Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
SIR WILFRID LAURIER
(1841-1919)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
[Note de l’éditeur : Il est abondamment question de Laurier
ailleurs au site, particulièrement dans la collection de documents
sur Les Québécois,
le clergé catholique et l’affaire des écoles du
Manitoba.]
Wilfrid Laurier, le plus illustre sans doute de nos compatriotes, celui
en tout cas qui a porté le plus haut et le plus loin le renom
et la gloire de l'homme d'Etat canadien français, est né
à Saint Lin, au pied des Laurentides, le 20 novembre 1841. Il
est mort, à Ottawa, la capitale fédérale, le 17
février 1919, à 77 ans.
Le premier ancêtre de la famille Laurier au Canada, François
Jacques Cottineau dit Champlaurier, venu de la Charente en France, s'était
établi à Lachenaie vers 1677. Le père du futur
sir Wilfrid, Carolus Laurier, résidait à Saint Lin et
il était arpenteur. Sa mère, Marcelle Martineau, une bonne
et digne femme, mourut jeune, alors que Wilfrid n'avait encore que 4
ou 5 ans. L'enfant fut élevé par une belle mère,
qui lui était d'ailleurs dévouée et sympathique.
Le jeune garçon fit ses classes élémentaires à
l'école de son village de Saint Lin et à celle de New
Glasgow (Sainte Sophie) dans le voisinage, où il s'initia aux
premiers éléments de la langue anglaise, qu'il devait
parler plus tard avec tant d'aisance. En 1854, à 13 ans, il entrait
au collège de l'Assomption, et il y suivit tout son cours classique.
Il vint ensuite faire son droit, à Montréal, à
l'Université McGill. A l'Assomption, si j'en crois la tradition,
on appela Laurier "le petit Monsieur", à cause de sa
distinction innée et de sa belle tenue. A McGill, ce fut "le
jeune Monsieur", pour la même raison. Toute sa vie, au reste,
Laurier a été un "Monsieur" dans le meilleur
sens du terme, je veux dire un parfait gentilhomme. Reçu avocat
à 23 ans, en 1864, il pratiqua sa profession à Montréal,
avec Médéric Lanctôt, pendant quelques mois. Il
alla ensuite s'établir à Arthabaska, dans les Cantons
de l'Est. En 1868, il épousait, à Montréal, Zoé
Lafontaine, une jeune fille d'humble condition, mais vertueuse et de
très digne caractère, qu'il aimait et qui l'aimait, ce
qui est le meilleur gage de bonheur, et qui lui a été,
pendant cinquante ans, la plus dévouée et la plus distinguée
des femmes. Sir Wilfrid et lady Laurier n'ont pas eu d'enfants. Ce leur
fut un chagrin bien réel, dont ils se sont consolés en
répandant, autour d'eux, chez les enfants des autres, le plus
de bonheur qu'il leur fut possible.
En 1866 et 1867, Laurier combattit le projet et l'acceptation de la
Confédération canadienne et il fut, contre Cartier et
MacDonald, [sic] du parti de Dorion et des libéraux. Dans la
suite, au cours de sa carrière, il s'est efforcé de perfectionner
ce système compliqué d'un gouvernement fédéral
avec des provinces en partie autonomes. Il semble bien qu'il n'y ait
pas réussi comme il l'aurait voulu. Laurier avait 30 ans, en
1871, quand les électeurs d'Arthabaska l'envoyèrent siéger
à la Chambre de Québec. Trois ans après, en 1874,
les mêmes électeurs le choisissaient pour être leur
député aux Communes d'Ottawa. Ministre dans le cabinet
libéral MacKenzie en 1877, il dut en cette qualité de
ministre responsable subir une réélection. Cette fois,
il fut défait dans Arthabaska par D. O. Bourbeau, un marchand
influent de Victoriaville. Mais, tout de suite il fut élu dans
Québec Est, à la place d'Isidore Thibaudeau, qui avait
démissionné en sa faveur et fut nommé sénateur.
Québec Est devait réélire Laurier, sans interruption,
pendant quarante deux ans, de 1877 à 1919. Le grand homme fut
aussi, dans la suite, pour quelques sessions, député,
d'Ottawa, puis de Soulanges. En 1887, il succédait à Blake
comme chef du parti libéral à Ottawa, et ce devait être
pour trente deux ans, jusqu'à la fin de sa vie. En 1896, son
parti étant sorti victorieux des urnes, Laurier fut appelé
à former un ministère et gouverna le pays comme premier
ministre pendant quinze ans, de 1896 à 1911. Les conservateurs,
dirigés par M. Borden, l'ayant emporté aux élections
de 1911, Laurier redevint chef de l'opposition, et ce fut pour jusqu'à
sa mort en 1919.
Laurier avait été créé, en juin 1897, baronnet
avec le titre de sir. On l'appela désormais sir Wilfrid. Il était
aussi grand officier de la Légion d'honneur de France.
Je n'entre pas dans l'énumération de toutes les discussions
que sir Wilfrid eut à conduire à la tête du ministère,
ni non plus des mesures progressives qu'il préconisa. De celles
ci, le Père LeJeune, l'ami de toujours du grand homme, et qui
l'a assisté à sa mort en novembre 1919 - comme aussi lady
Laurier, en novembre 1921 --, dans son Dictionnaire général,
donne une liste imposante.
De 1871 à 1919, la vie publique de sir Wilfrid Laurier a duré
pas loin d'un demi siècle, exactement quarante huit ans. Ils
sont rares assurément, en régime démocratique,
les hommes d'Etat qui conservent ainsi la confiance de leurs commettants
et se maintiennent aussi longtemps devant l'opinion. Député
à 30 ans, ministre fédéral à 36 ans, chef
de son parti à 46 ans, au pouvoir durant quinze ans, Laurier
a fourni une carrière politique vraiment remarquable et même
étonnante entre toutes. Il est mort étant redevenu chef
de l'opposition depuis huit ans, c'est vrai. Mais il est mort en pleine
gloire encore, les armes à la main, si l'on peut dire ainsi d'un
homme politique, reconnu par tous ses concitoyens, ceux de langue anglaise
autant que ceux de langue française, les conservateurs aussi
bien que les libéraux, comme le premier homme d'Etat du Canada,
bien plus, salué dans le monde entier comme l'un des hommes les
plus considérables et les plus considérés de son
temps.
Comment peut on s'expliquer cette rare et singulière fortune
de Laurier ? Par les qualités physiques dont il était
richement pourvu d'abord, ensuite parce qu'il était honnête
homme et gentilhomme comme il en est peu, parce que aussi il possédait
à un haut degré le don puissant de l'éloquence,
et parce que, enfin, dans un pays difficile à gouverner, il fut
un homme souple, un chef de parti accessible aux compromis, ou, si l'on
veut, un diplomate habile. Sur ce dernier point, qu'on le remarque bien,
je n'apprécie pas, je constate, rien de plus.
L'apparence et la mine extérieure ne font pas l'homme supérieur
sans doute, ni non plus l'homme d'Etat. Mais il n'est pas indifférent
à celui qui brigue les suffrages de ses concitoyens de payer
de sa personne en prestance, d'avoir une voix agréable, de gesticuler
avec élégance et même d'être toujours bien
mis. L'habit ne fait pas le moine, soit. Mais il lui aide à le
paraître avec dignité. Or, notre grand sir Wilfrid, le
"petit Monsieur "du collège et "le vrai Monsieur"
de toujours, était sans conteste un fort bel homme. Très
grand, bien fait, de geste aisé et de figure expressive, avec
une tête incomparable au large front et aux yeux bien vivants,
couronnée depuis longtemps de la plus magnifique chevelure blanche
qui se puisse rêver, possédant une voix au timbre riche
et harmonieux que les plus célèbres ténors auraient
pu lui envier, Laurier dégageait de toute sa personne, surtout
quand il parlait en public, je ne sais quel charme et quel magnétisme.
Je ne crois pas trop dire en affirmant que, moins vibrant que d'autres
peut être -- Chapleau par exemple -- mais plus insinuant que personne,
Laurier était physiquement, comme orateur, absolument irrésistible.
Sans en être orgueilleux, il en avait conscience, je pense, et
quand il a dit un jour : "Suivez mon panache blanc !", il
savait ce qu'il disait.
Ce bel homme était aussi un honnête homme et un gentilhomme
dans la meilleure acception des termes, qualités morales, qui,
au fond, mieux que tous les avantages physiques, donnent ou assurent
de l'emprise sur les masses populaires. "Je laisse à d'autres
d'apprécier sa longue carrière politique, écrivait
au lendemain de sa mort Mgr Bruchési à lady Laurier, mais
je tiens à vous dire, Madame, que, en votre regretté sir
Wilfrid, c'est l'une de nos plus belles gloires canadiennes qui disparaît
et que sa mort nous est certainement à tous l'occasion d'un deuil
national. Des relations intimes m'ont permis plus d'une fois de pénétrer
toute la noblesse de son âme. La bonté, je le sais, faisait
le fond de sa nature. Il a soulagé bien des misères et
encouragé nombre de jeunes talents. Dans ses relations, dans
ses lettres, dans ses discours, dans sa vie publique et dans son intimité,
M. Laurier, à ma connaissance, n'a jamais blessé la charité
. . ." Voilà qui constitue un beau témoignage, et
venu de haut, auquel se pourraient joindre tant d'autres, rendu à
l'honnête homme et au gentilhomme qu'était sir Wilfrid.
Laurier a été en plus, et ce fut une autre cause de son
immense prestige, un grand orateur, l'un des plus grands que nous ayons
eus, après Papineau et avec Chapleau et Mercier, pour ne parler
que de ceux du passé. C'était, par excellence, l'orateur
parlementaire, le silver tongue, disaient les députés
anglais, l'orateur à la langue d'argent. J'ai parlé de
ses dons physiques. Mais, il en avait bien d'autres encore. Il avait
l'intelligence, il avait le cœur, il avait l'imagination. Le sénateur
David, qui fut son ami fidèle, un ami sincère et franc,
écrivait en 1894 :
"L'éloquence de Laurier diffère de celle de Chapleau
et de celle de Mercier. Sa voix est douce, sonore et harmonieuse, son
langage est correct, élégant et gracieux comme ses manières,
ses pensées et ses sentiments sont nobles et élevés
comme sa tête et comme son regard... Il est l'égal des
grands hommes d'État et des orateurs les mieux accomplis du vieux
monde . . ." Je crois, en toute sincérité, que c'est
là un jugement que l'histoire a déjà ratifié.
Enfin, l'un des plus puissants moyens d'action de Laurier fut, si je
ne me trompe, son opportunisme. Laurier a été un meneur
habile, un diplomate souvent heureux, un chef de parti accessible aux
compromis. A t il eu tort, a t il eu raison ? C'est une bien grosse
question. Sur sa tombe, un journaliste de Québec des plus distingués,
qui l'avait souvent combattu, écrivait ces lignes très
significatives: "La dignité constante de la vie de sir Wilfrid
et l'élévation de son caractère permettent de penser
que, dans des circonstances difficiles, il a plutôt obéi
à des motifs d'ordre élevé. L'histoire dira si
sa manière de voir, et, par conséquent, sa manière
d'agir, ont été les plus justes et les plus pratiques."
Je laisse, à mon tour, à la postérité de
juger Laurier et son oeuvre, quand le recul des ans aura permis de faire
le juste point. Mgr Mathieu a rappelé, en prononçant son
oraison funèbre à Ottawa, que l'idéal de Laurier
avait été d'unir, sans les assimiler, les Canadiens de
race française à ceux de race anglaise au milieu desquels
la Providence veut qu'ils vivent. C'était une rude tâche,
et il n'y a pas, je pense, complètement réussi. Mais,
le but auquel il tendait était évidemment noble et élevé.
La vie publique est le plus souvent dure à ceux qui la mènent.
Comme Lafontaine et comme Cartier, Laurier a connu, sur la fin de ses
jours, que la politique est ingrate. Ce sont ses propres amis et partisans
des provinces anglaises, divisés d'avec lui sur la délicate
question de l'aide à apporter à l'empire au cours de la
grande guerre, qui se sont chargés de le lui faire rudement sentir.
Mais, en supportant l'épreuve la tête haute et l'âme
sereine, il s'est grandi davantage, en ajoutant à sa gloire le
cachet de la souffrance. Il ne m'a jamais paru plus courageux et plus
digne que lorsque, au soir de sa vie, il se trouva soudain abandonné
aux Communes par un groupe important de ses partisans qui entraient
dans un cabinet d'union dirigé par M. Borden. On a dit que cela
avait hâté l'heure de sa mort. Je n'en sais rien. Mais,
ce que je sais bien, c'est que, dans l'adversité comme dans la
bonne fortune, et plus encore peut être, sir Wilfrid Laurier s'est
montré vraiment grand.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 112-121. |