Histoire de la civilisation occidentaleMarianopolis College
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Dernière mise à jour :
2001-08-20

Documents : Le rationalisme dans l’historiographie et la science grecques

Claude Bélanger,
Département des Sciences humaines,
Marianopolis College.

- I -
Document d’Hippocrate sur la « Maladie Sacrée »

[Note de Claude Bélanger : Hippocrate (c 460-377) est l’un des pionniers de l’observation scientifique en médecine. Il rejette les superstitions et les mythes explicatifs des maladies. Il est à l’origine de la théorie des humeurs (sang, bile, lymphe. Etc., qui doivent être en équilibre si la santé doit être maintenue). Il a écrit plusieurs ouvrages sur la médecine. Sa contribution fut telle qu’à ce jour les médecins doivent prendre le serment d’Hippocrate. La maladie sacrée dont il est fait état dans le document qui suit est l’épilepsie. Les Grecs avaient toujours crû qu’elle était d’origine divine, et donc sacrée. Pour en savoir davantage sur Hippocrate, voir cette courte biographie]

« Il en est ainsi pour ce qui touche à la maladie qu’on appelle Sacrée : elle ne m’apparaît pas plus d’origine divine, et être sacrée, que les autres maladies puisqu’elle a des causes naturelles d’où elle origine comme toutes les autres afflictions. Les hommes n’affirment sa nature et ses causes être d’origine divine que par ignorance et émerveillement, parce qu’elle n’est pas semblable aux autres maladies. Cette notion de l’origine divine de cette maladie n’est perpétuée que par leur incapacité à la comprendre, et par la simplicité de la méthode utilisée pour la guérir, puisque les hommes en sont libérés par des purifications et des incantations. Mais si on affirme son origine divine sur la base qu’elle est étonnante, on devra concéder qu’il y a plusieurs autres maladies qui devraient être sacrées puisque, comme je vais le démontrer, il y en a d’autres qui sont étonnantes et prodigieuses, bien que personne n’imagine qu’elles sont sacrées. [Différentes fièvres] ne m’apparaissent pas moins sacrées et divines quant à leur origine, bien qu’elles ne soient pas reconnues comme étonnantes. Je vois des hommes devenir fous et déments sans qu’aucune cause ne se soit manifestée et faire en même temps plusieurs choses déplacées. J’ai aussi connu plusieurs personnes se lamentant et criant dans leur sommeil, certaines dans un état de suffocation, se levant et se précipitant dehors, privées de la raison jusqu‘à leur réveil, et redevenant par la suite aussi raisonnable et bien qu’auparavant. Et cela, je l’ai vu non seulement une fois mais fréquemment. Il y a plusieurs choses, et d’une grande variété, qui sont ainsi et qu’il serait fatiguant de soulever particulièrement.

« Ceux qui furent les premiers à référer cette maladie aux divinités m’apparaissent comme les magiciens, les purificateurs et les charlatans de nos jours qui se présentent comme excessivement religieux, et comme ayant des connaissances sortant de l’ordinaire. De telles personnes utilisent la nature divine [de la maladie] comme paravent à leur incapacité d’offrir leur aide. Ayant donc affirmé que la maladie est sacrée, en donnant même des raisons pour être de cette opinion, ceux-ci ont institué un mode de traitement qui est sans danger pour eux-mêmes, c’est à dire en faisant des purifications et des incantations, en prohibant les bains et diverses nourritures jugées impropres aux hommes malades. [Suit ici une liste d’aliments prohibés]. Ils ont même interdit de porter des vêtements noirs parce que c’est la couleur de la mort, de dormir sur une peau de chèvre, ou d’en porter une, de mettre un pied sur l’autre, ou une main sur l’autre parce que l’on croit toutes ces choses à l’encontre de la guérison. Toutes ces choses sont faites pour plaire aux divinités […] Si le patient venait à mourir, ils auraient une défense toute faite, puisque les dieux, et non eux, en seraient responsables […].

[…] Mais cette maladie ne m’apparaît pas plus d’origine divine que les autres. Elle a une nature comme les autres maladies et des causes d’où elle provient; cette nature et ces causes ne sont pas plus divines que celles de toutes les autres maladies, et elle n’est non moins guérissable que les autres maladies, à moins que, étant dans un stage trop avancé à cause du laps de temps passé, elle soit confirmée et soit devenue plus forte que les remèdes qu’on peut y apporter. Son origine est héréditaire […] »

Traduction Claude Bélanger de l’anglais, Hippocratic Writings, Great Books of the Western World, Encyclopedia Britannica, 1952, p. 154-155.

 

- II -
Thucydide sur la Guerre du Péloponnèse

[Note de Claude Bélanger : On trouve aussi des exemples du rationalisme grec dans la manière où ils écrivirent l’histoire. Les Grecs ne furent pas les premiers en Occident à se faire les chroniqueurs du passage du temps. Cependant, leurs historiens — Hérodote, Xénophon, Thucydide ou Polybe, spécialement les deux derniers — furent les premiers à vouloir faire de l’histoire scientifique, à développer des méthodes d’investigation, à confronter les témoignages, à demander des preuves, à rejeter les interprétations providentialistes, à vouloir remonter aux vrais causes des événements, à distinguer les causes profondes des causes immédiates, à chercher à mesurer les conséquences, à vouloir dire et faire respecter la vérité. Ils furent donc les premiers à suivre la démarche de l’historien. Les Anciens qui écrivaient l’histoire se préoccupaient peu des causes et expliquaient les événements grâce aux mythes et à l’intervention des divinités. Si on perdait une guerre, c’est qu’on avait offensé les dieux…

Thucydide [c 460-395 anè] est un historien typique de la période classique de la Grèce. C’est un historien ethnocentrique, comme l’étaient les Grecs de son époque. Il n’est intéressé qu’aux événements qui touchent les Grecs. Son Histoire de la guerre du Péloponnèse est un classique de la littérature historique. Selon lui, cette guerre fut la pire à avoir touché l’humanité (ethnocentrisme). Dans son étude, dont un court extrait est donné ici, il fait l’analyse des causes de la guerre et cherche à distinguer entre les causes profondes et les causes immédiates. Pour en savoir davantage sur les historiens grecs de la Grèce ancienne et sur leur méthode, on peut lire : Hérodote et Thucydide : Deux visions de l’histoire ou progrès de l’une à l’autre. ainsi que Thucydides’ Conception of History qui est un examen critique de l’analyse de Thucydide des causes de la guerre du Péloponnèse.]

« La Guerre du Péloponnèse fut longue, d’une longueur démesurée, […] et sans parallèle par les misères qu’elle apporta aux Hellènes. Jamais autant de cités n’avaient été conquises et dévastées, même par les barbares ou par des groupes qui cherchaient à chasser les anciens habitants. Jamais on n’avait vu tant de bannissement, de perte de sang, soit sur les champs de bataille, soit dans les luttes entre factions. Subitement, les vieilles histoires qui nous viennent de la tradition, mais non confirmées par l’expérience, devinrent crédibles. Il y eut des tremblements de terre d’une intensité et d’une violence sans pareilles. Des éclipses du soleil eurent lieu à une fréquence jamais vue historiquement. Il y eut de grandes sécheresses et des famines en résultèrent. Finalement, on vit la plus grande et la plus fatale des calamités : la peste. Tout cela vint avec la guerre commencée par les Athéniens et les Péloponnésiens quand la trêve de Trente Ans fut dissoute après la conquête de l’Eubée. À la question : pourquoi a-t-on brisé la paix? je répond d’abord en discutant des plaintes et des points de divergence des deux côtés, de manière à ce que personne n’ait à se questionner sur les causes immédiates qui plongèrent les Hellènes dans un conflit d’une telle ampleur. Cependant, je considère que la vraie cause n’est pas facilement visible : il s’agit de la croissance du pouvoir d’Athènes et de la crainte qu’inévitablement ce pouvoir causait à Sparte. […]

Traduction de Claude Bélanger, Histoire de la guerre du Péloponnèse, livre 1, chapitre 1, paragraphe 23.

 

- III -
Plus de 1700 ans avant Christophe Colomb, Érathosthène évalue la circonférence du globe

Directeur de la grande bibliothèque d’Alexandrie, vers 240 anè, Érathosthène calcula la circonférence de la terre. Il avait observé qu’à midi, au solstice de l’été, le soleil se trouvait au-dessus de sa ville natale (Syène) et qu’il ne projetait aucune ombre. Or, au même moment, à Alexandrie, le soleil projetait une ombre égale à 7 degrés verticalement. Après avoir calculé la distance entre Syène et Alexandrie, il fut en mesure, par des calculs d’estimer la valeur d’un degré et d’extrapoler pour le globe.

Il est à noter qu’on sait, à cette époque, que la terre est sphérique, connaissance que les Européens perdront au cours du Moyen-Âge. Érathosthène réussit à estimer la circonférence du globe avec une marge d’erreur minime de moins de 4%. C’est l’imprécision de son instrument de mesure de distance qui l’avait légèrement induit en erreur. Néanmoins, malgré cette erreur, on est frappé par l’application de la logique, du rationalisme, à la solution de ce problème.

Pour voir le détail des calculs et de la méthode d’Érathosthène ou simplement pour en savoir plus sur le contexte, voir ce site.

© 2001 Claude Bélanger, Marianopolis College