Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Women's Right to Vote in Quebec

Le droit de vote des femmes du Québec

 

[Série de cinq articles publiée dans Le Devoir en 1921par l'abbé Arthur Curotte. Pour la source exacte, voir la fin du document.]

 

Le débat, provoqué à la chambre fédérale, en 1918, par le projet de loi reconnaissant ou accordant aux femmes le droit de vote, était resté confiné dans l'enceinte parlementaire; mais voilà qu'il prend, tous les jours, de l'ampleur, depuis surtout que le distingué doyen de la Faculté de Philosophie est venu y jeter le poids de son autorité; on dirait vraiment que le nouveau-né du féminisme au Canada est tout fier de se sentir ainsi couvert de la toge universitaire; n'a-t-il pas eu l'ambition pas féminine celle­là de s'envelopper dans le manteau du Pape?

 

Comme il s'agit d'une de ces questions que l'école qualifie "d'élégantes", ceux qui en ont conservé le goût sont invités à formuler leur opinion: c'est la raison qui nous amène à prendre part à la discussion. Nous déclarons, de suite, que notre formation intellectuelle, reçue au vénérable Séminaire de Saint Sulpice et dans les universi­tés romaines, nous a préparé à nous inscrire en faux contre la thèse de notre estimé et aimé confrère, pourtant le plus romain des Sulpiciens.

 

Faut-il l'avouer? Nous avons été surpris, non pas que nos députés aient ignoré le côté philosophique et juridique de la question c'est dans leurs habitudes mais qu'un vieil "ami de la sagesse divine et humaine" se soit d'abord contenté d'étayer son plaidoyer "pro femina" sur des arguments d'opportunité, tels que ceux-ci: "la femme est, au moins, aussi intelligente que l'homme, elle peut donc, autant que lui, comprendre les problèmes politiques, et donc donner un vote éclairé; la femme chrétienne soucieuse de la prospérité morale et religieuse de son pays, peut, par ce même vote, exercer une influence bienfaisante, par exemple, empêcher et combattre des lois immorales; d'un mot, la femme est autant sinon plus que beaucoup d'hommes, douée du "sens électif".

 

Mais, notre surprise est devenue de la stupéfaction quand nous avons lu, pas plus tard qu'hier, sous la plume autorisée du professeur de droit social que "pour combattre le suffrage accordé à la femme, ce n'est pas au point de vue social qu'il faut se placer, mais au point de vue des principes, du droit naturel; là chacun est libre ..." (1)

 

Avons-nous bien lu? Si oui, il faudrait souscrire à quatre proposition, dont trois nous paraissent inacceptables; la prétention que l'on puisse et que l'on doive discuter du suffrage féminin à un autre point de vue que le point de vue social, est insoutenable; il est également inadmissible que le point de vue social puisse être en désaccord avec les principes, en général, avec ceux du droit naturel en particulier; nous croyons, nous aussi, que cette question ne sera résolue, d'une façon sérieuse qu’à la lumière des principes du droit social naturel; enfin, nous nions que sur le terrain des principes, surtout de ceux du droit naturel, chacun soit libre: nous nous en tenons à l'axiome: "in certis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas". Or, la certitude est une des conditions d'un principe de droit naturel ou de science révélée.

 

Encore une fois, nous aimons mieux croire que nous n'avons pas saisi la pensée de l'auteur: nous le confessons en toute justice.

Nous allons donc envisager le problème du suffrage féminin au point de vue des principes certains du droit naturel, en posant les deux questions suivantes:

 

1) La femme peut-elle revendiquer le droit naturel de choisir le sujet de l'autorité politique?

 

2) Si elle n'a pas ce droit inné, est-il opportun que la société le lui accorde à titre gracieux?

 

Au risque de mécontenter celles qu'un grave apologiste appelle "la plus belle moitié du genre humain", nous répondons négativement aux deux questions.

 

I

LA FEMME N'A PAS LE DROIT INNÉ  DE VOTE.

 

Loin de nous la pensée de suspecter l'orthodoxie des défenseurs du suffragisme féminin, et de retrouver en eux des disciples de Rousseau, mais, nous croyons, avec les maîtres de la science du droit social, que la théorie du suffrage universel, d'où découle le prétendu droit de vote de la femme, est naturellement apparentée avec celle du Contrat social, elle en est la conclusion logique. Le père Taparelli écrivait, au milieu du denier siècle, dans son ouvrage classique Saggio di dritto naturale:

 

"La forme de gouvernement dit représentatif, telle qu'elle existe dans nos temps modernes, est née à la suite des révolutions, issues elles-mêmes du principe du Pacte social; c'est pour­quoi ses fauteurs, pour être logiques, ont été forcés d'admettre l'égalité politique de tous les citoyens, et conséquemment leur droit de se faire entendre dans toutes les questions politiques; ils ont voulu, par là, rendre accessible à tous le tribunal chargé de maintenir la possession de leurs droits, et d'assurer leur bonheur."

 

Le père Fontaine, dans son beau livre: Etude comparative des deux synthèses Catholique et Moderniste, fait écho à son confrère:

 

"De l'autre côté du détroit, dans cette  Angleterre, hier encore, si âprement conservatrice, que veulent les suffragettes? Une unanimité plus grande, plus absolue et dès lors plus parfaite que celle de Rousseau. La volonté populaire ne sera générale qu'à la condition de ne point exclure désormais la plus belle moitié du genre humain. Pourquoi les femmes n'auraient-elles pas le droit de suffrage comme les hommes? C'est très logique, il faut en convenir. L'esprit du Contrat social doit aller jusque là" (p. 312.)

 

La constatation historique des deux éminents jésuites ne concorde sûrement pas avec celle de l'auteur de l'article déjà cité.

 

"La résurrection du droit romain avec la Renaissance, puis la Réforme, et l'enseignement répété de Luther ont limité les droits électoraux de la femme; c'est la sauvagerie et la dureté des mœurs révolutionnaires qui ont achevé l'abolition des droits des femmes dans la vie publique" (2).

 

Pourtant, on nous avait toujours enseigné que Luther  par son  principe impie du libre examen, et le philosophe genevois par sa théorie révolutionnaire du Contrat social devaient être salués comme les pères des prétendues libertés modernes, liberté de pensée et de parole, liberté de conscience et des cultes, libertés politiques...

 

Qui a raison? Laissons aux experts en Histoire du Droit social, le soin de dirimer cette controverse.

 

Nous maintenons donc, jusqu'à preuve du contraire, le lien logique et ontologique de ces trois réclamations: le contrat social, le suffrage universel, le vote de la femme: la première pose le principe, la seconde tire la conclusion immédiate, la troisième la conclusion ultime; entre l'illusion de la femme électrice et la rêverie de Jean Jacques Rousseau, la parenté est évidente et indéniable, l'une est la petite-fille de l'autre. Nous allons soumettre cette trilogie à un examen critique impartial.

                                                                                                                                                              

(1) Semaine religieuse de Montréal, 19 décembre 1921, page 388.

(2) Semaine religieuse de Montréal, 19 déc. 1921.

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Source : Abbé Arthur Curotte, "Le vote de la femme. Étude de droit social. Première partie", dans Le Devoir, le 20 décembre, 1921, p. 1. Article transcrit par Louise-Hélène Gagnon. Le texte a été reformaté pour l’édition sur le web.

 


 

 
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