Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

MGR Narcisse-Zéphirin LORRAIN (1842-1915)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

MGR Narcisse Zéphirin Lorrain, l'ancien évêque de Pembroke, est né à Saint-Martin de Laval, le 3 juin 1842, d'une humble famille de cultivateurs. Son premier ancêtre au Canada, Pierre Lorrain ou Lorin dit Lachapelle, nous était venu au pays vers 1657. Son père, Narcisse Lorrain, et sa mère, Sophie Gohier, avaient élevé sept enfants, dont il était lui même l'aîné. A 14 ans, Narcisse Zéphirin entrait au séminaire de Sainte Thérèse, où il fit son cours complet de 1856 à 1864. C'est également à Sainte- Thérèse qu'il vécut ses années de séminariste et étudia la théologie tout en enseignant selon la coutume du temps. Il fut ordonné prêtre à Montréal, par Mgr Bourget, le 4 août 1867. Pendant deux ans encore il continua à faire partie du personnel de la maison térésienne, en y remplissant les fonctions de directeur des élèves. Sa sagesse précoce, son esprit de travail, ses succès en classe et son goût marqué pour l'ordre et la bonne tenue avaient fait présager à ses maîtres, dès ses années de collège, qu'il serait un homme d'autorité et de gouvernement. L'événement a établi qu'on ne s'était pas trompé.

Au cours de l'été de 1869, à 27 ans, l'abbé Lorrain accepta d'aller exercer le saint ministère aux Etats Unis, dans le Vermont, où il fut curé de Redford, diocèse d'Ogdensburg, une dizaine d'années. Son zèle, sa piété et ses talents d'administrateur lui gagnèrent ou lui valurent, tout le temps qu'il fut là, le respect et l'affection de ses braves gens, l'estime et la confiance de ses supérieurs. Il croyait bien devoir demeurer toute sa vie à ce ministère modeste, mais consolant et fructueux, lorsque, au moment où il s'y attendait le moins, à l'automne de 1879, Mgr Fabre, sans lui dire pourquoi, le rappela à Montréal, son diocèse d'origine, auquel il appartenait toujours. Le sacrifice de quitter Redford et ses bons paroissiens, auxquels il s'était fortement attaché, lui fut d'autant plus pénible que l'évêque de Montréal, qui avait ses desseins cachés mais se trouva empêché de les mettre tout de suite à exécution, le nomma simplement vicaire à Saint Henri, l'une des paroisses de la grande ville. M. Lorrain, il le disait plus tard, en fut surpris et même un peu peiné. Mais, en bon prêtre, il s'inclina devant la décision de l'autorité sans demander d'autre explication. Son étonnement fut encore plus grand, quand, à la fin de juillet 1880, le vicaire général de Montréal, M. Hippolyte Moreau, étant soudain décédé, Mgr Fabre l'appela à occuper, à l'évêché, cette haute situation de vicaire général, qui faisait de lui le premier lieutenant de son évêque.

Deux ans à peine s'étaient écoulés, depuis qu'il agissait comme vicaire général, que la nouvelle arrivait de Rome annonçant que M. Lorrain était élu évêque de Cythère et premier vicaire apostolique de Pontiac, au nord d'Ottawa. Mgr de Montréal put enfin expliquer au nouvel élu pourquoi, trois ans plus tôt, il l'avait fait revenir auprès de lui. C'était là son secret, à Mgr Fabre, comme aussi celui de Mgr Duhamel, d'Ottawa. Les deux évêques — archevêques en 1886 — s'étaient entendus à l'avance, advenant la création projetée de la nouvelle circonscription ecclésiastique, pour présenter le curé de Redford au choix du Saint Siège. Mais, naturellement, on ne lui en avait rien dit. Son bel esprit sacerdotal n'en avait que brillé avec plus d'éclat, ce qui confirmait le bien fondé du choix qui avait été arrêté.

Mgr Lorrain fut sacré évêque à Notre-Dame de Montréal, par Mgr Fabre, le 21 septembre 1882. Le lendemain, il se rendait à Pembroke, siège du nouveau vicariat de Pontiac, et il en prenait possession. Seize ans plus tard, en mai 1898, le vicariat de Pontiac devenait le diocèse régulier de Pembroke, et, le 22 septembre suivant, Mgr Lorrain y était installé évêque en titre. Dix sept ans encore, Mgr de Pembroke conserva sa charge pastorale. Mais, dès 1912, malade et affaibli, il dut se reposer en grande partie, pour l'administration diocésaine, sur Mgr Ryan, son auxiliaire dévoué, qui devait dans la suite lui succéder. Mgr Lorrain est mort à l'hôpital de Pembroke, le 18 décembre 1915, à 73 ans d'âge, 48 de sacerdoce et 33 d'épiscopat.

L'ancien vicaire apostolique de Pontiac et premier évêque de Pembroke a été avant tout un homme de Dieu, dévoué tout entier aux devoirs de sa charge épiscopale. De talle sensiblement plus élevée que la moyenne, de constitution évidemment robuste, grand et vigoureux par conséquent, avec une belle tête au port superbe et aux traits accentués, une figure grave et austère dont le nez aquilin très fort prolongeait le profil, un teint mat tirant sur le brun foncé, il eût semblé vraiment trop sévère, sans la douceur de son regard et le charme prenant de son sourire. Dans l'ensemble, il paraissait à tous, ce qu'il était en vérité, ferme et bon en même temps. D'âme ardente sous son abord réservé et froid, d'intelligence claire et nette, de jugement solide, de coeur sympathique et pitoyable, zélé et dévoué par conviction plutôt que par sentiment, il possédait à un degré éminent les deux vertus nécessaires à ceux que la Providence appelle à diriger les autres : l'énergie et la bienveillance.

Le territoire constitué en vicariat de Pontiac le 11 juillet 1882, et dont Mgr Lorrain prenait l'administration deux mois plus tard, était immense. Il comprenait, en Ontario, le comté de Renfrew et une partie du district de Nipissing, et, en Québec, le comté de Pontiac et toute l'étendue des terres sises au nord jusqu'à la baie d'Hudson. Vingt cinq prêtres en tout, dont la moitié, étaient des religieux de la congrégation des Oblats, allaient au début travailler, sous sa juridiction, au service d'une vingtaine de mille âmes de race blanche et de trois ou quatre mille de race indienne. D'autre part, ces collaborateurs peu nombreux et ces quelque trente mille fidèles — qui allaient avant peu se multiplier par trois — étaient dispersés et répandus, quasi jusqu'au pôle, par des régions qui n'en finissaient plus. La tâche du vicaire apostolique s'en trouvait d'autant plus chargée et plus pénible. Mgr Lorrain devait être, il le comprit et il le fut, un évêque missionnaire dans le sens absolu du mot. Il travailla, et de toutes les façons, sans se lasser jamais. Quand il mourut, en 1915, le diocèse de Pembroke, érigé en 1898, comptait quarante mille fidèles et une cinquantaine de prêtres, et le vicariat du Témiscamingue, pris sur son territoire en 1908, vingt cinq mille fidèles et pareillement une cinquantaine de prêtres. Là où, trente ans auparavant, ne se voyaient que de pauvres missions, de belles églises s'étaient bâties, dont les croix montaient vers le ciel en témoignage de foi vivante et de prospérité indéniable. Que de soucis, que de travaux, que de courses en des contrées très vastes et à peine accessibles, tout ce progrès spirituel et matériel avait dû coûter au vicaire apostolique de Pontiac, puis à l'évêque de Pembroke

Dès l'été de 1884, du 12 juin au 14 août, Mgr Lorrain avait fait, avec l'abbé Proulx, de Sainte Thérèse, dans la suite vice recteur de Laval à Montréal, ce Voyage à la baie d'Hudson, que M. Proulx a raconté dans un livre si pittoresque. En 1902, avec le futur Mgr Latulipe, il se rendait jusqu'en Abitibi. Et que d'autres voyages, longs et pénibles, il dut s'imposer! Tous les ans d'ailleurs, il était fidèle au devoir de la visite pastorale. Partout, il prêchait, il confessait, il catéchisait, il écoutait les prières des uns et les doléances des autres, donnant sans compter, à tous les ministères, outre celui de la confirmation, son temps, ses attentions, ses peines et ses labeurs. Il n'avait pas pour rien mis dans ses armes d'évêque le mot de saint Martin de Tours, le patron de sa paroisse natale : Non recuso laborem. Pendant plus de trente ans, en effet, il ne se refusa à aucun labeur.

Dans un substantiel article, publié par la Revue canadienne (livraisons de janvier et février 1916 ) , feu le chanoine Laurent Cousineau a rendu un bel et juste hommage aux hautes vertus et aux mérites apostoliques de Mgr Lorrain. Il noté en particulier cette prudence, peut être excessive, avec laquelle Mgr de Pembroke, qui parlait parfaitement les deux langues française et anglaise, et qui avait longtemps exercé le saint ministère en anglais, voulut toujours traiter, dans la plus stricte impartialité, les questions de races et de langues. Je n'ai pas le loisir d'insister là-dessus. Il me paraît très clair, je tiens cependant à le dire, que Mgr Lorrain n'a jamais été, comme son ami Mgr Latulipe, un champion du français. Les circonstances, je l'accorde, l'expliquent jusqu'à un certain point. D'autre part, il est sûr, et cela suffit à l'honneur de sa mémoire, que Mgr Lorrain a été un grand évêque, préoccupé avant tout, ce qui importe davantage, des intérêts supérieurs des âmes, un apôtre fervent et un mainteneur solide des « disciplines qui font l'homme éternel », selon le mot de l'abbé Groulx à l'adresse de nos fondateurs de collèges.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 103-110.

 
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