Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Monseigneur
Louis François Laflèche
(1818 1898)
par
M. L’Abbé Elie-J.
AUCLAIR
Mgr Louis François Laflèche, de la famille des Richer
dit Laflèche, dont le premier ancêtre au Canada, Pierre
Richer, venu au pays en 1665, était originaire de La Flèche,
France, se trouvait être, comme Mgr Bourget, de modeste extraction
terrienne. Depuis 1677 les Richer Laflèche, dont sont sortis
presque tous nos Richer et nos Laflèche, cultivaient le sol de
père en fils, ayant leur terre patrimoniale à Sainte Anne
de la Pérade. C'est là que le futur évêque
vint au monde le 4 septembre 1818. Plus jeune que Mgr Bourget, né
en 1799, et plus vieux que Mgr Taché, né en 1823, Mgr
Laflèche mourut le dernier des trois en 1898, tandis que Mgr
Bourget décéda en 1885 et Mgr Taché en 1894. Mais,
c'étaient des contemporains.
Louis François fit ses études classiques à Nicolet,
de 1831 à 1839. Il y enseigna ensuite, comme séminariste,
les lettres et les sciences, tout en suivant ses cours de théologie,
selon la coutume du temps. A l'automne de 1843, il se donnait aux missions
de l'Ouest, où Mgr Provencher, un autre Nicolétain, était
alors évêque de Rivière Rouge (Saint Boniface) .
Le 7 janvier 1844, il était ordonné prêtre à
Québec. Nommé vicaire à Saint Grégoire,
auprès du curé Harper, un ancien missionnaire, il y commença
à s'initier à l'étude des langues indiennes. Son
stage ne fut là que de trois mois.
Le 24 avril 1844, avec Mgr Provencher et l'abbé Joseph Bourassa,
M. Laflèche se mettait en route pour l'Ouest. On arriva à
RivièreRouge, après avoir parcouru en canot sept cent
cinquante lieues, le 21 juin suivant. C'est l'année d'ensuite,
le 25 août 1845, que les deux premiers Oblats, le Père
Aubert et le Frère Taché, qui n'était encore que
sousdiacre, arrivèrent à leur tour à Rivière
Rouge. En juillet 1846, l'abbé Laflèche et le Père
Taché, récemment ordonné prêtre, se rendaient
à la célèbre mission de l'Ile à la Crosse,
où viendraient après eux les Pères Faraud et Grandin,
plus tard évêques eux aussi, et que, pour cette raison,
le Père Duchaussois, dans Aux glaces polaires, a dénommée
un berceau d'évêques. En 1848, Mgr Provencher nomma l'abbé
Laflèche qui n'avait encore que. 30 ans tout en le laissant à
l'Ile à la Crosse son vicaire général et l'administrateur
du diocèse au cas où il viendrait lui même à
mourir. Plus encore, en janvier 1849, le vieil évêque le
faisait élire son coadjuteur, et, de fait, M. Laflèche
fut préconisé évêque d'Arath par le pape
Pie IX. Mais il ne reçut pas, cette fois, l'onction épiscopale.
A la suite d'un mauvais rhumatisme, occasionné sans doute par
la rigueur du climat et les fatigues de l'apostolat, il était
devenu boiteux pour sa vie. Il mit de l'avant cette infirmité
et réussit à se soustraire à l'honneur et au fardeau
de l'épiscopat. Le 24 juin 1850, le Saint Père nommait
à sa place le Père Taché. Pour M. Laflèche,
ce n'était que partie remise. Il continua ses fonctions de grand
vicaire et se dévoua, le mieux qu'il pût, auprès
de Mgr Provencher, dont il ferma les yeux en juin 1853, et de Mgr Taché,
son ami devenu évêque, jusqu'à l'été
de 1856. Il revint alors dans sa province natale et à Nicolet,
qui relevait en ce temps là de l'évêché de
TroisRivières (depuis 1852), où Mgr Cooke était
évêque.
A Nicolet, M. Laflèche enseigna pendant cinq ans (1856 1861)
les mathématiques, l'astronomie et la philosophie. En même
temps, il devint préfet dés études en 1858 et supérieur
en 1859. En plus, Mgr Cooke le nomma son grand vicaire en 1857. Il ne
quitta pourtant Nicolet qu'en septembre 1861. Mgr l'évêque
l'appelait à TroisRivières, où il fut procureur,
puis curé de la cathédrale. Enfin, en 1866, Rome le choisissait
comme coadjuteur de Mgr Cooke. Préconisé évêque
d'Anthédon, il fut sacré, à TroisRivières,
par Mgr Baillargeon, le 25 février 1867. Il avait 47 ans. Le
11 avril 1869, Mgr Cooke, usé par l'âge et les labeurs,
lui confiait l'administration du diocèse. L'année d'ensuite,
en avril 1870, alors qu'il assistait au concile du Vatican à
Rome> la mort de Mgr Cooke étant survenue le 30 de ce mois,
Mgr Laflèche devint titulaire de TroisRivières. Il dirigea
le diocèse pendant vingt hiut ans, de 1870 à 1898. Il
est mort là, en plein labeur, à 80 ans, le 14 juillet
1898.
Très intelligent, de jugement sain et droit, de mémoire
facile et fidèle, M. Laflèche, qui était aussi
un bel homme, à la figure fine et douce, se montra, dans l'Ouest,
un missionnaire extraordinairement actif, autant que courageux et intrépide.
Bientôt maître des langues indigènes le cri et le
sauteux notamment il se fit l'ami sincère et le vrai frère
de ses Sauvages et de ses Métis. Observateur attentif et clairvoyant,
il s'instruisit au contact de ces hommes primitifs, qui sont loin souvent
de manquer de connaissances. Il se ménageait, entre temps, le
moyen de nourrir son esprit de lectures substantielles et> surtout
peut être, il lisait dans le grand livre de la nature. D'autre
part, son dévouement à ses frustes ouailles ne se lassait
pas. A un moment donné, il se montra même à la hauteur
des héros les plus fameux. C'était en juillet 1851. Les
Métis et les Sioux, en guerre les uns contre les autres, se rencontraient
au pied des buttes du GrandCoteau (dans le Dakota aujourd'hui). Revêtu
du surplis et de l'étole et le crucifix à la main, l'homme
de la prière s'interposa entre les combattants, et le combat
cessa, les Sioux prenant soudain le large. Au reste, les onze ans de
mission de M. Laflèche, comme ceux de tous les grands apôtres
de l'Ouest, ont constitué une sorte d'héroïsme, le
plus vrai peutêtre, de tous les jours et de tous les instants.
On ne saurait raconter en quelques lignes tout ce qu'il a été
pour Mgr Provencher et pour Mgr Taché. L'un et l'autre lui ont
rendu, à ce propos, les témoignages les plus significatifs.
Revenu à Nicolet, M. Laflèche, à cause de son
expérience des hommes et des choses, étudiés ou
observés en pleine nature, tout autant que par sa science acquise
et ses connaissances variées en toutes sortes de matières,
devint, sans transition perceptible, un maître ou un professeur
de toute première valeur, Merveilleusement doué du talent
de s'exprimer avec aisance et de celui de communiquer aux autres ce
qu'il savait lui même, il trouvait souvent, dans ses souvenirs
personnels, des comparaisons qui peignaient les gens et les situations
et donnaient l'illusion de la vie. Fervent des sciences naturelles et
de l'histoire, il en illustrait tout son enseignement. Il imagina et
érigea, dans le jardin du collège, une représentation
du système planétaire dont on a parlé longtemps.
De même, il fut un préfet des études et un supérieur
qui semblait à beaucoup n'avoir pas son égal.
Mgr Laflèche avait 47 ans quand il devint évêque,
et il en avait 52 quand il prit l'administration de son diocèse,
qu'il garda jusqu'à l'âge avancé de 80 ans. C'est
là surtout que le bon Dieu lui réservait sa part d'héritage
pars haereditatis. Il l'administra, cette part du domaine du Seigneur,
tous ceux qui l'ont vu à l'oeuvre en conviennent à l'envi,
avec une maîtrise superbe. Ce fut un saint et un lutteur, pieux
et recueilli, charitable, mortifié et renoncé, ardent
combatif contre toutes les erreurs, un homme "de culture universelle,
dont la parole et la plume couraient avec une égale facilité"
(Le Père Duchaussois). Son action d'évêque et de
chef de peuple rayonna, bien au delà des limites de son diocèse,
par toute la province et par tout le pays. Il assista à quatre
conciles de Québec et fut mêlé pendant près
d'un demi siècle à tout ce qui intéressait la sainte
Eglise au Canada. Parce qu'il était un orateur abondant, naturel
et singulièrement éloquent, aussi bien qu'un penseur puissant,
on recourait de partout à ses conseils et on s'adressait à
lui pour les sermons des grandes occasions. Si chargé fûtil
par ailleurs, il ne refusait jamais, quand c'était matériellement
possible, de rompre, comme il disait, le pain de la parole sacrée
aux enfants de Dieu. Ses vues ont été discutées,
mais personne n'a jamais douté de la sincérité
et de la hauteur de ses intentions pour le meilleur service de sa foi
et de sa race, pour l'honneur de l'Eglise et le bien de son pays.
On a dit que c'était un évêque du moyen-âge
! Oui, il l'était, avec même une certaine intransigeance
quand il s'agissait de défendre la doctrine essentielle. Mais
il comprenait aussi magnifiquement son temps et nul ne fut plus généreusement
soumis aux directions et aux décisions de l'autorité suprême.
La division de son diocèse de Trois Rivières, par la création
de celui de Nicolet en 1885, lui fut une dure épreuve; mais il
sut , s'incliner avec respect et dignité devant le décret
de la Providence. Dans les questions controversées de l'époque,
comme Mgr Taché il soutint toujours Mgr Bourget. L'événement
a établi que, le plus souvent, leurs vues à tous les trois
étaient justes. En somme, comme ses deux illustres collègues,
Mgr Laflèche a été un très grand évêque
l'Athanase du Canada, a dit un jour Mgr Bruchési.
Vingt huit ans après sa mort, le 26 septembre 1926, on érigeait
à Mgr Laflèche, à Trois Rivières, sur l'une
des principales places publiques, dans une cérémonie grandiose,
un très beau monument. Il l'a bien mérité ! Il
est de ceux d'ailleurs qui ne meurent pas complètement, parce
qu'ils revivent dans leurs oeuvres et que l'histoire ne peut pas ne
point garder leur mémoire.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 31-38. On trouvera ailleurs au site des documents sur
l’attitude de Mgr Laflèche
sur la question des écoles du Manitoba. |