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Last revised:
19 February 2001


Les Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers, the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916

Épilogue - Les écoles du Kewatin

Par
Lionel Groulx

[Note de l'éditeur : Au sujet de l'abbé Groulx, de sa méthode historique, de sa vision des droits minoritaires, de son utilisation de l'histoire, on lira avec profit l'introduction de l'éditeur au chapitre des écoles du Manitoba dans la même collection de documents.]

Nous donnons à ce court chapitre le titre d'« épilogue » à l'histoire des écoles du Manitoba . Nous n'ignorons point que les deux histoires sont distinctes. La question scolaire du Kéwatin relève en toute exactitude de celle des Territoires du Nord-Ouest. Elle en relève en ses origines et en ses développements. Il arrive cependant que, par un détour presque fatal, le débat de 1912 la rattache à la question scolaire du Manitoba. Et le sort fait à la minorité du Kéwatin, cette année-là, lui infligea, en définitive, pour la tenue de ses écoles, le régime manitobain.

On se rappelle comment surgit cette autre querelle. En 1912 les autorités pratiquaient de nouveaux découpages dans les territoires: l'Ungava passait au Québec; l'Ontario et le Manitoba se partageaient les restes du Kéwatin. Nulle question scolaire n'avait lieu de se poser ni au sujet de l'Ungava, ni au sujet de la partie du Kéwatin destinée à l'Ontario. Dans un cas comme dans l'autre, l'annexion vaudrait aux minorités religieuses des droits beaucoup plus considérables que ceux qu'elles détenaient jusqu'alors sous l'empire de la loi des Territoires du Nord-Ouest. Il n'en allait pas ainsi de l'autre portion du Kéwatin. Une difficulté se présentait et qui se formulait comme suit: en annexant au Manitoba cette partie des Territoires, le gouvernement canadien voudrait-il, par un texte exprès, assurer à la minorité religieuse, catholique ou protestante, les droits scolaires que lui garantissait l'article 11 de la loi fédérale, ou bien, glissant sur le grave sujet, obligerait-il la minorité à passer sous les fourches caudines des lois manitobaines? En d'autres termes: quelque chose comme une servitude morale grévait le Kéwatin; laisserait-on aller le territoire en y maintenant la servitude? Ou le don princier fait au Manitoba serait-il, à titre de faveur supplémentaire, libéré de toute charge? Cette sorte de transaction paraissait, à la vérité, assez peu admissible et probable. En somme c'eût été livrer une population britannique, sans tenir compte de ses droits ni naturels, ni positifs. Et on se souvient que c'est pour un semblable grief qu'en 1869 les Métis de la Rivière-Rouge avaient pris les armes. Le gouvernement canadien en usait, au reste, de toute autre façon, à l'égard d'une servitude de beaucoup moindre importance que détenait sur le Kéwatin la Compagnie de la Baie d'Hudson. Les rédacteurs du projet d'annexion avaient pris la peine, en effet, d'y insérer un article 7 dont la teneur parlait par soi-même: « Rien dans la présente loi ne saurait porter préjudice, ni atteinte aux droits ou aux biens de la Compagnie de la Baie d'Hudson tels que définis dans les conditions sous lesquelles cette compagnie a rétrocédé la terre de Rupert à la Couronne. » On se figurait donc malaisément des politiques fédéraux attachant plus de prix aux droits d'une simple compagnie de commerce, si puissante fût-elle, qu'à l'un des droits moraux qui sont à la base même de la Confédération canadienne.

Derrière quoi, en définitive, pour trahir le droit minoritaire, le sophisme ou l'opportunisme politique se pouvaient-ils retrancher ? Nul paravent ne s'offrait, si ce n'est peut-être les multiples dépècements ou, si l'on veut, les avatars géographiques du Kéwatin. Notre chapitre sur « les écoles du Nord-Ouest » le démontrera plus loin: rien de mieux établi que le droit scolaire des minorités dans les Territoires. L'article 11 du statut fédéral de 1875, véritable constitution de ces domaines, se montrait très net sur le sujet. L'autorité politique pouvait légiférer en matière d'enseignement public, sans jamais porter préjudice ni aux droits de la minorité, ni à ceux de la majorité. Celle-ci pourrait établir, partout où elle le voudrait, les écoles de son choix; les mêmes droits et pouvoirs appartenaient à celle-là, sans obligation, ni pour l'une ni pour l'autre, à un double impôt scolaire. (1)

Il est à noter que cet article 11 avait été accueilli par un vote unanime de la Chambre des Communes et qu'au Sénat une seule voix divergente s'était élevée: celle de George Brown. Depuis lors, à diverses reprises, le parlement avait légiféré sur la même question: en 1880, par un amendement et une refonte des différentes lois se rapportant aux Territoires; en 1886, par une nouvelle refonte de ces mêmes lois; en 1906, par une dernière législation qui, après l'érection en provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan, procédait à la réorganisation du reste des Territoires. Chaque fois, jusqu'en 1906, le parlement fédéral avait réédité, sans modification substantielle, l'article 11 du statut de 1875. En 1906 il maintenait en vigueur toutes les lois et ordonnances passées jusque-là et non révoquées par l'ancienne législature du Nord-Ouest, y compris les ordonnances relatives à l'instruction publique. Car il est à retenir que la législature du Nord-Ouest, ainsi que nous le verrons plus loin, avait elle-même reconnu et sanctionné l'existence des écoles séparées.

Seulement voici ce qui s'était passé. Le statut fédéral de 1875 ne devait être mis en vigueur que par proclamation du gouverneur. Effectivement cette promulgation n'eut lieu que le 7 octobre 1876. Ce même jour un autre statut recevait aussi sa promulgation. Et ce statut de 1876 avait précisément pour objet de suspendre celui de 1875 dans une partie des Territoires, appelé le Kéwatin, que l'on pourvoyait d'une constitution spéciale. A ce moment-là le Manitoba réclamait une part de ce Kéwatin qui, à l'est, touchait aussi à l'Ontario. En attendant le partage entre les deux provinces, Ottawa jugeait expédient de donner à ce domaine une administration séparée. Observons également que la constitution du Kéwatin suspendait sur beaucoup de points l'opération du statut de 1875; tel était le sort en particulier de tous les articles qui constituaient des pouvoirs administratifs dans l'Ouest et notamment de l'article 11, base du droit scolaire. On aperçoit le parti que des esprits plus subtils que courageux pourraient tirer de cette aventure législative. Quelle invite à risquer la démonstration, par exemple, qu'à la date du 7 octobre 1876, date de naissance du Kéwatin, nulle garantie n'existait, en cette partie du pays, en faveur du droit scolaire des minorités?

A parler franc, la prétention se pouvait-elle soutenir avec quelque vraisemblance? De l'aveu même de l'honorable Mackenzie, chef du gouvernement en 1876, « l'Acte du Kéwatin » n'avait qu'un « caractère temporaire ». A tort l'on eût donc présumé une abrogation de l'article 11 du statut de 1875, où il n'en fallait voir qu'une simple suspension. A des questions précises posées en Chambre par MM. Rodrigue Masson et Mousseau, les réponses du gouvernement ne souffrent aucune ambiguïté. Le 7 mars 1876, Edward Blake, ministre de la justice, répond, par exemple, à M. Mousseau: « L'avenir de ces territoires est soumis à l'alternative suivante: ils seront ou annexés au Manitoba ou détachés du Kéwatin et annexés de nouveau au Nord-Ouest. Dans l'un comme l'autre cas, les droits de la minorité seront protégés. Le gouvernement n'a aucune intention de se départir du principe général de la 11 ème section. Si les Territoires étaient annexés au Manitoba, ils seraient sujets aux lois de cette Province (2) s'ils faisaient partie du Nord-Ouest, la 11 ème section de l'Acte de la dernière session leur serait appliquée. » (3)

Que si même, contre toute logique, l'on concède une abrogation, il faut admettre que rien n'en subsistait plus, depuis 1905, et surtout depuis 1907. La première fois, en effet, par proclamation du gouverneur général, la seconde, par décret du parlement canadien, le Kéwatin, ou plutôt tout ce qui restait de l'ancien pays de ce nom, avait cessé d'exister pour redevenir partie intégrante des Territoires du Nord-Ouest, et passer du même coup sous la loi des Territoires. Or l'article 13 du chapitre 62 des statuts refondus de 1906, mis en vigueur en 1907, stipule expressément que « toutes les lois et ordonnances maintenant en vigueur dans les Territoires . . . restent en vigueur jusqu'à ce qu'il soit autrement ordonné par le parlement du Canada. » Il ne se pouvait donc droit mieux établi que le droit scolaire de la minorité de l'ancien Kéwatin. M. Laurier lui-même n'osera point le contester. « La loi de 1875 », dira-t-il dans le prochain débat, « s'applique dans le Kéwatin actuel. Si ce territoire eût été organisé, la minorité y eût eu des écoles séparées ».

Nul doute ne pouvait s'élever, non plus, sur le droit incontestable du gouvernement fédéral d'imposer au Manitoba le respect du droit minoritaire dans le territoire annexé. L'article 6 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord de 1871 enlève, sans doute, au pouvoir central, le droit de modifier la constitution des provinces. Un autre article du même Acte, l'article 3, fait exception toutefois pour le cas d'un remaniement de frontières. Et, sans doute encore, en pareille occurrence, nulle modification constitutionnelle ne se peut faire que du consentement de la province; d'autre part, en cas d'un refus de la part de celle-ci, rien n'oblige non plus le gouvernement fédéral à lui consentir un agrandissement de territoire.

Ainsi se posait la question. Nettement comprise, il y avait lieu d'en espérer, de la part des hommes qui, depuis un an, gouvernaient à Ottawa, un règlement équitable. Ces hommes appartenaient au parti conservateur qui avait si âprement reproché à l'ancien gouvernement libéral son règlement de la question scolaire manitobaine. L'un des ministres canadiens-français, juriste de haute valeur, avait courageusement combattu en 1905 pour le droit scolaire dans l'Alberta et la Saskatchewan. Autour de lui se pressait toute une escouade de députés québécois, élus l'année précédente sous l'étiquette nationaliste. Tous ces motifs d'espoir ne serviront pourtant qu'à une seule chose: grandir la désillusion. Dès la mi-février, la Montreal Gazette, journal ministériel officieux, s'empressait de démentir toute rumeur de dissension dans le cabinet au sujet de cette affaire du Kéwatin. Le journal parlait même d'un projet de loi où l'on se garderait bien de faire à ce revenant qu'est le droit minoritaire, l'hommage d'un texte constitutionnel. II en fut tel qu'annoncé par la Gazette. Lorsque le projet d'annexion eut été déposé en Chambre, on y put constater un silence absolu sur les droits scolaires des minorités religieuses. Aux Communes, le débat allait d'ailleurs enlever à ceux qui en gardaient encore, leurs dernières illusions. Le 8 mars 1912 il s'engagea comme à la sourdine; et tout donnait à soupçonner un mot d'ordre des chefs pour imposer le silence ou la discrétion aux partisans, Depuis quelque temps, du reste, des pressions s'exerçaient sur les députés trop belliqueux ou trop scrupuleux. Et l'un d'eux, jeune député résolu à faire son devoir, allait confier à des amis: « Je tiendrai la parole que j'ai donnée à mes électeurs; mais je ne savais pas qu'il fût si difficile de marcher droit. » (4) De part et d'autre l'on parut s'entendre pour disposer de l'affaire à la troisième lecture du projet d'annexion. Mais, dès le début, il apparut bien que cette nouvelle question scolaire ne serait pas résolue plus glorieusement, pour les catholiques canadiens, que tant d'autres depuis l'avènement de la Confédération. Les motifs invoqués, pour justifier la reculade, seraient encore, si possible, de moins honorable espèce que dans le passé. Pour les conservateurs, le motif premier, quoique inavoué, est d'épargner des ennuis à M. Roblin, chef du gouvernement conservateur à Winnipeg. Pour les deux partis, le souci suprême est de ménager le sentiment anglo-protestant à travers le Canada. Le plus attristant sera de voir des conservateurs s'abriter, pour trahir le justice, derrière les prétextes et les sophismes tant flétris par eux sur les lèvres des libéraux de 1896. « Pas de coercition envers le Manitoba? » diront-ils, comme si vraiment Ottawa eut imposé à Winnipg, le pistolet sur la gorge, l'acceptation d'un vaste et riche domaine et comme si ce cadeau n'eût pu être offert que libre de toutes conditions. Prétexte d'autant moins admissible qu'Ottawa, nous l'avons dit, avait inscrit, dans le projet d'annexion, une réserve expresse en faveur des droits de la Compagnie de la Baie d'Hudson. M. Héroux du Devoir avait donc raison d'écrire: « Si les droits et les intérêts de la Compagnie méritent d'être protégés par un texte précis, pourquoi n'en serait-il pas ainsi des droits de la minorité? La liberté est-elle chose moins précieuse que les deniers d'un certain nombre de grands financiers? » (5) « Disons donc aux ministres », s'écriait, de son côté, au cours dune grande assemblée publique, M. Henri Bourassa: « conservez les droits de la minorité, protestante ou catholique, comme vous conservez les droits de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Sans doute, ces droits ne produisent pas de dividendes, ils n'ouvrent pas les portes de la Chambre des Lords; mais ce sont des droits sacrés dont la source remonte à l'âme même de la nation ». (6) Le cri de « Pas de coercition! » on le poussait naturellement au nom de l'autonomie des provinces; encore un sophisme libéral, où, comme les libéraux, les conservateurs n'ont que le tort d'oublier que si, coercition il y a, l'inconvénient est imputable à la constitution canadienne. C'est elle, en effet, et nulle autre qu'elle, qui, en matière scolaire, limite expressément l'autonomie provinciale. On s'attend bien, puisque le premier mérite de la comédie politique n'est guère l'originalité, que la presse conservatrice invoquait aussi, pour justifier le cabinet, la perte possible du pouvoir. Et c'était là une autre argutie des adversaires, et tant exploitée par la presse libérale en 1905, lors de l'affaire des écoles du Nord-Ouest. Après cela, il ne restait qu'un dernier et déplorable argument, qu'on ne se fera point faute de ressasser; et ce sera la négation du droit minoritaire par absence de tout droit acquis, de la part de la minorité. En 1907, dira-t-on, date de l'annexion du Kéwatin aux Territoires du Nord-Ouest, nul système scolaire n'existait en cette portion du pays, nul qui se pût prévaloir d'une institution régulière. Et indéniablement, telle était la triste vérité. Le commissaire ou l'administrateur du Nord-Ouest ne pouvait, en effet, édicter d'ordonnances qu'assisté d'un Conseil; or ce Conseil n'avait jamais existé depuis l'érection en provinces de l'Alberta et de la Saskatchewan. Une vérité non moindre toutefois, c'était qu'au temps de M. Laurier et depuis l'avènement au pouvoir des conservateurs en 1911, des représentants de la minorité de l'ancien Kéwatin avaient prié qu'on leur rendît possible l'institution régulière d'un système scolaire, et que chaque fois les autorités fédérales s'étaient retranchées derrière un refus catégorique. (7) Et elles avaient refusé pour un motif dont elles ne faisaient point mystère et qu'au cours du débat allaient avouer avec une singulière candeur quelques membres du cabinet: « Il aurait été enfantin et peu digne d'hommes sérieux », diront-ils en propres termes ou à peu près, « d'établir des écoles séparées au Kéwatin au moment même où tout le monde sait que ce territoire deviendra sous peu partie du Manitoba; il eût été ridicule de donner au commissaire du Kéwatin un Conseil, à l'heure même où nous proposions d'annexer ce territoire au Manitoba.» (8) M. Henri Bourassa pourra accuser justement les ministres de « plaider leur propre turpitude ». (9) Et tout aussi justifiée cette riposte de Paul-Emile Lamarche: « Je crois que le fait qu'il n'existe aucune école régulièrement établie dans le Kéwatin serait une bien médiocre raison à alléguer, spécialement par ceux qui ont eu quelque chose à faire dans ce refus d'accorder l'autorisation demandée ». (10)

A la Chambre, la conclusion du débat fut telle qu'on devait l'attendre. On vit les deux partis et les catholiques des deux groupes, à de rares exceptions, joindre leurs voix pour consommer l'injustice. Une intervention des hautes autorités religieuses auprès du cabinet ou, du moins, des ministres catholiques, n'obtint nul succès. Un amendement de MM. Mondou et Lamarche, qui eût placé la minorité du Kéwatin sous la protection de l'article 22 de l'Acte du Manitoba de 1870, fut écarté par le vote écrasant de 160 contre 24. Le Sénat, défenseur attitré des minorités, suivit le mauvais exemple de la Chambre. En dépit d'un débat serré où brillent les sénateurs Landry, Coffey, Costigan, Richard Scott, Choquette, Belcourt et David, tous les amendements au projet de loi sont impitoyablement rejetés: et celui du sénateur Costigan qui voudrait au moins garantir à la minorité les droits qu'elle « peut avoir »; et un autre du sénateur Choquette qui souhaiterait obtenir de la Cour suprême une exacte définition des droits de la minorité; et un autre du sénateur Béique, amendement assez illusoire, par lequel l'on eût sollicité, en faveur des catholiques du Manitoba et du Kéwatin, la voix suppliante du gouvernement fédéral auprès de la législature manitobaine. La majorité libérale du Sénat décida de se prononcer dans le même sens que la majorité conservatrice des Communes.

Le droit minoritaire recueillait une nouvelle défaite. Cependant le débat qui venait de s'achever ne laissait pas d'apporter quelque léger réconfort. Sept ans auparavant, dans la lutte pour les écoles du Nord-Ouest, que nous raconterons tout à l'heure, sept justes à grand'peine, deux libéraux et cinq conservateurs, étaient restés fidèles au droit minoritaire. En 1912, vingt-quatre voix avaient refusé de ratifier la spoliation; et, parmi ces vingt-quatre qui venaient de secouer le joug de leurs chefs, l'on discernait sept députés ministériels et dix-sept libéraux, dont deux anciens ministres du cabinet Laurier. D'autre part, le débat inscrivait dans l'histoire canadienne d'insignes tristesses. II permettait de mesurer, par exemple, tout le recul subi, depuis trente-cinq ans, par l'esprit de 1867. Au souvenir de la généreuse unanimité qui avait accueilli, au parlement de 1875, la constitution des Territoires du Nord-Ouest, M. Héroux écrivait dans le Devoir du 19 février 1912: « Nous ne voulons pas croire que le parlement fédéral rayera délibérément de la législation canadienne ce témoignage de la générosité de coeur, de la liberté d'esprit, de la sage clairvoyance des maîtres de notre politique. Nous ne voulons pas croire que trente-cinq années aient à ce point changé l'esprit et les moeurs de notre pays, qu'un acte de justice, fait à l'unanimité de la Chambre des Communes, ne puisse être ratifié aujourd'hui par une majorité de la députation canadienne. » Hélas! il fallait bien avouer l'abaissement de l'esprit politique d'une génération à l'autre: abaissement considérable si l'on songe que, pour la première fois, depuis la naissance de la Confédération, le parlement du Canada venait de refuser sa sanction au principe du droit des minorités. Tout ce chemin parcouru en arrière, Sir Richard Scott, vieillard de plus de quatre-vingt-cinq ans, vient de le mesurer au Sénat, dans une évocation de souvenirs saisissante: «Je suis dans la politique depuis de nombreuses années, disait ce jour-là le sénateur octogénaire, « et c'est la première fois que je vois le Sénat prêt à refuser de sauvegarder les droits de la minorité. Y a-t-il donc moins de tolérance et de largeur d'esprit au Canada, à l'heure présente, qu'il n'y en avait en 1863, quand Ontario donnait des écoles séparées à la minorité par un vote de 80 à 30, et quand M. Benjamen, alors Grand-Maître de l'Ordre d'Orange, M. John Hilliard Cameron, autrefois Grand-Maître du même ordre, et Sir John MacDonald, votaient en faveur de cette mesure? Il semble bien que nous rétrogradons. Car, en 1863, le Sénat, en majorité protestant, donna tout son appui à cette législation favorable à la minorité . . . Et je trouve terrible, aujourd'hui, de voir la Chambre Haute déterminée à faire fi des droits de la minorité, et à lui refuser de les reconnaître ». C'était là la grande tristesse du vote et du débat scolaire de 1912.

1. Voici cet article 11 de l'Acte des Territoires de 1875: « Lorsque et aussitôt qu'un système de taxation aura été adopté dans un district ou une partie des Territoires du Nord-Ouest, le lieutenant-gouverneur, par et du consentement de son conseil et de l'Assemblée, selon le cas, passera toutes les ordonnances nécessaires au sujet de l'instruction publique; mais il y sera toujours pourvu qu'une majorité des contribuables d'un district ou d'une partie des Territoires du Nord-Ouest, ou d'aucune partie moindre, ou subdivision de tel district ou partie, sous quelque nom qu'elle soit désignée, pourra y établir telles écoles qu'elle jugera à propos, et imposer et prélever des contributions ou taxes nécessaires à cet effet; et de plus, que la minorité des contribuables de tel district ou subdivision, qu'elle soit protestante ou catholique romaine, pourra y établir des écoles séparées, et que, dans ce dernier cas, les contribuables qui établiront ces écoles protestantes ou catholiques romaines séparées, ne seront assujettis au paiement que des contributions ou taxes qu'ils s'imposeront eux-mêmes à cet égard ». Cet article 11 est devenu l'article 10 du chap. 62 des statuts refondus de 1906.

2. On voudra bien observer qu'à cette époque le Manitoba jouissait encore de la plus ample liberté scolaire.

3. Débats de la Chambre des Communes, 1876, pp. 87, 200, 203.

4. Le Devoir, 29 février 1912.

5. Le Devoir, 1 er mars 1912.

6. Pour la Justice . . ., Discours prononcé au Monument National, le 9 mars 1912, par M. Henri Bourassa, directeur du Devoir, (Montréal, 1912), p. 23.

7. Voir en particulier: Débats de la Chambre des Communes, 1911-12, p. 3,219.

8. Débats de la Chambre des Communes, 1911-12, p. 4,514.

9. Pour la Justice. . ., p. 16.

10. Débats de la Chambre des Communes, 1911-12, p. 4,500.

 

Source: Lionel Groulx, « Épilogue - Les écoles du kéwatin », dans L'enseignement français au Canada. Vol. II, Les écoles des minorités, Montréal, Granger, 1933, 271p., pp.138-145.

 

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