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23 August 2000


Documents sur le libéralisme, l'Église catholique et les élections / Documents on the Catholic Church, Liberalism and elections, 1875

Lettre Pastorale des évêques de la Province ecclésiastique de Québec sur le libéralisme et les élections, 22 septembre 1875.

[22 septembre 1875]

NOUS, PAR LA MISÉRICORDE DE DIEU ET LA GRACE DU SAINT-SIÈGE APOSTOLIQUE, ARCHEVÊQUE, ÉVÊQUES, ET ADMINISTRATEUR DE LA PROVINCE ECCLÉSIASTIQUE DE QUÉBEC,

Au clergé séculier et régulier, et à tous les fidèles de la dite Province, Salut et Bénédiction en Notre Seigneur.

Pour remplir notre devoir de Pasteurs, Nous venons, Nos Très Chers Frères, vous adresser la parole sur plusieurs questions très importantes que diverses circonstances ont fait surgir.

I

POUVOIRS DE L'ÉGLISE.

Quiconque veut être sauvé, dit le Symbole de Saint Athanase, doit tenir la foi catholique; quicumque vult salvus esse, necesse est ut teneat catholicam fidem. Et pour arriver à la connaissance certaine de cette foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu ; sine fide impossibile est placere Deo (Héb. XI, 6.), il faut écouter l'Église dans laquelle Jésus-Christ lui-même enseigne et hors de laquelle on ne peut trouver qu'erreur, doute et incertitude, car elle est l'Église du Dieu vivant, la colonne et le soutien de la vérité ; Ecclesia Dei vivi, columna et firmamentum veritatis (I. Tim. III. 15). Elle a reçu mission d'enseigner à toutes les nations tous les commandements de Jésus-Christ ; Docete omnes gentes servare omnia quaecumque mandavi vobis (Matth. XXVIII. 20.).

Pour remplir cette sublime et difficile mission, il fallait que l'Église fût constituée par son divin fondateur sous forme de société parfaite en elle-même, distincte et indépendante de la société civile.

Une société quelconque ne peut subsister si elle n'a des lois, et par conséquent des législateurs, des juges et une puissance propre de faire respecter ses lois; l'Église a donc nécessairement reçu de son fondateur, autorité sur ses enfants pour maintenir l'ordre et l'unité. Nier cette autorité, ce serait nier la sagesse du Fils de Dieu. Subordonner cette autorité à la puissance civile, ce serait donner raison à Néron et à Dioclétien contre ces millions de chrétiens qui ont mieux aimé mourir que de trahir leur foi ; ce serait donner raison à Pilate et à Hérode contre Jésus-Christ lui-même !

Non seulement l'Église est indépendante de la société civile, mais elle lui est supérieure par son origine, par son étendue et par sa fin.

Sans doute, la société civile a sa racine dans la volonté de Dieu, qui a réglé que les hommes vivraient en société; mais les formes de la société civile varient avec les temps et les lieux; l'Église est née du sang d'un Dieu sur le Calvaire, elle a reçu directement de sa bouche son immuable constitution et nulle puissance sur la terre ne peut en altérer la forme.

Une société civile n'embrasse qu'un peuple ; l'Église a reçu en domaine la terre entière ; Jésus-Christ lui a donné mission d'enseigner toutes les nations ; docete omnes gentes (Matth. XXVIII. 20.); l'État est donc dans l'Église et non pas l'Église dans l'État.

La fin de l'Église est le bonheur éternel des âmes, fin suprême et dernière de l'homme ; la société civile a pour fin le bonheur temporel des peuples. Par la nature même des choses, la société civile se trouve indirectement, mais véritablement, surbordonnée ; car non seulement elle doit s'abstenir de tout ce qui peut mettre obstacle à la fin dernière et suprême de l'homme, mais encore, elle doit aider l'Église dans sa mission divine et au besoin la protéger et la défendre. Et d'ailleurs n'est-il pas évident que le bonheur même temporel des peuples dépend de la vérité, de la justice, de la morale et par conséquent, de toutes ces vérités dont le trésor est confié à l'Église ? L'expérience des cent dernières années nous apprend qu'il n'y a plus ni repos, ni stabilité, pour les peuples qui ont secoué le joug de la religion dont l'Église est la seule véritable gardienne.

Cette surbordination n'empêche point que ces sociétés ne soient distinctes à cause de leurs fins, et indépendantes chacune dans sa sphère propre. Mais du moment qu'une question touche à la foi ou à la morale ou à la constitution divine de l'Église, à son indépendance, ou à ce qui lui est nécessaire pour remplir sa mission spirituelle, c'est à l'Église seule à juger, car à elle seule Jésus-Christ a dit : Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre... Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie... Allez donc enseigner toutes les nations... Celui qui vous écoute m'écoute moi-même, et celui qui vous méprise me méprise, et celui qui me méprise, méprise celui qui m'a envoyé... Celui qui n'écoute pas l'Église mérite d'étre considéré comme un païen et un publicain, c'est-à-dire, comme indigne d'être appelé son enfant. (S. Matth. XXVIII. 18 et 19 ; S. Jean XX. 21 ; S. Matth. XVIII. 17.)

Mais en revendiquant ainsi les droits de l'Église catholique sur ses enfants, nous ne prétendons nullement envahir ou entraver les droits civils de nos frères séparés, avec lesquels nous serons toujours heureux de conserver les meilleurs rapports dans l'avenir, comme dans le passé. Les principes que nous exposons ne sont pas nouveaux; ils sont aussi anciens que l'Église elle-même. Si nous les rappelons aujourd'hui, c'est que certains catholiques paraissent les avoir mis en oubli.

II

CONSTITUTION DE L'ÉGLISE

Le pouvoir de législater et de juger dans l'Église existe au suprême degré dans le Souverain Pontife, le successeur de saint Pierre, à qui Jésus-Christ a confié les clefs du royaume des cieux et ordonné de confirmer ses frères.

Les Conciles généraux convoqués, présidés et confirmés par le Pape, ont ce même pouvoir.

Les Évêques ont été établis par le Saint-Esprit pour régir l'Église de Dieu ; Spiritus Sanctus posuit Episcopos regere Ecclesiam Dei (Act. XX. 28.) ; ils ont dans leurs diocèses respectifs pouvoir d'enseigner, de commander, de juger ; pouvoir néanmoins subordonné à celui du chef de l'Église, en qui seul réside la plénitude de la puissance apostolique et l'infaillibilité doctrinale. Prêtres et laïques doîvent aux Évêques la docilité, le respect et l'obéissance.

Chaque prêtre, à son tour, lorsqu'il a reçu de son Évêque la mission de prêcher et d'administrer les secours spirituels a un certain nombre de fidèles, a un droit rigoureux au respect, à l'amour et à l'obéissance de ceux dont les intérêts spirituels sont confiés à sa sollicitude pastorale.

Tel est le plan divin de cette Église catholique que JésusChrist a revêtue de sa puissance ; telle est cette Hiérarchie Ecclésiastique qui, dans son ensemble admirable, nous montre une société parfaitement organisée et capable d'atteindre sûrement sa fin, qui est le salut éternel de chacun de ses innombrables enfants, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation ; ex omni tribu, et lingua, et populo et natione (Apoc. V. 9.).

III

LE LIBÉRALISME CATHOLIQUE

Le libéralisme catholique, dit Pie IX, est l'ennemi le plus acharné et le plus dangereux de la divine constitution de l'Église. Semblable au serpent qui se glissa dans le paradis terrestre pour tenter et faire déchoir la race humaine, il présente aux enfants d'Adam l'appât trompeur d'une certaine liberté, d'une certaine science du bien et du mal; liberté et science qui aboutissent à la mort. Il tente de se glisser imperceptiblement dans les lieux les plus saints ; il fascine les yeux les plus clairvoyants; il empoisonne les coeurs les plus simples, pour peu que l'on chancelle dans la foi à l'autorité du Souverain Pontife.

Les partisans de cette erreur subtile concentrent toutes leurs forces pour briser les liens qui unissent les peuples aux Évêques et les Évêques au Vicaire de Jésus-Christ. Ils applaudissent à l'autorité civile chaque fois qu'elle envahit le sanctuaire; ils cherchent par tous les moyens à induire les fidèles à tolérer, sinon à approuver, des lois iniques. Ennemis d'autant plus dangereux que souvent, sans même en avoir la conscience, ils favorisent les doctrines les plus perverses, que Pie IX a si bien caractérisées en les appelant une conciliation chimérique de la vérité avec l'erreur.

Le libéral catholique se rassure, parce qu'il a encore certains principes catholiques, certaines pratiques de piété, un certain fond de foi et d'attachement à l'Église, mais il ferme soigneusement les yeux sur l'abîme creusé dans son coeur par l'erreur qui le dévore en silence. Il vante encore à tout venant ses convictions religieuses et se fâche quand on l'avertit qu'il a des principes dangereux ; il est peut-être sincère dans son aveuglement, Dieu seul le sait! Mais à côté de toutes ces belles apparences, il y a un grand fond d'orgueil qui lui laisse croire qu'il a plus de prudence et de sagesse que ceux à qui le Saint-Esprit donne mission et grâce pour enseigner et gouverner le peuple fidèle : on le verra censurer sans scrupule les actes et les documents de l'autorité religieuse la plus élevée. Sous prétexte d'enlever la cause des dissensions et de concilier avec l'évangile les progrès de la société actuelle, il se met au service de César et de ceux qui inventent de prétendus droits en faveur d'une fausse liberté; comme si les ténèbres pouvaient coexister avec la lumière et comme si la vérité ne cessait pas d'être la vérité dès qu'on lui fait violence, en la détournant de sa véritable signification et en la dépouillant de cette immutabilité inhérente à sa nature !

En présence de cinq brefs apostoliques qui dénoncent le libéralisme catholique comme absolument incompatible avec la doctrine de l'Église, quoiqu'il ne soit pas encore formellement condamné comme hérétique, il ne peut plus être permis en conscience d'être un libéral catholique.

IV

LA POLITIQUE CATHOLIQUE.

Un des plus puissants génies qui aient paru sur la terre, Saint Thomas d'Aquin, a défini la loi en général: « Quaedam rationis ordinatio ad bonum commune et ab eo qui curam communitatis habet, promulgata. La loi est un règlement dicté par la raison pour le bien commun, et promulgué par celui qui a le soin de la société. »

L'Église catholique reconnaît dans cette courte définition tous les traits d'une politique chrétienne.

Le bien commun en est la fin unique et suprême.

La raison doit être la source de la loi. La raison, c'est-à-dire, la conformité des moyens à employer, non seulement avec la fin à atteindre, mais aussi avec la justice et la morale ; la raison, et non pas l'esprit de parti, non pas l'intention de se maintenir au pouvoir, non pas la volonté de nuire au parti opposé.

L'autorité qui impose la loi est ici admirablement définie. Le Saint-Esprit nous la représente souvent comme portant le glaive et prête à frapper quiconque refuse de lui rendre honneur, crainte et tribut; c'est ainsi qu'elle doit apparaître aux peuples, comme ministre des vengeances de Dieu contre ceux qui font le mal; Dei minister est, vindex in iram ci qui malum agit (Rom. XIII, 4.). Mais notre Saint Docteur considérant l'autorité dans la personne qui en est revêtue, lui trace ses devoirs en même temps qu'il définit ses droits : « A vous, ô princes, ô législateurs, a été confié le soin de la société; qui curam societatis habet: ce n'est pas pour contenter votre ambition, votre soif des honneurs et des richesses, que l'autorité vous a été donnée : c'est une charge, une obligation, un devoir qui vous est imposé. »

Politique vraiment divine! Oh ! qu'elle laisse bien loin derrière elle, cette fausse et souverainement déraisonnable politique, qui fait des plus graves intérêts d'un peuple comme un jouet d'enfant avec lequel des partisans aveugles cherchent à s'amuser, à s'enrichir, à se supplanter mutuellement!

Loin de nous la pensée de méconnaître les avantages du régime constitutionnel considéré en lui-même, et, par conséquent, l'utilité de ces distinctions de partis, qui se tiennent les uns les autres en échec pour signaler et arrêter les écarts du pouvoir. Ce que nous déplorons, ce que nous condamnons, c'est l'abus que l'on en fait; c'est la prétention que la politique, réduite aux mesquines et ridicules proportions d'intérêts de parti, devienne la règle suprême de toute administration publique, que tout soit pour le parti et rien pour le bien commun; rien pour cette société dont on a le soin. Ce que nous condamnons encore, c'est que l'on se permette de dire et d'oser tout ce qui peut servir au triomphe d'un parti. Prêtez l'oreille à mes paroles, dit le Saint-Esprit (Sagesse VI), vous qui gouvernez la multitude, considérez que vous avez reçu la puissance du Très-Haut, qui interrogera vos oeuvres, scrutera même vos pensées ; parce qu'étant les ministres de son royaume, vous n'avez pas gardé la loi de la justice, ni marché selon sa volonté. Aussi viendra-t-il à vous d'une manière effroyable pour vous juger avec une extrême rigueur.

V

LE RÔLE DU CLERGÉ DANS LA POLITIQUE

Des hommes qui veulent vous tromper, Nos Très Chers Frères, vous répètent que la religion n'a rien à voir dans la politique ; qu'il ne faut tenir aucun compte des principes religieux dans la discussion des affaires publiques; que le clergé n'a de fonctions à remplir qu'à l'Église et à la sacristie et que le peuple doit en politique pratiquer l'indépendance morale !

Erreurs monstrueuses, Nos Très Chers Frères, et malheur au pays où elles viendraient à prendre racine ! En excluant le clergé, on exclut l'Église, et en mettant de côté l'Église, on se prive de tout ce qu'elle renferme de salutaire et d'immuable: Dieu, la morale, la justice, la vérité, et quand on a fait ainsi main basse sur tout le reste, on n'a plus à compter qu'avec la force !

Tout homme qui a son salut à coeur, doit régler ses actes selon la loi divine, dont la religion est l'expression et la gardienne. Qui ne comprendra quelle justice et quelle rectitude règneraient partout, si les gouvernants et les peuples avaient toujours devant les yeux cette loi divine qui est l'équité même, et ce jugement formidable qu'ils auront à subir devant celui au regard et au bras de qui personne ne saurait échapper? Les plus grands ennemis du peuple sont donc ceux qui veulent bannir la religion de la politique; car sous prétexte d'affranchir le peuple de ce qu'ils appellent la tyrannie du prêtre, l'influence indue du prêtre, ils préparent à ce même peuple les chaînes les plus pesantes et les plus difficiles à secouer : ils mettent la force au dessus du droit et ôtent à la puissance civile le seul frein moral qui puisse l'empêcher de dégénérer en despotisme et en tyrannie !

On veut reléguer le prêtre dans la sacristie!

Pourquoi ? Est-ce parce qu'il a puisé dans ses études des notions saines et certaines sur les droits et les devoirs de chacun des fidèles confiés à ses soins? Est-ce parce qu'il sacrifie ses ressources, son temps, sa santé, sa vie même pour le bien de ses semblables ?

N'est-il pas citoyen au même titre que les autres ? Eh quoi ! le premier venu peut écrire, parler et agir; on voit quelquefois affluer vers un comté, ou une paroisse, des étrangers qui viennent pour y faire prévaloir leurs opinions politiques : seul le prêtre ne pourra parler et écrire ! il sera permis à quiconque le veut de venir dans une paroisse débiter toutes sortes de principes, et le prêtre qui est au milieu de ses paroissiens comme un père au milieu de ses enfants, n'aura aucun droit de parler, aucun droit de protester contre les énormités qu'on leur apporte!

Tel qui aujourd'hui crie très fort que le prêtre n'a rien à voir dans la politique, trouvait naguère cette influence salutaire; tel qui nie aujourd'hui la compétence du clergé dans ces questions, exaltait jadis la sûreté des principes que donne à un homme l'étude de la morale chrétienne ! D'où vient ce changement, sinon de ce que l'on sent agir contre soi cette influence que l'on a la conscience de ne plus mériter!

Sans doute, Nos Très Chers Frères, l'exercice de tous les droits de citoyen par un prêtre n'est pas toujours opportun, il peut même avoir ses inconvénients et ses dangers; mais il ne faut pas oublier que c'est à l'Église seule qu'il appartient de donner à ses ministres les instructions qu'elle juge convenables, et à reprendre ceux qui s'en écartent, et les évêques de cette Province n'ont pas manqué à leur devoir sur ce point.

Jusqu'ici nous avons considéré le prêtre comme citoyen et parlant politique en son propre et privé nom, comme tout autre membre de la société civile.

Y a-t-il des questions où l'Évêque et le prêtre puissent, et même quelquefois doivent, intervenir au nom de la religion?

Nous répondrons sans hésitation : Oui, il y a des questions politiques où le clergé peut et même doit intervenir au nom de la religion. La règle de ce droit et de ce devoir se trouve dans la distinction même que nous avons déjà signalée, entre l'Église et l'État.

Il y a en effet des questions politiques qui touchent aux intérêts spirituels des âmes, soit parce qu'elles ont rapport à la foi ou à la morale, soit parce qu'elles peuvent affecter la liberté, l'indépendance ou l'existence de l'Église, même sous le rapport temporel.

Il peut se présenter un candidat dont le programme soit hostile à l'Église, ou bien dont les antécédents soient tels que sa candidature soit une menace pour ces mêmes intérêts.

De même un parti politique peut être jugé dangereux, non seulement par son programme et par ses antécédents, mais encore par les programmes et les antécédents particuliers de ses chefs, de ses principaux membres et de sa presse, si ce parti ne les désavoue point et ne se sépare point définitivement d'eux, dans le cas où ils persistent dans leur erreur après en avoir été avertis.

Dans ces cas, un catholique peut-il, sans renier sa foi, sans se montrer hostile à l'Église dont il est membre, un catholique, peut-il, disons-nous, refuser à l'Église le droit de défendre les intérêts spirituels des âmes qui lui sont confiées ? Mais l'Église parle, agit et combat par son clergé, et refuser ses droits au clergé, c'est les refuser à l'Église.

Alors le prêtre et l'Évêque peuvent en toute justice et doivent en toute conscience élever la voix, signaler le danger, déclarer avec autorité que voter en tel sens est un péché, que faire tel acte expose aux censures de l'Église. Ils peuvent et doivent parler non seulement aux électeurs et aux candidats, mais même aux autorités constituées, car le devoir de tout homme, qui veut sauver son âme, est tracé par la loi divine; et l'Église, comme une bonne mère, doit à tous ses enfants, de quelque rang qu'ils soient, l'amour, et, par conséquent, la vigilance spirituelle. Ce n'est donc point convertir la chaire en tribune politique que d'éclairer la conscience des fidèles sur toutes ces questions où le salut se trouve intéressé.

Sans doute, Nos Très Chers Frères, de semblables questions ne se présentent pas tous les jours ; mais le droit n'en est pas moins certain.

Il est évident, par la nature même de la question, qu'à l'Église seule doit appartenir l'appréciation des circonstances où il faut ainsi élever la voix en faveur de la foi et de la morale chrétienne.

L'on objectera peut-être que le prêtre est exposé comme tout homme, à dépasser la limite qui lui est assignée et qu'alors c'est à l'État à le faire rentrer dans le devoir.

A cela nous répondrons d'abord que c'est faire gratuitement injure à l'Église entière que de supposer qu'il n'y a pas dans sa hiérarchie un remède à l'injustice ou à l'erreur d'un de ses ministres. En effet, l'Église a ses tribunaux régulièrement constitués, et si quelqu'un croit avoir droit de se plaindre d'un ministre de l'Église, ce n'est pas au tribunal civil qu'il doit le citer, mais bien au tribunal ecclésiastique, seul compétent à juger la doctrine et les actes du Prêtre. Voilà pourquoi Pie IX, dans sa bulle Apostolicae Sedis, octobre 1869, déclare frappés d'une excommunication majeure ceux qui obligent directement ou indirectement les juges laïques à citer devant leur tribunal les personnes ecclésiastiques, contre les dispositions du droit canonique.

En second lieu, quand l'État envahira les droits de l'Église, foulera aux pieds ses privilèges les plus sacrés, comme cela arrive en Italie, en Allemagne et en Suisse, ne serait-ce pas le comble de la dérision que de donner à ce même État le droit de bâillonner sa victime

En troisième lieu, si l'on pose en principe qu'un pouvoir n'existe pas, parce qu'il peut arriver que quelqu'un en abuse, il faudra nier tous les pouvoirs civils, car tous ceux qui en sont revêtus, sont faillibles.

 

VI

LA PRESSE ET SES DEVOIRS

Dans notre siècle, la presse joue un rôle dont on ne peut se dissimuler l'importance pour le bien comme pour le mal. L'Église ne saurait demeurer spectatrice indifférente de ces luttes journalières qui se font soit dans les livres, soit dans les journaux. Ces écrits que la presse éternise en quelque sorte et jette aux quatre vents du ciel, sont bien autrement féconds, pour l'édification ou le scandale, qu'une parole presque aussitôt oubliée qu'entendue par un petit nombre d'auditeurs. Honneur et gloire à ces écrivains catholiques qui se proposent avant tout de propager et de défendre la vérité ; qui approfondissent avec un soin scrupuleux les questions importantes qu'ils sont appelés à traiter ! Mais que répondront au Souverain Juge les écrivains pour qui la politique telle qu'ils l'entendent, c'est-à-dire, l'intérêt de leur parti, est la règle suprême ; qui ne tiennent pas compte de l'Église ; qui voudraient faire de cette Épouse du Christ., la vile esclave de César ; qui négligent ou même méprisent les avis de ceux que Jésus-Christ a chargés d'enseigner les vérités de la religion ?

Les devoirs de la presse, tels que tracés par notre dernier Concile de Québec, peuvent se résumer ainsi : 1. Traiter toujours ses adversaires avec charité, modération et respect, car le zèle pour la vérité ne saurait excuser aucun excès de langage ; 2. juger ses adversaires avec impartialité et justice, comme on voudrait être jugé soi-même ; 3. ne point se hâter de condamner avant d'avoir bien examiné toutes choses ; 4. prendre en bonne part ce qui est ambigu ; 5. éviter les railleries, les sarcasmes, les suppositions injurieuses à la réputation, les accusations mal fondées, l'imputation d'intentions que Dieu seul connait.

Ce que l'Église n'a point condamné, on peut bien le combat tre, mais non pas le mal noter.

Quand il s'agit des autorités Écclésiastiques ou Civiles, le langage doit toujours être convenable et respectueux.

Il ne faut pas traduire devant le tribunal incompétent de l'opi nion publique des établissements dont les Évêques sont les protecteurs et les juges naturels.

Ajoutons que le prêtre, et, à plus forte raison, l'Évêque dans l'exercice de son ministère, n'est pas justifiable de l'opinion publique, mais de ses seuls supérieurs hiérarchiques. Si quelqu'un croit avoir droit de se plaindre, il peut toujours le faire devant ceux qui ont droit de lui rendre justice ; du prêtre on peut appeler à l'Évêque, de celui-ci à l'Archevêque et de l'Archevêque au Souverain Pontife ; mais il ne peut jamais être permis de répéter sur les journaux les mille et mille bruits que les excitations politiques fout surgir comme les vagues d'une mer en furie.

Il ne faut pas non plus oublier que si les lois particulières faites par un Évêque n'obligent pas en dehors de son diocèse, les principes qu'il expose dans ses lettres pastorales sont de tous les temps et de tous les lieux. Si quelqu'un, ecclésiastique ou laïque, se croit en droit de ne pas écouter la voix d'un pasteur qui n'est pas le sien, il n'a pas le droit pour cela de le critiquer et de le juger.

VII

DU SERMENT

Le nom de Dieu est saint et terrible (Ps. CX. 9.) ; il ne doit être prononcé qu'avec le plus profond respect, et le Seigneur ne tiendra pas pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu (Exode XX. 7.).

Il est encore écrit dans nos livres saints : Vous ferez serment en disant : Vive le Seigneur ; mais que ce soit avec vérité, avec discrétion, avec justice (Jérémie IV. 2.).

Le serment est un acte de religion, et, par conséquent, il appartient avant tout à l'Église, qui seule a mission pour en définir et en exposer la nature et les conditions.

Dans tout serment il y a deux parties distinctes, 1. l'affirmation de quelque fait, ou de quelque volonté ; 2. l'invocation de Dieu comme témoin de la vérité de ce fait ou de cette volonté. Cette affirmation prend le nom de formule, quand les expressions en sont déterminées par autorité, mais au fond, cette diversité de nom ne change rien à la nature même de cette partie du serment.

Tout dépend de la conformité de cette affirmation ou formule, avec la vérité telle que connue par celui qui prête serinent.

Si l'affirmation ou la formule est vraie dans toutes ses parties, le serment est bon et vrai.

Il y a parjure du moment que dans l'affirmation ou la formule il se trouve quelque chose de faux, connu comme tel par celui qui prête le serment. Quand même dans votre affirmation ou formule, il y aurait un millier de vérités, si vous y mêlez sciemment un seul mot qui ne soit pas vrai, ce seul mensonge suffit pour vous rendre coupable de parjure.

De là il résulte deux conséquences pratiques fort importantes : 1. Avant de prêter serment, il faut bien examiner et comprendre la formule qu'on est appelé à affirmer, de peur qu'il ne s'y trouve quelque chose de contraire à la vérité telle qu'on la connaît; s'il y a quelque chose que l'on ne comprenne pas bien, s'il y a quelque doute, il faut se la faire expliquer et refuser de prêter serment jusqu'à ce que la conscience soit bien formée à ce sujet; autrement, on s'expose à faire un parjure, et, par conséquent, on commet un péché grave.; 2. On ne doit jamais parler de la formule d'un serment, comme d'une chose de peu. d'importance : et nous condamnons absolument la distinction que l'on voudrait faire entre les diverses formules pour en mépriser quelques-unes, ou pour leur donner un sens que ne peuvent comporter les expressions qu'elles renferment. Des paroles claires par elles-mêmes ne souffrent point d'interprétation, comme la lumière n'a pas besoin d'une autre lumière pour être aperçue. Quand une formule dit clairement et formellement que telle chose existe, il n'y a point d'interprétation possible pous lui faire dire que cette chose n'existe point.

En entrant dans l'exercice de leur charge, les fonctionnaires publics sont tenus à prêter ce qu'on appelle un serment d'office. Ils promettent solennellement, en présence du Dieu Tout-puissant, de remplir avec exactitude certains devoirs qui leur sont imposés. Ce n'est pas une vaine formule, une promesse vide de sens, mais une obligation des plus graves et qui dure aussi longtemps que l'on est en office. Ce doit être l'objet d'un examen de conscience spécial et sérieux quand on se prépare à s'approcher des sacrements.

Si l'on doit respecter le serment en soi-même, on ne doit pas moins le respecter dans les autres. Nous saisissons cette occasion pour condamner comme une impiété et une espèce de scandale, la pratique de certains hommes de loi qui, pour les besoins de leur cause, ne craignent point de transquestionner les témoins jusqu'au point de les embrouiller et de les faire contredire et parjurer. Il ne suffit pas qu'une cause soit bonne ; il faut que les moyens employés pour la faire triompher soient conformes aux règles immuables de la vérité, de la justice et de la charité.

VIII

DE LA SÉPULTURE ECCLÉSIASTIQUE

[Note de l'éditeur : la section qui suit aurait été ajoutée au document épiscopal par Monseigneur Taschereau, archevêque de Québec et primat de l'Église catholique du Canada. Elle a été inspirée, de toute évidence, par la querelle qui opposa Mgr Bourget, évêque de Montréal, aux membres de l'Institut Canadien au sujet de la sépulture de Joseph Guibord. Voir Philippe Sylvain et Nive Voisine, Histoire du catholicisme québécois, Vol. 2. Réveil et consolidation, tome 2, 1840-1898, Montréal, Boréal, 501p., p. 379]

La sépulture ecclésiastique n'a pas, sans doute, le même degré de sainteté que les sacrements, mais elle n'en appartient pas moins tout entière et uniquement au jugement de l'Église. Nous voulons parler de la sépulture ecclésiastique telle que définie et réglée par les lois canoniques, c'est-à-dire, non seulement des prières et des rites religieux qui accompagnent les funérailles mais aussi du lieu sanctifié et consacré spécialement par des prières et des bénédictions, pour la sépulture de ceux qui meurent dans la paix de l'Église catholique.

Nulle puissance temporelle ne peut prescrire à l'Église de venir prier sur la tombe d'un mort qu'elle a jugé indigne de ses prières; c'est un attentat sacrilège que de violer par la force la sainteté de la terre consacrée par les prières et les bénédictions de l'Église.

On dira peut-être que la privation des honneurs de la sépulture ecclésiastique emporte une dégradation et une infamie, et qu'ainsi considérée elle est du ressort de l'autorité civile chargée de protéger l'honneur des citoyens.

Nous répondons que le déshonneur et l'infamie sont plutôt dans la révolte d'un enfant contre sa mère et que rien ne peut laver la tache d'une désobéissance grave qui persévère jusqu'à la mort. Tous les procès, tous les appels, toutes les sentences du monde, ne feront que donner un plus grand retentissement à la faute et rendre la dégradation et l'infamie plus notoires et plus déplorables aux yeux des vrais catholiques.

Jésus-Christ, dit l'Apôtre Saint Paul, a aimé son Église et s'est livré lui-même pour elle (Eph. V. 25). A l'exemple de notre Divin Maître et Modèle, rien ne doit nous être plus cher en ce monde que cette même Église, dont nous sommes les membres sous un même chef qui est Jésus-Christ. Elle est notre mère, puisqu'elle nous a engendrés à la vie de la grâce ; nous devons l'aimer d'un amour filial, nous réjouir de ses triomphes, partager ses tristesses et au besoin élever la voix pour la défendre. Quand donc nous voyons sa liberté et sa dignité méconnues, il ne peut être permis à ses enfants, et encore moins à ses pasteurs, de garder un silence qui équivaudrait à une trahison.

La Sainte Église Catholique, fidèle aux enseignements de son Divin Maître, apprend à ses enfants à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu (Matth. XXII. 2l.). Elle leur répète avec le grand Apôtre : Rendez à chacun ce qui lui est dû; le tribut à qui le tribut; l'impôt à qui l'impôt ; la crainte à qui la crainte; l'honneur à qui l'honneur (Rom. XIII, 7.). Ce devoir de justice et de respect qu'elle ne cesse de proclamer, elle a plus que personne le droit d'attendre qu'on l'accomplira à son égard et qu'on rendra à l'Église de Dieu ce qui est à l'Église de Dieu.

Or, Nos Très Chers Frères, nous devons le dire avec douleur, une affaire tristement célèbre nous prouve que l'Église Catholique du Canada est menacée dans sa liberté et ses droits les plus précieux. Et ce qui met le comble à notre affliction, c'est que l'Église peut dire comme le prophète : J'ai nourri des enfants, je les ai comblés de bienfaits et ils m'ont méprisé: filios enutrivi et exaltavi, ipsi autem spreverunt me (Isaïe 1, 2) ! Les premiers auteurs de cet attentat ont été élevés sur les genoux d'une mère catholique, ils se sont assis dans leur enfance à la table sainte; ils ont reçu le caractère ineffaçable de la confirmation, et encore aujourd'hui, malgré leur révolte, ils se disent catholiques; pour avoir le droit de faire ouvrir par la force l'entrée d'un cimetière consacré par les prières de l'Église et destiné par elle à la sépulture de ses enfants fidèles.

Pour déguiser cette usurpation criminelle, on a invoqué les prétendues libertés gallicanes, comme si l'unité catholique fondée par Jésus-Christ sur l'autorité suprême de Pierre et de ses successeurs, n'était qu'un vain nom ! Qu'est-ce en effet qu'une autorité contre laquelle il serait permis au sujet de se pourvoir en invoquant ses libertés ! Quel prince, quelle république voudrait reconnaitre un pareil principe invoqué par une province, malgré les déclarations cent fois répétées de la constitution et des tribunaux suprêmes de l'état ?

Que ceux qui sont en dehors de l'Église, trouvent de pareils principes bons et admirables, nous ne pouvons nous en étonner; car ils ne croient pas à cette autorité qui fait le fondement de l'Église catholique. Mais que des hommes qui osent encore se dire enfants de l'Église, en méconnaissent jusqu'à ce point l'enseignement et la hiérarchie, c'est une inconcevable erreur.

Ceux qui ont commencé, soutenu, ou encouragé par leurs souscriptions, cet inqualifiable attentat contre les droits les plus certains de l'Église, nous les tenons pour coupables d'une révolte ouverte contre l'Église et d'une grave injustice dont ils ne peuvent recevoir le pardon, s'ils ne s'efforcent de la réparer par tous les moyens en leur pouvoir.

Nous invitons tous les véritables enfants de l'Eglise à demander au Coeur divin de Notre Seigneur d'avoir pitié de ceux qui se sont ainsi égarés des sentiers de la foi et de la justice, afin que reconnaissant leur péché et le réparant, ils obtiennent miséricorde.

CONCLUSION

Tels sont, Nos très Chers Frères, les avis importants que nous croyons devoir vous donner dans les circonstances actuelles.

Défiez-vous surtout de ce libéralisme qui veut se décorer du beau nom de catholique pour accomplir plus sûrement son oeuvre criminelle. Vous le reconnaîtrez facilement à la peinture qu'en a faite souvent le Souverain Pontife : 1. Efforts pour asservir l'Église à l'État ; 2. tentatives incessantes pour briser les liens qui unissent les enfants de l'Église entre eux et avec le clergé ; 3., alliance monstrueuse de la vérité avec l'erreur, sous prétexte de concilier toutes choses et d'éviter des conflits ; 4. enfin, illusion et quelquefois hypocrisie, qui sous des dehors religieux et de belles protestations de soumission à l'Église, cache un orgueil sans mesure.

Souvenez-vous que la véritable politique chrétienne n'a qu'un but qui est le bien public, qu'un seul moyen qui est la conformité parfaite des lois avec la vérité et la justice.

Respectez le serment comme un acte religieux de grande importance : avant de le prêter, examinez bien si la formule est vraie en tous points au meilleur de votre connaissance; accomplissez scrupuleusement les devoirs de votre serment d'office et gardez-vous d'induire votre prochain au parjure.

Sera le présent mandement lu et publié au prône de toutes les églises et chapelles de paroisses et de missions où se fait l'office public, le premier dimanche après sa réception.

Donné sous nos signatures, le sceau de l'Archidiocèse et le contreseing du secrétaire de l'Archevêché, le vingt-deux septembre mil huit cent soixante-quinze.

† E. A., Arch. de Québec.

† IG., Év. de Montréal.

† L.-F., Év. des Trois-Rivières.

† JEAN, Év. de St-G. de Rimouski.

† E.-C., Év. de Gratianopolis.

†ANTOINE, Év. de Sherbrooke.

† J. Thomas, Év. d'Ottawa.

L: Z. MOREAU, ptre, Adm. de SaintHyacinthe.

Par Messeigneurs,

C. A. COLLET, prêtre,

Secrétaire.

Source: Mgr H. Têtu et l'abbé C.-O. Gagnon, Mandements, Lettres pastorales et Circulaires des Évêques de Québec. Nouvelle Série. Son Éminence le cardinal Taschereau. Volume premier, Québec, Imprimerie Générale A. Côté et Cie, 1889, 570p., pp. 336-341.

© 2000 Claude Bélanger, Marianopolis College