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Documents in Quebec History

 

Last revised:
23 August 2000


Documents sur le Rapatriement de la Constitution, 1980-1982

Lettre du premier ministre René Lévesque à Mme Margaret Thatcher, première ministre de Grande Bretagne, le 19 décembre 1981, et réponse de celle-ci, le 14 janvier 1982

Madame la Première ministre,

Au nom du gouvernement du Québec, je désire exprimer au gouvernement du Royaume-Uni notre opposition à l'adresse conjointe du Sénat et de la Chambre des Communes du Canada à Sa Majesté la Reine concernant la constitution canadienne et demander respectueusement au Parlement du Royaume-Uni de retarder l'adoption de la loi proposée.

La décision du gouvernement du Canada de soumettre l'adresse conjointe à Sa Majesté soulève de sérieux problèmes constitutionnels, juridiques et politiques que le gouvernement du Québec croit de son devoir et de sa responsabilité de porter à votre attention la plus immédiate.

Comme vous ne l'ignorez pas, l'adresse conjointe de la Chambre des Communes et du Sénat canadien recueille le soutien de neuf provinces et du gouvernement fédéral lesquels, le 5 novembre dernier, en sont venus à un accord, sans que le gouvernement du Québec n'accepte d'y souscrire.

À notre avis, cette entente frappe de plein fouet l'alliance des francophones et des anglophones qui a permis la création de la confédération canadienne en 1867. Jamais auparavant, au cours de notre histoire, on n'avait demandé au Parlement britannique de restreindre sans leur consentement les droits et pouvoirs de la législature et du gouvernement du Québec. La loi projetée constitue une offensive sans précédent contre les pouvoirs permettant à la seule société d'expression française d'Amérique du Nord de défendre et promouvoir sa langue et sa culture.

Pour cette raison, non seulement le Québec a-t-il refusé de souscrire à cette entente, mais l'Assemblée nationale s'est formellement opposée à la résolution fédérale lorsqu'elle fut introduite devant le Parlement canadien; subséquemment, le gouvernement du Québec a exercé son droit de veto traditionnel. Comme l'existence même de ce droit a été remise en doute par le premier ministre du Canada, le gouvernement du Québec, avec l'appui unanime de l'Assemblée nationale, a soumis la question à la Cour d'appel du Québec. S'il y a lieu, l'affaire pourra ensuite être étudiée par la Cour suprême du Canada.

Puis-je faire valoir que, dans une question aussi fondamentale pour les intérêts du peuple québécois et de la fédération canadienne, un Parlement traditionnellement respectueux de la règle de droit voudra sans doute prendre connaissance de l'opinion des tribunaux avant de déterminer le cours de sa démarche.

Bien que nous comprenions que le gouvernement et le Parlement du Royaume-Uni soient désireux de disposer aussi rapidement que possible de la question constitutionnelle canadienne, nous demeurons cependant convaincus que les conséquences que pourrait alors subir le Québec sont beaucoup plus graves que les inconvénients qui pourraient éventuellement affecter le reste du Canada si vous ne donniez pas suite dès maintenant à l'adresse canadienne.

Outre notre désaccord profond quant au processus même qui a été suivi au Canada et au refus obstiné de reconnaître la population d'expression française comme partenaire égal dans la confédération canadienne, nous aimerions attirer votre attention sur trois objections particulières que nous formulons à l'encontre des mesures constitutionnelles prévues dans l'adresse canadienne.

  1. La procédure d'amendement qui est proposée remet en cause les pou-voirs que le Québec détient déjà. En effet, cette procédure permet à une province d'exercer son droit de retrait à l'égard d'une modification constitutionnelle qui réduirait sa compétence législative. Cependant, contrairement à la procédure qui avait été initialement mise de l'avant le 16 avril 1981 par les huit provinces opposées au projet fédéral, l'exercice de ce droit ne comporte plus aucune garantie, pour une province qui s'en prévaudrait, d'obtenir une compensation financière pour les coûts qu'elle aura à encourir en lieu et place du gouvernement fédéral, exception faite des domaines de l'éducation et de la culture. Sans compensation financière, les Québécois seraient exposés soit à être soumis à la double taxation pour financer à la fois un programme fédéral dans les autres provinces et un programme provincial au Québec, soit à être contraints d'abandonner à Ottawa des compétences législatives essentielles pour éviter une aussi lourde imposition.
  1. Les dispositions de la loi constitutionnelle concernant les droits à l'instruction dans la langue de la minorité prévues dans l'adresse portent atteinte à la compétence provinciale exclusive sur l'éducation, garantie à l'article 93 de l'Acte du l'Amérique du Nord britannique de 186'7. Agissant dans le cadre de cette compétence exclusive, les législatures successives du Québec ont fait adopter des lois favorisant l'accès aux écoles françaises de façon à maintenir l'équilibre linguistique de notre société. La présente adresse modifie les critères d'admission aux écoles anglaises du Québec et empêche l'Assemblée nationale du Québec d'adopter des mesures correctrices à l'avenir. Les Québécois francophones n'auraient jamais accepté d'adhérer à la confédération s'ils avaient su que les gouvernements provinciaux anglophones et le Parlement fédéral s'uniraient un jour pour restreindre les pouvoirs de notre Assemblée nationale de protéger la culture française au Québec.
  1. La charte des droits et libertés contient une nouvelle catégorie de droits mal définie, les «droits à la mobilité, qui pourraient limiter très sérieusement les pouvoirs du Québec de légiférer pour protéger les traditions et les intérêts de ses citoyens. En limitant la possibilité du législateur de recourir au critère de la province de résidence dans la rédaction de ses lois, ces «droits à la mobilité» frappent d'une façon particulièrement dure le Québec. En effet, notre province qui a des traditions juridiques, religieuses et historiques différentes du reste du Canada et qui vit dans un contexte social, politique et économique qui lui est propre, établit nécessairement dans ses lois des distinctions très légitimes qui ont pour but de protéger son intégrité en tant que société distincte, entourée d'une culture anglophone dominant tout le continent nord-américain.

Vous comprendrez, je n'en doute point, que notre opposition à la résolution fédérale qui vous est parvenue n'est pas fondée que sur de simples objections d'ordre technique. Nous ne pouvons accepter cette résolution parce qu'elle réduit la place du Québec au sein de la fédération canadienne et vise à restreindre les moyens que possède le Québec de défendre la langue maternelle et la culture de sa population française et, de façon plus générale, de promouvoir les intérêts de tous ses citoyens.

À notre avis, l'opposition du gouvernement du Québec à l'adresse canadienne est appuyée par la majorité des Québécois pour qui, et ce sans égard à leur allégeance politique, la situation actuelle constitue une crise des plus sérieuse qui touche au coeur même de notre existence comme société distincte.

Hélas, malgré l'opposition formelle du gouvernement légitime du Québec, réélu le 13 avril 1981 avec 80 des 122 sièges de l'Assemblée nationale, le gouvernement du Canada a quand même soumis sa résolution à la Chambre des Communes le 18 novembre dernier.

Le 24 novembre, avant l'adoption de la résolution par la Chambre des Communes, une motion a été présentée à l'Assemblée nationale et adoptée, le 1` décembre, dans les termes suivants:

Le 25 novembre, le gouvernement du Québec a adopté un décret, par lequel il exerçait formellement son droit de veto. Devant la détermination d'Ottawa d'aller de l'avant malgré que le Québec ait signifié son veto, le gouvernement du Québec a décidé de soumettre à nouveau la question aux tribunaux.

Dans son jugement du 28 septembre 1981, la Cour suprême du Canada avait conclu que la proposition fédérale diminuait sans leur accord les pouvoirs des législatures provinciales et que la convention constitutionnelle exigeait le consentement des provinces pour que de telles modifications aient lieu. Toutefois, la nature ou la portée du consentement provincial ne fut pas précisée par la Cour.

Le Québec est retourné devant les tribunaux afin de faire établir de façon précise si son consentement est nécessaire en vertu de cette convention constitutionnelle. Nous avons agi ainsi parce que, depuis le début de la confédération, tous les gouvernements du Québec ont défendu le droit de notre province d'opposer son veto à toute modification qui affecterait la formule d'amendement elle-même, qui mettrait fin au rôle du Parlement britannique en ce qui concerne la constitution canadienne ou porterait atteinte au partage des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement. Jusqu'à l'adoption de la présente adresse, ce droit de veto a toujours été respecté.

Assez ironiquement, l'adresse fédérale confirme le droit de veto historique du Québec en exigeant l'accord unanime des provinces pour modifier ultérieurement le mode d'amendement de la constitution. Le Québec estime raisonnable de demander qu'on respecte dès maintenant son droit de veto à cet égard, droit qui fut respecté dans le passé et le serait dans l'avenir aux termes de la proposition fédérale elle-même.

Le recours aux tribunaux, avec l'appui unanime de l' Assemblée nationale, exprime sans équivoque la détermination du Québec de se servir de tous les moyens légaux et légitimes dont il dispose pour défendre des droits que le Parlement du Royaume-Uni et le comité judiciaire du Conseil privé ont toujours scrupuleusement respectés.

À notre demande, la Cour d'appel a accepté de faire l'impossible pour accélérer les procédures de façon que, dès après le dépôt des factums, la cause puisse être entendue à la mi-mars. Si la cause était ensuite portée devant la Cour suprême du Canada, une décision finale pourrait être annoncée au terme d'une période semblable, soit possiblement en septembre 1982.

Dans ses «Observations» sur le «Premier rapport du comité des affaires étrangères sur les Actes de l'Amérique du Nord britannique: le rôle du Parlement (session de 1980-81), le gouvernement britannique, par la voix de son secrétaire d' État aux Affaires étrangères, a déjà exprimé son avis que, dans les questions constitutionnelles canadiennes, il devrait être guidé par les décisions des tribunaux du Canada. Je voudrais simplement rappeler ici que les procédures judiciaires ne sont pas encore terminées au Canada

Depuis près de 115 ans maintenant, le Canada a vécu sous l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nous vous soumettons respectueusement, madame la Première ministre, notre opinion à l'effet que l'urgence de ce rapatriement nous paraît pour le moins artificielle.

Vous me permettrez d'émettre l'avis que toute action hâtive du Parlement du Royaume-Uni serait largement interprétée ici comme une indication que la dualité culturelle et linguistique à laquelle le Canada s'est historiquement identifié est en fait sans fondement, aux yeux du Parlement britannique, puisque le Québec, foyer du fait français au Canada, peut être forcé impunément d'occuper une place encore plus étroite dans la fédération.

En conséquence, nous demandons que les procédures concernant la résolution canadienne soient suspendues par votre gouvernement jusqu'à ce que le Québec ait exprimé son consentement ou, tout au moins jusqu'à ce que l'avis des tribunaux sur cette importante question du droit de veto du Québec soit porté à votre connaissance. A notre point de vue, c'est la seule attitude qui soit compatible avec les exigences élémentaires de la justice, compte tenu de la situation unique du Québec, principal foyer d'une collectivité distincte d'expres-sion française en Amérique du Nord.

(René Lévesque)


(Note de Claude Morin. La lettre qui suit a été transmise au premier ministre du Québec le 14 janvier 1982, par le consul général de Grande-Bretagne à Québec, M. A. M. Simons, qui l' avait lui-même reçue de l ambassade de son pays à Ottawa. Dans sa note accompagnant la lettre de Mme Thatcher, le consul général indiquait qu'Ottawa recevrait copie de cette lettre, ainsi que copie de Ia lettre originale de René Lévesque )


Dear Prime Minister:

Thank you for your letter of 19 December in which you asked that the British Government should take no action on the federal resolution until Quebec had consented to it or until the opinion of the Canadian Courts was known on the question of Quebec's right of veto.

I have studied your request carefully. I was sorry to learn that the Province of Quebec was unable to agree with the Federal Government and the governments of the other nine provinces of Canada on 5 November. A joint address from both Houses of the Federal Parliament has now been submitted to Her Majesty. In accordance with established procedure the British Government are now asking Parliament here to pass a Bill which will give legal effect to the address from the Canadian Parliament. Given the terms of the judgment of the Supreme Court of Canada on 28 September 1981 and the fact that an address has been submitted to Her Majesty I am satisfied that existence of further legal proceedings in Canada of the kind to which you refer is entirely a Canadian matter. I therefore do not think that it would be appropriate to suspend action on the Canada Bill in the way that your letter suggests.

(Margaret Thatcher)

 

Source : Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux. Montréal, Boréal, 1988.