Quebec History Marianopolis College


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Document de l’histoire du Québec / Quebec History Document

Écrits des Jeune-Canada

L'expansion du mouvement coopératif

 

La coopération est à l'ordre du jour. On en parle dans tous les milieux et on s'efforce vo­lontiers de promouvoir ses intérêts. L'essentiel toutefois est de bien comprendre dans quelles limites, pour vaste qu'il soit, le mouvement doit être soutenu. On a tort de confondre l'association professionnelle avec la coopération, encore que l'une et l'autre aient plus d'un point de ressemblance. La première doit avoir uniquement pour fin la défense des intérêts professionnels. Sous cette forme elle peut arriver à une action très puissante dans l'ordre économique, par exemple quand il s'agit de mesures douanières à obtenir, plus généralement de pression à exercer sur les pouvoirs publics.

 

En fait, certaines associations professionnelles ne s'en sont pas tenues à cette première conception de leur rôle. Entendant largement la notion de défense de l'intérêt professionnel, elles se sont incorporé des services d'achat et de vente en commun. Cette pratique, encore que le mobile en fût des plus louables, les expose à de graves dangers. L'opération commerciale comporte par définition des aléas. Il n'est pas bon d'y exposer un syndicat professionnel; sa réputation, partant son ac­tion sur le terrain économique et social, pourrait souffrir des échecs subis dans le domaine commercial. Le syndicat professionnel rendra de très grands services en se bornant à être la cellule germinative d'où sortiront les mutuelles et les coopératives de toute espèce vouées chacune à une oeuvre nettement délimitée, ne confondant ni leur action ni leur comptabilité.

 

La coopération à la production est assurément la plus importante à réaliser dans la province de Québec. Les temps ne sont plus où le cultivateur vendait au village voisin le surplus de sa production. Avec les facilités de transport modernes, les marchés, de régionaux qu'ils étaient jadis, sont devenus nationaux et même internationaux. Les prix ne sont plus débattus librement entre le producteur et le consommateur, mais sont cotés sur des marchés organisés, d'après des types bien définis. L'agriculteur doit donc s'efforcer de produire une denrée conforme au standard adopté; autrement, il écoule sa marchandise difficilement, et encore à un prix inférieur à sa valeur réelle. Pour reconquérir les marchés, les cultivateurs du Québec devront s'entendre pour uniformiser et classifier leurs produits, pour en améliorer la qualité. A cette fin, ils se grouperont en coopératives de production.

 

"La base normale de toute coopération agricole dans no­tre province" , disait M. Adélard Godbout à un congrès de l'U.C.C., "c'est la transformation des produits laitiers".  L'industrie laitière est la principale source de revenus de 95 pour cent des cultivateurs. Naguère, nous occupions la première place au Canada dans la production du beurre; nous sommes passés au troisième, rang et si nous n'y prenons garde, nous descendrons au quatrième et au cinquième rang. Cette régressive s'explique en partie par la dispersion des fabriques, ce qui augmente inutilement les frais de fabrication. Le Ministère de l'Agriculture du Québec poursuit, depuis quelques années une campagne en faveur de la concentration des fabriques. L'occasion serait bonne pour les cultivateurs de prendre le contrôle de la transformation de leurs produits laitiers sur une base coopérative.

 

L'enquête sur le lait a révélé des faits déconcertants, entre autres que la distribution des produits laitiers à Montréal est sous le contrôle d'un syndicat de New York. N'est-il pas humiliant que des étrangers s'interposent entre nous pour faire la distribution de nos produits? Serait-ce que nous ayons perdu le sens de toute réalisation pratique et que nous soyons définitivement réduits à la domesticité, au point d'être trop gourds pour organiser entre nous la répartition de nos produits ? En tout cas, la situation actuelle est intolérable. A tout prix, il faut réformer ce système immoral qui permet le vol organisé sous le couvert de la légalité, qui oblige les producteurs à vendre leur lait à perte et des   milliers de familles à se priver d'un aliment de première nécessité. Une vaste coopération ou une fédération de coopérations, groupant tous les producteurs, pourrait entreprendre la distribution des produits laitiers à Montréal et mettre le trust à la raison, au grand bénéfice des cultivateurs et des citadins.

 

La pratique de l'association entre éleveurs procurerait les mêmes avantages dans le commerce de la viande. Dans l'état actuel des choses, ce commerce repose sur la conception de l'animal amené vivant des lieux de production aux centres de consommation : c'est là une organisation archaïque qui ne tient aucun compte des progrès modernes. Un pareil régime était acceptable au temps où la viande abattue constituait le type de ce qu'on appelle les denrées périssables, mais, aujourd'hui que le froid industriel est de pratique courante, la viande supporte en wagons des trajets de plusieurs jours. S'obstiner à faire voyager l'animal vivant, c'est un non-sens, c'est une lourde erreur économique et technique. L'animal expédié vivant passe par les mains d'intermédiaires superposés qui prélèvent chacun une commission défrayée en partie par le consommateur et en partie par le producteur. De plus, pendant le voyage qui s'effectue souvent dans des conditions défectueuses d'hygiène et d'alimentation, l'animal subit     une perte de poids sensible.

 

Nous pourrions signaler une foule d'entreprises coopératives qui existent déjà dans le Québec, notamment celle des Producteurs de Miel [sic], celle des Producteurs de sucre et de sirop d'érable. Elles ont rendu des services inappréciable aux producteurs de la Providence [sic] et en plusieurs cas, elles ont réhabilité un commerce ou une industrie en train de péricliter. Il y aurait encore place pour un nombre indéfini d'organismes spécialisés qui mettraient   un peu plus d'ordre dans une telle branche de la production agricole.

 

Pour donner plus de force et plus d'ampleur à ces coopérati­ ves groupant différentes caté­gories de producteurs, il faut leur superposer un organisme de soudure sous forme de fédé­ration. Cet organisme s'occuperait de trouver des débouchés, d'effectuer les ventes   pour le compte des sociétés locales, d'encourager la sélection des produits, de faire de la publici té, d'une façon générale de coordonner et d'orienter les efforts. En outre, il servirait de bureau d'achat pour le compte des sociétés locales. En groupant les commandes et en traitant directement avec les fabricants, il obtiendrait des escomptes appréciables sur l'achat d'engrais chimiques et alimentaires, de machines aratoires, d'une façon générale des articles de grande consommation à la ferme.

 

Le but de la coopération, c'est d'atteindre directement le consommateur. L'organisation des producteurs ne peut à elle seule donner ce résultat. Le corollaire naturel de la coopération de production, c'est la coopération de consommation. Elle est la réplique ou, pour mieux dire, la contre-partie à la ville de ce qui existe à la campagne.

 

Les denrées de grande consommation sont de nos jours sujettes à monopole. Nous avons signalé au passage le trust de la laiterie et le trust de la boucherie; nous aurions pu mentionner ceux de la boulangerie, du combustible, du vêtement. Par conséquent, pour satisfaire nos besoins primaires comme l'alimentation, le chauffage, le vêtement, nous dépendons du bon vouloir de quelques grosses entreprises qui pourraient, s'il leur en prenait fantaisie, nous mettre à la diète et qui, en tout cas nous exploitent odieusement. C'est en vain qu'on crie à l'injustice et qu'on réclame la protection des pouvoirs publics. L'organisation des citadins en sociétés coopératives de consommation est le seul et unique moyen de renverser la dictature des monopoles. Le reste n'est que verbiage ou politicaillerie.

 

Qu'il s'agisse de production, de transformation, de vente ou de consommation, la coopération jouera dans un avenir prochain un rôle de premier plan dans l'organisation économique de Québec, car elle est la formule économique de l'avenir.

 

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Source : Gérard FILION, « L'expansion du mouvement coopératif », dans Le Devoir, Supplément, le 16 février 1935, p. 6. Article transcrit par Nicolas Tran. Révision par Claude Bélanger.

 

 

 
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