Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Quebec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

"Le suffrage féminin"

Marie Gérin-Lajoie

[1922]

 

La grande date est passée, les élections ont eu lieu le 6 décembre dernier et les canadiennes-françaises, appelées à voter pour la première fois, ont pris le chemin des urnes, et ont rempli leur bulletin avec courage et intelligence. La majorité des femmes ont ainsi accompli leur devoir civique nous dit un grand quotidien et 90 pour cent de celles qui s'étaient inscrites sur les listes électorales se sont prévalues de leurs droits. Ceci donne à réfléchir quand on constate que 80 pour cent seulement des hommes inscrits se sont présentés aux bureaux de votation.

 

Le mouvement se démontre en marchant a-t-on dit et la prétendue apathie des femmes pour l'exercice des droits politiques est battue en brèche. Les femmes ont figuré en grand nombre dans les assemblées politiques et ont à certains moments fait salle comble. Le ton des réunions en a été relevé, on a eu pour les dames les égards que réclame leur sexe, on leur a même présenté des fleurs et la rudesse des moeurs politiques a reculé devant l'entrée en scène d'éléments nouveaux qui incarnent la délicatesse, la réserve et la bonté. On redoutait que la femme ne se dénaturât et ne perdit de sa grâce dans l'arène politique ; mais voilà que son influence répand autour d'elle une atmosphère apaisante et permet à la pensée de s'affirmer dans des milieux où trop souvent elle restait étouffée sous des clameurs grossières et des cris turbulents. D'ailleurs, n'est-ce pas le propre de la femme de policer et d'embellir les moeurs? Ces cadres faits d'ordre et de di­gnité, qui sont précisément ceux qu'elle entretient au foyer, sont nécessaires à son tempérament, elle n'opère qu'au milieu du calme, voilà pourquoi la liberté que l'on accorde aux femmes donne vraiment la mesure d'une civilisation. La femme a donc pu user de son vote librement, sans être intimidée, sans être molestée et la nomination de femmes comme greffiers et officiers rapporteurs a contribué, n'en doutons pas, à communiquer aux bureaux de votation un caractère particulièrement accueillant. Les préventions qu'avaient un trop grand nombre de femmes contre le suffrage sont tombées. Elles savent maintenant que voter est chose facile et qui ne diffère en rien dans la pratique de l'exécution de devoirs extérieurs qu'elles remplissent journellement pour l'entretien du foyer et de la famille.

 

Mais, au-dessus de toutes ces considérations d'un caractère secondaire après tout, quelles perspectives les femmes n'ont-elles pas entrevues!

 

Elles ont fixé leurs regards sur les grandes lignes de nos destinées nationales; elles ont scruté le présent et ont interrogé l'avenir et elles ont imprimé quelque chose d'el­les-mêmes à la physionomie de la patrie.

 

Qu'on ne dise pas que la réalité a été plus prosaïque et que les femmes n'ont pas encore haussé leur esprit aux sphères de la vie publique. Nous avons été témoins de leurs nobles efforts pour s'éclairer, pour pénétrer le sens des choses. Au cours provisoire d'instruction civique institué par la Fédération et patronné par l'université, un millier de personnes ont certainement fait acte de présence et, à certains moments, les salles trop petites ont dû être remplacées par des locaux plus vastes. Les femmes qui ont fréquenté ces cours appartenaient à toutes les classes de la société, les plus humbles comme les plus opulentes; chez chacune d'entre elles on relevait une même préoccupation : donner à leur vote la valeur d'un acte de conscience. De divers centres de la province de Québec, ont [sic] s'est adressé à la Fédération pour obtenir une documentation sûre.

 

De l'enseignement qui fût donné avec beaucoup de talent par des hommes éminents, choisis dans les rangs du clergé, des idées fondamentales se dégagèrent qu'il faut leur savoir gré de nous avoir données avec la compétence théologique qui les distingue. La première fut de libérer les consciences de toute ambiguïté doctrinale au sujet du vote des femmes.

 

Monsieur l'abbé Perrin, sans rien méconnaître de l'ordre hiérarchique et traditionnel qui doit régner dans la famille, s'est appliqué cependant à mettre en lumière une vérité non moins importante : la personnalité de la femme qui doit continuer de subsister durant le mariage dans ses caractères essentiels et qui doit commander le respect. Il a fait voir l'inviolabilité de sa pensée et donne une fois de plus une réponse victorieuse à ceux qui croient que la femme n'a pas d'âme et que le catholicisme ne lui permettra jamais de s'élever aux sommets de la dignité humaine.

 

Monsieur l'abbé Henri Gauthier a abordé la question de la nature de la société, sa raison d'être et les formes légitimes du gouvernement, y compris la démocratie.

 

Enfin le Père Ludovic, de l'ordre des Franciscains, a mis en lumière le grand problème du développement féminin et ses relations avec les destinées humaines. Son étude très nourrie de données historiques était savante et couronnait admirablement cette série de leçons en lui donnant une conclusion extrêmement pratique.

 

Et maintenant que les femmes savent que le suffrage n'est pas une question religieuse, mais qu'elle appartient au domaine de ces problèmes laissés à la libre discussion des hommes ; à présent qu'elles ont compris que l'organisation publique est un moyen humain, d'ordre universel, commun à tous sans distinction de sexe ; à présent qu'elles ont approfondi les caractères distinctifs de leur fonction sociale et savent dans quelle mesure l'effort collectif aidera à son parfait accomplissement ; resteront-elles indifférentes à l'obtention du suffrage provincial ?

 

Parmi les problèmes qui relèvent du gouvernement provincial, notons la santé publique, la lutte contre la mortalité infantile, l'alcoolisme, la tuberculose, l'éducation des enfants, la préparation de la jeune fille à son rôle familial, l'épuration des moeurs, le relèvement du peuple, l'assistance publique, la législation sociale, la réglementation du travail des femmes, l'état civil des personnes, les conventions matrimoniales, la répartition des biens entre époux, etc., etc. La femme croirait-elle par hasard qu'elle peut défendre ses intérêts, collaborer aux graves pro­blèmes dont la solution lui échoit, en vivant dans l'isolement et sans user de la plénitude de ses moyens d'action, sans une combinaison géniale de ses forces organisées et devenue compulsoire sous l'autorité de la loi. Non, il y a un aspect de la vie nationale, celui qui représente les activités féminines qui attend l'impulsion de la vie publique pour prendre tout son essor, croître et se perfectionner Qu'on ne se méprenne pas sur le sens du suffrage féminin, c'est la levée en masse des femmes, leur mobilisation en vue du service de la patrie.

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Source: Marie Gérin-Lajoie, "Le suffrage féminin", dans La Bonne parole, Vol. 10 (1922): pp. 3, 6.

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College