Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

L'Honorable AUGUSTIN NORBERT MORIN
(1803-1865)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Nous avons eu deux Morin dans la vie publique au Canada : Augustin Norbert, qui fut premier ministre sous l'Union, et Louis Siméon, de vingt ans plus jeune, qui fut aussi ministre avant la Confédération. Ils étaient de familles différentes et sans proche parenté entre eux. Il s'agit ici du premier des deux.

Augustin Norbert Morin naquit, le 13 octobre 1803, à Saint Michel de Bellechasse, d'une brave famille de cultivateurs, qui compta onze enfants dont il était l'aîné. Son ancêtre à la septième génération, Pierre Morin, est signalé à Port Royal, en Acadie, dans le recensement de 1671. Son père, Augustin Morin, marié en 1802 à Marie Colin Dugal, continuait à Saint Michel la tradition terrienne de ses anciens et il jouissait d'une certaine aisance. Distingué, à cause de ses talents brillants, par son curé l'abbé McGuire, Augustin-Norbert, comme aussi François l'un de ses frères cadets, qui devint prêtre, fut envoyé au séminaire de Québec pour y faire ses études. Condisciple d'Etienne Parent, il lui disputa les premiers prix de leur classe. C'est à Québec également que le jeune Morin commença en 1824 son cours de droit. Il vint le terminer à Montréal, au bureau de Denis Benjamin Viger, où il passa deux ans, et, en 1828, il était admis au barreau.

Comme Lafontaine, Morin débuta jeune sur la scène publique. Sa lettre au juge Bowen, de novembre 1825, qu'il signait Un étudiant en droit, et dans laquelle il revendiquait vigoureusement les droits de la langue française, est restée fameuse. Elle le fit connaître et attira sur lui l'attention, car l'anonymat en fut vite percé. En 1826, alors qu'il était encore étudiant, Duvernay et Viger, en fondant La Minerve, le choisirent pour en être l'un des principaux rédacteurs. Le 26 octobre 1830, à 27 ans, la même année que Lafontaine, il était élu député à la Chambre de Québec. Tandis que Lafontaine représentait Terrebonne, Morin, lui, était l'élu de Bellechasse.

C'est Morin qui rédigea, en 1831, à la demande de Papineau et de ses amis et adhérents, le célèbre document dit des 92 résolutions. Ce document, qui condensait les griefs des Canadiens, ayant été approuvé par tous les députés nationaux du temps, Morin fut chargé en 1834 d'aller les présenter aux autorités de Londres, où, avec Viger, délégué du Bas Canada, il soutint les droits de ses compatriotes, sans grand succès pour le moment. Revenu au pays, il fut activement mêlé, comme lieutenant de Papineau à Québec, au mouvement qui devait aboutir, contre son gré, car il ne fut jamais partisan de la violence, aux "troubles" de 1837. Désigné comme suspect en 1838, il dut se cacher dans les bois pour éviter la prison. Il reparut à Québec au départ de Colborne en octobre 1839. Comme Lafontaine, il demanda en vain qu'on lui fît son procès.

Sous l'Union, Morin fut député de Nicolet d'avril 1841 à janvier 1842. Nommé juge à Kamouraska, ce 1er janvier 1842, il démissionna pour entrer dans le premier ministère Lafontaine Baldwin en 1843. Il se fit d'abord élire député de Saguenay. Aux élections de novembre 1844, ce sont ses anciens électeurs de Bellechasse qui le choisirent comme député. Lafontaine et Baldwin ayant repris le pouvoir en 1848, après quelques années dans l'opposition, Morin fut élu président de la Chambre. C'était sous lord Elgin (1847 1854). Morin présidait la séance du Parlement à Montréal, en 1849, quand, pour protester contre le "bill" des indemnités, les torys mirent le feu aux édifices parlementaires. Stoïque à la façon d'un sénateur romain, il attendit pour lever la séance qu'on proposât une motion d'ajournement. Il aurait brûlé sur place, a écrit L. O. David, plutôt que de manquer à l'ordre.

Lafontaine ayant démissionné en 1851, pour être nommé juge deux ans plus tard, Morin le remplaça à la tête du parti pour le Bas Canada, et, aux élections de décembre, il fut élu, à son tour, député de Terrebonne. C'est alors qu'il forma avec M. Hincks, du Haut Canada, le ministère qui porte leur nom devant l'histoire. En juin 1854, ce ministère Hincks Morin était renversé, et, aux élections qui suivirent, Morin fut défait dans Terrebonne. Elu peu après dans Chicoutimi, il forma avec M. McNab, chef des conservateurs du Haut Canada, un gouvernement de coalition. C'est ce ministère McNab Morin qui marque dans l'histoire la naissance du parti libéral conservateur. A la fin de la session de 1855, Morin fut nommé juge de la cour supérieure. Quatre ans plus tard. en 1859, il était chargé, avec les juges Day et Caron, de la codification des lois du Bas Canada, mesure rendue nécessaire surtout par l'abrogation des droits seigneuriaux et l'abolition de l'ancien système féodal. Ses dernières années, il les occupa dans ce labeur ardu et délicat de la codification de nos lois. Entre temps, et depuis 1842 environ, il s'intéressait à l’œuvre de la colonisation, et c'est lui qui fonda Sainte-Adèle, au nord de Montréal. Il venait à peine de terminer son travail de codification et de le voir sanctionné par une mesure du gouvernement quand il mourut subitement, à Sainte Adèle le 27 juillet 1865, à 62 ans. Ses restes mortels furent inhumés à Saint Hyacinthe.

En 1843, Morin, alors juge, avait épousé, à Saint Hyacinthe, Adèle Raymond, la sœur de Mgr Raymond, supérieur du séminaire de cette ville. Il n'eut pas d'enfants de ce mariage, et, par conséquent, comme Lafontaine, il n'a pas laissé de postérité. "M. Morin, écrivait L. O. David en 1870, avait la taille haute et courbée. Tout dans son extérieur, ses manières et sa physionomie, respirait la modestie, la bonté et la douceur. Dans ses campagnes politiques, il avait plutôt l'air d'un évêque en visite pastorale que d'un candidat en quête d'un comté. Il parlait avec la simplicité du bon curé de village qui fait le prône à ses paroissiens depuis vingt cinq ans. La vie a été pour lui comme une mission, un sacrifice continuel et un enchaînement de bonnes actions. Servir Dieu, son pays et ses concitoyens, fut l'unique objet de ses aspirations, de ses efforts et de ses travaux . . ."

Appréciant son oeuvre de colonisateur dans le nord de Montréal, M. l'abbé Edmond Langevin-Lacroix, dans son Histoire de Sainte Adèle (1927), écrit de même : "Sans doute, M. Morin ne demeura pas habituellement dans nos montagnes. Mais il y revenait aussi souvent que ses fonctions d'homme public le lui permettaient . . . Le passage du grand homme, colon enthousiaste, était un encouragement pour tous. De fait, très au courant de la vie pénible de nos braves gens, il aidait tout le monde. Bien qu'il fût pauvre lui même, sa charité l'empêchant de devenir riche, chacun avait des redevances à lui solder. En venant vers le nord, il disait parfois qu'il allait percevoir ses dus. Mais, le plus souvent, désarmé devant la misère, il vidait ses poches et empruntait pour s'en retourner . . ."

On cite de nombreux traits qui le peignent sur le vif, homme de bon cœur, toujours généreux et charitable. En voici quelques-uns. Un jour qu'il était très occupé, un mendiant se présente qui venait très souvent à son bureau. "Dites donc, mon ami, échappa M. Morin, vous n'êtes pas raisonnable. . ." Mais, l'autre n'était pas sorti du bureau que le grave ministre courait après lui pour s'excuser. Une autre fois, un colon, qui lui devait une somme assez rondelette et avait reçu une lettre sévère de son agent d'avoir à régler, se présente à M. Morin, s'excuse de ses retards, parle de ses misères, de sa pauvreté, de sa nombreuse famille. . . "Oui, oui, mon ami, je comprends, dit aussitôt M. Morin, vous avez beaucoup à souffrir. Tenez, prenez ces cinq piastres, ça vous aidera." Chauveau à qui M. Morin avait promis de placer quelqu'un, le rencontre sur la rue. Aussitôt, Morin s'excuse de n'avoir pas encore rempli sa promesse. "Je vais m'en occuper, dit il, comme de moi même." "Gardez vous en bien, reprend Chauveau, traitez le plutôt comme s'il était votre ennemi juré, je suis sûr qu'il sera bien placé." Jolie boutade qui montre fort justement ce qu'était Morin. Quand Morin fut nommé juge à Kamouraska, le 1er janvier 1842, il se rendit tout de suite, le dimanche suivant, faire visite aux siens à Saint Michel de Bellechasse. Il arriva devant l'église de la paroisse, à l'heure de la grand'messe, au moment où les gens allaient y entrer. Il avait alors 39 ans et il était déjà un personnage, ancien ministre et nouveau juge. Mais, il avait le culte des bonnes vieilles traditions. Apercevant son père, au milieu de la foule, il va vers lui, se découvre, se met à genoux dans la neige et lui demande tout simplement sa bénédiction du jour de l'an. Ce détail est typique.

Quand Morin mourut en juillet 1865, Chauveau qui l'avait beaucoup pratiqué et bien connu, écrivit cette note de louange, que je me plais à rappeler pour finir ma modeste notice : "Il y a eu peu d'hommes en ce pays plus curieux de s'instruire et plus instruits sur toutes sortes de sujets que M. Morin, et, certainement, il n'y a jamais eu d'hommes publics aussi remplis de désintéressement et d'abnégation, de bienveillance et d'urbanité, de modestie et d'humilité. Il poussait même la modestie et l'humilité jusqu'à l'excès, et ces qualités l'emportaient, chez lui, quand il s'agissait de se juger lui même, sur son jugement par ailleurs si juste et si fin. Il s'est occupé activement et avec succès toujours d'une immense variété de sujets. Droit romain et droit moderne, théologie et droit ecclésiastique, sciences, agriculture, instruction publique, littérature, langues anciennes et langues modernes, finances et statistiques, rien ne semblait être au dessus, ni au dessous, de ses recherches, de son ambition de savoir et d'agir, et, en somme, de faire le bien, ce qui a été l'unique but de toutes ses pensées."

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 20-28.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College