Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Sir
Louis Hippolyte Lafontaine
(1807-1864)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Louis Hippolyte Lafontaine naquit à Boucherville, presque en
face de Montréal, le 4 octobre 1807, et mourut à Montréal
même, le 26 février 1864, à 56 ans. C'est à
lui que nous devons, au Canada, l'établissement du gouvernement
responsable au peuple. Il fut à la tête des affaires du
pays une dizaine d'années, de 1841 à 1851. Son alliance
avec Baldwin est restée mémorable. Retiré de la
vie politique active en 1851, il devint en 1853 juge en chef pour le
Bas-Canada et le fut jusqu'à sa mort. A ses funérailles,
le 2 mars 1864, Mgr Bourget prononça son éloge funèbre.
C'est l'un de nos plus grands hommes d'Etat et peut être le plus
fier de tous.
Par les deux familles dont il était issu, les Lafontaine et
les Ménard, Louis Hippolyte, le futur parlementaire et le futur
baronnet, d'où son titre de sir Louis Hippolyte, était
de bonne et franche lignée française et rurale, et il
avait, comme on dit, du bon sang dans les veines. Son père, Antoine
Lafontaine, et le père de son père, Louis Lafontaine,
avaient été capitaines de milice, ce qui, en ce temps
là, constituait une situation sociale importante. Le père
de sa mère, Antoine Ménard, siégea à l'Assemblée
législative de Québec. C'étaient, ces anciens des
lendemains de la cession de 1763, de braves gens, qui, tout en étant
loyaux aux pouvoirs établis, parce que soumis aux nécessités
que commandaient les événements, n'abdiquaient rien pourtant
des légitimes revendications de leur foi et de leur religion,
de leur race et de leur sang. Noblesse humblement paysanne sans doute,
mais noblesse quand même et qui obligeait tout comme l'autre.
Louis Hippolyte suivit son cours d'études secondaires au collège
de Montréal, sous la direction des sulpiciens. En 1829, il était
admis au barreau. Deux ans plus tard, en 1831, il épousait Adèle
Amable, fille du docteur Berthelot, de Saint Eustache, dont il n'eut
pas d'enfants. Devenu veuf en 1859, il épousa en secondes noces,
en 1861, Jane Mary Morrisson, veuve du capitaine Thomas Kinton, dont
il eut deux fils, morts tous les deux en bas âge. Il n'a donc
pas laissé de postérité.
Avocat en 1829, à 22 ans, Lafontaine s'occupa aussitôt
de politique, et, dès octobre 1830, les électeurs de Terrebonne
en faisaient leur député à la Chambre de Québec.
A cette époque, la chose s'explique. Les chefs étaient
rares et les jeunes bien doués se sentaient vite tenus de servir
l'intérêt public. Mais il semble bien que le cas de Lafontaine,
et ceux de Morin, de Cartier et de quelques autres, légitimés
par les circonstances ou les besoins de leur temps, doivent être
considérés comme exceptionnels. En des circonstances toutes
différentes, ces exemples aujourd'hui ne sont plus à suivre.
Il vaut mieux, assurément, se préparer à la carrière
politique de longue main, par des études sérieuses et
prolongées.
Lafontaine suivit d'abord Papineau et fut, avant 1837, l'un des plus
ardents lieutenants du fameux tribun. A cela, rien d'étonnant.
L'on sait, en effet, que Papineau, par le prestige de son talent et
surtout par l'éloquence de sa parole, attirait alors invinciblement
dans son sillage tout ce que le petit peuple canadien français
comptait de sujets brillants. L'une des conséquences de son attitude
fut de valoir à Lafontaine l'honneur d'aller en prison, en 1838,
pour délit politique. Mais il fut bientôt libéré
et demanda en vain qu'on lui fît son procès. Les événements
cependant, en tournant au tragique, l'avaient assagi et rendu plus prudent.
"La fusillade qui ensanglanta les bords du Richelieu, a écrit
DeCelles, produisit sur Louis Hippolyte l'effet d'un jet d'eau froide
sur la vapeur." Il se classa désormais, contre Papineau,
parmi les modérés, dont il ne tarda pas à devenir
le chef et le guide.
Mais, tout en se tenant dans les limites de la légalité,
Lafontaine ne cessa pas de se montrer tenace autant que dévoué
en combattant pour le droit à la liberté de ses compatriotes.
Sa modération même, par le jeu des intérêts,
fit de l'homme de l'opposition qu'il était d'abord, mieux qu'un
homme de gouvernement, un véritable chef. Il s'allia avec Baldwin,
chef des patriotes du Haut Canada. Le gouverneur Sydenham, qui reconnaissait
sa force, l'ayant combattu dans Terrebonne, personnellement, sous le
prête nom du docteur McCullogh, en 1841, l'obligea en quelque
sorte à renoncer à briguer les suffrages de ses électeurs
pour éviter des effusions de sang. Baldwin le fit aussitôt
élire dans York, un comté du Haut Canada. Peu de temps
après, il faisait lui même élire Baldwin dans Rimouski.
En 1843, le gouverneur Bagot les appelait tous les deux à former
un premier ministère qui fut renversé en 1844. Les deux
amis revinrent au pouvoir et formèrent un nouveau ministère,
sous lord Elgin, en 1848. Ce gouverneur à l'esprit large et tolérant,
qui comprit heureusement les exigences de la situation, s'inclinait
par le fait devant la volonté populaire. Soutenus par l'opinion
publique, chacun dans sa province, les deux hommes d'Etat, clairvoyants
et habiles autant que résolus et énergiques, qui se complétaient
l'un et l'autre et surent s'entendre, nous obtenaient ainsi, paisiblement
et sans violence, nos libertés politiques, ou, si l'on veut,
le gouvernement responsable au peuple. L'histoire l'a proclamé
plus d'une fois et elle ne saurait l'oublier. L'administration Lafontaine
Baldwin se maintint, au milieu de bien des difficultés, jusqu'en
1851.
La politique est ingrate, on le sait depuis longtemps. Elle ne ménage
pas les hommes, même les meilleurs et les mieux intentionnés.
Lafontaine, comme tant d'autres avant et après lui, l'éprouva
douloureusement. Combattu par des adversaires qui se montraient vigoureux
et sans scrupules, discuté par ses propres amis, il finit par
voir la division s'introduire dans son propre parti. Peut être
prit il les choses trop à cœur. Toujours est il que, après
l'échec de 1851, il abandonna, à 45 ans, les luttes actives
de la vie publique et se retira sous sa tente. Nommé juge en
chef du Bas Canada, il rendit cependant encore de précieux services
au pays jusqu'à sa mort, qui fut soudaine et inattendue, en février
1864. En 1854, il avait été créé baronnet
de Sa Majesté Britannique, ce qui lui donnait droit au titre
de sir. Il fut le premier Canadien français à porter ce
titre. On l'appelait sir Louis Hippolyte.
Dans Lafontaine et son temps, volume publié en 1907, DeCelles
nous a laissé du grand homme le portrait que voici : "Son
aspect physique était imposant. D'une taille au dessous de la
moyenne, large d'épaules, avec une tête carrée,
il avait le vaste front des méditatifs et on lisait sur les traits
de sa figure les caractéristiques de l'énergie et de la
fermeté. Il eut été difficile de dire que sa physionomie
était de tout point attrayante. Elle paraissait, pour cela, trop
solennelle et trop au dessus de l'humanité commune. On eut dit,
en effet, une statue sur un piédestal ? . . ."
D'autre part, les contemporains de Lafontaine affirmaient volontiers
qu'il ressemblait beaucoup au grand Napoléon, et les portraits
qu'on a de lui ne démentent pas cette affirmation. On a raconté,
à ce propos, des anecdotes savoureuses. Dans une visite de notre
grand homme aux Invalides à Paris, en 1853, de vieux grognards,
survivants des guerres de l'Empire, auraient dit en le voyant : "Tiens,
mais c'est l'empereur !" . . . Lady Bagot, la femme du gouverneur
de ce nom, qui avait connu Napoléon, se serait exclamée,
en voyant dans ses salons pour la première fois l'homme d'Etat
canadien : "Vraiment, si je ne savais pas que Bonaparte est bien
mort à Sainte-Hélène, je croirais que c'est lui
même qui vient d'entrer ici." En tout cas, s'il en avait
plus ou moins la stature et la carrure plutôt plus que moins Lafontaine
avait certainement, au moral, du célèbre Corse, l'énergie
et l'assurance. Comme lui, il l'a prouvé, il voyait clair et
il savait agir.
Les esprits spéculatifs, a t on remarqué souvent, ne
font pas d'ordinaire les meilleurs hommes. de gouvernement. Ils s'attardent
trop à délibérer quand il faudrait passer à
l'action. Tel n'était pas Lafontaine. Jamais il ne s'égara
dans la forêt des théories et des chimères. Les
plus beaux plans de réforme le laissaient toujours froid, s'il
ne leur voyait une portée pratique. Sachant distinguer entre
l'utopie et le possible, il comptait avec le passé du peuple,
avec les mœurs qui font échec aux meilleures lois, du moment
que ces lois les contrarient. C'est pourquoi son prestige et son influence
furent si considérables sur ses contemporains. Qu'il fût
au pouvoir ou qu'il fût dans l'opposition, son autorité
s'imposa, toute une décade, dominatrice et inéluctable.
Mais, comme tous les autoritaires, à la fin il fut brisé.
Il est à remarquer que, ce prestige et cette influence, Lafontaine
ne les dut pas surtout à ses talents d'orateur. Sa parole, en
effet, était brève et sobre. Il se contentait d'ordinaire
d'exprimer clairement et nettement sa pensée. Sa manière
n'avait rien de cette éloquence colorée, empoignante et
entraînante d'un Papineau, ou, plus tard, d'un Chapleau, d'un
Mercier et d'un Laurier. Ses discours, c'était une suite de syllogismes.
Rarement, il s'adressait au cœur ou aux sentiments. Il visait à
convaincre et à persuader, ce qui vaut mieux dans doute pour
l'effet de durée. Parfois, il faut cependant l'ajouter, l'occasion
donnée, parce qu'il sut tirer parti des circonstances, alors
que les circonstances étaient émouvantes, il atteignit
sans le chercher à la plus haute éloquence. Je n'en veux
rappeler qu'un exemple d'ailleurs connu de tous. C'est quand, après
l'Union, parlant pour la première fois à la Chambre, il
prononça ce discours fameux, où, si fièrement,
au milieu des protestations des fanatiques jingos, il revendiqua en
français les droits de la langue française, la langue
de sa mère, disait il, et celle aussi de tous ses frères
canadiens français. Mais, ce n'était pas là sa
manière de dire accoutumée. Ce fut plutôt comme
un éclair dans un ciel le plus souvent calme et serein.
Au début de leur alliance, vers 1842, Baldwin rendait à
Lafontaine ce témoignage qui explique bien des choses et que
l'histoire se doit de conserver : "J'ai remarqué en M. Lafontaine
un sens si vif du droit, une détermination si prompte à
l'affirmer, un éloignement si profond des intrigues et des petits
artifices, que j'ai été heureux de lui donner mon amitié
et ma confiance. Je suis fier de l'avoir pour guide et pour chef. Je
le dis au peuple du Haut Canada, nous ne saurions trouver, à
mon avis, comme chef du parti uni de la réforme, un homme plus
attentif à nos intérêts et plus décidé
à donner à notre peuple tout entier une administration
qui puisse le satisfaire . . ."
"Lafontaine, écrivit DeCelles, en terminant sa forte étude
sur l'homme d'Etat de 1841-1851, fut la plus grande figure de la plus
belle période de notre histoire." Et c'est bien là,
je pense, le souvenir qu'en garde et qu'en gardera à jamais la
postérité.
L'un de nos parcs publics à Montréal, l'un des plus beaux
que nous ayons, et qui est situé dans l'est de la ville, porte
depuis trente ans le nom de Lafontaine. A l'été de 1930
il y avait cent ans cette année là que Lafontaine avait
été élu pour la première fois député
à l'Assemblée de Québec on a élevé
dans ce parc, à sa mémoire, un monument public, qui le
représente, dans le bronze, sur base de granit, esquissant son
geste sauveur de défenseur de sa langue et de sa race. C'était
justice! Chez nos anciens, au pays de ma jeunesse, dans Terrebonne et
Laval, mon propre grand-père qui était un de ses électeurs
le rappelait souvent, le nom de Monsieur Lafontaine ou de sir Louis
Hippolyte était resté populaire et vénéré.
Mais, avec le temps, les souvenirs s'effacent. Il convenait absolument
que le grand homme, à qui nous devons en somme nos libertés
politiques, revive statufié devant les générations
de l'avenir. En le glorifiant ainsi dans le bronze, la ville de Montréal
s'est honorée tout autant, sinon plus encore, qu'elle ne lui
a fait honneur à lui même.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 9-19. Sur la question
du gouvernement responsable on pourra consulter ce texte ailleurs
au site. |