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Documents in Quebec History

 

Last revised:
19 February 2001


Documents sur l’affaire Yves Michaud / Documents on the Yves Michaud Affair

Lettre d’Yves Michaud à Lucien Bouchard

[Note de l'éditeur : Cette lettre fut envoyée à son destinataire le 31 décembre, 2000. Elle fut publiée dans quelques journaux dans les semaines suivantes. Cette lettre était accompagnée du préambule suivant: «Voici la lettre que j'ai adressée à Lucien Bouchard le 31 décembre 2000 à la suite de conversations que j'ai eues avant Noël avec le vice-premier ministre Bernard Landry qui est venu à mon domicile pour explorer les voies d'une réconciliation à la suite du vote de blâme de l'Assemblée nationale. Elle est restée sans réponse. Elle constitue, à mon avis, une réfutation point par point, des déclarations injustes, mesquines, hargneuses, de Lucien Bouchard à mon endroit et de l'interprétation erronées et tendancieuses qu'il a faite avec les membres de l'Assemblée nationale de mes propos soi-disant «inacceptables».»]

Monsieur le premier ministre,

Je vous souhaite à l'aurore de la nouvelle année, santé, sérénité, patience et courage dans l'exercice de vos exigeantes fonctions.

Je vous écris pour vous redire jusqu'à quel point les événements de décembre sont néfastes pour la cause que nous servons. Je vous ai tendu avant Noël une main loyale et fraternelle pour sortir de l'impasse dans laquelle nous sommes. Je récidive par la présente en espérant que nous arriverons dans l'honneur et la dignité à une «paix des braves» pour sortir de la triste affaire qui secoue notre parti et mobilise des segments non négligeables de l'opinion publique québécoise. Je vous épargnerai le rappel de mes états de service à la nation québécoise depuis plus d'un demi-siècle, quoique j'eusse souhaité qu'ils fussent pris en compte, comme j'aurais estimé indispensable que l'on s'efforçât de connaître la teneur exacte de toutes mes déclarations faites aux États généraux, avant que l'Assemblée nationale n'adoptât le 14 décembre 2000, à l'unanimité des 109 députés présents, une motion de blâme unanime à l'égard de certains de mes propos prétendument «inacceptables». Cela, sans débat autorisé, tous les députés muselés par la discipline de leur parti, des deux côtés de la Chambre. Pourquoi n'ai-je pas été informé des chefs d'accusation pesant contre moi? Pourquoi m'a-t-on refusé ce qu'un état de droit reconnaît à tout citoyen, une défense pleine et entière? Y avait-t-il urgence? Pourquoi cette hâte et cette précipitation fébrile? J'étais à portée de téléphone. Pourquoi ne fus-je pas invité à m'expliquer avant de me couvrir d'opprobres? Pourquoi cette atteinte à la liberté d'expression de la part d'élus qui devraient être les premiers à donner l'exemple du respect de la Charte québécoise des droits et libertés?

Si l'on m'avait donné l'occasion de me faire entendre, j'aurais dit ceci:

Banalisation de l'holocauste. Rien dans la conversation que j'ai eue avec le sénateur libéral Léo Kolber n'autorise quiconque à prétendre que j'ai banalisé l'holocauste. Ce dernier a déclaré qu'il ne se souvenait pas de notre conversation. Eut-il perçu dans mes propos la moindre offense au peuple juif, sa mémoire l'aurait sûrement enregistrée. Affirmer que d'autres peuples ont souffert tout au long de l'aventure humaine n'implique d'aucune façon la contestation du caractère unique et incomparable de la tentative d'extinction du peuple juif par l'État nazi. Je déplore que d'aucuns se soient servis de cette immonde tragédie pour salir ma réputation et entacher mon honneur.

Il serait fort étonnant que je me découvre soudainement, à mon âge, une vocation tardive d'antisémite. J'habite depuis plus de trente-sept ans un quartier juif de Montréal en parfaite harmonie et convivialité avec mes voisins. Il n'y eut jamais l'ombre d'une anicroche entre nous. J'ai toujours eu, autant que vous, une grande admiration pour le peuple juif que je décrivais en ces termes, (qui plus est, en présence de M. Robert Libman, directeur régional (sic) pour le Québec du B'Nai Brith) en citant Lionel Groulx, lors de mon intervention devant la Commission des États généraux de la langue française: «J'invite les Canadiens-français à posséder comme les Juifs leur âpre volonté de survivance, leur invincible esprit de solidarité, leur impérissable armature morale. L'antisémitisme est une attitude antichrétienne et les chrétiens sont en un sens spirituellement des sémites». J'ajouterai que si le peuple canadien-français avait suivi l'exemple du peuple juif, le Québec serait un pays souverain depuis des décennies.

Mes propos admiratifs à l'égard du peuple juif n'ont pas été relayés par les médias et à plus forte raison par les représentants du B'Nai Brith qui m'ont entendu, assis dans la salle et qui devaient me succéder à la tribune de la Commission des états généraux. De pareils propos ne servaient évidemment pas l'entreprise de démolition visant à me discréditer dans l'opinion publique, conduite par le B'Nai Brith, entreprise à laquelle l'Assemblée nationale a été malheureusement associée avec une rapidité et une complicité dont je cherche encore à comprendre les véritables motifs. Passe que l'opposition libérale se livre à de vilains procès d'intention. Mais que les députés et les ministres de mon propre parti fassent l'«union sacrée» avec nos adversaires pour me déshonorer, me laisse encore pantois. En voyant chacun d'entre eux se lever prestement pour voter ma mort politique, je croyais assister à une séance de politique-fiction. Hélas! la réalité dépassait la fiction.

Le vote (ethn...!) linguistique. En français, une «ethnie» se définit par la langue qu'elle parle (1). Au Québec, le canon du discours de la rectitude politique interdit de prononcer ce mot sacrilège. Humaniste, démocrate et amant comme vous des dictionnaires et des lettres, je crois que tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit, ce qui se traduit dans le domaine politique par l'irréfragable droit de tous les citoyens du Québec de se prononcer comme ils l'entendent lorsqu'ils sont appelés à exercer leurs suffrages. Cela ne contredit pas mon propre droit de citoyen, libre de ses opinions, de faire le constat à la suite de l'analyse d'un vote massif et à 100% contre la souveraineté du Québec dans un secteur donné de Montréal, qu'il y eut un vote linguistique contre le projet souverainiste québécois. Le constater, le dire, regretter qu'il en soit ainsi, n'est pas une infamie. Des votes massifs à 100%, sans l'ombre d'une dissidence, d'une provenance ou d'une autre, ne me paraissent pas être une bonne indication du fonctionnement démocratique. Il y a des clivages dans notre société, des lignes de fracture qui doivent être nommées si l'on veut créer les ponts qui permettront la poursuite commune des meilleurs intérêts du Québec. C'est un exercice difficile, j'en conviens. Périlleux même, je puis en témoigner dans les moments difficiles que je traverse. Je paye le prix fort ma liberté d'expression face à une censure et un bête discours de rectitude politique qui n'ont jamais favorisé le progrès des sociétés.

Parlons de «vote ethnique» puisqu'il ne s'agit pas du Québec. En Israël, au moins d'août dernier, à la suite de l'élection d'un candidat de droite à la présidence de cet État, devant Shimon Peres, prix Nobel de la paix, une députée travailliste, Mme Colette Avital, ex-ambassadeur d'Israël au Portugal, a qualifié de «vote ethnique» l'élection du nouveau président. La députée soutenait que l'élection en question était le fait du vote séfarade (oriental) contre l'oligarchie ashkénaze (européenne). «L'élection eut lieu en août 2000. Mme Avital n'a pas encore été l'objet d'un vote de blâme unanime de la Knesset. Vérité en decà des Pyrénées, erreur au-delà... »

Les immigrants. Voici ce que je déclarais à la Commission des États Généraux sur la langue française concernant l'intégration des immigrants à notre vie collective: «Des Néo-Québécois dont le nombre est insuffisant hélas, ont opté pour le Québec d'abord! et enrichissent de manière brillante et exemplaire la patrie qu'ils ont adoptée. Au titre de leur contribution au patrimoine commun ils y mettent parfois, voire souvent, plus de ferveur et de générosité que beaucoup de nos concitoyens dits de «souche» mais de souche déracinée, indifférents ou étrangers au devenir de leur propre patrie. De ce type d'immigrants je souhaiterais qu'il en vienne à la tonne! La souveraineté du Québec est impensable sans le soutien, l'apport et la volonté d'un nombre substantiel de Néo-Québécois qui feront route avec nous et contribueront à l'édification d'une société de justice sociale et de liberté. C'est sur des communautés humaines comme la nôtre, incrustées dans une même histoire et une volonté de vivre un même destin collectif, enrichies de l'apport précieux de nouveaux citoyens, de toutes races, confession, couleur, que se créent les nations, lieu privilégié et irremplaçable d'une solidarité d'hommes et de femmes qui partagent un certain nombre de valeurs, parlent une langue commune et participent à la culture d'un ensemble collectif. Des immigrants, oui! , nous en voulons! En repoussant à l'extrême, s'il le faut, notre capacité d'accueil».

Y-a-t-il dans ce qui précède des relents d'exclusion et de xénophobie? Peut-on m'imputer à crime de souhaiter que davantage de nos nouveaux concitoyens participent à notre vie nationale? Si tel devait être le cas, si ce type de propos peut être interprété comme un rejet des immigrants qui ne partagent pas ma vision d'un Québec souverain, je le regrette.

Je souscris sans réserve à la notion de contrat civique élaborée dans le document approuvé par le conseil des ministres et déposé par Robert Perreault alors ministre des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, à l'occasion du Forum national sur la citoyenneté et l'intégration, tenu à Québec les 21 et 22 septembre derniers. «Ce contrat concerne et lie toutes les Québécoises et tous les Québécois. Il fixe les balises de la responsabilité citoyenne à laquelle souscrit progressivement, de sa jeunesse à sa majorité, toute personne née ici ou ayant choisi d'y vivre et s'identifiant à la communauté politique que forme le peuple québécois» (p. 21). Je suis partisan d'une citoyenneté québécoise centrée sur le partage d'un patrimoine civique vivant, des valeurs qui ont fait notre histoire, charpentent notre présent et nous aident à imaginer l'avenir. Au coeur de ce patrimoine, se trouvent la Charte des droits et libertés de la personne, le respect des lois légitimement adoptées, la langue française comme langue publique commune ainsi que plusieurs autres aspects de notre vie sociale et de nos institutions. Je suis d'accord avec le document gouvernemental qui affirme que ce contrat civique doit être au fondement de notre politique d'intégration non seulement des immigrants mais de toutes les personnes aspirant à exercer la citoyenneté québécoise.

Les extrémistes. L'un de nos plus féroces adversaires politiques est M. Robert Libman, ancien député du Parti égalité à l'Assemblée nationale, maire de Côte Saint-Luc, directeur régional (sic) au Québec du B'Nai Brith, organisme qui a suggéré de débaptiser la station de métro Lionel-Groulx et qui vous a sommé par voie de communiqué de vous opposer à ma candidature dans Mercier, le 12 décembre 2000. Comme si M. Libman et le B'Nai Brith avaient désormais le pouvoir de choisir «leurs» candidats aux investitures du Parti Québécois! Avouez qu'il a des sommets d'insolence qui forcent l'admiration! Dans ce même communiqué, le B'Nai Brith qui se prétend défenseur des droits et libertés me qualifie de «dinosaure du Parti», en exigeant le retrait de ma candidature. N'est-ce pas là faire insulte, à travers moi, à tous les militants d'un certain âge du Parti et par voie de conséquence à l'ensemble de mes concitoyens et concitoyennes qui ont contribué toute leur vie à construire le Québec? Suis-je, avec tant d'autres, un déchet de la société nonobstant le fait que la valeur s'est peut-être ajoutée au nombre de nos années? Je n'ai pas entendu des deux côtés de la Chambre une seule voix s'élever contre cette violation de la Charte québécoise des droits et libertés au chapitre de la discrimination en raison de l'âge. Pourquoi ce traitement de faveur au B'nai Brith?

M. Libman est en outre, c'est litote de le dire, un prosélyte virulent et acharné de la partition du territoire québécois dans l'éventualité de l'accession du Québec à la souveraineté. En cas de sécession, le droit international reconnaît l'intégrité du territoire de la partie sécessionniste d'un État. Dans les deux cas, flétrir la mémoire de Groulx et le dépeçage éventuel de notre territoire national, sont des positions extrêmes. Elles ne peuvent être que le fait d' «extrémistes», propos que les porte-parole les plus en vue du Parti québécois ont eux-mêmes tenus pour qualifier un rassemblement de «partionnistes» à l'Université McGill, dont M. Libman était une tête d'affiche.

Phalange du sionisme. Le Grand Robert définit une phalange comme «un groupement humain dont les membres sont étroitement unis». J'imagine que ce propos ne prête guère à contestation. En revanche, la définition suivante est donnée au sionisme: mouvement politique et religieux visant à l'établissement d'un État juif en Palestine.» Assimiler une référence au sionisme comme de l'antisémitisme témoigne d'une ignorance consternante. Le sionisme a été l'objet de sévères condamnations par des grandes autorités du judaïsme depuis le début du dernier siècle, dont le grand rabbin français Emmanuel Levyne dans son livre Judaïsme contre sionisme (Edit. Cujas) publié en 1969: «Le sionisme politique nie la foi essentielle d'Israël. C'est la plus dangereuse hérésie de toute l'histoire juive. Il faut donc la combattre avec la plus grande énergie». ( Cité par Michelle Parent, auteur de Palestine ma déchirure (Stanké) dans Le Devoir du 27 septembre 2000 sous la rubrique IDÉES). Cela dit, le fait est avéré que l'État d'Israël existe et je reconnais son droit à l'existence comme à tous les autres peuples, dont le mien, de se constituer en État-Nation.

Ce droit n'était pas reconnu par un éminent membre de la communauté juive de Montréal, M. Charles Bronfman, qui déclarait le 15 novembre 1976, dans le Montreal Star, jour de la prise du pouvoir par le Parti québécois: «C'est un groupe de bâtards qui tentent de m'enlever mon pays. Je vois la destruction de mon pays, la destruction de la communauté juive. Si le PQ est porté au pouvoir ce sera l'enfer, l'enfer absolu.» M. Bronfman, que je sache, n'a pas été l'objet d'un vote de blâme de l'Assemblée nationale du Québec.

Guidé par les intérêts supérieurs du Québec et aussi par ceux du seul parti porteur de l'espérance qu'il devienne maître chez lui, et soucieux de ne pas laisser les adversaires de notre cause profiter des événements, je reconnais qu'un geste s'impose pour mettre un terme à une dérive préjudiciable à la démocratie québécoise et malsaine pour le Parti Québécois. Je constate qu'en dépit de ma bonne foi, certains de mes propos et surtout les interprétations erronées qui en ont été faites ont apparemment choqué ou blessé certaines personnes et je le déplore. Dès lors, gardant ma dignité, je prie ces personnes de m'excuser des malentendus que mes propos, par imprécision ou maladresse, ont provoqués. Il va de soi que les origines ethniques, les croyances religieuses et les allégeances politiques n'altèrent pas la qualité de citoyen. De plus, je ne conçois pas la nation québécoise d'aujourd'hui et de demain autrement que pluraliste, ouverte, sans exclusion, accueillante et fraternelle. Ces mêmes principes valent évidemment pour les futurs immigrants.

Compte tenu de tout ce qui précède, je vous prie de prendre les initiatives nécessaires pour que la motion de blâme à mon endroit soit rescindée dès les premiers jours de la reprise des travaux parlementaires. N'étant pas renégat de ma patrie je vous demande également, en votre qualité de président du Parti québécois, de reconnaître publiquement la légitimité de ma candidature à l'investiture du 4 mars 2001 dans la circonscription de Mercier. Cette affaire ayant déjà trop duré, je vous saurais gré de me faire savoir le plus rapidement possible les voies et moyens par lesquels réparation puisse être faite des torts qui m'ont été causés. Les conditions précitées étant satisfaites, je souhaite vivement, sûrement avec vous, que ce que les médias sont convenus d'appeler «l'affaire Michaud» soit classée le plus rapidement possible. Recevez, monsieur le premier ministre, avec tout le respect dû à l'égard de la personne qui exerce les plus hautes fonctions de l'État québécois, le témoignage de mon indéfectible loyauté à la nation.

(1) On réserve le nom de races à ceux (les groupements humains) établis d'après un ensemble de caractères physiques (...) On sait, d'autre part, qu'on appelle nation ou État ceux qui correspondent à une communauté politique. Viennent enfin ceux basés sur des caractères de civilisation, en particulier une langue ou un groupe de langues identiques; on a créé pour eux un terme qui tend de plus en plus à s'imposer, ce sont les ethnies (...) Dès qu'on aborde les grandes masses qui peuplent la majeure partie des continents, les races, les ethnies et les frontières politiques s'enchevêtrent à qui mieux mieux. Henri Vallois, les Races humaines, p. 83.