Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
MONSIEUR CALIXA LAVALLEE
(1842-1891)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
CALIXA Lavallée naquit à Verchères le 28 décembre
1842. Il mourut à Boston le 21 janvier 1891. Musicien de grand
talent, pianiste virtuose, qui jouait d'ailleurs de plusieurs instruments,
c'était aussi un compositeur d'un rare mérite. Il est
surtout connu comme l'auteur de l'hymne national canadien O Canada,
terre de nos aïeux, dont Routhier a écrit les vers.
La famille Paquet dit Lavallée était originaire du Poitou.
Le père de Calixa, Jean-Baptiste Augustin Paquet dit Lavallée,
avait épousé à Verchères, le 5 avril 1842,
Caroline Valentine. Leur premier enfant fut baptisé, sous le
nom de Calixa Paquet, le jour même de sa naissance, par l'abbé
Olivier Bruneau, qui a été curé de Verchères
de 1823 à 1864. "Le 28 décembre 1842, par nous soussigné,
curé, a été baptisé Calixa, né de
ce jour, du légitime mariage de Jean Baptiste (Augustin) Paquet,
fils, forgeron, et de Charlotte Caroline Valentine, de cette paroisse.
Le parrain a été Jean Baptiste Paquet, père, (c'est
à dire grand père de l'enfant), et la marraine Charlotte
Lalu (la femme du parrain, grand'mère de l'enfant), qui n'ont
su signer. -- Ol. Bruneau, ptre curé."
Il y a des destinées étranges, en particulier chez les
artistes. Hommes d'idéal et de rêves, ils n'ont pas d'ordinaire
le sens pratique des affaires. Comme Crémazie, Lavallée
fut de ceux là. Il est mort à 49 ans, sur la terre étrangère,
en grande partie méconnu et oublié des siens, parce qu'il
n'avait pas su suffisamment calculer et équilibrer son budget.
Mais son talent devait, devant la postérité, lui assurer
la survie. Son O Canada, depuis longtemps populaire, a gardé
son nom et sa mémoire contre l'impitoyable oubli. Récemment,
en juillet 1933, quarante deux ans après sa mort, la translation
de ses restes mortels, du cimetière de Mount Benedict à
Boston, où ils avaient été inhumés en 1891,
au cimetière de la Côte des Neiges à Montréal,
où ils reposent désormais, a été l'occasion
d'une véritable apothéose.
Dans une chronique à l'Opinion publique, qu'il consacrait à
Lavallée en 1873 (13 mars), L. O. David, en ce style un peu chargé
qu'il affectionnait, écrivait ces lignes, qui sont d'une juste
observation et me paraissent fondées en vérité
: "Dans le Bas Canada, tout le monde est plus ou moins musicien
. . . Nous tenons de notre origine les dispositions artistiques qu'on
trouve chez les races latines. Mais la nature de notre pays a dû
nécessairement les développer et leur donner un cachet
particulier. Nulle part, les harmonies de la nature ne sont plus remarquables
ni plus puissantes. Un immense concert s'élève continuellement
du sein de nos forêts, du flot de nos grands lacs et de nos fleuves,
de nos cataractes incomparables, des torrents qui tombent de nos montagnes.
La moindre brise soulève des chants harmonieux, le moindre bruit
répété par l'écho de nos rochers devient
un tonnerre . . . Aucun talent musical ne porte plus que celui de M.
Calixa Lavallée le cachet national, l'empreinte de cette nature
grandiose et pittoresque . . ."
Le forgeron Paquet Lavallée, le père de notre musicien
national, était lui même un musicien très doué
naturellement. Tout en forgeant sur l'enclume, il était aussi
luthier et l'on raconte qu'il confectionna nombre de violons, tous de
bonne qualité. Il installa même plus tard, à Montréal,
une maison, où il en fit commerce, et qui eut de la vogue. Il
répara un jour superbement le violon de Jehin Prume, "que
le sabot d'un cheval avait malmené au point de le moudre en soixante-seize
morceaux". En 1846, il s'était fixé, avec sa famille,
à Saint Hyacinthe, où il travaillait à la fabrique
d'orgues de Casavant, un autre forgeron, comme lui artisan complet,
et dont le succès remarquable est connu. Il se rendit bientôt
maître de toutes les parties du métier. Il s'occupa aussi
d'organiser une fanfare. Mgr Choquette, dans son Histoire de la ville
de Saint Hyacinthe, parle quelque part de "la belle bande de M.
A. Lavallée".
C'est, par suite, à l'école de son père que Calixa
Lavallée se forma d'abord. Il suivit, en même temps, quelques
classes au séminaire de Saint Hyacinthe. A 11 ans, signale le
Père Lejeune, dans son Dictionnaire général du
Canada, Calixa Lavallée commença à toucher l'orgue
à la cathédrale de Saint Hyacinthe, et, à 15 ans,
il se mit à noter ses essais de composition. En 1856, la famille
Lavallée venait aux libéralités de M. Léon
Derome, un ami de son père, qui se fit son protecteur, il alla
se perfectionner au conservatoire de Paris, sous Marmontel et Boieldieu,
pour le piano et la composition. Revenu au pays, il donna de nombreux
concerts, accompagna de grands artistes dans leurs tournées au
Canada et aux Etats Unis, composa des opéras et des oratorios,
d'autres pièces encore, et surtout, en 1880, à Québec,
son hymne national, le O Canada qui devait l'immortaliser.
Marmontel, son professeur de Paris, avait déclaré que
Lavallée possédait tout ce qu'il fallait pour organiser
l'enseignement de la musique au Canada. Mais, il était indispensable
de compter avec les circonstances. Les pouvoirs publics, à l'époque,
ne songeaient guère, pris par d'autres soucis, à encourager
les lettres et les arts. Les auditoires qu'on pouvait réunir
n'étaient pas très considérables. La plupart se
contentaient d'applaudir, en payant le moins cher possible. "Non
seulement Lavallée ne put compter sur l'appui des corps publics,
a t on écrit récemment, mais il s'endetta pour sa vie
par la malheureuse présentation d'une cantate offerte, au cours
d'une fête officielle, à la princesse Louise et au marquis
de Lorne (gouverneur général du Canada de 1878 à
1883). Il fit des frais qui ne lui furent jamais remboursés,
et la poursuite de ses créanciers l'obligea à s'exiler
aux Etats-Unis."
En 1886, Lavallée avait été choisi comme président
du congrès national des professeurs de musique aux Etats Unis.
En 1888, il fut leur délégué à une convention
en Angleterre. Il fut aussi directeur quelques années du grand
opéra de New York. Mais, tous ces succès et tous ces honneurs
ne l'empêchaient pas, du point de vue pécuniaire, de vivre
dans un état de gêne voisin de la misère. Il était
devenu pianiste à bord d'un vaisseau traversier à Boston,
pour gagner son pain évidemment, quand Mgr l'archevêque
Williams, de Boston, alla le chercher et en fit l'organiste de sa cathédrale.
La mère de Lavallée Smith, le fondateur du conservatoire
de Montréal, était la cousine germaine de Calixa Lavallée.
M. Eugène Lapierre, le musicien bien connu, l'âme du mouvement
qui a réussi à tirer de l'oubli et à raviver la
mémoire de l'auteur de O Canada, et à le glorifier justement,
a écrit de plus, en son honneur, un scenario en trois actes ou
trois tableaux singulièrement vivant et évocateur. A la
fin du premier acte, il imagine que la grande cancatrice Albany, se
rendant par bateau à New York, rencontre le modeste traversier
où Lavallée est pianiste, et que, le sachant là,
elle fait jouer, par l'orchestre du bateau où elle voyage, le
O Canada national. Au dernier acte, au moment où il quitte son
traversier pour la cathédrale de Boston, Lavallée joue,
une dernière fois, sur son pauvre piano, le même O Canada,
et le rideau tombe sur les derniers accords de l'hymne devenu si populaire.
C'est fort bien imaginé. Quelque gloire qu'on lui décerne,
Calixa Lavallée n'en connaîtra jamais de plus belle, s'il
suit de là haut les événements de notre pauvre
monde, que celle d'entendre chanter et acclamer, par ses compatriotes,
l'admirable chant, si prenant et si enlevant, que son patriotisme lui
inspira pour la Saint-Jean Baptiste de 1880 à Québec,
Jusqu'à date, voici la liste des oeuvres musicales de Calixa
Lavallée, qu'on a pu retracer: La Veuve (opéra
comique), L'Absence (romance), Souvenirs de Tolède
(morceau de salon), L'Oiseau Mouche (pour piano), Marche funèbre
(dédié à Mgr Bourget), Harmonie, Grande
Marche, Le Papillon (étude), Berceuse, Marche
Indienne, Rhapsodie sur des airs irlandais (fanfare), Hymne
à la paix (dédié à toutes les nations),
Chant de ralliement (pour les Canado Américains) . . .
enfin, le O Canada, que tout le monde connait [sic] et chante.
Beaucoup d'autres morceaux, dont les titres sont connus des initiés,
sont perdus ou égarés. Lavallée avait, paraît
il, l'habitude de détruire ses propres essais, dès qu'ils
étaient exécutés, s'il n'avait un motif spécial
de les conserver.
Ce musicien de génie, trop méconnu pendant un temps,
avait droit de survivre devant les générations de l'avenir.
Le mouvement qui a abouti à son apothéose en juillet 1933
est de ceux dont il convient de se louer hautement.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 138-145. |