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Documents in Quebec History

 

Last revised:
23 August 2000


Documents sur le Rapatriement de la Constitution, 1980-1982

Lettre de Claude Morin à tous les ministres provinciaux responsables des questions constitutionnelles, transmise le 6 novembre 1981

Monsieur le Ministre,

Comme je n'ai pas eu le temps hier de vous voir avant mon départ d'Ottawa, j'ai pensé vous écrire quelques mots, ainsi qu'à nos collègues du «groupe des huit provinces», pour vous faire part de mes sentiments.

Je veux d'abord vous dire que j'ai, depuis un an environ, apprécié l'effort de concertation et de réflexion que nous avons mené ensemble contre le projet unilatéral d'Ottawa. Par moments, j'ai cru même sentir, de votre part, de l'amitié et de la compréhension envers le Québec à qui, vous vous en souvenez, des promesses solennelles avaient été faites lors du référendum de mai 1980 en échange du Non. Certains premiers ministres provinciaux ont eux-mêmes contribué à ces promesses.

Le 16 avril dernier, huit provinces dont le Québec ont signé un Accord formel devant les caméras de la télévision. Nous avons beaucoup hésité avant de signer cet Accord, et quelques-uns d'entre vous se sont même demandé si le Québec s'y conformerait par la suite. Vous savez, depuis, que nous nous en sommes strictement et loyalement tenus à cet engagement, bien que nous ayons été critiqués chez nous pour avoir, fait sans précédent, décidé d'agir, sur le plan constitutionnel, de concert avec sept provinces anglophones.

C'est donc avec une inquiétude croissante que je me suis rendu compte, au début d'octobre, dès après la décision de la Cour suprême, que quelques-uns d'entre vous commençaient à mettre en cause le contenu de notre Accord d'avril et se déclaraient prêts à examiner d'autres solutions pour mieux accommoder Ottawa.

Cette inquiétude s'est transformée en consternation et en déception cette semaine à Ottawa quand j'ai de plus en plus perçu que l'Accord du 16 avril n'avait plus, pour tous, l'importance qu'il continuait de revêtir pour le Québec. C'est ainsi que, dès mercredi matin, le porte-parole du «groupe des huit» laissait assumer son rôle par d'autres tandis qu'une province décidait, à toutes fins utiles, de quitter le front commun interprovincial en déposant une proposition alternative, élaborée sans le Québec. En outre, j'ai appris depuis, comme tout le monde, que des négociations ont eu lieu entre certaines provinces du «groupe des huit» pendant la soirée et la nuit de mercredi à jeudi, discussions dont à aucun moment le Québec n'a été informé.

Or ces discussions touchaient des points que nous estimions fondamentaux et qui faisaient partie de l'Accord du 16 avril. Cet Accord que le Québec avait signé au printemps avait, pour nous, valeur d'un véritable contrat qu'on ne pouvait modifier unilatéralement sans consulter, ou à tout le moins informer au préalable, les autres parties signataires.

Par ailleurs, jeudi matin, nous avons été mis devant une sorte de fait accompli qui contredisait totalement cet Accord. Vous connaissez la suite. Le Québec, à qui on avait fait des promesses en mai 1980, se retrouve aujourd'hui moins protégé qu'avant! Beaucoup estiment chez nous que nous avons été trompés et abandonnés.

Peut-être des éléments que j'ignore jettent ils une lumière différente sur l'interprétation dont je fais état ici, mais, quoi qu'il en soit, un fait indéniable demeure: nous sommes dorénavant devant une situation où un gouvernement majoritairement anglophone, celui d'Ottawa, associé à neuf gouvernements pro-vinciaux anglophones, demandera à un autre gouvernement anglophone, celui de Londres, de diminuer sans son consentement l'intégrité et les compétences du seul gouvernement francophone en Amérique du Nord!

Il y a maintenant dix-huit ans que, de près ou de loin, je suis directement mêlé au débat constitutionnel. A aucun moment je n'ai pensé que nous en arriverions à la situation déplorable et pénible que vit aujourd'hui le Québec.

J'ai pensé vous faire part de mes sentiments, avec l'espoir que vous com-prendrez combien, nous au Québec et moi personnellement, sommes affectés par la tournure des événements.

Bien à vous,

(Claude Morin)

 

Source : Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux. Montréal, Boréal, 1988.