Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Écrits des Jeune-Canada

 

Notre idéal politique

 

par

 

PAUL SIMARD

 

Mesdames,

 

Messieurs,

 

La réforme de la constitution, Jean-Louis Dorais vient de vous le prouver, est pour notre jeune nation un grave danger. Nous avons le droit comme province de refuser les changements qui ne nous conviendraient pas. Comme nation nous avons même le droit à la sécession complète. Il importe donc que nous soyons prêts à discuter cette réforme de la constitution et que nous sachions d'avance l'attitude que nous devrons tenir vis-à-vis des autres provinces et du Dominion. ( Appl .) Afin de légitimer la position que nous devrons alors conserver, nous allons nous appuyer sur l'histoire. Nous chercherons d'abord quel a été le sens de l'Acte de 1867, nous jugerons l'application qu'on en a faite depuis 1871 et, forts des arguments que nous apportera cette étude, nous conclurons en indiquant le but vers lequel nos efforts devront tendre lors de la prochaine conférence interprovinciale.

 

L'HISTOIRE

 

L'Acte d'Union de 1841 avait réjoui pour un temps la minorité anglaise du Haut-Canada, car il lui accorda it des avantages auxquels elle n'avait pas droit, tel entre autres un nombre de députés égal à celui du Bas-Canada. Mais peu à peu cette minorité, grossie par l'apport incessant d'une forte immigration, était devenue une majorité contre laquelle se retournait l'injustice de la constitution qu'elle avait elle-même réclamée. A cette difficulté s'en ajoutaient d'autres de toute espèce, provoquées par les querelles de race et de religion, alors dans leur pleine vigueur. De plus, les velléités conquérantes de la jeune république des États-Unis dressaient les unes contre les autres les diverses colonies anglaises de l'Amérique du Nord. Comme aujourd'hui, on songea alors à une réforme du système gouvernemental.

 

Une nouvelle constitution qui eût amalgamé en un seul État toutes les possessions américaines de l'Angleterre, eût pleinement satisfait la population anglaise pourvu qu'on lui eût octroyé tous les privilèges inhérents à sa majorité. Mais il fallait tenir compte de la volonté du Bas-Canada, à qui une union de ce genre paraissait un désastre. A cette époque, comme à chaque réforme politique antérieure, la grande préoccupation de nos ancêtres était de sauvegarder leur religion, leur langue et leurs coutumes. Un nouvel acte d'Union les eût livrés aux exactions plus que probables des fanatiques orangistes. Représentés en majorité au parlement, il eût été loisible à ces ennemis de notre nationalité d'édicter malgré nous des lois contraires à notre fin propre.

 

C'est en vue de sauvegarder nos privilèges que, à tort ou à raison, sir Georges-Étienne Cartier et ses compatriotes, après bien des hésitations, imposèrent aux autres provinces le régime confédératif. Car dans toute confédération, le pouvoir central n'est là que pour suppléer aux déficiences de chaque gouvernement régional. Le pouvoir fédéral n'est jamais créé pour lui-même, il n'existe que pour surveiller les relations des gouvernements fédérés, écouter leurs doléances, les protéger les uns contre les autres; les provinces ne sont pas les esclaves du parlement d'Ottawa, c'est au contraire Ottawa qui doit servir les provinces. Dans la pensée des Pères, la décentralisation consacrée par la nouvelle forme de gouvernement devait donc être une protection pour les habitants du Bas-Canada. Ceux-ci resteraient ainsi maîtres de leur destinée, au moins en ce qui concernait leurs particularismes nationaux. Quant aux minorités françaises des autres provinces, on pourvoyait à leur protection par certains articles de l'Acte fédératif lui-même. (1)

 

II semblait donc que, grâce à leur habileté et à leur persévérance, nos ancêtres avaient remporté une grande victoire et soumis à leur volonté tenace toutes les puissances ennemies. Sir John-A. MacDonald lui-même reconnaissait ce triomphe lorsqu'il prononçait les paroles suivantes : « Les délégués de toutes les provinces ont consenti à ce que l'usage de la langue française formât l'un des principes sur, lesquels serait fondée la Confédération... » (2)

 

UNE FAILLITE

 

Or, qu'est-il advenu de cette constitution magique qui d'un seul coup devait satisfaire tous les désirs contradictoires, protéger tous les droits, éteindre toutes les passions religieuses et nationales, orienter le pays vers une ère de prospérité sans pareille ? La Confédération, cette constitution magique, a misérablement failli.

 

Faut-il rappeler ici chacune des luttes scolaires livrées dans les diverses provinces anglaises, luttes auxquelles le gouvernement central a toujours refusé de donner une solution équitable ? (3) Faut-il rappeler l'exécution injuste de Louis Riel, sacrifié aux fanatiques Ontariens ? Faut-il raconter toute cette misérable comédie de l'immigration, qui permettait à des étrangers de s'emparer de notre sol à meilleur compte que les fils du sol eux-mêmes ? En passant par-dessus bien d'autres vexations, faut-il nous ressouvenir de l'humiliant débat sur la monnaie bilingue, débat qui aboutit cette année même à un détestable compromis où le gouvernement manifesta son impuissance à braver le courroux de quelques orangistes exaltés ?

 

Sans doute, la Confédération a fait faillite parce qu'elle reposait sur le respect mutuel des parties contractantes et que les provinces anglaises n'ont pas tenu leurs engagements. Sans doute encore, elle a fait faillite parce que la minorité française, trop confiante dans le fair-play britannique, avait aveuglément abandonné la protection de ses droits à des textes dont le gouvernement, en majorité anglais, n'a pas respecté l'esprit.

 

Mais à notre avis, pour expliquer l'échec du pacte de 1867, il n'est pas suffisant de jeter le blâme sur une des parties contractantes et de conclure à sa mauvaise volonté. Si les provinces anglaises et le gouvernement central n'ont pas respecté la constitution qui nous régit, c'est que, tout compte tenu des vices propres à l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, un antagonisme profond, irréductible, divise les deux groupes ethniques. La majorité anglaise a tout simplement recherché ses intérêts comme nous nous sommes nous-mêmes efforcés de le faire de temps à autre. Que ce soit au point de vue économique ou au point de vue supérieur de la religion et de la langue, les besoins des Canadiens anglais n'ont jamais cessé d'être différents de ceux des Canadiens français.

 

QUELQUES EXEMPLES

 

Citons quelques exemples. Tout le système des assurances sociales repose sur la famille. Or la famille anglaise, on le sait, est en moyenne moins nombreuse que la famille canadienne-française. Notre génie national nous porte naturellement vers la petite industrie; profondément individualistes, nous aimons les entreprises où nous sommes les seuls maîtres. Nous pourrions citer ici une foule d'entreprises canadiennes-françaises qu'un seul homme a fondées et menées à bien. Au contraire, nos concitoyens anglais se plaisent dans les grandes industries tentaculaires à capitaux anonymes, les trust, les monopoles, les « chains-stores » (4) (rires et applaudissements), dans ces industries qui exploitent et pressurent notre peuple, tuent notre commerce par une concurrence déloyale et sont honteusement protégées par nos politiciens. La taxe de vente frappe plus durement les familles nombreuses des Canadiens français, car celles-ci consomment naturellement plus que les familles anglaises. La population anglophone n'est pas intéressée à commercer avec la France, dont elle ignore la langue et connaît mal la technique commerciale. Pour nous, les relations franco-canadiennes sont vitales. Cependant un tarif douanier exorbitant ralentit nos importations de produits français.

 

Au point de vue national et religieux, la scission est peut-être encore plus profonde. Les aspirations des deux peuples sont totalement distinctes : ils sont utilitaires, nous sommes idéalistes; ils sont protestants, hérétiques, nous sommes catholiques romains.

 

De cet antagonisme est résultée une lutte sournoise , mesquine, où la majorité anglaise s'est plu à ébranler par petits coups successifs l'édifice de nos droits. Une nouvelle conquête patiente, dissimulée; s'est poursuivie. A-t-elle été pleinement voulue ? N'a-t-elle pas été le résultat inconscient de ce sentiment de supériorité qui caractérise nos concitoyens ? Nous ne discutons pas, nous constatons des faits : l'Acte de 1867, dont l'objet était de protéger nos droits, n'a pas été respecté parce que les provinces anglaises n'avaient pas les mêmes intérêts que nous. Cela nous suffit pour affirmer que les deux grandes nations du Canada ne pourront jamais s'entendre à moins que l'une d'elles n'abandonne son idéal national. Or il n'est question de cette solution ni pour l'une, ni pour l'autre. (Appl .) L'antagonisme qui les divise continuera donc d'exister et chaque fois que le parlement fédéral aura le choix entre la violation d'un droit de la minorité française et le ressentiment de l'Ouest, il tentera un compromis qui ne satisfera personne, ou décidera tout simplement l'abolition de nos droits.

 

A LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION

 

Puisqu'il en est ainsi, il est clair que la meilleure solution au problème serait pour la nation canadienne-française, puisqu'elle en a le droit naturel, d'abandonner la Confédération à son sort et de se constituer en État indépendant. (applaudissements frénétiques). En 1922, Son Éminence le Cardinal Villeneuve, ( appl ) alors simple Oblat de Marie-Immaculée, écrivait les lignes suivantes: « Qu'un État catholique et français puisse, au cours du siècle qui s'annonce, prendre place dans la vallée du St-Laurent , voilà qui n'est plus, au sentiment de plusieurs, une pure utopie, mais un idéal digne d'ambition, un espoir solidement fondé. Et que la vocation surnaturelle de la race française en Amérique acquière de ce chef son plein épanouissement; que l'indépendance politique rêvée mette notre nationalité dan le rôle auguste auquel la dispose comme de Iongue haleine l'éternelle Providence; qu'elle devienne ainsi le flambeau d'une civilisation idéaliste et généreuse dans le grand tout que fusionne l'avenir américain; qu'elle soit en un mot, au milieu de la Babylone en formation, l'Israël des temps nouveaux, la France d'Amérique, la nation lumière et la nation apôtre; c'est une divine faveur qu'il y a lieu de demander et dont il est sage de nous rendre dignes par la réflexion et par le courage qui font les peuples grands ». ( Appl . prolongés.) (5)

 

Mesdames, messieurs, constituer par nous-mêmes une nation indépendante, maîtresse de ses destinées, libre de toutes les chaînes politiques qui l'entravent aujourd'hui, soustraite aux influences perverses des milieux étrangers, capable par elle-même, sous la direction éclairée de ses chefs nationaux et de ses hommes d'État, d'accomplir pleinement sa noble mission civilisatrice, oui, telle doit être l'ambition, l'idéal du peuple canadien-français. ( Appl. ) Mais nous ne devons pas nous faire d'illusion. A moins d'un événement grave, imprévu, qui viendrait bouleverser l'ordre actuel, il ne nous est pas loisible de croire à la réalisation de cet idéal, d'ici plusieurs années. II n'en reste pas moins que nous devons défendre nos droits et nous acheminer lentement vers le but proposé, si lointain soit-il. Cela nous le pouvons et non seulement nous le pouvons, mais encore nous le devons à l'intérieur même du pacte fédératif. Une occasion merveilleuse nous en est fournie par la réforme annoncée.

 

NÉCESSITÉ DE LA CENTRALISATION

 

La constitution qui nous régit peut être amendée de deux manières. Le gouvernement central peut accaparer de nouveaux pouvoirs au détriment des provinces, ou, à l'inverse, les gouvernements provinciaux peuvent arracher à la griffe fédérale des avantages qu'ils ne possèdent pas encore. Nous avons le choix entre la centralisation et la décentralisation.

 

Pour la nation canadienne-française, il n'est pas difficile de déterminer la tendance qu'elle devra suivre. La décentralisation est nettement son affaire. ( Appl .) Envers et contre tous, elle doit tenir pour l'affaiblissement de l'autorité centrale et le renforcement des gouvernements provinciaux. Il est clair, en effet, que plus Ottawa sera fort, plus il lui sera loisible d'édicter des lois contraires à notre idéal. Plus ses pouvoirs seront étendus, plus facile il lui sera d'agir à l'encontre de nos intérêts. Il nous faut donc affaiblir son autorité sur nous.

 

De quelle façon la décentralisation doit-elle être appliquée aux différents articles de la constitution ? C'est un problème que seuls des experts peuvent se permettre de discuter. Nous pouvons cependant apporter un exemple pour illustrer notre pensée. Prenons l'immigration : l'article 95 de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord se lit comme suit : « Dans chaque province, la législature pourra faire des lois relatives à l'agriculture et à l'immigration : et il est par le présent déclaré que le parlement du Canada  pourra, de   temps à autre, faire des lois relatives à l'agriculture et à l'immigration dans toutes les provinces ou aucune d'elles en particulier; et toute loi de la législature d'une province relative à l'agriculture ou à l'immigration n'y aura effet qu'aussi long­temps et que tant qu'elle ne sera pas incompatible avec aucun des actes du parlement du Canada ». II ressort de cet article qu'en matière d'immigration les provinces sont pratiquement impuissantes. Or pourquoi ne seraient-elles pas au contraire libres de régler cette question chacune selon son goût ? On nous chante à tout propos que l'Ouest a besoin de   nouveaux colons. Libre à lui de payer le transport de tous les métèques du globe, de se noyer dans un déluge de bolchevistes et de têtes croches. ( Sourires, puis appl .)       Mais pourquoi faut-il que nous, nous payions de nos deniers la venue des fauteurs de désordre ? pourquoi faut-il que nous subissions dans Montréal tous ces éléments   disparates qui forment la grande majorité des communistes, des exploiteurs commerciaux et des bandits de tous calibres. (6) Il serait à notre avantage de contrôler l'immigration. Pourquoi n'en avons-nous pas effectivement le contrôle ?

 

Nous laissons la question sans réponse, car nous ne l'avons posée qu'à titre d'exemple possible de décentralisation. L'idée sur laquelle nous voulons insister, c'est la nécessité pour nous, Canadiens français, d'affaiblir le pouvoir central au profit des gouvernements provinciaux, et cela en vue de devenir plus maîtres de nos destinées.

 

On pourra nous objecter que la décentralisation augmentera les dépenses des provinces, dont les revenus ne sont déjà pas assez considérables pour leur permettre de faire face à leurs obligations. La solution de cette difficulté est simple. Le gouvernement central abandonnera aux pouvoirs régionaux certains droits de taxer qu'il possède exclusivement. C'est d'ailleurs ce qui devra arriver de toute façon lors de la prochaine conférence interprovinciale, à moins qu'Ottawa ne consente à assumer les obligations des provinces.

 

CONCLUSION

 

Mesdames, messieurs, il nous reste à résumer notre sujet pour vous en laisser une idée claire. Nous vous avons démontré que la Confédération, destinée par les Pères à sauvegarder nos droits,   a effectivement tourné contre nous, parce que les intérêts des cosignataires du pacte de 1867 ne sont pas les mêmes. Nous vous avons fait voir que cet divergence de besoins spirituels et matériels ne pouvait pas cesser d'exister. Comme solution de ce problème et à la suite des esprits clairvoyants de l'Action française   de Montréal, qui, déjà en 1922, nous proposaient ce but, nous vous avons offert comme idéal l'État libre catholique et français sur les bords du St-Laurent. ( Appl .)

 

Cet idéal, nous le voudrions enraciné au fond du coeur de notre peuple; (appl.) nous voudrions qu'il hantât le cerveau de tous les jeunes Canadiens français, qu'il les éclairât, qu'il les guidât dans la lutte. Mais nous avons également vu les réalités, nous nous sommes aperçus qu'un tel idéal n'est pas réalisable immédiatement. Nous avons proposé un moyen terme, réalisable celui-là, la décentralisation à l'intérieur de la Confédération. Il nous importe de travailler de toutes nos forces à gagner ce point.

 

L'histoire écrira de notre génération qu'elle a reculé, si, avant de mourir, elle n'a pas su faire un pas vers l'indépendance nationale. ( Appl. prolongés.)

 

(1) La Confédération canadienne, par l'abbé L. Groulx.

 

(2) Cité dans « Les Canadiens français et la Confédération », enquête de l'Action française (de Montréal), 1927, p. 13 .

 

(3) L'enseignement français au Canada, T. 2, abbé L. Groulx.

 

(4) Enquête Stevens à Ottawa.

 

(5) « Notre avenir politique », enquête de l' Action française (de Montréal), 1923, p. 113 .

 

(6) Une enquête a révélé qu'à la tête de presque toutes les cellules communistes de Montréal, il y a un Israëlite. L'industrie du vêtement où se commet le plus grand nombre d'infractions à la loi du salaire minimum est entre les mains des étrangers.

 

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Source : Paul Simard, « Notre idéal politique », dans Les Cahiers des Jeune-Canada, No 3, Qui sauvera Québec ? Montréal, l'Imprimerie populaire, 1935, 84p., pp. 23-34.

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College