Quebec History Marianopolis College


Date Published:
août 2004

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Bernard Bissonnette

 

Juge à la Cour du banc de la reine depuis plus de vingt années, doyen de la faculté de droit de l'Université de Montréal six années, ancien titulaire de la chaire de droit constitutionnel, professeur émérite de la même faculté, ancien président de l'Assemblée législative de Québec, auteur de droit, docteur en droit et qui aurait compté cette année (1965) quarante-cinq années d'admission au barreau, Bernard Bissonnette est décédé subitement à sa demeure de Ville-Mont-Royal, le 11 novembre 1964. Il était en sa 66e année.

 

II avait vu le jour le 15 janvier 1898 en la paroisse Saint-Esprit (Montcalm), où son père exerçait la médecine et venait d'être élu député du comté à l'Assemblée législative. Il fit ses études classiques au vieux collège de l'Assomption (B.A., 1917). Inscrit en droit à l'ancienne Université Laval de Montréal, il suivit sa cléricature sous Amédée Monet, plus tard juge. Admis au barreau en juillet 1920, il débuta dans la pratique au bureau de François-Joseph Bisaillon ( † 1922), bâtonnier de Montréal en 1910, et de son gendre, Louis-Joseph Béique.

 

Rappelons que par sa délégation au centenaire, célébré en 1911, de la réorganisation du barreau de Paris, on doit peut-être à F.-J. Bisaillon la venue d'un représentant du barreau de Paris à la rentrée des tribunaux de septembre.

 

Bernard Bissonnette devait exercer sa profession à Montréal plus de vingt années. Peu après, il passa au bureau d'Honoré Mercier ( † 1938) ancien ministre dans le cabinet Taschereau et dont firent partie Me Joseph Blain, c.r., Me Gérald Fauteux, c.r., aujourd'hui juge à la Cour suprême du Canada, et autres.

 

Bernard Bissonnette fondait, en 1935, sa propre étude et il eut pour associés Me Roch Pinard, c.p., c.r., plus tard député à la Chambre des communes et secrétaire d'Etat du Canada dans le cabinet Saint-Laurent, Me Châteauguay Perrault, c.r., d.c.l., et Me Albert Lagnado.

 

Secrétaire du Barreau de Montréal en 1927 sous le bâtonnat de George H. Montgomery, il l'avait représenté aux fêtes du 60e anniversaire de la Confédération en 1927, notamment à la manifestation tenue au monument de sir Georges-Etienne [sic] Cartier, sis au parc du Mont-Royal. C'était une des premières fois que la radio transmettait une cérémonie du genre. Y survint un incident singulier. Un invité de marque et l'un des orateurs principaux, le fougueux leader nationaliste, Henri Bourassa, crut devoir faire à sa façon bien à lui, le procès du régime. On coupa la transmission. (1)

 

Créé conseil en loi du roi en 1931, Bernard Bissonnette avait représenté le gouvernement fédéral en 1936 au procès du commerce du charbon dans le Québec, tenu sous la loi des cartels.

 

II avait fait partie de la Chambre de commerce, du Club Canadien, du Club de Réforme, du Cercle Universitaire de Montréal et du Club de la Garnison de Québec.

 

Dès mars 1926, il avait donné à l'Association du Jeune Barreau de Montréal une savante conférence sur le Rôle et les Prérogatives de l'Avocat. Vingt ans plus tard, il reprit ce sujet à l'Association du Barreau rural. Une partie du texte en a été recueillie à cette Revue. (2)

 

II avait encore publié dans la Revue du Barreau un portrait de son prédécesseur comme doyen de la faculté de droit de l'Université de Montréal, L.-Emery Beaulieu, (3) et des Con­sidérations sur la Cour d'appel. (4)

 

En mars 1929, il donna encore à un club féminin de Montréal une conférence sur les Droits de la Femme mariée , qu'il divisait en droits relatifs et en droits absolus, et il concluait à la prudence en matière législative. Cette question a fait depuis beaucoup de chemin, notamment avec la loi du 18 juin 1964. (5)

 

A l'élection générale de la province d'octobre 1939, il se porta candidat dans le district électoral de l'Assomption. Il y fut élu, alors que le pouvoir changea de main et que le cabinet Godbout fut constitué.

A l'ouverture de la session législative en janvier suivant (1940), il fut unanimement porté à la présidence de l'Assemblée législative. II devait présider trois années durant aux délibérations, souvent bruyantes, de la Chambre et dont les échos sont répercutés par toute la province.

 

Professeur agrégé de droit constitutionnel à la faculté de droit de l'Université de Montréal depuis 1941, il recevait, en mai 1942, sa nomination de juge à la Cour du banc du roi de la Province de Québec. Il y succédait à l'éminent magistrat, sir Mathias Tellier, président de la Cour lors de sa démission. La part importante prise aux délibérations de la haute cour du Québec par le juge Bissonnette est bien connue de tous les praticiens, jeunes et anciens. Ce qui lui était en propre, peut-être, c'est la clarté des conceptions, la hauteur et l'étendue de la doctrine et la nuance dans l'expression.

 

Il est bien connu des linguistes et des philologues que les juristes, bien avant les littérateurs et les grammairiens, ont donné aux langues des pays d'Occident leur texture, leur savante ordonnance, leur parfaite conformation avec le cheminement naturel de la pensée. La création des symboles qui vont, de nos jours, jusqu'à la déliquescence de la pensée, comme la recherche ou les règles de l'expression, ne sont venues que bien après.

 

De là pour un esprit cultivé et pas nécessairement juriste de profession, le charme incomparable des études juridiques d'intérêt général, voire de certains recueils d'arrêts, dont l'ordonnance savante et la rédaction soignée sont des modèles d'exposition, de clarté et d'art.

 

Le juge Bissonnette aura été l'un des plus remarquables jurisconsultes de sa génération au Canada, tant par l'étendue de son information que par son art de dire.

 

On rappelle tels arrêts où son opinion est devenue prépondérante. Dans l'affaire Vaillancourt v. Cité de Hull, (6) bien que dissident, il établit une distinction entre le bref de certiorari et le bref de prohibition, dont on abusait. Et son avis a fini par être adopté, tant à la Cour de première instance que par une majorité de ses collègues de la Cour d'appel. Le Code de procédure verra bientôt à éliminer cette distinction.

 

Parallèlement à ses hautes fonctions à la cour, le juge Bissonnette poursuivit son oeuvre d'enseignement à la faculté. Devenu titulaire de la chaire de droit constitutionnel à l'Université de Montréal en 1944, il y fut encore professeur de droit constitutionnel et de procédure parlementaire à la faculté des sciences politiques et sociales, pendant six années, jusqu'à 1952.

 

Titulaire de la chaire de procédure civile et professeur de droit civil aux cours des stagiaires, président du tribunal-école, de 1955 à 1960, il devint, en 1955, doyen de la faculté de droit de l'Université de Montréal. Il remplit cet éminent office six années, jusqu'à 1961. A ces titres divers, il avait donné près de vingt années de sa carrière à la faculté de droit et à la faculté connexe des sciences politiques.

 

Docteur en droit de l'Université de Montréal au titre de l'enseignement en 1947, l'Université de Sherbrooke lui décerna, en 1955, un doctorat en droit honoris causa.

 

Depuis 1961, il avait la qualité de professeur émérite de la faculté de droit de l'Université de Montréal.

 

Outre les études précitées, le juge Bissonnette avait donné jadis des études à l'ancienne Revue du Droit, qui ne comporte pas hélas de répertoire général et à la revue bibliographique québécoise, Culture, une critique du savant ouvrage du Français, le P. Delos, la Nation. (7)

 

Pour souligner son action éminente dans l'enseignement, un groupe de professeurs de droit et d'amis publia en 1963, aux presses de l'Université de Montréal, un recueil d'Etudes juridiques en hommage à M. le juge Bernard Bissonnette. L'ou vrage réunit pas moins de vingt études, y compris la préface de son successeur au décanat de la faculté, M. Maximilien Caron. M. le juge Ignace Deslauriers en a donné une analyse à cette Revue . (8)

 

La même année, le juge Bissonnette avait livré au public la somme de ses longues observations, de sa science et de ses conclusions en son Essai sur la Constitution du Canada. Ce fort remarquable ouvrage est loin d'avoir reçu de nos périodiques toute l'attention qui lui revient. Fort heureusement, il est en cours de traduction anglaise. (9)

 

Il se peut qu'en dehors des nombreux arrêts où il fut partie, qui font jurisprudence et restent du domaine réservé à la magistrature et aux praticiens de droit, le nom du juge Bissonnette passe à la postérité par cette petite somme, où il a versé tout le fruit de sa vaste expérience de juriste tant dans l'exercice du droit que dans l'enseignement et dans une haute magistrature, voire de président d'une chambre législative.

 

Cette oeuvre manifeste à chaque page toute la puissance d'un esprit naturellement dialectique, servi par une faculté d'expression peu commune. La savante ordonnance de l'ouvrage, d'un développement si continûment logique et d'une clarté souveraine n'a peut-être de faiblesses, aux yeux de l'historien, que dans les considérations historiques de son premier chapitre, et certaines fautes d'édition même — ce qui n'était pas la partie de l'auteur — comme les références à la jurisprudence données dans le corps du texte, à la mode des mémoires d'avocat, alors qu'elles iraient si bien en marge, pour ne pas alourdir le texte. (10) Et encore les citations de locutions et d'axiomes en langues étrangères, non mises en italiques, comme il est d'usage universel. Mais ce sont là vétilles que l'auteur eût pu sans doute rectifier s'il avait eu le loisir de voir à une réédition.

 

L'auteur était visiblement touché par l'effervescence qui s'est fait jour dans l'institution à laquelle il consacra tant d'années d'enseignement, et il en fait le titre même de son dernier chapitre. Et il se pose à nouveau les questions sur les concepts mêmes de la Nation et de l'Etat. (11)

 

L'ouvrage, léger à la main mais lourd de substance, s'insère dans la lignée des meilleurs du genre publiés au Canada et il devrait être un constant rappel à tant de jeunes gens trop portés, de par leur fougue naturelle, aux conclusions hâtives sur les sujets les plus graves. Des études de cette qualité sont le meilleur produit d'exportation d'un pays, qui devrait s'honorer de les retrouver aux rayons des bibliothèques spécialisées de ses grands voisins.

 

Il avait épousé, en juin 1935 à Montréal, Jacqueline Masson (1911-1952) , décédée prématurément. Fille du docteur Médéric Masson et d'Yvonne Barbeau, elle était, par sa mère, petite-fille d'Henry Barbeau ( † 1902 , Montréal), administrateur de banque qui fut l'un de nos premiers économistes.

 

Il laisse dans le deuil son fils, Pierre, journaliste à Sept-Iles, sa fille, Lucie; son frère, le P. Antonin Bissonnette, dominicain, prédicateur, et auteur d'études à l'ancienne Revue Dominicaine, aujourd'hui Maintenant; sa soeur, Laurence (épouse de M. Roméo Parent), de Montréal, son autre soeur, Fernande (épouse du docteur Lasalle Laberge), de Sherbrooke, et parmi ses proches, nommément, sa nièce, née Juliette Parent (épouse de Me Jacques de Billy, c.r.), de Québec.

 

Il avait deux autres frères, Jean-Jacques Bissonnette (1891-1915), avocat en 1913; après avoir donné les plus brillantes espérances, il s'éteignit prématurément; il fut inhumé à Saint-Roch; et Benoit B. (1894-1944), notaire en 1918 et qui exerça sa profession à Montréal.

 

Le jour du décès, M. le juge en chef du Québec, Lucien Tremblay — qui rappela avoir été son clerc — et M. le juge en chef adjoint de la Cour supérieure, George Challies, firent tous deux l'éloge de l'éminent disparu, ce dernier citant les modèles de clarté que furent ses jugements.

 

De même son successeur à la Cour du banc de la reine, M. le juge Roger Brossard, à son intronisation, évoqua chaleureusement la figure de son prédécesseur « l'un des grands juristes de la Province, professeur brillant, dévoué et généreux, maître . . . bienveillant à l'égard des futurs avocats, admiré pour la profondeur et l'éclat de sa science juridique . . . sa contribution exceptionnelle à notre patrimoine intellectuel...». Et M. le juge Brossard de citer un ancien collègue du juge Bissonnette à la faculté de droit, M. le juge Lagarde, qui souligna, en son éloge du recueil d'Hommages, que le juge Bissonnette, bien que n'ayant pas exercé devant les tribunaux correctionnels, apporta en matière pénale la sûreté du jugement, la logique de l'argumentation, la précision de la doctrine et du style qui l'apparentent aux grands juristes français ».

 

Obsèques à l'église Saint-Joseph de Ville-Mont-Royal où de nombreux représentants des plus hautes autorités de la Justice, de l'Université et de la Ville lui firent cortège. Inhumation à la Côte-des-Neiges.

 

Les parents du juge Bernard Bissonnette avaient contracté mariage à la Cathédrale de Montréal en novembre 1889.

 

En des notes officieuses, le juge Bissonnette a consigné, à bon droit, descendre du côté maternel d'une famille qui compte une longue lignée de juristes.

 

Sa mère, Juliette Lamarche ( fl . 1868-1935) était soeur, nommément, de l'abbé Auguste-Roméo Lamarche (1863-1935) qui, ordonné prêtre en 1886, devint curé de Saint-André d'Argenteuil en 1899, de Saint-Jérôme de Terrebonne en 1901, enfin, de 1903 à 1929, de la vieille paroisse de Laprairie; inhumé à Laprairie, le juge Bissonnette contresigna son acte de sépulture avec, entre autres, quatre évêques de la province; de Mgr Charles Lamarche ( † 1940) , qui, après avoir été curé de Saint-Jean d'Iberville, devint en 1928, le quatrième évêque de Chicoutimi; de Marie-Denis Lamarche (fl . 1865-1893) , notaire (1886), à Saint-Roch; enfin de Valmore Lamarche ( fl . 1860-1909), aussi notaire (1886) à Montréal.

 

Son grand-père maternel, Denis [Bricaut-] Lamarche (1826-1900), notaire en 1852, exerça sa profession près de cinquante années à Saint-Roch-l'Achigan.

 

Fils de Louis Bricaut-Lamarche et de Judith Forest, mariés à l'Assomption en 1813, Denis [B.-] Lamarche avait épousé à Saint-Roch, en 1857, Philomène Rocher (fl . 1837-1872) — l'aïeule maternelle du juge Bissonnette — fille d'Auguste Rocher (fl . 1809-1836) aussi notaire à Saint-Roch, et soeur de Barthelemy Rocher (fl . 1834-1892) , notaire, 1855, à l'Assomption plus de trente-cinq années; le fils de ce dernier, Robert Rocher (1874-1917), avocat en 1898, finit sa carrière au ministère du procu­reur général à Québec.

 

Philomène Rocher-Lamarche, par sa mère, Alix Archambault était petite-fille du lieutenant-colonel François Archambault, de Saint-Roch.

 

*      *      *      *      *

 

Le père de Bernard Bissonnette, le docteur Pierre-Julien Bissonnette (fl . 1861-1913) né à Laprairie — inhumé à Saint-Roch — médecin, exerça sa profession en la paroisse Saint-Esprit de Montcalm. Membre du Collège des Médecins de la province, il fut député de Montcalm à l'Assemblée législative de Québec de 1897 à 1912.

 

Fils de Pierre B. et d'Esther Gélineau, mariés à Laprairie en 1860, petit-fils de Joseph B. (fl . 1800-1860) et de Catherine Garnier, mariés en 1821 à Laprairie, le docteur Bissonnette était lui-même l'arrière-petit-fils de Louis Bissonnette, né à la Baie-Saint-Paul en 1759, qui vint se marier à Chambly en 1788 à Reine Dubuc (1762-1816, † Laprairie).

 

Lui-même fils de Louis Bissonnette, marié à Petite-Rivière de la Côte-Nord en 1753 à Dorothée Simard, petit-fils de Jean Bissonnette (fl 1698-1748) marié à Baie Saint-Paul en 1720 à Marie de Lavoie, Louis Bissonnette était le descendant, à la troisième génération au Canada, de Jean Bissonnette (fl. 1669-1715) né à Québec, marié en 1692 à Charlotte Davesne et établi à Saint-Michel de Bellechasse.

 

Ce dernier était le fils aîné du fondateur de cette famille canadienne, le Vendéen Pierre Bissonnette (1626-1683), meunier à Montréal dès 1658, puis à Charlesbourg, à Sillery, à Beaupré, enfin à l'île d'Orléans, grand acheteur d'immeubles, et décédé à Lévis, dite alors Lauzon. Il avait épousé à Québec en 1668, après contrat de mariage reçu par Romain Becquet, Marie d'Aulonne (fl . 1650-1716) originaire de l'île d'Oléron (Charente-Maritime) et décédée à Saint-Michel de Bellechasse. (12)

 

(1) Scriptor, testis .

 

(2) [1948] R. du B. 5.

 

(3) [1962] R. du B. 355.

 

(4) [1962] R. du B. 573.

 

(5)12-13 Elizabeth II, ch. 66.

 

(6) [1949] B.R. 880. Note de Me L.-P. Gagnon, c.r.

 

(7) Montréal, 1944, 2 vol.

 

(8) [19641 R. du B. 90.

 

(9) BERNARD BISSONNETTE, juge à la Cour d'Appel du Québec, Essai sur la Constitution du Canada. Préface de Louis Baudouin, les Editions du Jour, Montréal, 200p.

 

(10) Dans une recension de M. Roland-J. Lamontagne parue aux Livres et Auteurs Canadiens, Panorama de la production littéraire en 1963, pp. 110-111, que l'auteur de ces lignes n'a trouvé qu'après coup, le critique formule les mêmes réserves.

 

(11) V. Essai sur la Constitution..., 6e partie, ch. IV.

 

(12) C. TANGUAY, Dictionnaire généalogique … II, 295-298.

 

Source : Jean-Jacques Lefèbvre, « Nos disparus — Bernard Bissonnette », dans Revue du Barreau , Vol. 26, No 3 (mars 1965) : 168-170. Le texte a été reformaté pour l'édition sur le web. Nous remercions les éditeurs de la Revue du Barreau de nous avoir aimablement donné la permission de reproduire cette biographie.

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College