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Documents in Quebec History

 

Last revised:
23 August 2000


Documents sur le Rapatriement de la Constitution, 1980-1982

Commentaire sur la stratégie québécoise, selon une note de Michael Kirby à Pierre Elliott Trudeau, 11 juillet 1980, p. 4-8

Le gouvernement du PQ, mal placé entre une défaite référendaire et une élec-tion provinciale prochaine, fait face à un ensemble compliqué de circonstances. Si, d'un côté, on peut volontiers reconnaître la dextérité avec laquelle il défend ses positions et couvre ses flancs, on doit aussi se rappeler que la difficulté qu'on éprouve présentement à déceler une stratégie claire de sa part peut autant être due à l'incertitude de ce gouvernement qu'à sa sophistication.

Au moment présent, le gouvernement du Québec a devant lui deux grandes voies:

  1. Chercher à réaliser l'équivalent de la souveraineté-association, ou quel-que chose d'approchant, mais à la pièce et dans le cadre du fédé-ralisme.
  2. Tenter de démontrer que, comme gouvernement, il est le meilleur négociateur pour le Québec à l'intérieur du régime fédéral, probable-ment en essayant de concrétiser certaines réussites constitutionnelles significatives, par l'obtention de quelques bons résultats pour le Québec et par la sauvegarde contre les mauvais.

À certains égards, ces deux voies conduisent dans des directions différentes, à d'autres, elles chevauchent et s'interpénètrent. Peut-être le gouvernement du Québec a-t-il choisi entre ces deux voies, mais jusqu'à maintenant ce n'est pas évident dans ses gestes. De prime abord, sa position autonomiste extrême en matière de ressources et de communications donne à croire qu'il a opté pour la première voie, mais peut-être est-ce là, dans la perspective de la deuxième, une très ferme position initiale de négociation. Son consentement apparent à discuter du Sénat provient peut-être de son désir de montrer qu'il est capable de réussir une réforme substantielle à l'intérieur du régime fédéral, ou bien encore il s'agit d'une tactique préélectorale pour occuper temporairement une partie du territoire couvert par le Livre Beige et, ainsi, compliquer les choses pour Claude Ryan.

Une question illustre bien son dilemme: le PQ veut-il ou non la réussite des négociations constitutionnelles? On pourrait risquer la réponse provisoire suivante, qui, en fait, est fondée sur une interrelation complexe d'éléments provenant des deux voies. Le PQ, cherche peut-être à retirer des négociations un compromis limité et conditionnel sur un nombre limité de sujets tout en s'assurant qu'aucune entente n'intervienne sur les autres - ce qui signifierait une réussite partielle et un insuccès partiel. Selon certains indices, il serait prêt à une entente provisoire sur des institutions centrales comme le Sénat et la Cour suprême (se situant ainsi sur le terrain de Ryan tout en s'efforçant d'introduire autant que possible le principe confédéral dans ces institutions) et à prendre ce qu'il peut obtenir en matière de division des pouvoirs, tout en se plaignant que c'est beaucoup trop peu. Il s'opposera aussi farouchement à toute tentative visant à limiter ses pouvoirs actuels.

De la sorte, le PQ, serait en mesure de tenir une élection à l'automne. Il proclamerait avoir efficacement négocié quelques changements utiles (ce qui couperait l'herbe sous le pied de Ryan), tout en prétendant que, rigide et obstiné, le gouvernement fédéral a refusé de bouger sur les questions les plus essentielles pour le Québec, en particulier la répartition des pouvoirs. En outre, il va de soi qu'il verrait sans doute dans toute action fédérale unilatérale sur le people's package un thème électoral béni, plus facile à exploiter que le reste.

La stratégie du gouvernement du Québec deviendra probablement plus claire à mesure que les négociations progresseront. D'ici là, quelques brefs commentaires peuvent être formulés sous les rubriques suivantes:

  • Agacer les fédéralistes. Conformément à ses habitudes, Claude Morin essaie régulièrement de piquer et de déstabiliser les membres du gouvernement fédéral. Il ne procède pas ainsi avec les membres des autres délégations provinciales. On peut présumer qu'il a trois objectifs: i. obtenir davantage d'information sur les positions et les projets du gouvernement fédéral; ii. créer de la nervosité dans la délégation fédérale; iii. susciter l'impression qu'il s'agit d'une bataille Québec-Ottawa, où le Québec reçoit un fort soutien des autres provinces (c'est l'ap-proche sur laquelle il s'est concentré cette semaine, particulièrement avec la presse).
  • Claude Ryan et la commission de l Assemblée nationale sur la constitution. Un élément de la stratégie du PQ, semble passablement clair: occuper le centre dans l'opinion québécoise et autant que possible forcer M. Ryan à faire front commun avec lui. Plus il conservera la direction d'une coalition multipartite de forces largement soutenue par la population, plus il en sera heureux. Il tentera de capitaliser sur des positions (par exemple sur le Sénat ou la répartition des pouvoirs) que M. Ryan sera obligé d'appuyer, de s'opposer à des initiatives fédérales (disons, la déclaration de principes) auxquelles M. Ryan se sentira lui-même forcé de résister, et il essaiera d'isoler M. Ryan comme seul défenseur de la constitutionnalisation des droits linguistiques. Son attitude sur la publication de documents de même que la convocation d'une commission parlementaire (qui tiendra des sessions publiques à Québec les 14 et 15 août) l'aideront à maintenir le contact avec l'opinion publique, à l'élargir en sa faveur et à entraîner dans son entreprise d'autres forces politiques.
  • Négociations à l intérieur et relations publiques à l'extérieur. Il est très clair que le PQ, comme le fait le gouvernement fédéral, s'en tient à une stratégie à deux volets: procéder à des négociations constitutionnelles avec les autres gouvernements à l'intérieur de la salle de conférence et être le premier à diffuser au public sa version des faits. Quel message le gouver-nement du Québec essaie-t-il de transmettre? Probablement celui-ci:
      1. Il s'agit d'une bataille entre Ottawa et les provinces ;
      2. En particulier, c'est une bataille entre Ottawa et le Québec;
      3. Systématiquement, le gouvernement fédéral est fermé aux besoins du Québec;
      4. Le PQ défend avec constance les intérêts historiques du Québec;
      5. C'est Ottawa qui sera responsable de l'échec;
      6. C'est Québec qui sera responsable du succès.

En gros, votez pour nous lors de la prochaine élection provinciale.

Un dernier point. Le gouvernement du Québec fera des efforts particuliers pour éviter de se retrouver seul contre tous, excepté sur deux questions, à savoir le rapatriement et la constitutionnalisation des droits linguistiques des minorités. Là dessus il est prêt à être seul, si nécessaire. Ce désir de ne pas être isolé donne au gouvernement fédéral une latitude qu'il n'avait pas avant, s'il joue bien ses cartes. Il vaut aussi la peine de mentionner que la délégation du Québec participe beaucoup plus activement au processus que la dernière fois.

Traduit de l'anglais par Claude Morin.

Source: Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux, Montréal, Boréal, 1988, pp. 340-342