Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Quebec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

[Série de cinq articles publiés dans Le Devoir en 1921 par l'abbé Arthur Curotte. Pour la source exacte, voir la fin du document.]

La société ne "peut" pas et ne "doit" pas accorder le droit de vote à la femme.

 

Ce que la femme ne peut réclamer comme un droit naturel, la société peut-elle le lui accorder à titre gracieux ? Autre "question élégante" à laquelle nous donnons encore une réponse négative, dussions-nous scandaliser nos députés et nos sénateurs qui n'ont pas eu l'air de douter de leur pouvoir de créer ce "droit légal" en faveur de la femme. Les législateurs de nos jours semblent inclinés à faire un acte de foi aveugle à ce dogme démocratique, "le droit est créé par la volonté générale;" ils croient naïvement à "la toute-puissance de la moitié des citoyens plus un," selon l'expression pittoresque de Jules Lemaître. C'est faire trop d'honneur au sophiste genevois que de donner à ses rêveries la valeur d'axiomes de la science sociale. Le parlement et le sénat canadien eussent-ils voté à l'unanimité des voix le suffrage féminin, nous ne lui reconnaîtrions pas pour cela la nature et la valeur d'un droit légal. Décidément on va nous regarder comme un représentant du moyen-âge égaré dans le vingtième siècle ! Nous résumons nécessairement une argumentation susceptible de développements intéressants. Il est indubitable que je puis me montrer généreux envers qui je veux, et que je suis libre de donner dans toute la mesure de mon bon cœur, mais à une condition: "ne laedatur jus tertii;" en d'autres termes, je ne puis donner que ce qui m'appartient, et encore en sauvegardant le droit d'une tierce personne. L'exemple est classique : Je suis propriétaire d'une terre, mais à laquelle est attachée une servitude, disons un droit de passage; personne ne me contestera le droit de léguer cette terre par testament ou donation entre vifs, mais je ne puis supprimer le droit des tiers intéressés.

 

Accorder aux femmes un droit légal dont l'exercice prive totalement ou partiellement les pères de famille d'un de leurs droits politiques naturels, c'est, si nous ne nous abusons pas, une usurpation de pouvoir colorée, c'est la lésion grave du droit d'un tiers. Nous le répétons pour les sourds qui ne veulent pas entendre : l'Etat n'absorbe pas la famille, ne peut pas anéantir la personnalité juridique et les droits naturels des pères de familles; cela est vrai pour le droit d'enseigner comme pour le droit de voter.

 

Il ne suffit donc pas qu'une ma­jorité, dans une Assemblée législative, décrète que femmes, filles et jeunes gens auront désormais la permission de voter, pour que cela crée un "droit légal"; les pères de famille qu'on n'a pas consultés à ce su­jet, parce qu'ils étaient les premiers intéressés, étaient seuls autorisés à consentir une donation qui équivaut à l'aliénation d'un droit politique qui leur appartient en stricte justice.

 

On lira avec profit, les pages substantielles du Saggio di Dritto naturale sur la formation de l'être social et ses attributs et on ne sera pas éloigné de penser comme nous.

Il reste donc pour stimuler le zèle de nos femmes canadiennes le fameux argument de l'hypothèse : c'est vrai, diront les opportunistes, la femme n'a ni le droit inné, ni le droit légal fondé en raison : mais, puisque la loi de son pays lui permet de voter, pourquoi ne le ferait-elle pas ? Un de nos plus aimables confrères s'est laissé attendrir et a répondu : "Soit ! allez-y". Quant à nous nous restons inébranlables et nous disons à ces dames : "Non, restez chez vous !"

 

Ici nous cédons la place à des hommes qui ajoutent à la double autorité de la science et de la vertu, la clarté du coup d’œil pour saisir les réalités présentes et prévoir les contingences de l'avenir. Nous voudrions, en particulier, mettre sous les yeux de ceux qui nous liront, une étude magistrale sur le féminisme par le vénéré Monseigneur L. A. Paquet. (1) Notre docte théologien, dans un style que ne désavoueraient certainement pas les maîtres du grand siècle, nous signale les écueils semés sur la route, où marche la femme émancipée; il montre que pour arriver au bureau de votation, il lui faudra sacrifier beaucoup des admirables prérogatives qu'elle a reçues du Dieu Créateur et du Christ Rédempteur.

 

Nous laissons au R. Père Fontaine S. J. la responsabilité d'un jugement qui pourrait, au premier abord, sembler sévère, même exagéré, mais, que, pour notre part, nous croyons vrai et juste :

 

« Les sages objecteront, sans doute, que c'est là jeter la femme, épouse et mère, en dehors des attributions de son sexe, l'exposer, au grand détriment de la famille, à toutes les corruptions de la politique qui en entraînent tant d'autres; que les partis se la disputeront par tous les moyens, même les moins avouables, que de suprêmes assauts seront livrés même à sa foi religieuse, disons mieux, surtout à sa foi religieuse; que toutes les doctrines d'impiété et de libertinage intellectuel et moral se répandront dans tous les foyers à l'occasion ou plutôt à cause du suffrage féminin, et que pour tous ces motifs, les ca­tholiques avertis doivent le redouter plus que tout le reste. Les sages ne seront probablement point écoutés et la femme continuera de perdre les vertus propres à son sexe, vertus dont la pratique lui semblera trop pénible. Elle sera tout et le reste, plutôt que d'être mère, par exemple. » (Synthèse catholique et synthèse moderniste, p. 313.)

 

La femme, l'épouse et la mère voilà bien, en effet l'entête des trois chapitres d'un plaidoyer que nous pourrions rédiger contre le suffrage féminin; nous allons nous limiter à quelques considérations, quitte à y revenir plus tard si be­soin en est.

 

La femme d'abord. - Nous ne voulons pas, sous prétexte de protéger la dignité féminine, la réduire à la condition de la femme païenne. Nous croyons avec saint Thomas, qu'elle a été originairement extraite du côté de l'homme pour qu'elle ne fut ni son maître, ni son esclave, mais sa compagne. Puisque compagne, doit-elle revendiquer égalité de suffrage politique?

 

« Non, répond le Père Taparelli, parce que la nature l'a frappée d'une double impuissance à gouverner la société domestique et la société civile: "debolezza di intelletto... fiachezza del cuore"... Nous abandonnons l'éminent jésuite à son sort, si nos Amazones modernes trouvent là un "casus belli", et lui demandent séance tenante de prouver qu'elles manquent de l'envergure d'esprit et de la fermeté de volonté requises dans ceux qui doivent administrer la chose publique. Et quel parti ne feront­elles pas à Guizot qui a osé écrire que l'influence gouvernative des femmes est un des caractères de la barbarie chez les Germains, les Hurons, et les autres tribus sauvages d'Amérique! » (Cité par Taparelli).

 

Franchement, durant la dernière lutte électorale, dont notre pays a été le champ clos, nous étions péniblement impressionnés en lisant dans les comptes rendus des journaux, qu'une dame avait présidé une assemblée politique conjointement avec un monsieur, qu'une demoiselle titrée avait prononcé un discours en faveur de tel candidat, que, dans une réunion tumultueuse, les pacificateurs avaient dû rappeler aux organisateurs du chahut qu'il fallait au moins respecter les représentants du sexe faible! Pourtant, elles avaient droit d'être là, pour se renseigner sur les programmes des aspirants députés, pour s'éclairer, pour préparer un vote intelligent. Sans vouloir donner cours aux plaintes d'un esprit chagrin, nous ne pouvons nous empêcher d'avouer que ce n'est pas là que nous avons appris à vénérer et à aimer nos mères et nos sœurs, et nous nous refusons à croire que la haute autorité ecclésiastique encouragera jamais cette promiscuité humiliante. La morale n'a pas chan­gé depuis que le vieil Apôtre écrivait au jeune évêque d'Ephèse :

 

« Que la femme écoute l'instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de prendre autorité sur l’homme; mais elle doit se tenir dans le silence. Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite; et ce n’est pas Adam qui a été séduit; c’est la femme qui, séduite, est tombée dans la transgression. Néanmoins elle sera sauvée en devenant mère, pourvu qu’elle persévère dans la foi, dans la charité et dans la sainteté unies à la modestie.... Les jeunes veuves, quand elles sont dans l'oisiveté, s'accoutument à aller de maison en maison; et non seulement elles sont oisives, mais encore jaseuses, intrigantes, parlant de choses qui ne conviennent point. Je désire donc qu'elles se marient, qu'elles aient des enfants, qu'elles gouvernent leur maison qu'elles ne donnent à l'adversaire aucune occasion de médire; car il en est déjà qui se sont égarées…. " A l'évêque de Crète il donne les mêmes conseils: "Dis aux femmes âgées de faire paraître une sainte modestie dans leur te­nue... d'être sages conseillères capables d'apprendre aux jeunes femmes à aimer leurs maris et Ieurs enfants; à être retenues, chastes, occupées aux soins domestiques, bonnes, soumises chacune à son mari, afin que la parole de Dieu ne soit exposée à aucun blâme. »

 

St Paul veut donc que la femme soit reine au foyer, qu'elle exerce une sorte de sacerdoce dans le sanctuaire de la famille, qu'elle soit l’ange de la charité auprès de tous ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur âme; c'est son noble rôle social ainsi résumé par le même auteur inspiré: "qu'elle ait réputation pour ses bonnes oeuvres; d'avoir élevé ses enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des saints, secouru les malheureux, entrepris toute sorte de bonnes oeu­vres." 

 

Et maintenant quelle épouse sera la femme suffragette? Le mariage doit effectuer entre les contractants communauté de pensée, de volonté et d'action, puisque d'après le Docteur angélique l'union matrimoniale est une fusion d'âmes "Cor unum et anima una". Cela est, sans doute, vrai et nécessaire dans la conduite de l'intérieur domestique; mais, diriez-vous, pour ce qui est du gouvernement politique, chacun des deux n'a-t-il pas droit à sa liberté de penser, de parler, d'agir? chacun des deux n'a-t-il pas en conséquence droit de voter suivant ses opinions personnelles ? Nous répondrons oui, si on veut nous donner l'assurance que l'amour conjugal n'en sera pas refroidi, que ce ne sera pas une nouvelle cause de dissensions ajoutées à tant d'autres, que la paix du royaume domestique n'en sera pas troublée, qu'en un mot il ne se produira pas de choc en retour. Que ceux et celles qui veulent la cohabitation d'électeurs et d'électrices sous le même toit, n'oublient pas que nous vivons dans un monde réel et non idéal, et que maris et femmes portent la nature humaine non pas "in abstracto", mais "in concreto"; qu'ils se souviennent que dans notre pays, où les mœurs familiales sont pour­tant empreintes de tant de cordialité, les passions politiques ont divisé des frères, que dis-je? des pères et des fils! Qu'on ne s'illusionne pas une suffragette militante sera toujours un adversaire à combattre; n'est-il pas à craindre que le duel, dure aussi longtemps que la vie à deux? Et on appellerait cette ère nouvelle une époque de progrès social, et le privilège électoral une reconnaissance de la dignité de l'épouse? Nous nous en rapportons au verdict des sages et des prudents.

 

J.-J. Rousseau a écrit avec une pointe d'exagération:

 

« Quelle est la fin de l'association politique? c'est la conservation et la prospérité de ses membres. Et quel est le signe le plus sûr qu'ils se conservent et prospèrent? C'est leur nombre et leur population. N'allez donc point chercher ailleurs ce signe si disputé. Toute chose égale, le gouvernement sous lequel, sans moyens étrangers, sans naturalisations, les citoyens pullulent et multiplient davantage, est infailliblement le meilleur. Celui sous lequel un peuple diminue et dépérit, est le pire. Calculez, mesurez, comparez, c'est maintenant votre affaire. ("Contrat social, pages 91, 92)."

 

Prenant ce qu'il y a de vrai dans ces propositions, nous y trouvons un hommage mérité rendu à la fécondité des mariages et une condamnation du suicide de la race. Or, tout le monde en conviendra, il y a une tentative effroyable pour limiter la natalité, même dans nos populations catholiques; des voix autorisées jettent tous les jours le cri d'alarme pour conjurer le danger et empêcher un crime social de se consommer.

 

Tout en admettant donc la compatibilité absolue de la fonction de mère et d'éducatrice d'une part, et celle d'électrice d'autre part, nous abondons dans le sens de ceux qui redoutent un péril pour la maternité dans une société où la femme est invitée, pour ne pas dire sollicitée, à déployer son activité dans le domaine politique.

 

Ayant à choisir entre un devoir difficile et pénible accompli dans l'ombre, et la mise en évidence, sur un plus vaste théâtre, de talents réels ou imaginaires, entre l'humilité de la vie privée et la gloriole de la vie publique, la femme sera fortement tentée de sacrifier ce qu'elle doit à Dieu, à l'Eglise et à sa patrie, pour courir les aventures de la politique. Il y a les élections municipales, les élections provinciales, les élections fédérales; ces élections il faut les préparer de longue main dans des clubs, il faut les organiser par un travail soutenu dans ces réunions préparatoires, il faut faire des discours, donner des conférences, et tout cela suppose une dépense d'activité pour soutenir cet effort oratoire... Résultat: avant, pendant et après ces trois élections, la femme n'aura plus le temps ni le goût d'être mère, et la pauvre servante sera bien forcée d'élever les enfants qui auront eu chance de venir au monde, et de répondre invariablement à la porte: "Madame n'est pas ici!"

 

Nous nous arrêtons ici, pour ne pas abuser de la patience de nos lecteurs. Nous leur dirons un dernier mot demain.

             

(1) Canada-Français, livraisons de décembre 1918 et de février 1919.

 

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Source : Abbé Arthur Curotte, "Le vote de la femme. Étude de droit social. Quatrième partie", dans Le Devoir, le 23 décembre, 1921, p. 1. Article transcrit par Louise-Hélène Gagnon. Quatre erreurs typographiques ont été corrigées.

 

 

 
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