Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2013

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Compte rendu de l'Appel de la race

 

 

Élie Goulet

 

 

 

Chronologie de la controverse sur l'Appel de la Race

 

GROULX, LIONEL, L'Appel de la Race. 5e édition. Introduction de Bruno Lafleur. Montréal, Fides, [1956]. 21cm. 252pp. $2.

 

 

Il est des oeuvres où souffle l'esprit. Ainsi, L'Appel de la Race qu'Alonié de Lestres publiait en 1922, roman qui provoqua une levée générale de boucliers. Nous n'a­vions pas alors franchi le seuil de l'enfance; mais, lorsque, une décennie plus tard, nous avons découvert le pays des lettres, quelques échos de la bataille s'éveillaient parfois entre les murs vétustes du Séminaire de Québec.

 

Aussi bien, puisque nous lisions L'Appel de la Race pour la première fois, nous l'avons fait, l'esprit libre de préjugés. Et nous avons eu la joie de découvrir une oeuvre grande, belle et forte, où, en une langue ferme, conquérante comme un appel de clairon, l'abbé Lionel Groulx conviait la jeunesse, dont cet éveilleur d'âmes connaissait bien les puissances de dépassement, à ne pas oublier les dures luttes que nos frères de l'Ontario et de l'Ouest soutiennent afin de conserver le droit, droit qui est l'assise principale de la Confédération, d'étudier le français.

 

L'auteur se révèle romancier authentique : dès les premières pages, vit devant nous Jules de Lantagnac, personnalité très attachante. Cet homme cultivé avait peu à peu oublié ses origines canadiennes-françaises : séduit par la culture anglaise, il avait étudié le droit à l'Université McGill, puis était devenu l'avocat de la puis­sante Compagnie de construction Aitkens Brothers. Il avait épousé une Anglaise et leurs quatre enfants portaient les noms de Wolfred, Nellie, Virginia et William. L'écrivain nous peint son héros au moment où il sent refluer en lui le sang vif et prompt de ses vaillants ancêtres. La voix de la terre natale de Saint-Michel de Vaudreuil, où il vient de passer huit jours, a réveillé son patriotisme. Dès lors, Jules de Lantagnac travaille, par tous les moyens, à transformer sa maison en un foyer de culture française. Elu député du comté de Russell, il devient le champion des droits méconnus des minorités canadiennes-françaises. Malgré la menace de son épouse Maud de divorcer s'il parle sur la motion Lapointe, qui condamne la politique ontarienne et réclame justice en faveur des minorités françaises, il pro­nonce en cette occasion le plus beau discours de sa carrière. Maud quittera le foyer, laissant à ses enfants la liberté de choisir entre leur père et elle-même. Wolfred opte avec enthousiasme pour la culture française, et Virginia se fait religieuse afin d'avoir le bonheur d'enseigner le doux parler de France, offrant sa jeunesse à Dieu pour obtenir que ses frères et sœurs ne se fassent pas protestants. Nellie et William suivent leur mère.

Ce résumé ne donne cependant pas justice au roman. Le dialogue entre le Père Fabien et Lantagnac, qui se demande avec angoisse s'il a le devoir de sacrifier son foyer à la cause française, est magnifique. Nous voyons hésiter jusqu'au der­nier moment, cet homme malheureux.

 

Ici entre en cause l'autonomie du romancier. Créateur de ses personnages, il se trouve en présence d'un certain nombre de solutions possibles. L'auteur de notre roman n'a certainement pas choisi le dénouement le moins pénible. Nous éprou­vons une profonde sympathie pour Maud Fletcher, épouse de Jules de Lantagnac et mère de quatre enfants, qui avait choisi avec conviction et en toute bonne foi le catholicisme, au risque de se brouiller définitivement avec les siens. Lantagnac sauve son honneur de patriote canadien-français au prix de son bonheur conjugal : c'est une tragédie. Mais les peuples heureux n'ont pas d'histoire, ni les foyers heu­reux. L'intrigue du roman atteint son sommet dans ce débat cornélien entre la race et le foyer. C'était le droit du romancier de choisir la solution du drame.

 

Une introduction de M. Bruno Lafleur nous présente cette réédition de L'Appel de la Race. C'est un exposé lumineux des arguments que l'on apportait pour ou contre le roman. Il faut louer le critique littéraire de son bel effort d'impartialité, malgré un certain flottement de la pensée, sinon du style.

 

Ce nouvel ouvrage de la Collection du Nénuphar est un enrichissement pour toute bibliothèque, et un hommage à M. le chanoine Lionel Groulx, l'éveilleur d'âmes, qui demeure un maître de la fidélité française!

 

Source : Élie GOULET, « L'Appel de la Race », dans Culture, Vol. XVII, 1956, pp. 323-324.

Retour à la page de la controverse sur l'Appel de la Race

 

 

 
© 2013 Claude Bélanger, Marianopolis College