Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

Assemblées des Jeune-Canada

 

Assemblée des Jeune-Canada dans la paroisse

Sainte-Clothilde, le 12 février 1934

 

Logiques avec eux-mêmes, les Jeune-Canada n'ont pas institué de trust d'assemblées au centre de la ville, mais ils les multiplient aussi bien à la périphérie. Hier soir ils sont allés sur le front sud-ouest, dans la paroisse de Sainte-Clotilde. L'assemblée était organisée par le Cercle d'études sociales Le Caron et M. l'abbé Auguste Lapalme, auteur de volumes sur l'enseignement, était président d'honneur. MM. Paul-Émile Champagne, président du Cercle, et Barthélemy Giroux, membre, représentaient officiellement le Cercle. L'atmosphère d'une salle d'école de la périphérie de la ville n'est pas tout à fait la même que celle d'une salle du centre.

 

Les assistants ont toutefois manifesté à plusieurs reprises par leurs applaudissements leur entière approbation des dénonciations des trusts de l'électricité et de la gazoline en particulier, et de la nécessité de réveiller la conscience nationale des Canadiens francais.

 

M. Paul Simard, qui a traité du trust de la gazoline, a conseillé aux garagistes libres de s'unir s'ils ne veulent pas se faire manger la laine sur le dos. Vous savez, dit-il, le beau projet que caresse le comité exécutif: établissement de postes de ravitaillement d'essence à Montréal "selon que le comité exécutif le jugera", ce qui veut dire que si Baptiste ne peut pas payer à tel échevin, à tel membre de l'exécutif ou à la caisse électorale municipale telle somme supérieure à celle qu'offre le trust, fini son poste. Si les garagistes libres veulent vivre, ils doivent s'unir sans tarder.  

M. Barthélemy Ciroux

 

M. Barthélemy Giroux a souhaité la bienvenue aux quatre valeureux Jeune-Canada: MM. Pierre Dagenais, Georges-Étienne Cartier, Paul Simard et André Laurendeau, la même équipe qu'à la célèbre assemblée du 13 novembre au Gesù, à l'exception de M. Dagenais. M. Giroux a ajouté en hommage à M. l'abbé Lapalme que celui-ci à été un précurseur des oeuvres de jeunesse, catholique et française comme celles de l'A.C.J.C., de la J.O.C., du Jeune-Canada et d'autres. Il félicite le Devoir, l'Action Catholique et le Droit, entre autres journaux libres, de lutter pour la religion et la patrie. Il insiste sur le sens national à acquérir; sur la nécessité de former de vrais Canadiens. Les descendants des premiers occupants du sol canadien ne doivent pas être les moins considérés ici...

 

M. Pierre Dagenais

 

Les Jeune-Canada, dit M. Pierre Dagenais, premier orateur de son groupe, ne limitent pas leur action à la propagande contre les trusts.

 

C'est là un moyen seulement d'atteindre le but: réveiller la conscience nationale des Canadiens français. Nous avons lutté l'an dernier en faveur de la monnaie bilingue, des traductions françaises au fédéral, d'une juste représentation de nos compatriotes dans le haut fonctionnarisme, etc. Le présent nous prêche la lutte pour assurer l'avenir. Nous en sommes rendus à un point où quiconque ne sacrifie pas ses opinions personnelles afin de se ranger du côté du plus fort, risque 99 fois sur 100 de se faire boycotter dans quelque domaine que ce soit.

 

Lorsque nous avons abordé la question des trusts, certains personnages, non des moindres, ont mis une spontanéité et une amertume vraiment remarquables à nous répondre. Serait-ce, que le chapeau leur allait ? Un quotidien de Québec, qui prêche le respect de ce qu'on appelle "l'ordre établi", disait récemment que le gouvernement ne peut trouver en un jour des remèdes à un mal invétéré. S'il y a "mal invétéré", pourquoi nous reprocher de l'avoir signalé à l'attention publique? Si le mal est invétéré, C'est peut-être qu'on a négligé trop longtemps de s'en occuper.  

Sophisme

 M. Dagenais se demande ensuite si le journaliste d'un journal du matin de Montréal a été parfaitement honnête, l'autre jour, en accolant le nom de Chalifoux à celui des Jeune-Canada et s'il l'a été davantage en faisant un relevé des actions ordinaires détenues par des évêchés, des séminaires, des communautés religieuses, des fabriques paroissiales, dans le but de prouver que s'il y a des trustards dans le fait et des com plicités dans le fait, il y a aussi des complicités après le fait parmi les actionnaires haut mentionnés. C'est là mêler les cartes d'une façon dangereuse et fausse. L'auteur de l'article connaissait mieux que d'autres ce savant sophisme. D'ailleurs, mesdames et messieurs, nous ne voulons pas paraître plus radicaux que nous le sommes, nous admettons que le trust peut être une bonne formule économique. Le principe de réunir des capitaux pour permettre de produire ou de vendre plus considérablement et à meilleur marché, par l'abaissement des frais généraux et l'utilisation des sous-produits, n'est pas condamnable en soi. Logiquement, il doit abaisser le coût de la vie. Les Jeune-Canada ne s'attaquent pas aux monopoles des liqueurs, de la frappe de la monnaie, de la poudre à canon. Ces trusts sont régis par l'Etat et assurent l'ordre et la sécurité publique. C'est-à-dire qu'il y a une bonne formule du trust comme il y en a une mauvaise.  

M. Cartier

M. Cartier parle d'une mauvaise formule de trusts, celle de l'électricité dans notre province. Il rappelle les dizaines de millions distribués en 1926, notamment, et encore en 1932, aux actionnaires en dividendes. Une compagnie d'utilité publique a-t-elle le droit de faire des profits aussi considérables en plumant le pauvre ? Ne doit-elle pas, au contraire, réduire ses taux ? Il établit que Ontariens paient moins cher en moyen­ne l'électricité que les Québécois. La solution ? Soumettre le monopole au contrôle sévère de l'Etat, étatiser ou municipaliser, ou mieux, créer une commission hydro-électrique qui aménagerait les chutes nouvelles et pourrait faire concurrence au trust électrique présent, surtout dans les grands centres. Si l'électrification rurale est aussi en retard, c'est à cause des trusts eux­-mêmes qui ne songent pas tant au bien public qu'aux profits immédiats. M. Cartier parle ensuite de la Commission fantôme des Services publics.

 

M. Simard

 

Les automobilistes, les   fermiers de l'Ouest, les pêcheurs de la Gaspésie, les cultivateurs du Québec, les marchands-livreurs, sont tous intéressés vivement à la réduction des prix de la gazoline, dit M. Si­mard en débutant. Mais il y a un trust de la gazoline en ce sens que, nombre de compagnies obéissent aveuglément aux prix que stipule l'Impérial 0il. La gazoline roumaine pourrait se vendre ici à 18 Cents le gallon, si des particuliers pouvaient l'importer. Mais le gouvernement fédéral protège trop les trusts. La preuve ? Pour empêcher l'entrée au pays de la gazoline roumaine, il impose un droit de 9cts le gallon, à la demande du trust, supprimant ainsi la marge de concurrence (Cette déclaration de M. Simard est tellement foudroyante, qu'un homme s'écroule sur le plan­cher. Sa chaise a faibli).

 

C'est ensuite à ce moment que M.Simard parle du projet du co mité exécutif au sujet du nombre des postes de ravitaillement d'essence. L'Imperial Oil, qui fait à elle seule 65% du commerce de la gazoline au Canada, fait la pluie et le beau temps. M.Simard énumère ensuite les divers mouillages du capital de l'Imperial Oil depuis 1915. Si   le prix de la gazoline baissait de 4 sous, les compagnies ne seraient pas menacées et les consommateurs épargneraient $24,000,000 par année. II faut que les représentants du peuple à l'avenir ne soient pas que les pantins des trustards. Commencez vous-mêmes, Messieurs, par ne pas ve ndre votre vote. Autrement pourrez-vous reprocher à votre député ou échevin de vendre le sien à son tour ?  

M. Laurendeau

 

M. André Laurendeau déplore l'illogisme des autorités de notre province qui - du moins jusqu'au 1er janvier dernier - laissaient vendre le journal communiste La vie ouvrière, journal démolisseur, à côté d'un journal comme le Devoir, qui prend la défense des nôtres depuis sa fondation, qui est né même pour nous défendre. En passant, M. Laurendeau fait un émouvant appel en faveur de notre journal et l'assemblée applaudit chaleureusement. Nous vivons sous un régime de trusts, dit M. Taschereau [sic]. Nous sommes exploités honteusement. C'est la dictature. A Cuba, la dictature économique régnait. On sait ce qui est arrivé. M. Georges Pelletier nous a donné de brillantes leçons de ce bouleversement dans le Devoir, il y a quelque temps.

 

Nous ne sommes pas révolutionnaires, mais des réactionnaires de droite. S' il y a révolution, ce seront les trustards qui l'auront voulue, provoquée. Ces gros seigneurs sont à la veille d'être cocufiés. Ils ont trop flirté avec la propriété d'autrui, ils perdront la propriété tout court. Nous défendons le vrai capitalisme.

 

Danger social, le trust est aussi un danger national. La majorité des actions sont. Aux mains d'étrangers et presque la moitié des profits dans la gazoline s'en va à la Standard Oil of New Jersey. Non seulement nous avons la dictature économique mais nous avons la dicta­ture étrangère. Aujourd'hui, tout est centralisé: les avocats sont devenus des salariés quand ce n'est pas des crève-la-faim. Les journaux sont muselés. Un journal li­bre qui veut le demeurer comme le Devoir, voit ses contrats d'annonces de marchands de charbon résiliés par le seul fait qu'il fait campagne contre le trust. Une feuille qui ne tronque pas la vérité a de la misère à vivre. Il faut réagir. Un jour, le sentiment populaire se révoltera, si nous ne commençons pas maintenant à changer par la douceur l'ordre établi. On fera des trustards ce que l'Allemagne a fait des Juifs. La révolution est parfois un mal nécessaire. Nous voulons qu'elle soit évitée, mais. nous ne promettons pas de pouvoir l' étouffer. Notre peuple n'est pas né pour l'esclavage. Gare à ses sursauts. Des La Fontaine, des Bourassa nous on défendus et nous défendent encore. Il faut suivre leurs directives.  

M. l'abbé Lapalme

M. l'abbé Lapalme prend la parole et félicite les jeunes de ne pas se laisser griser par les doctrines de libéralisme politique et économique. L'avenir est sombre, mais les Jeune-Canada nous font espérer mieux. Ils nous invitent à l'action, à l'éducation quotidienne de notre sens national: il faut suivre leur enseignement; délivrons-nous de nos chaînes.

 

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Source : Compte-rendu publié dans Le Devoir, le 13 février 1934, p. 8. Article transcrit par Nicolas Tran. Revision par Claude Bélanger.

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College