Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Bataille de Carillon

[1758]

 

CARILLON (Fort, Bataille de), situé à l'extrémité méridionale du lac Champlain, appelé par les Anglais Ticonderoga.

 

La péninsule de Carillon consiste en un plateau rocheux, bordé de terrains bas qui côtoient, à gauche le lac Champlain et, à droite, la rivière la Chute. Le fort, délabré en 1758, s'élevait près de la pointe sud-est; il n'occu­pait pas l'endroit le plus élevé du plateau; à l'ouest, en avant du fort, le terrain, après une légère déclivité, remonte graduellement et atteint sa plus grande hauteur à environ un demi-mille de la place; puis il s’abaisse encore, de manière que le plateau est couronné d'une crête qui le traverse entièrement, entre les deux pentes très raides conduisant aux terrains bas. Montcalm était au fort en­touré d'environ 3.500 combattants. Devant lui, la rivière la Chute, longue d'environ 4 milles, descendait du lac George, bondissant en ra­pides écumeux. Ce lac, mesurant 36 milles, s'étendait jusqu'aux ruines de William-Henry, où se dressaient les tentes de 15.400 Anglo-Américains. Abercromby avait de l'artillerie, une flotte nombreuse et, pouvait ainsi fondre sur les troupes de son rival, d'un moment à l'autre.

 

Le général français n'hésite point à déter­miner que c'est sur les hauteurs de Carillon que se décidera la campagne; la bataille sera livrée sur la crête, et non sur les terrains bas qui avoisinent le fort. Le 1er juillet, le marquis va prendre l'offensive : laissant à Carillon le second bataillon de Berry, il éta­blit son camp, à deux milles, au moulin à scie de la Chute; au-dessus de la cascade se trouvait un pont reliant Ies deux rives, où il dispose des bataillons. Cette manoeuvre retarde les mouvements des ennemis jusqu'au 5 du mois. Le 4, M. de Montcalm résolut d'envoyer un détachement à leur découverte, confiant 130 volontaires, faute de Sauvages, à l'enseigne Langy-Montégron; la troupe s'embarqua, le soir, sur le lac George. Le lendemain, elle rapporte la nouvelle de la marche de l'avant-garde, conduite par Bradstreet et Rogers. Ordre est donné de passer la nuit en armes au bivouac et de poster des pi­quets sur les bords du lac George pour éclairer le débarquement des ennemis. M. de Langy et M. de Trépézé sont envoyés avec 300 hommes occuper la Montagne-Pelée, à l'ouest, devant retraiter sur Carillon par la rive gauche et les éclaireurs de Bourlamaque par la droite. Le matin du 5, les 900 bateaux, les 15 chaloupes, les radeaux d'artillerie, paraissent sur le lac et abordent le soir à la Pointe-du-Sabbat pour débarquer, à l'aurore du 6, à l'embouchure de la Chute.

 

M. de Montcalm envoie ordre aussitôt au sieur de Pontlevoy à Carillon de tracer les retranchements et les abatis sur la crête choi­sie et désignée, tandis que débarquaient les Anglais sous le feu des tirailleurs français; ceux-ci retraitent vers le campement de la Chute, rompant le pont du Portage et celui situé au-dessus de la cascade. Vers le nord-ouest, M. de Langy se perd un instant dans la forêt, au moment où, ayant rallié sa troupe, les postes avancés de l'ennemi s'avancent, masqués par les taillis. Lord Howe tombe mort dans une contre-attaque des Français invisibles dans les bois, qui furent contraints de retraiter sur la Chute. Le 7, Abercromby rappelle ses éclaireurs au lieu du débarquement; mais, le soir, son armée, campe sur l'emplacement occupé par Montcalm, durant les six jours précédents, qui l'avait quitté pour courir sur les hauteurs de Carillon et activer en hâte la défense. Le retranchement, en troncs d'arbres superposés à la hauteur de huit pieds, suivait les si­nuosités de la crête ou plateau et se dessi­nait en angles sortants et rentrants se protégeant les uns les autres; la gauche, très escarpée, s'appuyait à la rivière la Chute; la droite, en pente douce, aboutissait à la plaine conduisant au lac Champlain. Chaque batail­lon travaillait au poste qu'il devait occuper durant l'engagement. Le revers du retranchement fut garni de troncs d'arbres renversés dont les branches taillées en pointes faisaient fonction de chevaux de frise. En avant, le terrain, à une grande distance, fut couvert d'arbres abattus, qui devaient intercepter la marche et briser l'ordonnance des bataillons ennemis. Le soir même du 7 juillet, l'oeuvre de défense était à peu près complétée; aussitôt paraît le capitaine Pouchot avec 300 réguliers et, le lendemain matin, M. de Lévis et M. de Sénezergues avec 100 autres. Les bataillons se hâtent d'achever les abatis, quand, vers 10 heures, on aperçoit l'avant-garde légère et, à midi et demie, toute l'armée anglaise débouchant sur Carillon dans un ordre admirable.

 

Les troupes françaises quittent la hache du bûcheron pour le fusil. Le major Rogers et son infanterie, les bateliers de Bradstreet ouvrent un feu de tirailleurs, pendant que les Provinciaux se déploient de gauche à droite et, passant dans les intervalles, les réguliers s'engagent dans l'abatis en masses rouges. Au-dessus des retranchements silencieux on­dulent les drapeaux français. Le général se tient au centre, tête nue et habit bas, ayant Lévis à sa droite et Bourlamaque à sa gauche : trois lignes de blancs uniformes bordent le retranchement, chaque bataillon ayant en arrière ses grenadiers et ses piquets en or­dre de bataille, prêts à porter secours. M. de Montcalm a défendu de tirer un seul coup sans son ordre. Les colonnes anglaises avan­cent, au son des instruments écossais et au pas de charge, à travers l'enchevêtrement de l'abatis, et touchent bientôt aux retranche­ments de la gauche, avec la consigne d'enlever la position à la baïonnette. Pas une balle de tirée, quand retentit soudain le mot : Feu ! En un clin d'oeil, 3.000 fusils vomissent la mort dans les rangs ennemis; vaillants et hésitants, les réguliers anglais se ressaisissent de la surprise; grenadiers, Montagnards se pressent, enjambant les troncs, se meur­trissent aux branches tranchantes, essuient la fusillade française, tirent eux-mêmes à travers les retranchements et, finalement reculent en s'écriant que « la position est imprenable ». Pourtant le général Abercromby, qui se tient au moulin de la Chute, envoie l'ordre de renouveler l'assaut. Aussitôt, des masses de guerriers rendus furieux par le carnage se précipitent à travers les mêmes obstacles, tombent, se relèvent, s'embarrassent dans les branches aiguës, foulent aux pieds morts et blessés, crient, jurent et s'avancent vers les hauteurs meurtrières, l'espace de sept heures continues; mais ils sont impuissants à forcer la barrière qui les sépare des lignes françaises. Le brave Bourlamaque a une omo­plate brisée et cède le commandement à M. de Sénezergues. M. de Montcalm volant du centre à la gauche et à la droite communique partout son ardeur et détache ses aides de camp. M. de Lévis arrête et brise à droite la quatrième colonne d'assaut britannique. Au sud-est, les volontaires des sieurs Bernard et Duprat empêchent le débarquement de soldats montant des barques et destinés à contourner les retranchements; le canon du fort Carillon retentit aussitôt et deux barques sont coulées à fond dans leur fuite. Vers cinq heures, deux colonnes anglaises tentent sur la droite un effort désespéré, ce sont les Montagnards écossais qui se battent avec une froide ténacité; ils franchissent l'abatis, avan­cent au pied du retranchement. Les Français crient : À droite, tirez à droite ! M. de Lévis voit le danger sans frémir et Montcalm accourt avec ses grenadiers. Les Montagnards tombent par centaines, les blessés criant aux autres de marcher en avant; leur major Duncan Campbell s'affaisse frappé à mort. Soudain, à l'extrême droite, Lévis s'écrie : En avant, Canadiens ! Ils sont commandés par les officiers de Raymond, de Saint-Ours, de Lanaudière, de Gaspé. M. de Lévis reçoit deux balles dans son chapeau et M. de Montcalm combat comme le dernier de ses soldats. Les valeureux Ecossais, décimés et sanglants, reculent pour reformer deux colonnes, attaquent le centre, puis la gauche; ils se fusillent même dans la fumée; ce qui jette la confusion dans leurs rangs. A sept heures, l'armée anglaise est en pleine retraite vers la Chute, laissant près de 2.000 morts qui gisent au pied de si fragiles retranchements. Sur la droite, le sol est jonché des cadavres du ré­giment écossais.

 

La victoire de Carillon est entrée dans les fastes militaires de notre histoire. M. de Montcalm fait chanter le Te Deum par ses troupes en armes. Il fit dresser sur le champ de bataille une croix portant l'inscription :

 

Quid dux ? quid miles ? quid strata ingentia ligna ?
En signum ! en victor ! Deus hic, Deus ipse triumphat !

 

 

Les Anglais eurent environ 3.000 tués ou blessés. Les Français eurent également des officiers et des soldats dont on a conservé les noms :

 

Etat-major : M. de Bourlamaque et M. de Bougainville, blessés;

 

La Reine : Dodin, lieutenant, tué, d'Hébécourt et Le Comte capitaine et de Massia, lieutenant, blessés; 7 soldats tués, 45 blessés;

 

La Sarre : De Moran et Champrodon, capitaines, Mineraye aide-major, tués; de Beauclair capitaine et de Forêt lieutenant, bles­sés; 7 soldats tués, 31 blessés;

 

Royal-Roussillon : Ducoin capitaine, tué; chevalier d'Azenne officier, blessé; 2 soldats tués, 18 blessés;

 

Languedoc : de Fréville capitaine et Parfouru lieutenant, tués; de Marillac, Douglas, Basserolle capitaines, blessés; 9 soldats tués et 35 blessés;

 

Guyenne : Patrice, capitaine, tué; Saint-Vincent, mort de ses blessures; La Bretèche, capitaine et Restaurant, lieutenant, blessés; 24 soldats tués; 36 blessés.

 

Berry : 1er bataillon, Le Brème, capitaine, Emeric, lieutenant, tués, et Châteauneuf, mort de ses blessures; 16 soldats tués, 26 blessés; 2° bataillon de munitions; 6 soldats tués, 8 blessés;

 

Béarn : Pons, lieutenant; Douay, enseigne, tués; de Montgay et Malartic, capitaines, bles­sés; 11 soldats tués, 36 blessés.

 

Canadiens : de Nigon et de Langy, lieutenants, blessés; 10 soldats tués, 11 blessés.

 

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Source : Louis LE JEUNE, «Bataille de Carillon», dans Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. I, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931,  862p., pp. 307-309.

 
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