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2001-08-13

Gosselin, Paul E., « Nos frères des États-Unis », Le Canada Français, 1937.

La littérature franco-américaine s'est enrichie, à quelques mois d'intervalle, de deux ouvrages remarquables. M. Josaphat Benoit a publié aux Éditions Albert Lévesque de Montréal la thèse qui lui a valu un doctorat ès lettres en Sorbonne : L'Âme franco-américaine (1). Le même éditeur vient de consacrer un second volume de ses «  Documents sociaux » à nos compatriotes des États-Unis : Les Franco-Américains peints par eux-mêmes (2).

Nous n'avons pas l'intention d'analyser ces deux oeuvres d'un intérêt primordial pour ceux que passionne la survivance française en Amérique. Nous ne commettrons pas davantage l'imprudence de mettre en parallèle deux livres d'inspiration totalement différente. Notons seulement que le volume de M. Josaphat Benoit est le fruit d'un long travail de recherches historiques et d'une lente élaboration littéraire. Le livre publié par les soins de l'Association canado-américaine renferme une série de causeries radiophoniques prononcées au poste CKAC par diverses personnalités franco-américaines.

Les auteurs et l'éditeur de ces ouvrages se sont proposé, semble-t-il, de faire connaître les Francos dans le Québec. Cette entreprise était, il faut l'avouer, quelque peu nécessaire. Nous ignorons volontiers nos frères d'outre-quarante-cinquième et il arrive parfois que des « patriotes » de chez nous haussent les épaules lorsqu'on leur parle des Francos, de leurs luttes pour la survivance, de leurs espoirs dans le présent et dans l'avenir. II n'y a dans cette attitude ni mépris ni indifférence, mais cette conviction trop hâtivement formée qu'aucune race ne saurait demeurer elle-même dans le « melting-pot » américain.

II est indéniable que de graves périls menacent l'âme franco-américaine. Nous aurons l'occasion de les signaler dans le cours de cet article. Ce qui est également certain, c'est que les vouloirs de permanence ethnique sont généreux, qu'il se fait dans les groupements franco-américains un admirable travail de survivance catholique et française et que si les défections sont nombreuses, les fidélités se multiplient avec les berceaux et les années. En ces semaines qui précèdent le deuxième Congrès de la Langue française en Amérique, un véritable réveil national s'opère dans les centres français des États-Unis. Et l'on peut regretter que la presse française du Québec ne fasse pas plus large dans ses colonnes la place à ce réveil et à ces entreprises de résistance à l'assimilation.

Les Francos existent, ils luttent, ils grandissent. En juin prochain, ils seront à Québec nombreux et enthousiastes. Il importe que Québec soit prêt à les accueillir et pour cela, il faut que Québec réapprenne au plus tôt ce qu'il n'aurait jamais dû ignorer : l'histoire de nos compatriotes franco-américains. Le présent article voudrait signifier à nos co-nationaux des États-Unis que Québec pense à eux. Il voudrait surtout éveiller en chaque Canadien français un désir : celui de connaître les volumes que les Éditions Lévesque viennent de consacrer aux Francos et par ces volumes les gestes magnifiques accomplis au-delà de la frontière canadienne pour le maintien de l'héritage français en terre d'Amérique.

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La race française n'est pas en terre d'Union une étrangère. Ce sont ses fils qui ont découvert la plus grande partie des territoires américains et qui ont ouvert ces territoires à la civilisation. L'histoire primitive des États-Unis est à demi française. Feuilleter cette histoire, c'est y rencontrer à chaque pas des noms de chez nous : Marquette, Jolliet, Hennepin, Lamothe-Cadillac, Le Moyne de Bienville. À la suite des explorateurs, viennent les premiers colons : huguenots chassés de France par la révocation de l'édit de Nantes, fondateurs de la Louisiane. Cette épopée primitive des Francos se continue dans la vie américaine par le groupement français de la Nouvelle-Orléans et par des personnalités de premier plan, tels les Du Pont de Nemours. Comment ne pas mentionner qu'en 1776 c'est une escadre française qui assura aux États révoltés contre l'Angleterre la victoire et l'indépendance ? . . . .

Les descendants des premiers colons louisianais reçurent en 1755 une partie des Acadiens chassés de leur malheureux pays par Lawrence et ses affidés. Des Canadiens français se fixèrent dans le Maine et le Vermont à la faveur du traité de paix de 1763, traité qui laissait imprécises les frontières canado-américaines. Quelques-uns d'entre eux luttèrent contre l'Angleterre durant la guerre de l'Indépendance. De 1763 à 1831, il y eut un va-et-vient constant mais peu considérable entre le Canada et les États-Unis. La rébellion de 1837 força plusieurs patriotes à franchir la frontière. Certains ne revirent jamais leur patrie d'origine.

C'est l'année 1841 qui marque la seconde étape de l'histoire franco-américaine. En cette année-là s'amorça le grand courant migratoire qui, en trois quarts de siècle, devait transplanter en territoire américain près d'un million de Canadiens français. Ce fut d'abord une ruée vers les mines d'or de la Californie. Le développement des communications, l'industrialisation rapide de la Nouvelle-Angleterre, le marasme économique en terre canadienne accélérèrent la poussée canadienne-française vers le sud-est du continent américain.

Ainsi s'effectua, presque sans secousse, sous les yeux d'un gouvernement complice, cette migration forcée de tout un peuple. L'on s'est apitoyé, et avec raison, sur les dix mille Acadiens dispersés par les tyranneaux d'Halifax. Quel historien racontera cette autre dispersion qui a obligé un million de Canadiens français à quitter le sol de la patrie pour aller reconquérir sous des cieux étrangers le droit à la vie et recommencer dans des conditions extrêmement pénibles les combats pour la survivance religieuse et française ? L'exode des Franco-Américains est une tache ineffaçable dans l'histoire politique de notre pays, et l'on peut se demander si, dans les sphères administratives, cette calamité doit être attribuée à la seule imprévoyance des ministres anglais et à la seule lâcheté des chefs de notre race.

Depuis 1929, les frontières américaines sont à peu près fermées à l'émigration. La crise sévit au pays de l'Oncle Sam comme chez nous. La situation des Francos tend à se stabiliser au point de vue numérique. Seul le coefficient des naissances en rythmera désormais l'évolution. Il reste à se demander quelles sont les positions nationales des deux millions et demi de Français nés ou émigrés en territoire américain.

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Les premiers émigrants canadiens-français se dispersèrent sur tout le territoire américain. Cela explique que l'annonce du deuxième Congrès de la Langue française ait révélé l'existence d'îlots français dans tous les États de l'Union. Les deux groupements les plus considérables, les plus en état de résister à l'assimilation sont établis aux deux extrémités de la vaste République : en Nouvelle-Angleterre et dans la Louisiane. À la faveur du nombre et de divers facteurs historiques, les Francos de ces régions ont pu mettre sur pied des organismes de survivance religieuse et nationale. Nous essaierons de dire brièvement comment s'est organisée la survivance en Nouvelle-Angleterre. Nous passerons en revue les principaux éléments de résistance catholique et française — puisque là-bas, c'est tout un : la paroisse, l'école, le journal et les sociétés patriotiques.

La paroisse est à la base de la vie sociale chez les Canadiens français et c'est un émerveillement pour les étrangers que de constater la simplicité, l'efficacité et la vigueur de notre rouage paroissial. À peine établis dans les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre, les Francos se sont groupés en paroisses, encouragés la plupart du temps par les chefs religieux des diocèses auxquels ils appartenaient. Des prêtres leur sont venus nombreux et dévoués de la vieille province de Québec. Au prix de lourds sacrifices, on a bâti église et presbytère. Autour de ce noyau, s'est formée la paroisse et, comme naturellement, sur les activités religieuses se sont greffées les activités sociales, économiques ou nationales. De sorte que, au témoignage de M. Josaphat Benoit, la paroisse a été vraiment l'âme de la survivance religieuse et nationale chez les Francos.

Le développement de l'organisation paroissiale fut quelque chose de prodigieux entre les années 1867 et 1929. C'est ainsi que dans le Massachussets, soixante années de labeur opiniâtre « ont fait surgir une chrétienté franco-américaine de 268.000 âmes, comptant 270 prêtres, 849 religieux et religieuses, 78 églises, 81 écoles, six couvents, deux collèges, quatre hospices, trois hôpitaux et trois orphelinats ». L'Église franco-américaine compte actuellement 1242 prêtres, 3128 religieux et religieuses, 498 églises. Une seule ombre au tableau : les pasteurs venus du Québec font place peu à peu à de jeunes clercs qui ont grandi dans l'ambiance américaine. Le nouveau clergé sera-t-il comme l'ancien à la hauteur de la position ? On peut se le demander.

L'école est le grand champ de bataille sur le terrain religieux comme sur le terrain national. Qui a la jeunesse, a l'avenir. Les Francos l'ont compris. Ils ont fait un immense effort pour implanter chez eux des institutions d'enseignement primaire et secondaire respectueuses de leurs croyances et de leurs origines. En territoire américain, les écoles officielles sont neutres au point de vue religieux et anglaises. Cependant l'État fait preuve d'une très large tolérance à l'égard de l'école libre protestante, catholique ou juive, quand il ne va pas jusqu'à l'encourager. À la faveur de ce régime de liberté, les Francos, imitant en cela un grand nombre d'Américains, de toutes races et de toutes religions, ont substitué l'école libre à l'école neutre dans la plupart de leurs paroisses.

Au point de vue numérique, on compte en Nouvelle-Angleterre 239 écoles franco-américaines, 32 couvents, 5 collèges, dont deux au moins dispensent un enseignement secondaire ou primaire supérieur : le collège de l'Assomption à Worcester et le collège Mont Saint-Charles à Woonsocket (statistiques de 1933). À l'heure actuelle, plus de 120.000 jeunes Francos fréquentent ces établissements scolaires. La part y est faite très large à la langue anglaise et aux institutions américaines, mais, en général, les élèves de ces écoles ont l'avantage d'y apprendre le français et de puiser dans l'étude des matières de classe un peu de fierté nationale, l'amour du passé et le souci d'y conformer l'avenir. Il convient de mentionner en passant le nombre relativement élevé de Francos qui viennent chaque année demander à la province de Québec une formation intégralement catholique et française.

La presse de langue française aux États-Unis n'est guère connue chez nous. Cependant elle a joué un rôle considérable et elle continue de tenir une place de premier plan dans la vie franco-américaine. En moins d'un siècle, au témoignage de M. Josaphat Benoit, les Francos ont lancé près de 250 périodiques de tout format. Le premier journal rédigé en langue française aux États-Unis fut le Courrier de l'Amérique paru en 1784. En 1828, naissait à New-York le Courrier des États-Lnis, qui est disparu récemment après avoir fêté son centenaire d'existence. II faut se hâter d'ajouter qu'aucun autre journal franco-américain n'a connu cette bonne fortune et que la plupart d'entre eux ont vécu ce que vivent les roses : l'espace d'un matin.

Le journalisme franco-américain compte de beaux noms. Ainsi Ludger Duvernay, exilé dans le Vermont à la suite des troubles de 1837-38, y fonda le Patriote. Mais le grand journaliste français des États-Unis fut Ferdinand Gagnon. Il devait mourir prématurément à l'âge de 36 ans après avoir mis sur pied trois hebdomadaires et en laissant une oeuvre durable. Il reste des 250 publications lancées par les Francos six quotidiens et une quinzaine d'hebdomadaires. Les plus connus dans le Québec sont le Travailleur, l'Indépendant et le Messager. Cette presse française dessert environ 200.000 familles et mène vaillamment la lutte pour la survivance.

Les États-Unis sont, a-t-on dit, le paradis des clubs et des sociétés de toutes espèces. Les Francos se sont adaptés à leur milieu sur ce point. Leur première société nationale, la société Lafayette, fut fondée dès 1848 à Détroit. Depuis lors, on estime à au-delà de 400 les sociétés organisées par les Francos. De ce nombre une centaine subsistent. La multiplication des sociétés avait de nombreux inconvénients. Des tentatives de fusion furent faites. Une première en 1881 groupa dans la Société Jacques-Cartier un bon nombre de Francos du Rhode-Island. Une seconde donna naissance en 1896 à la Société Canado-Américaine, dont le siège social est à Manchester. L'Union Saint-Jean-Baptiste d'Amérique, groupait en 1935 plus de 50.000 membres et avait en caisse un actif d'au-delà de cinq millions de dollars. Cette société a révélé dernièrement l'existence en Californie de 70.000 Francos, dont 25.000 à Los Angeles et 15.000 à San Francisco. II faut ajouter à cette nomenclature très rudimentaire la société acadienne l'Assomption, qui a vu le jour à Waltham dans le Massachussets et dont le siège social est aujourd'hui en terre acadienne, dans la cité épiscopale de Son Excellence Monseigneur Melançon.

Ces sociétés sont généralement établies sur une base d'affaires, mutualité ou assurance-vie. Mais par l'esprit qui les anime, par les brochures qu'elles publient, les Congrès qu'elles ont l'occasion de tenir, elles sont un facteur appréciable de survivance nationale. Quelques-unes d'entre elles sont des sociétés proprement historiques ou littéraires. Leurs membres accumulent les matériaux d'une histoire franco-américaine ou s'emploient à la diffusion de la langue française dans les milieux américains. Certaines usent même de la radio pour propager le verbe de France et c'est à la Société Canado-Américaine qu'il faut attribuer l'un des volumes qui ont inspiré cet article, Les Franco-Américaine peints par eux-mêmes.

À considérer tous ces facteurs, il semblerait que la survivance des Franco-Américains soit définitivement assurée. Pourtant, en bien des endroits, cette survivance demeure un problème crucial. Des groupements ont déjà disparu, irrémédiablement noyés dans un formidable entourage cosmopolite, perdus au point de vue national comme au point de vue religieux. Partout ailleurs, la lutte est ardente. Il n'y a pas lieu de s'en étonner quand on considère les périls qui menacent l'âme franco-américaine. Nous voudrions signaler trois de ces périls : l'ambiance américaine, l'absence de culture chez les premiers émigrants, le manque de cohésion.

Les Franco-Américains sont au nombre de 2.500.000 dans un pays qui compte plus de 120 millions d'habitants. Ils sont dispersés sur toute la surface de ce pays et ne présentent de groupements un peu compacts qu'en Louisiane et en Nouvelle-Angleterre. Ils sont un cinquième de la population au Rhode-Island, le quart dans le New-Hampshire, un tiers peut-être dans le Maine.

Il s'ensuit qu'à peu près partout les nôtres sont en minorité et qu'ils sont impuissants à créer autour d'eux une atmosphère franchement catholique et française. Ils doivent dès lors subir les effets souvent meurtriers du climat américain, d'un climat où la langue parlée comme la langue écrite est l'anglais, où domine au point de vue religieux le libre examen, au point de vue social ce que l'on est convenu d'appeler la civilisation américaine. C'est dire que la jeunesse franco-américaine doit lutter constamment pour conserver ses croyances et ses traditions. L'éducation première puisée au foyer, l'instruction reçue à l'école la préparent souvent d'avantageuse façon à la lutte. Mais là où cette formation première vient à faire défaut, toute une génération est mûre pour l'assimilation et souvent l'apostasie. Le cas n'est pas rare malheureusement de parents catholiques et français dont les enfants ne parlent que l'anglais et ignorent à peu près le chemin de l'église.

À un point de vue immédiatement pratique, tout semble pousser les Francos à s'américaniser. La langue est la langue des affaires, la langue indispensable à qui veut figurer dans la vie économique, politique et sociale des États-Unis. Les traditions du pays de Québec paraissent bien désuètes dans le cadre neuf des cités américaines. Le catholicisme lui-même semble faire ombre au tableau dans la patrie de la libre pensée. Seule l'attirance d'un passé historique prestigieux, de fortes convictions religieuses, un nationalisme averti et agissant pourraient contrebalancer ces influences du milieu américain. Tout cela a fait malheureusement défaut dans trop de foyers franco-américains.

Les premiers émigrés établis aux États-Unis étaient pour la plupart des campagnards sans grande instruction. Ils durent s'imposer un premier effort d'adaptation, l'adaptation à la ville et l'adaptation au métier. Avant de survivre, il fallait vivre. Cet effort préliminaire absorba la première génération canado-américaine pendant plusieurs années. Pour comble de malheur, les élites laïques firent défaut à ces masses agricoles brusquement transplantées dans les cités américaines. Ainsi abandonnés à eux-mêmes, sans chefs autres que leurs pasteurs, il est merveilleux que ces paysans et fils de paysans se soient si rapidement et si spontanément transformés en citadins et que souvent, après avoir organisé de superbe façon la survivance économique, ils aient tenté un gigantesque effort de survivance nationale.

Il n'en reste pas moins que le manque de culture chez les premiers émigrés et l'absence de classes dirigeantes ont été causes de lamentables défections au sein des groupements franco-américains. La situation s'est améliorée depuis quelques années. Bon nombre de Francos se sont formés dans leurs écoles, dans les collèges et dans les universités de la province de Québec et sont retournés exercer dans leur milieu d'origine avec leur profession un apostolat patriotique éminemment fructueux. Une littérature franco-américaine s'ébauche. Des penseurs avertis scrutent le problème de la survivance, posent ce problème devant la masse, essaient d'éveiller cette dernière aux fiertés anciennes, aux exigences d'une vie nationale gardienne de la vie religieuse.

Mais il arrive parfois que de vigoureuses campagnes nationalistes dégénèrent en luttes de clans. L'histoire franco-américaine renferme des pages un peu tristes. Des Francos ont poussé l'esprit de chicane jusqu'à faire cause commune avec l'ennemi. On ne s'entend pas toujours sur les tactiques à adopter, sur les méthodes à prendre en face d'attaques venues de milieux éminemment respectables. Il arrive que la politique aggrave ces dissensions intestines. On a alors le spectacle de majorités franco-américaines partagées en deux camps et favorisant par leur désunion l'accession aux fonctions publiques de candidats anglais ou juifs. Et puis, il faut bien l'avouer, les points de ralliement font un peu défaut. Peu d'idées-forces, aucune grande figure historique qui s'impose à la foule, rien qui puisse cristalliser d'immédiate façon les aspirations confuses et les timides vouloirs de survivance nationale !

Québec aurait dû être ce point de rencontre des énergies franco-américaines. Québec s'est dérobé à la tâche. Les Francos sont venus vers nous : étudiants de collèges et de couvents, pèlerins d'un jour au pays des ancêtres, messagers de minorités en péril. Nous ne sommes guère allés vers eux. Le clergé a fait sa part comme toujours. La classe professionnelle n'a pas eu conscience des tâches magnifiques qui l'attendaient outre quarante-cinquième. Rien ne la pressait d'émigrer que l'appel d'un devoir à remplir. Dans les circonstances un peu difficiles, l'appel du devoir est rarement entendu d'un grand nombre d'hommes.

Nous aurions pu du moins composer ici même une atmosphère sympathique aux Francos et, à la faveur de cette atmosphère, organiser un service de communications et de ravitaillement intellectuels. Il ne se fit à peu près rien de positif et de durable. Des propos regrettables furent tenus dans les sphères officielles, propos dont on a un peu exagéré la portée là-bas. Le peuple se souvint pendant quelques années et finit par oublier. Les minorités canadiennesfrançaises persécutées sollicitèrent le concours du Québec. On crut qu'il y avait des possibilités de survivance pour ces minorités dans le cadre fédératif et qu'aux États-Unis l'assimilation était inévitable. On se porta au secours des 500 000 Français de l'Ontario, de l'Ouest et des Maritimes et on laissa les deux millions de Franco-Américains organiser seuls la résistance. Plus encore que les dissensions intestines et le manque de chefs, cet abandon a été fatal à nos compatriotes des États-Unis. Nous leur devions cet aveu d'une indifférence que certaines circonstances historiques peuvent expliquer sans trop l'excuser.

Notre effort de survivance s'est surtout porté jusqu'ici de l'est à l'ouest, et bien peu du nord au sud, et cependant le quadrilatère formé par le Nord-Est ontarien, le Québec, la Nouvelle-Angleterre et l'Acadie renferme plus de quatre millions de Français, soit les quatre cinquièmes de la population française de l'Amérique du Nord. Ce fait ne commande-t-il pas une orientation nord-sud autant qu'est-ouest de notre politique de survie nationale ?

Il ne saurait être question évidemment de restreindre notre assistance aux minorités de l'Ouest, mais nous estimons urgente une étroite collaboration des deux groupements français les plus considérables : celui du Québec et celui de la Nouvelle-Angleterre. Le problème des minorités sera étudié et discuté en séances du deuxième Congrès de la Langue française. N'y aurait-il pas lieu de former dès maintenant un Comité chargé spécialement d'examiner la situation de ces minorités en terre canadienne, acadienne, franco-américaine et louisianaise, les possibilités de coopération entre celles-ci et la province de Québec, de débattre le problème en juin prochain avec les représentants de ces minorités ? Le Congrès serait alors pour les rameaux épars de notre race un «  geste de vie » éminemment pratique et durable.

(1) Josaphat BENOIT. L'Âme franco-américaine. Un vol. in-12 de 250 pages. Éditions Albert Lévesque, Montréal.

(2) Les Franco-Américains peints par eux-mêmes. Avant-propos par Adolphe ROBERT, président de l'Association canado-américaine. Un vol. in-12 de 288 pages. Éditions Albert Lévesque, Montréal.

Source : Paul E. Gosselin, prêtre, « Nos frères des Etats-Unis », dans Le Canada français, Vol. 24, avril 1937, pp 750-759.

© 2001 Claude Bélanger, Marianopolis College