Quebec History Marianopolis College


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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Écrits des Jeune-Canada

 

Qui sauvera Québec

Avant-propos

 

 

Certains mots ont un magique pouvoir d'évocation. Exprimant une idée-force -- un mythe, dirait Georges Sorel -- il semble qu'ils possèdent un dynamisme, une logique internes, et qu'une fois lâchés ils évoluent de par leur propre force.

 

Ainsi du mot sécession lancé par les Jeune-Canada à leur dernière assemblée. Il s'agissait pour eux, sinon d'un vague avenir, du moins d'un avenir lointain. Les applaudissements de quinze cents auditeurs enthousiastes et, surtout, l'interprétation fantaisiste donnée à leur pensée par certains journalistes ont quelque peu faussé le sens de leur manifestation.

 

En voici la portée précise :

 

La conférence interprovinciale s'en vient, qui constitue pour notre petit peuple un danger indiscutable. La constitution du Canada doit être modifiée : mais dans quel sens le sera-t-elle ?

 

Tout compte fait, il nous apparaît qu'on tentera de centraliser les pouvoirs. Or, cela détruit le sens de la Confédération, et cela risque de mutiler nos droits. Nous devons donc exiger la décentralisation ; par elle, au coeur de la Confédération, notre nation en arrivera au plein épanouissement d'elle-même. La sécession, c'est-à-dire la possession sans partage de l'autonomie politique, serait l'idéal, et nous avons le droit d'y tendre. Mais la réalité nous prouve que, pour le moment, à moins d'événements graves et imprévus, c'est une solution chimérique.

 

Posons toutefois l'alternative et demandons-nous si nous avons de notre idéal national « une conception suffisamment nette, riche et forte, ou bien pour l'imposer à nos concitoyens de langue anglaise dans le cadre de la Confédération, ou bien pour en vivre, comme État canadien-français, advenant la sécession ? » -- Un bref examen de la situation nous oblige à répondre : non, cette préparation nécessaire, nous ne l'avons pas.

 

QUI SAUVERA QUÉBEC? -- L'ÉDUCATION NATIONALE.

 

On nous réplique:

 

« Le monde entier réclame une législation sociale. Une telle législation suppose la centralisation des pouvoirs. En exigeant la décentralisation, vous travaillez contre l'intérêt général, vous vous opposez au progrès du Canada at large. »

 

-- Faux. Qu'on relise à ce sujet le discours de Paul Simard; qu'on médite certaines pages de M. Esdras Minville. (Par exemple, dans l'Action nationale de juin 1934.)

 

JAMAIS UNE LÉGISLATION SOCIALE ADOPTÉE POUR TOUT LE CANADA NE SATISFERA AUX BESOINS DE LA NATION CANADIENNE-FRANÇAISE. Des moeurs différentes, un tempérament collectif différent nécessitent une législation différente.

 

Vous supposez qu'Ottawa édictera des mesures d'exception en notre faveur ? Mon ami, lisez votre histoire. Rappelez-vous qu'en ce pays, s'il y a eu tolérance, jamais la tolérance n'a cessé d'être unilatérale. Ottawa est un prince d'allures fort suspectes.

 

D'ailleurs, si des mesures d'exception sont prises -- et elles sont absolument nécessaires - pourquoi voudrait-on qu'elles nous soient imposées par une majorité qui nous connaît mal ? Croyez-vous notre dégénérescence si avancée qu'une législation imaginée par des étrangers serait plus juste, répondrait plus adéquatement à nos besoins, qu'une législation que nous nous donnerions nous-mêmes ?

 

Travailler pour le bénéfice d'une partie -- sans s'attaquer au tout : car nous n'avons jamais songé à imposer nos lois au Canada anglais -- d'après vous, ce serait travailler contre le tout ?

 

Voilà une philosophie joliment boiteuse.

 

Le fait français au Canada, c'est peut-être un fait embarrassant pour les autres. N'importe ! c'est un fait. On ne s'en évade pas.

 

*    *    *    *    *

 

On dit encore :

 

« Exiger la décentralisation, à l'heure actuelle, c'est faire le jeu de M. Taschereau et de la dictature financière que son régime représente. »

 

Première réponse : les puissances d'argent font peser sur Ottawa une influence non moins désastreuse. Qu'on se rappelle l'incident Stevens.

 

Seconde réponse : l'objection vaudrait si nous nous contentions de demander la décentralisation. Il nous semble -- et nos amis auront bonne mémoire -- que nous avons plus d'une fois réclamé l'assainissement de la morale publique (cf. « Politiciens et Juifs » et notre série d'assemblées sur les trusts).

 

Notre contradicteur est d'ailleurs en contradiction avec lui-même. Ou bien, en même temps qu'une législation sociale, il réclame un changement radical dans nos moeurs politiques, ou bien il suppose que la seule adoption d'une législation sociale transformera les coeurs.

 

Dans le premier cas, il se place sur le même terrain que nous, et nous avons prévu ses objections subséquentes. Dans le second cas, il fait un rêve puéril, et nous lui rappelons que les institutions -- quand elles sont justes et raisonnables -- valent ce que valent les hommes.

 

En d'autres termes :

 

La décentralisation, dans l'intérêt du Canada français, et, par ressaut, du Canada tout entier, est une mesure nécessaire, une mesure de bon sens et de justice; son obtention est la condition préalable de la grandeur du Canada français.

 

Mais, pas plus qu'une saine législation sociale, la décentralisation ne fera de miracles. Il faudra porter le couteau ailleurs.

 

Nous sommes jeunes : on nous l'a répété, avec des intentions plus ou moins obligeantes. Cela nous permet d'ajouter : nous ne travaillons pas pour aujourd'hui, mais pour demain. Une assemblée ne change pas en deux temps la face du monde. Mais une pensée féconde, installée dans le cerveau d'une génération d'adolescents, peut préparer l'avenir d'une nation.

 

Nous avons mis notre espoir dans la merveilleuse armée des hommes et des femmes qui forment notre jeunesse. Nous l'avons fait sans aigreur, ce qu'on a reconnu.

 

Nous répétons, avec le même accent d'espérance : éducateurs canadiens-français, vous tenez notre sort entre vos mains.

 

Nous publions, avec quelques retouches de détail, le texte des discours prononcés au Monument National, le trois décembre dernier.

 

Pour donner à nos lecteurs une impression plus directe de notre assemblée et pour montrer dans quel sens le public s'est ému, nous signalons les réactions de la foule : commentaire fort utile pour nos amis de l'extérieur ainsi que pour les observateurs de toutes tendances; et nos auditeurs pourront revivre, par le souvenir, une heure ardente passée en commun.

 

LES JEUNE-CANADA

 

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Source : Les Jeune-Canada, « Qui sauvera Québec ? Avant-propos », Les Cahiers des Jeune-Canada, No 3, Qui sauvera Québec ? Montréal, Imprimerie populaire, 1935, 84p., pp. 3-7

 

 

 

 
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