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Documents in Quebec History

 

Last revised:
23 August 2000


Documents sur le Rapatriement de la Constitution, 1980-1982

Correspondance entre Roy Romanow et Claude Morin, décembre 1981-mars 1982

Monsieur Claude Morin
Ministre des Affaires intergouvernementales
Gouvernement du Québec

Regina, le 23 décembre 1981

Cher Claude,

J'accuse réception de votre lettre du 6 novembre 1981. J'en reconnais la franchise, mais vous ne vous étonnerez pas d'apprendre que mon interprétation des événements ayant précédé et entouré la conférence des premiers ministres de novembre diffère sensiblement de la vôtre.

L'alliance des huit provinces dissidentes a d'abord et surtout été une alliance défensive contre l'action unilatérale du gouvernement fédéral. C'est la cause commune qui nous a unis. Dans cette perspective, la Saskatchewan a combattu aussi vigoureusement et aussi efficacement les démarches unilatérales d'Ottawa, au Canada comme en Grande-Bretagne, que le Québec et les autres provinces. En conséquence, je n'éprouve pas le besoin de présenter des excuses pour notre conduite durant cette phase de l'action unilatérale.

Dans cette stratégie de défense commune, l'Accord du 16 avril a été déterminant. Il a démontré clairement que les provinces, en dépit d'intérêts et de points de vue différents, étaient capables de s'entendre sur un accord de compromis. La Saskatchewan a endossé cet Accord bien qu'il ne fût pas l'expression pleine et entière de la position que nous aurions préférée. La même observation s'applique au Québec. Mais nous avons établi sans équivoque à l'époque, et à plusieurs reprises après le 16 avril, que la Saskatchewan ne s'estimait pas limitée à ce seul document. Nous avons répété que nous étions disposés à étudier d'autres propositions dans l'espoir de parvenir à un règlement négocié au Canada. Le dossier public atteste que telle fut notre position, exprimée en toute honnêteté et de manière cohérente pendant toute la phase de l'action unilatérale.

C'est pourquoi nul ne devait se surprendre qu'en cours de conférence la Saskatchewan présente une nouvelle proposition alors que les négociations paraissaient vouées à l'échec. Vous vous souviendrez que nous avons informé, dès le mardi après-midi, les autres provinces de l'alliance de notre intention à cet égard. De même. le lendemain matin, nous avons communiqué nos propositions aux autres provinces du groupe d'opposition, y compris le Québec, avant la reprise des travaux de la conférence. Je dois préciser que la décision de faire connaître cette proposition incombe à la seule Saskatchewan. Le Québec, naturellement, n'a pas participé à la préparation. Pas plus que les autres provinces.

Si j'ai bien compris votre lettre, le Québec ne s'est pas présenté à la conférence des premiers ministres dans le même esprit et pour les mêmes fins. Il m'a semblé que le Québec n'a jamais été disposé à dépasser l'Accord provincial du 16 avril. Mais, curieusement, je note au passage que le Québec a été, des huit provinces du groupe, la première à accepter en principe, sans consultation préalable, une nouvelle proposition fédérale fondée sur l'idée d'un référendum. Je n'accuse pas, je constate. J'y fais référence simplement parce que vous insinuez dans votre lettre que le Québec est la seule des huit provinces qui soit demeurée pleinement fidèle à l'Accord du 16 avril.

Pour nous, les positions de départ étaient négociables. Tel était notre sincère espoir sinon notre attente en nous présentant à la conférence. Pour Ottawa et ses deux alliées, cela signifiait une volonté de modifier substantiellement la résolution dont les Communes étaient saisies. Pour les provinces dissidentes, il fallait en revanche une disposition à dépasser les frontières de l'Accord du 16 avril. Pour réaliser cette entente, il fallait de part et d'autre une certaine souplesse, un sens du compromis. Ce qui se produisit en fin de compte.

L'entente constitutionnelle que nous avons conclue n'est pas parfaite et, à plusieurs égards, ce n'est qu'un début. Beaucoup de citoyens que représente mon gouvernement n'y trouvent pas réponse à toutes leurs inquiétudes ou satisfaction de tous leurs désirs. Les besoins particuliers des Québécois de langue française ne sont pas pleinement comblés et leurs préoccupations subsistent. Il y a encore beaucoup à faire. Mais l'objectif de cette conférence n'était pas de prévoir une constitution entièrement nouvelle qui aurait pu survivre sans modification durant un siècle. Il eût été irréaliste d'espérer cela. Nous avons pourtant réussi à jeter les bases et à créer les conditions propices à une modernisation plus poussée de notre constitution, ici même au Canada. La Saskatchewan est fière du rôle qu'elle y a joué.

Il y a dans votre lettre une autre question qui appelle des commentaires. Je fais référence à l'isolement du Québec. Vous semblez soutenir, comme vous le faites indirectement dans votre lettre, que cet isolement est imputable aux gouvernements des provinces anglophones qui auraient refusé de reconnaître la dualité franco-anglaise qui fait la nature du Canada. Je ne vois pas qu'il en soit ainsi.

Ce qui est plutôt en cause ici, à mon avis, ce sont les thèses en apparence irréconciliables, mais exprimées avec vigueur et honnêteté, sur la manière de servir au mieux, les intérêts des Québécois francophones. En bref, le gouvernement fédéral, dirigé par un premier ministre canadien-français et appuyé par un fort contingent de députés du Québec, affirme que le fédéralisme canadien, de même que les garanties constitutionnelles touchant la langue et la culture, offrent au Québec le régime le plus sûr. Votre gouvernement soutient avec autant de vigueur qu'il doit seul conserver l'ultime pouvoir décisionnel sur toutes les questions qui touchent directement l'identité politique, sociale et culturelle du Québec. Les deux gouvernements peuvent revendiquer et revendi-quent effectivement la représentation légitime de la majorité francophone du Québec.

Dans ce contexte, il apparaît à plusieurs d'entre nous qu'on ne saurait réaliser un accord constitutionnel pleinement satisfaisant pour les gouvernements fédéral et québécois. Pourtant il serait injuste d'affirmer que le Québec a été mis en présence d'un «fait accompli» à la conférence des premiers ministres de novembre. Votre premier ministre et ceux des autres provinces ont été informés de la proposition mise au point par quelques provinces tôt dans la matinée de jeudi, plusieurs heures avant la reprise des travaux de la conférence. M. Lévesque aurait alors pu suggérer des modifications pour rendre cette proposition plus acceptable à son gouvernement. Il aurait pu adopter le même parti au cours de la réunion plénière des premiers ministres, au cours de cette même matinée. On ne peut tenir les autres gouvernements responsables du fait que le premier ministre du Québec ait décidé de rejeter la proposition du revers de la main.

En conclusion, je regrette profondément que le Québec ne puisse souscrire à l'accord de rapatriement et de modification de la constitution. J'espère que le Québec restera pour le Canada une source d'enrichissement grâce à sa vitalité et à son originalité culturelle.

(Roy J. Romanow)


Monsieur Roy Romanow
Ministre des Affaires intergouvernementales
Gouvernement de la Saskatchewan
Regina

Sainte-Foy, le 29janvier 1980.

Mon cher Roy,

Merci bien de votre lettre du 23 décembre, en réponse à celle que je vous transmettais le 6 novembre, au lendemain de la conférence constitutionnelle d'Ottawa.

Vous écrivez, avec raison, que l'alliance des huit provinces était essentiellement défensive et qu'elle visait à contrer l'action unilatérale d'Ottawa. Le Québec partageait cet objectif mais, dans notre cas, un élément supplémentaire d'une extrême importance intervenait. Vous n'en parlez pas dans votre lettre.

En mai 1980, au moment de notre référendum, des hommes politiques d'Ottawa et de diverses provinces - votre premier ministre, Allan Blakeney, faisait partie du nombre - ont demandé aux Québécois de répondre Non au référendum, de façon à permettre, par la suite, un véritable renouvellement du fédéralisme qui conviendrait aux aspirations du Québec. En somme, Ottawa et le Ganada anglais ont invité les Québécois à comprendre qu'un Non au référendum signifierait en réalité un Oui à des réformes longtemps attendues. Beaucoup chez nous ont cru à ces promesses. Ainsi donc, pour nous du Québec, non seulement le caractère unilatéral du geste fédéral était il inacceptable - ce en quoi nous rejoignions les autres provinces - mais, en outre, la démarche d'Ottawa et son contenu contredisaient les engagements solennels de mai 1980. Vous aviez une raison de vous opposer, en tant que Saskatchewan, à cette démarche fédérale; le Québec en avait deux.

Or, entre octobre 1980, date du coup de force fédéral, et novembre 1981, ni la Saskatchewan ni aucune des autres provinces n'a livré, même partiellement, la marchandise constitutionnelle formellement promise aux Québécois en échange de leur Non. Au contraire, Ottawa a entrepris de réduire les pouvoirs des provinces et a visé en particulier le Québec. Dans cette perspective, il ne restait pour nous qu'une chose à faire: bloquer Ottawa. Et pour y arriver, il n'y avait qu'un seul moyen: une alliance à cette fin avec autant de provinces que possible. C'est pourquoi cette alliance, ce &ont commun, était aussi capital pour nous, et c'est pourquoi, comme représentant du Québec, j'y ai mis autant d'énergie. Puisque personne ne tenait plus ses promesses envers nous, notre devoir était de contrer le coup de force qui se tramait. Nous espérions au minimum empêcher Ottawa de transformer le régime à son seul avantage et à notre détriment.

D'où notre acceptation de souscrire à l'accord du 16 avril. Vous écrivez aujourd'hui que cet accord, pour la Saskatchewan, était négociable. J'admets que, comme représentant de votre province, c'est effectivement ce que vous m'avez dit à quelques reprises. Mais ce n'est pas le cas de la plupart des autres provinces. Le Québec, lui, a toujours considéré cette accord comme une proposition ferme de huit provinces sur le rapatriement et l'amendement de la constitution. Aujourd'hui, je me pose une question: si votre province était aussi flexible dès le départ et si, à vos yeux, cet accord n'était qu'une simple position initiale de négociation, alors pourquoi la Saskatchewan a-t-elle consenti à lui donner un caractère si solennel en le signant avec sept autres provinces devant les caméras de la télévision, le 16 avril 1981, à onze heures du matin, le tout accompagné d'un battage publicitaire considérable? De deux choses l'une: ou bien l'accord était une véritable entente intergouvernementale ferme et d'une importance inusitée; dans ce cas, la mise en scène télévisée était logique et la signature de l'accord par huit premiers ministres en personne confirmait aux Canadiens qu'il s'agissait de quelque chose de solide. Ou bien l'accord était une simple tactique de négociation; dans ce cas, le spectacle électronique était trompeur et induisait le public en erreur sur la portée réelle du geste posé par les huit provinces. J'ai bien de la difficulté à croire que votre premier ministre se serait prêté à une telle manipulation de l'opinion publique. J'en conclus donc que, le 16 avril 1981, votre province, comme les autres provinces signataires, a pris une position sérieuse et mûrement réfléchie. D'ailleurs, par la suite, la plupart d'entre nous se sont fréquemment référés à cet accord, mais, si je me souviens bien, jamais pour en minimiser le sens.

Le Québec, dites vous, n'a jamais voulu «dépasser cet accord». Bien sûr que non. Nous étions solidaires des sept autres provinces sur un texte qui n'avait pas été facile à élaborer. Je vois d'ici comment le Québec aurait été perçu s'il avait changé soudainement d'avis après la réélection de notre gouvernement. Nous avions signé, le 16 avril, pour cimenter le front commun des provinces contre l'action unilatérale fédérale. Cette signature comportait, pour nous, des compromis, mais pour nous il était encore plus important d'empêcher le coup de force d'Ottawa.

Le front commun a tenu jusqu'après le jugement de la Cour suprême. Avec ce jugement, les huit provinces du front commun possédaient tout ce qu'il fallait pour bloquer le coup de force fédéral à Londres. Nous aurions ensuite pu reprendre la discussion constitutionnelle sur une autre base. Mais il y avait une condition essentielle: les huit provinces devaient demeurer fermes et unies. Pourtant, dans les heures qui suivirent ce jugement rendu public le 28 septembre, plus précisément le soir même à Ottawa, avec Jean Chrétien et Roy McMurtry de l'Ontario, vous avez entrepris des discussions particulières, en dehors du front commun. Ces discussions sont à l'origine de ce qui est devenu, le 5 novembre 1981, le fameux «accord des dix», imaginé et conçu sans la participation du Québec et hors de sa connaissance.

Plusieurs d'entre nous se doutaient que quelque chose se passait entre Ottawa et vous. C'est pourquoi, vous vous en souvenez, à Dorval, après notre réunion de vendredi le 2 octobre, je vous ai demandé très directement de quoi vous aviez parlé avec Chrétien et McMurtry. Je l'ai fait en présence des ministres de la Colombie britannique et de l'Île-du-Prince-Édouard, ainsi que devant mon collègue, Claude Charron. Or, vous nous avez informés que le sujet principal abordé avec Jean Chrétien était simplement la nomination de juges fédéraux en Saskatchewan! Aujourd'hui nous savons que tel n'était pas le cas, c'est le moins que je puisse dire.

À Toronto, une semaine avant la conférence de novembre, j'ai dit à tout le groupe réuni (vous y étiez) que le Québec tenait absolument au front commun, notre seule garantie de bloquer le coup de force fédéral. J'ai même ajouté que c'était en quelque sorte la première fois que le Québec faisait confiance à des provinces anglophones non pas pour augmenter ses pouvoirs (puisque personne ne respectait plus ses promesses référendaires), mais pour empêcher Ottawa d'instaurer un fédéralisme plus centralisateur que jamais. Et je vous ai dit que jamais le Québec ne briserait de lui même ce front commun et qu'il en attendait autant des sept autres provinces. Je me souviens aussi avoir mentionné au groupe que si une ou des provinces anglophones détruisaient ce front commun et que, par la suite, Ottawa réussissait à imposer son plan, les Québécois comprendraient encore davantage qu'ils ne peuvent se fier à personne qu'à eux-mêmes. Puisque je rappelle ici certains faits, j'en évoquerai un autre, plus personnel. J'ai en effet confié au groupe qu'ayant été moi-même un des artisans les plus actifs de ce front commun et étant devenu, au Québec, identifié à celui-ci par la force des choses, le maintien ou non de ce front commun aurait une grande influence sur ma propre carrière politique après la conférence de novembre.

Je reviens maintenant au déroulement de cette conférence. Vous dites que celle-ci, courant à l'échec, vous avez annoncé aux sept autres provinces du &ont commun, le mardi après-midi 3 novembre, que la Saskatchewan préparait une proposition de compromis qu'elle ferait tenir aux autres provinces, le mercredi matin, immédiatement avant la reprise de la séance. Les faits sont exacts. La conférence allait visiblement déboucher sur un échec. La Saskatchewan élaborait un compromis. Elle en a donné le texte aux autres une heure environ avant la séance du mercredi matin. Fort bien.

Parlons d'abord de l'échec appréhendé. De quel échec s'agissait-il? De l'échec du plan d'Ottawa et de rien d'autre. Or n'est-ce pas justement ce plan que visait depuis un an à bloquer notre &ont commun, c'est-à-dire à le mettre en échec? Vous reconnaissez donc que les huit provinces étaient sur le point de réussir. Il suffisait de continuer à se tenir ensemble. Mais votre province a confondu l'échec certain du plan fédéral avec celui de la conférence. Mais n'admettez vous pas que celle-ci aurait au contraire été un succès si le coup de force d'Ottawa avait été définitivement bloqué? Et même un avantage pour le fédéralisme? Est-ce que, dans votre perspective, les seules conférences réussies et satisfaisantes sont celles d'où Ottawa ressort heureux?

En somme, par votre compromis et par le fait qu'une province du groupe des huit s'est avancée, peut-être inconsciemment, pour se porter à la rescousse d'un gouvernement central peu respectueux du fédéralisme, vous avez redonné crédibilité et espoir à Ottawa et vous l'avez fait en vous éloignant des autres. Notre front commun, déjà incertain depuis vos conversations du début d'octobre avec Jean Chrétien, n'existait dès lors plus. Le Québec avait commencé à percevoir en octobre, dès après le jugement de la Cour suprême qui nous donnait le moyen de gagner à Londres, ce besoin presque fébrile ressenti par certaines provinces du groupe des huit et par la Saskatchewan en particulier d'en venir à tout prix à un accommodement avec Ottawa, de façon à éviter cette sorte de sacrilège qu'aurait représenté pour elles une victoire à Londres contre le «national governement of Canada». En somme, il fallait tout faire pour éviter d'avoir à livrer cette bataille victorieuse, même céder à Ottawa et même s'il fallait sacrifier en cours de route les aspirations d'un Québec auquel personne ne s'était gêné pour faire des promesses au moment du référendum.

Comme vous établissez vous-même dans votre lettre que la Saskatchewan fut la première province à quitter formellement le front commun, je commente rapidement votre allusion au fait que le Québec s'est un moment montré intéressé, le mercredi, par l'offre fédérale de laisser trancher non pas une nouvelle proposition, comme vous semblez le croire, mais son projet de résolution via un référendum. Cet intérêt de notre part s'est manifesté vers midi, mais dès la reprise de la séance en après-midi, tout le monde s'est aperçu que l'offre d'un référendum par le premier ministre Trudeau était piégée et soumise à des conditions inacceptables dont celui-ci n'avait averti personne le matin. Et en fin d'après-midi, le premier ministre Lévesque l'a clairement dit en conférence de presse, après en avoir informé les autres provinces en cours de séance, quelques heures plus tôt.

Je voudrais maintenant relever certaines des choses que vous avancez en ce qui a trait à l'isolement du Québec. Vous dites, vers la fin de votre lettre, que notre premier ministre a été informé comme les autres, «plusieurs heures avant la reprise des travaux de la conférence», le jeudi matin, d'une nouvelle proposition mise au point par un groupe de provinces. Il s'agit en fait de la fameuse proposition préparée pendant la nuit à l'insu du Québec. Or monsieur Lévesque n'a été averti de ce développement inattendu que dans l'heure qui a précédé la reprise de nos travaux, jeudi, et non pas, comme vous le dites, «plusieurs heures avant». En fait, à huit heures, le soir précédent, j'ai moi-même reçu un message du premier ministre Bennett de la Colombie britannique convoquant monsieur Lévesque à une réunion le lendemain matin à huit heures. Personne ne nous a alors dit que des provinces se réunissaient le soir même pour concocter quelque chose avec Ottawa.

Incidemment, vous-même avec qui j'ai passé tellement d'heures pendant tant de mois à discuter du dossier constitutionnel, pourquoi ne m'avez-vous pas appelé pour que je participe à la séance de nuit de mercredi à jeudi, et dont le Québec a été exclu? Vous saviez pourtant où je me trouvais.

Vous ajoutez qu'en possession de la proposition «plusieurs heures avant» (sic) la reprise des travaux, monsieur Lévesque aurait pu suggérer des modi-fications pour la rendre plus acceptable au Québec. Ne croyez-vous pas que la meilleure manière de procéder aurait justement été d'inviter le Québec le soir précédent plutôt que de le tenir systématiquement à l'écart? Mais passons. Je vous rappellerai cependant que, durant l'avant midi du jeudi, monsieur Lévesque a effectivement demandé qu'on rétablisse la compensation financière à laquelle vous saviez fort bien que nous tenions et qui avait été enlevée au Québec pen-dant la nuit; il a également insisté pour qu'on reconnaisse au Québec le droit d'être protégé contre une centralisation que pourraient désirer Ottawa et les autres provinces. Pourtant, je ne sache pas que ni la Saskatchewan, ni Ottawa, ni en fait personne ne soit intervenu pour soutenir une demande aussi élémentaire et aussi raisonnable de notre part.

Ailleurs dans votre lettre, vous écrivez que l'isolement du Québec n'est pas le fait des provinces anglophones, mais qu'il résulterait de je ne sais quel choix que celles-ci doivent faire entre la crédibilité qu'il faut accorder à la députation fédérale en provenance du Québec, dirigée par un Canadien français, comparativement à celle qu'il faut consentir au gouvernement du Québec. Même si vous n'êtes pas très précis là-dessus, j'ai l'impression que, dans le doute où vous place cette difficulté et vu qu'il n'est pas possible de satisfaire les deux gouvernements en même temps, vous optez en réalité pour l'interprétation que propose Ottawa sur la meilleure façon de donner satisfaction aux Québécois, et non pour celle qu'avance le Québec.

J'ai remarqué au cours des années qu'il est parfois commode pour certains observateurs de l'extérieur d'opposer les représentants fédéraux du Québec aux élus de l'Assemblée nationale pour s'éviter de choisir, tout en nourrissant quand même un préjugé favorable envers le point de vue fédéral, sous prétexte que les deux groupes représentent également les Québécois. Vous oubliez qu'en régime fédéral, chaque groupe d'élus représente les Québécois pour les sphères de compétence qui relèvent de chaque ordre de gouvernement. Or, dans les discussions constitutionnelles récentes, nous ne mettions pas en cause le régime fédéral. Il s'agissait, pendant notre lutte au coup de force d'Ottawa, de défendre les compétences dont le gouvernement du Québec est responsable. Votre préjugé aurait donc normalement dû s'exercer en notre faveur car c'est Ottawa qui attaquait les pouvoirs du Québec. Comment auriez-vous réagi si, au lieu d'écouter les positions de votre gouvernement provincial néo-démocrate, la délégation québécoise avait plutôt cru celles de monsieur Broadbent et de son groupe à Ottawa, sous prétexte qu'il est chef fédéral de votre parti?

Vous vous considérez fier du rôle que la Saskatchewan a joué dans l'élaboration de la constitution qui sera dorénavant imposée au Québec sans son accord. Comment pouvez vous être fier d'une constitution dont vous laissez entendre vous-même qu'elle est si insatisfaisante? Il me semble que vous devriez savoir qu'elle n'ajoute aucune véritable protection pour les francophones hors Québec, qu'elle contribuera à rétablir les privilèges de la minorité anglophone du Québec, qu'elle affectera sérieusement les compétences du Québec, en somme qu'elle contient tout ce qu'il faut pour, d'ici peu, nourrir encore davantage chez les Québécois francophones ce sentiment de frustration et d'inégalité qui vous inquiétait tellement il y a peu de mois.

Qui plus est - et je reviens là-dessus - rien dans cette constitution imposée ne correspond aux promesses qui nous ont été faites par votre premier ministre et par d'autres à l'occasion du référendum. C'est même tout le contraire. Il n'y a vraiment rien là qui puisse rendre fier qui que ce soit.

Vous dites, en conclusion, espérer que le Québec «reste pour le Canada une source d'enrichissement grâce à sa vitalité et à son originalité culturelle». Cette vitalité et cette originalité culturelle furent précisément au point de départ des demandes québécoises d'il y a quinze ou vingt ans pour une réforme du fédéralisme dans le sens de nos aspirations. Le fait qu'elles n'aient jamais été satisfaites dans le présent régime a été pour beaucoup dans la création d'un parti souverainiste au Québec. L'attitude récente du Canada anglais et d'Ottawa justifie plus que jamais la raison d'être d'un tel parti. Peut-être avez vous fini par croire sincèrement que la constitution imposée contribuerait un peu à résoudre le «problème québécois»? En réalité, je dois vous dire qu'elle l'alimentera.

Vous avez voulu, mon cher Roy, me parler avec franchise dans votre lettre. J'ai pris la même attitude dans la mienne. L'expérience que j'ai vécue n'est pas de celles qu'on oublie. Elle m'a confirmé dans mes convictions, et bien des Québécois également. C'est pourquoi, même si j'ai changé de fonction, comme eux je continuerai à lutter pour le Québec.

(Claude Morin)


Regina, le 9 mars 1982

Monsieur Claude Morin
École nationale d'administration publique
945, rue Wolfe, Sainte-Foy

Cher Claude,

J'accuse réception de votre lettre du 29 janvier 1882.

Votre lettre précédente et votre démission comme ministre des Affaires intergouvernementales étaient déjà fort révélatrices de la grande déception personnelle que vous avez éprouvée à l'issue de la conférence constitutionnelle de novembre. Néanmoins, j'ai été frappé à nouveau de constater la profondeur de votre désappointement et la force de votre conviction qu'on a trahi le Québec lors de cet événement historique.

J'entretiens peu d'espoir d'ébranler cette conviction malheureuse aujour-d'hui. Aussi n'est-ce pas la raison première de cette réponse. Si je vous écris une dernière fois à ce sujet, c'est que votre plus récente lettre met en question l'intégrité de mes intentions et de mes actes, ainsi que ceux de notre gouver-nement, dans les discussions constitutionnelles.

Moi aussi j'ai conservé un vif souvenir de notre réunion d'octobre à Dorval. Vu les manchettes erronées de la veille, il était inévitable et normal que certains de mes collègues, y compris vous-même, se posent des questions à mon égard. C'est pourquoi, lorsque le contenu de ma réunion du 18 septembre avec Jean Chrétien et Roy McMurtry n'a pas été soulevé pendant la réunion officielle, j'ai choisi d'inviter tous les collègues présents à Dorval à la chambre de Garde Gardom, le ministre de la Colombie britannique, afin de vous révéler ce qui s'était passé à Ottawa.

Mon souvenir de cette réunion privée ne correspond pas entièrement au vôtre. En effet, comme vous l'écrivez, j'ai déclaré avoir discuté avec Jean Chrétien de nominations de juges en Saskatchewan. Mais vous oubliez d'ajouter que j'ai avoué (sic) de plus que la discussion avait porté également sur le jugement de la Cour suprême et, d'une façon générale, sur la constitution.

Je n'ai pas, comme le laisse entendre votre lettre, cherché à cacher le vrai but et la nature réelle de ma rencontre avec Chrétien et McMurtry. J'ai affirmé alors, et je le répète aujourd'hui, ni Jean Chrétien, ni Roy McMurtry, ni moi--même n'avons conclu de compromis le 28 septembre. C'était une rencontre imprévue où il était naturel que l'on discute des développements constitutionnels. Aucune entente que ce soit n'en est sortie. C'est toute la vérité. Je vous assure que je n'y suis pour rien si un journaliste québécois bien connu a choisi depuis lors d'embellir cette réalité trop banale. La crédibilité que vous paraissez accorder à cette théorie de trahison ourdie à la faveur de la nuit me blesse, mais elle ne peut changer les faits.

Ainsi que dans votre lettre de novembre, vous vous arrêtez longuement sur l'importance primordiale pour le Québec de l'Accord du 16 avril et du front commun provincial. Puisque vous convenez des positions bien connues de la Saskatchewan sur ces deux questions, il est inutile d'y revenir. Cependant, je suis loin de partager votre point de vue sur la cause et le moment de l'éclatement du &ont commun. Permettez-moi de revoir certains faits.

Mercredi matin, la Saskatchewan présentait une nouvelle proposition, d'abord au front commun et ensuite à la conférence. Vous vous souviendrez que notre proposition n'a reçu l'appui ni des autres provinces dissidentes ni du gouvernement fédéral et de ses alliés. Je ne me souviens pas du moindre indice qui aurait laissé supposer que les autres provinces opposées s'apprêtaient à abandonner l'Accord et le front commun. Pour sa part, et malgré ce que vous avez pu croire, sa proposition rejetée, la Saskatchewan demeurait fermement opposée au projet fédéral et elle se considérait toujours un membre du &ont commun. Monsieur Blakeney a précisé dès l'ouverture de la conférence que la Saskatchewan ne consentirait à aucune proposition qui ne recevrait l'appui et du gouvernement fédéral et d'une majorité de provinces. Ainsi, le gouvernement fédéral pouvait tirer peu de satisfaction des efforts de la Saskatchewan et la session matinale aurait pu se terminer par le statu quo.

À la lumière de ces faits, j'accepte difficilement votre déclaration que le Québec s'est montré intéressé «un moment» par la proposition fédérale d'un référendum parce que le front commun n'existait plus. Le moment crucial est survenu, à mon avis, lorsque le Québec a posé son geste surprenant tard dans la matinée. Incidemment, si ma mémoire m'est fidèle, les détails de la proposition sur le référendum ont été distribués individuellement aux provinces après, et non pendant la session d'après-midi. De toute façon, je m'accorde avec vous pour dire que le &ont commun n'existait plus en fin d'après-midi.

Je voudrais maintenant répondre à une question importante que vous posez. Pourquoi n'a-t-on pas invité le Québec à participer aux discussions du mercredi soir? J'entends répondre à cette question légitime.

Le but de l'exercice de la nuit de mercredi était de tenter de trouver une solution de compromis acceptable à Ottawa et au plus grand nombre de provinces possible. De toute évidence, la solution ne se trouvait ni du côté du projet fédéral, ni du côté de l'Accord interprovincial. Je pense que vous en conviendrez facilement. De même, la proposition d'un référendum paraissait inacceptable à tous, sauf au gouvernement fédéral et au Québec. Pourtant, vous confirmez vous-même dans votre lettre que le Québec n'a jamais voulu aller au-delà de l'Accord d'avril. Nous étions arrivés à la même conclusion. Ainsi, il ne nous a pas parn profitable d'impliquer le Québec trop tôt dans une session de négociation que nous espérions constructive. Le gouvernement fédéral, lui, avait indiqué qu'il était disposé à modifier sa position de longue date.

Au fond, la différence fondamentale entre le Québec et la Saskatchewan dans le contexte de la conférence de novembre se trouve dans les objectifs que les deux gouvernements espéraient y atteindre.

Il est évident, dans votre lettre, que le but unique du Québec était d'arrêter l'action unilatérale du gouvernement fédéral. Cela correspond à ce que le Québec avait dit aux sept autres provinces dissidentes avant la conférence de novembre. Vous avez toujours été très clair et très ferme sur ce but. La défaite de Trudeau représentait une conférence réussie. Il serait intéressant de connaître vos preuves, incontestables paraît il, de la défaite d'Ottawa à Londres, mais je n'insisterai pas sur ce point.

En ce qui nous concerne, c'est justement parce que nous n'avons pas confondu l'échec du projet fédéral avec l'échec ou le succès de la conférence que nous avons agi de la sorte. Nous étions d'accord avec vous sur l'importance d'arrêter l'action unilatérale d'Ottawa. La proposition du premier ministre était néfaste pour le pays autant par sa forme que par son fond. Mais ce seul but ne suffisait pas. Les Canadiens avaient droit à un résultat plus positif que cela. Nous avions un devoir de résoudre nos différences constitutionnelles au Canada. À notre avis, nous devions construire pour l'avenir des Canadiens; nous devions conclure une entente constitutionnelle acceptable au plus grand nombre avant de pouvoir qualifier la conférence de réussite. J'ajoute que je ne partage pas votre certitude que les discussions auraient pu reprendre «sur une base plus saine» si les provinces dissidentes s'en étaient tenues à détruire l'initiative unilatérale du gouvernement fédéral. Comment Ottawa aurait-il pu adopter une attitude «plus saine» dans de telles circonstances?

Il est regrettable que vous ayez une opinion si négative de l'entente constitutionnelle. Le rapatriement, une formule d'amendement qui donne aux provinces un rôle légal dans la modification de notre constitution, l'enchâssement du principe de la péréquation, la confirmation et la clarification de la compétence provinciale sur les richesses naturelles et l'accès provincial aux champs de la taxation indirecte et du commerce interprovincial représentent tous, à mon avis, des gains significatifs autant pour le Québec et les Québécois que pour les autres provinces et les autres Canadiens.

Je n'accepte pas votre point de vue que la nouvelle constitution causera un grave préjudice aux provinces. Personne ne prétendra que la charte des droits n'imposera pas certaines contraintes sur les activités gouvernementales des provinces. Mais vous n'ignorez pas que les provinces conserveront le contrôle législatif ultime sur les catégories de droits qui pourraient nuire le plus à l'exercice légitime de leurs pouvoirs. Tout en reconnaissant l'inquiétude que vous manifestez au sujet de l'article sur la compensation financière qui est limitée aux domaines de l'éducation et de la culture, il me semble que cette disposition offre néanmoins une protection accrue pour la spécificité du Québec. Exception faite de ce changement, la formule d'amendement demeure celle prévue dans l'Accord d'avril déjà approuvée par le Québec et elle est sûrement préférable à celle proposée par le gouvernement fédéral. Enfin, je n'arrive pas à comprendre comment l'article sur l'instruction dans la langue de la minorité (plus limité dans le cas du Québec) n'ajoute aucune véritable protection pour les francophones hors Québec, mais contribuera pourtant au rétablissement des privilèges de la minorité anglophone du Québec. Il me semble plus raisonnable de penser que la vérité se trouve entre ces deux extrêmes.

En terminant, je crains que nous ne nous entendions jamais sur les événements qui ont précédé, et qui ont eu lieu à la conférence de novembre parce que nos attentes étaient à ce point différentes. Je le regrette beaucoup mais je ne vois pas l'utilité de continuer cette correspondance. Peut-être pourra--t-on reprendre le dialogue sur ce sujet à l'occasion d'une future rencontre.

Nous n'avons pas toujours partagé le même point de vue, mais j'ai toujours respecté la force de vos convictions. Je sais que vous continuerez à contribuer à la vie de votre province et je souhaite que votre nouveau poste vous apporte beaucoup de satisfaction dans les années à venir.

Bien à vous,

(Roy J. Romanow)

 

Source : Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux. Montréal, Boréal, 1988, pp. 366-376