Rivière-du-Loup, traversant ainsi les comtés de la rive sud du Saint-Laurent.

 

Plus tard, Cartier insistera vivement pour que l'Intercolonial passe par les comtés de Rimouski, de Bonaventure et de Gaspé, plutôt que d'aller de Lévis à Halifax par le plus court chemin. Il avait en vue la colonisation de la rive du Saint-Laurent peuplée surtout de Canadiens-Français. Il faisait aussi un peu de stratégie militaire en évitant le plus possible la frontière. Ses vues, combattues par le cabinet, l'emportèrent finalement après une lutte énergique. La construction de l'Intercolonial était une condition essentielle de l'entrée des provinces maritimes dans la Confédération. Elle fut terminée en 1876.

 

Un jour, Cartier qualifia lui-même sa politique « une politique de chemins de fer. » Il favorisa de son attention plusieurs petites compagnies dans le but d'activer le commerce local. Mais, homme de projets audacieux et d'un sens pratique habituellement incompatible avec autant d'enthousiasme, il voulut encore plus: couronner l'oeuvre de la Confédération par un transcontinental canadien.

 

En 1869, Cartier négocia à Londres l'achat des Territoires de l'Ouest possédés par la Compagnie de la Baie d'Hudson. En 1870, il faisait entrer le Manitoba dans la Confédération, et en 1871 la Colombie Anglaise. Cette dernière avait posé comme condition de son entrée dans le Dominion la construction d'un chemin de fer qui relierait le vieux Canada aux Rocheuses. Sir Georges-Etienne se hâta de dire que ce n'était pas assez, qu'il fallait demander un chemin de fer qui atteindrait le Pacifique. On voit là l'optimisme de l'homme d'Etat, rêvant d'un grand empire, faisant toujours reculer les frontières du Canada et disparaître les montagnes. A la session de 1872, il fait voter par les Communes la première charte du Chemin de fer Canadien du Pacifique. Fier de sa victoire, et aux applaudissements de toute la Chambre, Cartier lança ce mot: « All aboard for the West. »

 

La construction du Pacifique Canadien fut retardée jusqu'en 1880; les premiers trains circulèrent en 1886. Ce fut l'une des grandes entreprises du siècle dernier.

 

Montréal avait une population de 90,000 âmes en 1861. Cartier connaissait bien les avantages de la position géographique de la métropole. Accessible aux transatlantiques du plus fort tonnage, au pied de la navigation des grands lacs et de l'Outaouais, Ville-Marie était devenue une grande ville, et Cartier dut entrevoir le jour où elle disputerait aux capitales du monde leur commerce et leurs richesses. Au fait, il travailla vigoureusement à son progrès. La construction du pont Victoria, de 1854 à 1859, donnée par le Grand-Tronc à Robert Stephenson, avait coûté $6,300,000. Il fit creuser le chenal du fleuve, de Montréal à Québec, afin d'augmenter la sûreté de la navigation. Il amena le gouvernement à payer des subventions aux compagnies transatlantiques. Quand les grands travaux d'amélioration du port furent projetés, un groupe de financiers, ayant à leur tête John Young, mirent en jeu toute leur influence pour diriger ces travaux aux environs du pont Victoria. Cartier finit par faire comprendre à tout le monde que les besoins du commerce et la nature voulaient que la construction des jetées et des quais se fît sur tout le front de Montréal jusqu'au pied du courant. Aujourd'hui, on voit le monument de John Young où devrait être celui de Cartier depuis vingt-cinq ans.

 

Le système de la tenure seigneuriale avait rendu d'évidents services à la colonisation sous le régime français; mais, altéré dans sa forme par deux lois du parlement anglais : le Canada Trade Act et le Canada Tenures Act , il en était venu à entraver réellement les progrès de l'agriculture et de l'industrie. Proclamer la liberté du sol, c'était une grande révolution économique, mais qui se réalisa dans un calme relatif en 1854. La législature vota une indemnité de $6,000,000 pour les seigneurs. Lafontaine avait beaucoup étudié cette réforme avec Lewis-Thomas Drummond et Cartier, mais ce fut ce dernier qui y mit la dernière main quand l'agitation parlementaire soulevée à ce sujet fut apaisée.

 

Un esprit ouvert sur toutes choses comme celui de Cartier ne pouvait pas se désintéresser de l'instruction. Il nomma, comme surintendant de l'instruction publique pour le Bas-Canada, P.-J.-O. Chauveau, un homme de haute culture. En 1857, trois écoles normales furent fondées dans la province, et vers la même époque 3,000 écoles publiques furent ouvertes.

 

En législation civile, Cartier a été un réformateur et un initiateur. On lui doit pratiquement, en ce sens, tout ce qui s'est fait jusqu'en 1867.

 

Nos lois sur l'enregistrement des hypothèques furent réformées et complétées par le cadastre de la province.

 

Jusqu'en 1857, la justice ne se rendait que dans les villes. Elle en était plus lente, plus coûteuse, et peut-être moins équitable pour les justiciables. Pour parer à ces inconvénients, et avec l'intention de décentraliser les intelligences au bénéfice des petites communautés par la décentralisation des pouvoirs judiciaires, Cartier créa quinze nouvelles cours de district. Il croyait que les juges demeureraient au chef-lieu de leur district, où ils s'intéresseraient, comme par besoin, aux choses de l'éducation et de l'instruction; en somme, il comptait sur eux pour former dans les différentes parties de la province des foyers, de culture intellectuelle dont profiterait le peuple.

 

Il fut trompé dans sa généreuse attente. Les juges préférèrent demeurer dans les cités.

 

Cartier fit passer une loi donnant l'existence civile aux paroisses érigées canoniquement. C'était rendre un grand service à l'Eglise, en reconnaissant son indépendance d'action. De plus, la loi prouvait la sympathie de l'Etat pour la Société modèle, la plus stable et la plus bienfaisante.

 

Il n'y a pas de pays au monde où la législation civile s'harmonise plus avec la doctrine de l'Eglise que le Québec. Cela ne veut pas dire que nos lois civiles sont parfaites. Mais, telles quelles, elles sont acceptées par nos évêques.

 

L'Acte de Québec, 1774, avait rétabli les lois civiles françaises. Mais, perdues dans le labyrinthe de la coutume de Paris et des ordonnances des rois de France, lesquelles avaient été adaptées aux besoins du pays par Cugnet, sur l'ordre de Carleton, et modifiées par nos législateurs, il était opportun et presque nécessaire d'y mettre de l'ordre et de la lumière par la codification. Elle fut décidée par Cartier, et confiée principalement à Lafontaine, Morin, Caron, Day et Beaudry. Les commissaires commencèrent leur travail en 1859, et le Code civil fut promulgué en 1866. On prépara en même temps une traduction du code pour la population anglaise, groupée surtout dans les Cantons de l'Est auxquels Cartier avait précédemment étendu les lois françaises.

 

Pour compléter cette réforme, Cartier décréta la codification de nos lois de procédure civile.

 

Le Bas-Canada fut doté d'une législation civile précise, convenablement rédigée, et avantageusement comparable aux meilleures législations du monde.

 

Mais, il fallut renverser des préjugés et briser quelques oppositions intéressées. Avocats et juges plaidèrent en faveur du statu quo. La justice se montra plus favorable aux justiciables qu'aux juges. Aujourd'hui, il n'est personne qui ne se réjouisse des réformes opérées par Cartier.

 

Comme ministre de la milice, il réorganisa la défense militaire du pays. La loi de 1868, longuement préparée et discutée, demeure encore dans ses parties essentielles.

 

 

Source  : Charles-Édouard LAVERGNE, « Les oeuvres », dans Georges-Étienne Cartier - Homme d'État canadien : 1814-1873 , Montréal, Langevin et l'Archevêque, 1914, 91p., pp. 39-50.

 

 

 

 

 

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College