Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

Assemblées des Jeune-Canada

Les Jeune-Canada à Maisonneuve

Compte-rendu de l'assemblée des Jeune-Canada

au Marché Maisonneuve, le 21 février 1934

 

Les Jeune-Canada ont tenu hier soir une réunion publique dans la salle du marché Maisonneuve. La salle, une des plus grandes de la ville, était remplie au point qu'une centaine de personnes étaient de­bout. La foule a vivement applaudi les orateurs, a applaudi les noms des MM. Henri Bourassa et Armand LaVergne.

 

MM. André Laurendeau, Paul Dagenais, Georges-Etienne Cartier et Paul Simard des Jeune-Canada, ont parlé des trusts ; les deux premiers ont traité le sujet d'un point de vue général, M. Cartier a parlé du trust de l'électricité, M. Simard de celui de la gazoline. Ce sont les discours qu'ils ont déjà prononcé ailleurs. L'espace nous manque pour y revenir et d'ailleurs, nos lecteurs en connaissent la substance. Nous donnerons seulement deux passages qu'ont ajoutés à leurs discours originaux MM. Laurendeau et Cartier. M. Philippe Aubé, avocat, a donné une causerie fort documentée sur l'industrie et le commerce canadiens-français, dont nous donnons plus bas un substantiel résumé. M. Lucien Houle présidait et a prononcé une allocution au début de l'assemblée.

 

M. Laurendeau

 

M. André Laurendeau a fait au sujet de la C.C F. la déclaration suivante: Ce n'est plus du communisme intégral. C'est déjà de ce socialisme « atténué et moins intransigeant » dont parle Pie XI, mais, écrit le Père Lévesque, « qui reste encore assez vrai socialiste pour ne pas mériter l'adhésion des catholiques. »

 

On est porté à mettre dans le même sac ceux qui s'attaquent au régime capitaliste et ceux qui s'attaquent aux abus du régime. C'est pourquoi les Jeune-Canada (la déclaration semblera inutile à d'aucuns) affirment ce soir que non seulement ils ne fraternisent pas avec les C.C.F., mais qu'un jour viendra où ils seront forcés de les combattre. Ils ne descendront pas sur le terrain électoral, mais ils feront la lutte dans le domaine des idées et des doctrines.

 

Nous empruntons à un excellent article du Père Lévesque, paru dans l'Action Nationale, les quelques conclusions suivantes; comme lui, nous voulons modestement faire écho à l'appel lancé par S.E.Mgr Gauthier archevêque-coadjuteur de Montréal :

 

l. Nous combattons la C. C. F. parce qu'elle prêche une guerre injuste à 1a propriété privée; ses partisans veulent la « socialisation de toutes les institutions financières et de la majorité des entreprises de production et de distribution ».

 

2. Les C.C.F. ont une « fausse conception du rôle de l'Etat », à qui ils veulent « confier l'administration directe » des entreprises. Cette conception va contre les enseignements de Quadragesimo anno . (« L'objet naturel de toute intervention en matière sociale est d'aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber », Pie XI) et, comme catholiques, nous sommes forcés de la condamner.

 

3. Nous ne prétendons pas être tirés de la servitude des trusts pour qu'une autre servitude nous soit imposée. « Qu'importe que les socialistes nous délivrent des capitalistes actuels, s'ils n'ont à nous offrir que des chaînes » (Père Lévesque). Or, « de soi, le régime socialiste entraîne inévitablement le sacrifice de la liberté individuelle ». On a socialisé toutes les entreprises. Par conséquent, l'appât du gain vous est enlevé. Votre ambition, connaissant les bornes étroites que la loi et l'état de choses actuel élèvent autour d'elle (je suppose que le socialisme est établi) votre ambition disparaît, et cela est profondément humain, vous n'avez plus le goût du travail. A quoi cela vous servirait-il de vous imposer des labeurs considérables, puisque vous savez que jamais vous ne sortirez de votre médiocrité ? Mais l'État a besoin de travailleurs. L'État, pour prospérer, pour vivre, doit voir à ce que la population produise. Il ne lui restera alors qu'une alternative: il vous forcera à travailler sous la menace de la baïonnette; une puissante police verra à ce que vous accomplissiez votre tâche; cette police sera souvent secrète, pour être efficace, et vous serez trahi par votre frère, par votre ami. Autant vaudraient le bagne et les travaux forcés ! Voilà pourtant où les partisans de la C.C.F. parfois sans s'en rendre totalement compte eux-mêmes, toujours sans l'avouer, avec des déclarations qui flattent notre insouciance et notre paresse, et des protestations qui calment nos craintes, voilà où la C.C.F. de M. Woodsworh vous mènera un jour;

 

4. La C.C. F. subordonne tous les problèmes au seul problème économique. Or, nous, Canadiens français et catholiques, prétendons que le facteur spirituel domine le facteur « estomac ». Nous sommes français et catholiques avant que d'être antitrustards; c'est même comme français et comme catholiques que nous combattons le mauvais capitalisme; un examen assez superficiel (nous ne mettons aucune fausse honte à l'avouer: car jamais nous n'avons eu la pensée de régler le problème éco­nomique en une soirée, comme de mauvais farceurs ont voulu le faire croire avec une discutable subtilité d'esprit et de bonne foi..... pour le moins élastique) un examen assez superficiel de la situation actuelle nous a convaincus que le désordre règne dans notre société nationale (comme d'ail­leurs dans l'univers entier), et que c'est faire besogne de niais, de naïfs, d'exploiteurs ou d'idéologues que de le défendre. Ce capitalisme aqueux et aquatique enseigne la primauté de la matière sur le spirituel. Mais pour le combattre, nous n'irons pas avec la C.C F. et le commmunisme, proposer des réformes qui sont pires que le mal, des réformes qui ne feront que changer le bobo de place, en l'aggravant.

 

Et nous conclurons, avec le Père Lévesque, que la meilleure façon de s'attaquer aux doctrine subversives de la C.C.F. (qui contiennent, comme presque toutes les erreurs, une bonne part de vérité) c'est de travailler à faire disparaitre au plus tôt des abus criants du capitalisme. Car la grande force du cécéféisme réside moins dans ses vertus propres que dans les fautes du capitalisme.

Somme toute, quelque orgueilleuse que soit notre prétention, nous voulons sauver le capitaliste canadien malgré lui. Nous voulons sauver les individus de l'anarchie dans la­quelle nous vivons à l'heure accuelle, tout en leur évitant l'anarchie plus grande encore du collectivisme. Que messieurs les brasseurs d'affaires nous regardent donc d'un oeil moins sévère.

 

M. Cartier

Après avoir fait un bref historique de la crise et signalé que l'une de ses causes principales a été la spéculation, M. Cartier ramasse dans les quelques lignes suivantes la doctrine des Jeune-Canada sur ce point:

 

Comment se fait-il, alors, que certaines lois subsistent encore aujourd'hui qui ont permis des spéculations scandaleuses ? À cela deux grandes raisons:

 

Tout d'abord, c'est que la politique est trop intimement liée, aujourd'hui, à la finance; en d'autres termes, les intérêts de la politique, des caisses électorales ont trop besoin de l'appui des grandes compagnies, surtout de celles dites d'utilité publique, pour qu'elles ne défendent pas leurs intérêts le moment venu.

 

Il y a ensuite une autre cause dont l'électeur, c'est-à-dire tout le peuple - il ne faut pas se le cacher - est   responsable. C'est l'indifférence inconcevable avec laquelle on traite la chose publique, c'est le fanatisme avec lequel on s'enracine dans une politique, qu'elle soit rouge, qu'elle soit bleue.

 

La surproduction, la mauvaise production, les luttes tarifaires, la spéculation imprudente, quand elle n'était pas malhonnête, la compromission de la politique avec la finance, l'apathie des électeurs et, ajoutez à cela la soif de jouir, de s'amuser, de se paver du luxe quand on n'en avait pas les moyens, la mauvaise habitude des gros achats à crédit, en résumé l'absence totale de tempérance dans les différents domaines de la vie pri­vée et publique, la légèreté inconséquente avec laquelle on a traité des grands principes catholiques; telles sont en résumé les principales causes de la crise dont tous nous souffrons, dont tous nous sommes responsables.

 

Les Jeune-Canada dont le but général est - vous le savez - de relever le niveau spirituel et économique de la race canadienne-fran­çaise ont donc décidé, l'automne dernier, d'entretenir le public d'une des causes les plus profondes, de notre malaise économique: l'abus des trusts.

 

M. Aubé

 

M. Philippe Aubé remercie d'abord les Jeune-Canada de leur visite à Maisonneuve, les félicite de leur action et aborde le sujet qu'il doit traiter. Voici un résumé substantiel de cette causerie:

Dans les cinquante principales industries canadiennes qui forment un capital de $4,541,368,454 nous sommes intéressés pour environ $548,500,000, soit environ 10 p.c. au lieu d'au moins 30 p.c., que nous devrions avoir. Production: $2,386,300,000 - la nôtre, $316,000,000, - soit environ 1/8, 12 ½ p.c. au lieu de 30 p.c. De ces industries nous retirons environ $87,000,000 de salaires sur $580,000,000, environ 1/8, au lieu de 30 p .c. Du matériel brut, sur $1,000,000,000, nous produisons pour environ $100,000,000, soit 10 p.c., et, sur 540,000 employés, nous en avons 30,000 environ, soit 6 pour cent pendant que le reste chôme; et la moyenne des ouvriers ou employés retire 20 pour cent de moins que les autres salariés en moyenne. Nous formons 1/3 de la population, au moins 30 pour cent. Nous ne contrôlons aucune des 50 plus grandes industries canadiennes; nous n'avons le contrôle d'aucune importation ou exportation de leurs produits. Dans les dix plus grandes industries canadiennes, nous avons 3 pour cent des établissements et 4 pour cent du capital, et j'ai exagéré notre part d'intérêts à dessein, afin de ne pas tomber plus bas; pour ne pas vous faire trop mal. Dans l'industrie agricole, 37 ½ pour cent de notre population est sur nos terres, au lieu de 71 pour cent, il y a 50 ans; et cette population végète malgré qu'elle aurait l'un des plus grands marchés d'Amérique à fournir, la cité de Montréal. Nous importons pour nourrir notre population de Québec par an: 5000 à 7000 chars de patates et légumes, 1000 à 1200 chars d'animaux vivants, 700 chars de viandes en conserves: Nous importons tout notre blé, du beurre et du fromage. O Nouvelle-Zélande, que de crimes on a commis en ton nom ! Nous importons des volailles et des oeufs par centaines de chars. Et nous voyons une foule de femmes de cultivateurs acheter des « beans » de Clark et des pâtisseries dans les magasins. Bêtise ou inconséquence !

 

Dégringolade

Dans le commerce, la dégringolade est plus effarante que dans l'industrie. Au début du siècle, nous avions un commerce de gros et de détail excessivement important, et qui faisait l'orgueil de la race canadienne-française. Nous avions, de 1900 à 1910, 58 maisons de gros d'assez grande importance, dans les nouveautés, les produits alimentaires, la pharmacie, la ferronnerie, le bois et le charbon, le foin et le grain. Il en reste 17, dont quatre de toute première importance.

 

Avant la création des magasins à rayons, nous avions une soixantaine de marchands généraux dans les merceries et nouveautés; il en reste 3 ou 4. Dans le commerce de l'épicerie, 1200 épiciers sont disparus de la circulation depuis 20 ans, et une foule de ceux-là sont devenus commis. Dans la boucherie, 640 marchands sont disparus depuis 25 ans; dans la ferronnerie 78; dans la mercerie 91; dans la boulangerie 168 depuis 15 ans; dans le commerce du lait 369 depuis 18 ans; les tailleurs d'habit ont diminué de moitié; les modistes n'existent pratiquement plus. Ces marchands disparus ont été partout remplacés : dans l'épicerie par 186 magasins à chaîne; la boucherie par 219 marchands juifs; la mercerie par 341 marchands juifs; et dans la boulangerie sur 1200 voitures de livraison, 900 appartiennent au "trust". Dans le commerce du lait, sur 967 voi­ tures, 641 appartiennent à des "trusts".

 

Notre efficacité dans le commerce de détail qui était d'environ 77 % il y a 20 ans, est descendue aujourd'hui à environ 43% quant au nombre, et nous n'avons plus les plus gros comme les plus achalandés des commerces de détails. De cette concurrence effrénée du capital, de l'industrie et du commerce étranger, nous sommes sortis économiquement ruinés.

 

Si nos pères revenaient aujourd'hui et demandaient à nos industriels et marchands   disparus: « Qu'avez-vous fait ? ». Ils répondraient peut-être. « Nous avons joué à la bourse. Nous nous sommes fait une concurrence effrénée entre concitoyens ou nous avons vécu plus fort que nos moyens. » Quand donc ce qui nous reste d'industriels canadiens-français se réuniront-ils pour promouvoir les intérêts de l'industrie canadienne­francaise ? Quand donc ce qui nous reste de marchands détaillants, se réuniront-ils par quartier pour promouvoir leur commerce local, et s'entr'aider rigoureusement au lieu d'essayer à se détruire?

 

Lueurs d'espérance

 

Le tableau que je vous ai fait est sombre; mais dans les horizons qui nous entourent, nous avons des lueurs d'espérance ! Nous avons le plaisir d'en contempler ce soir dans la personne des Jeune-Canada ! Ca nous prendra 25 ans pour remonter la côte si nous combattons sans coopération comme nous le faisons dans le moment. Si nous coopérons, dans le commerce de détail, nous avons la certitude que dans trois ans, nous serons les plus forts.

 

Par quels moyens ? Je n'ai malheureusement pas le temps de vous les expliquer ce soir. Dans l'industrie, ça nous prendrait environ 10 ans; dans l'agriculture, dans 5 ans nous redeviendrions les maîtres ! Allons-nous coopérer ? Allons nous nous entr'aider ? Avons-nous fini de manger notre voisin ? Espérons-le !

 

Allons de l'avant

 

Je salue au passage les Lanciers du Long-Sault, vétérans de la grande guerre, qui, alors qu'ils étaient jeunes comme vous, O Jeune-Canada, ont vécu sous d'autres cieux des heures d'épopée glorieuses pour sauver une civilisation chancelante. Ils ont offert une vie pleine de promesses pour une autre patrie; ils sont prêts à l'offrir de nouveau pour la cause sacrée de notre race, de notre langue et de nos droits. A leur exemple, sacrifions-nous pour la race; élançons-nous vers de nouvelles destinées; la Providence veille sur nous, mais elle ne nous aidera qu'en autant que nous ferons des efforts constants et généreux pour le salut des nôtres. Allons de l'avant vers de nou­velles victoires ! Mettons dans notre vie, plus de vaillance et de furie française ! Le reste nous viendra par surcroit !

 

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Source : Compte-rendu publié dans le Devoir, le 22 février 1934, p. 8. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.

 

 
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