Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Mgr Édouard-Charles Fabre

(1827-1896)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Mgr Edouard Charles Fabre, le successeur de Mgr Bourget sur le siège épiscopal de Montréal, est né, à Montréal même, le 28 février 1827. Son père, EdouardRaymond Fabre, fils de Pierre et petit fils de Raymond, celui ci premier ancêtre canadien, originaire de Montpellier, venu au pays vers 1754 ou 1755 (marié à Montréal en novembre 1757) était allé en France, vers 1822, se former au commerce de librairie. A son retour, il prit à Montréal la direction de la librairie fondée ici en 1815 par la firme Bossange de Paris et devint le chef de la première maison importante de ce genre à Montréal, la librairie Fabre et Gravel. Il fut maire de la grande ville de 1849 à 1851. Marié en mai 1826 à Luce Perrault, il en eut cinq enfants, dont Edouard Charles, l'aîné, Hortense, femme de sir Georges Etienne Cartier, et Hector, avocat, journaliste, sénateur, puis commissaire général du Canada à Paris de 1882 à 1910. Les Perrault, de Saint Antoine sur Richelieu, étaient aussi de bonne lignée. C'est l'un des oncles, je crois, du futur archevêque, Charles Ovide Perrault, qui fut tué à la bataille de Saint Denis en 1837.

Edouard Charles Fabre était donc issu d'une famille marchande distinguée, en relation d'affaires avec la maison Bossange de Paris. C'est ce qui explique comment, chose rare à l'époque, après ses études de lettres à Saint Hyacinthe, il alla, en 1843, à 16 ans, suivre son cours de philosophie à Issy, chez les Sulpiciens, où il reçut la tonsure des mains de Mgr Affre. Revenu à Montréal en 1846, il résida et étudia à l'évêché, où se donnaient alors des cours de théologie, et y fut ordonné prêtre, par Mgr Bourget, à 23 ans, le 28 février 1850. Vicaire deux ans à Sorel, il fut ensuite curé de Pointe Claire encore deux ans. En 1854, Mgr Bourget le rappelait près de lui à l'évêché, et, l'année d'ensuite, il le créait chanoine titulaire de sa cathédrale. Dix neuf

ans plus tard, le ler avril 1873, il était élu coadjuteur de Montréal, avec le titre d'évêque de Gratianapolis, et sacré dans l'Eglise du Gésu le 1 er mai suivant. Evêque en titre de Montréal, à la démission de Mgr Bourget, en mai 1876, il administra le diocèse pendant vingt ans, fut promu archevêque en juin 1886 et mourut, à 69 ans, le 30 décembre 1896.

Homme de douceur et de paix par tempérament et par conviction réfléchie, ainsi que l'indiquait sa devise in fide et lenitate. Mgr Fabre succédait à Mgr Bourget, qui était d'un caractère plutôt entier et autoritaire, bien que très surnaturel dans ses vues, très pieux et très saint, à un moment de difficultés de diverses sortes et de crise financière assez embarrassante, que d'ailleurs il connaissait bien, ayant été mêlé à l'administration diocésaine depuis des années. Il entendit gouverner par la méthode pacifique et il le montra en pratiquant d'abord la douceur et la patience. Il redoutait d'instinct les affaires compliquées et les discussions passionnantes, et il les évitait ou les éloignait le plus possible. Mais il se révélait ferme aussi dans ses décisions et savait s'y tenir. Par son jugement sain et son bon coeur, il arriva à tout régler et à tout pacifier, sans qu'il y parût beaucoup. On lui en a rendu dans la suite plusieurs fois le témoignage. Modeste et sans prétention, il s'entoura de jeunes collaborateurs de talents remarquables, qui donnèrent à sa direction administrative de l'équilibre et de l'éclat et devinrent eux mêmes plus tard des évêques justement honorés : Mgr Bruchési, Mgr Emard, Mgr Archambeault et Mgr Racicot. Son règne épiscopal, l'histoire se doit de le reconnaître, a été particulièrement bienfaisant. Avec lui, nombre de difficultés, celles occasionnées par la division des paroisses dans la ville et celles de la fameuse question universitaire par exemple, s'apaisèrent considérablement, si elles ne disparurent pas complètement. Très fidèle au devoir des visites pastorales, soucieux de maintenir la discipline jusque dans les détails, s'y connaissant en hommes et plaçant toujours au bon endroit celui qu'il fallait, d'un rare bon sens et d'une prudence jamais en défaut, dévoué dans l'âme, il fut avant tout pasteur et père dans toute la force de ces termes. Il créa de nombreuses paroisses, encouragea ses communautés d'hommes et de femmes, en admit de nouvelles dans son diocèse, ordonna plus de mille prêtres (1025) et consacra sept évêques.

L'un des traits caractéristiques du bon archevêque, c'est qu'il aimait beaucoup la liturgie et les cérémonies sacrées. On en tenait compte jusqu'à Rome et j'ai ouï dire qu'on le consultait à la Congrégation des Rites. Un évêque de Bretagne Mgr Fallières, de Saint Brieuc en parla un jour devant moi, en disant que l'archevêque de Montréal, qu'il avait vu pontifier à Amiens, "présidait les cérémonies de l'Eglise avec une remarquable exactitude et une rare dignité". Mgr Fabre, en effet, savait ses rubriques sur le bout de ses doigts, comme on dit souvent. Avant de devenir évêque, et même après, c'est lui qui rédigeait l'ordo, c'est à dire l'indicateur des offices de chaque jour, à la messe et au bréviaire, pour les prêtres et les communautés du diocèse. I1 connaissait mieux que personne le catalogue des saints inscrits au martyrologe romain. Quand il officiait à la sainte messe ou à quelque autre cérémonie, il n'omettait pas un salut, ni un demi salut, et il tenait à ce que ses assistants en fîssent autant. Sa fidélité aux moindres prescriptions du cérémonial était impeccable. On a raconté qu'à la bénédiction d'une église celle de Longueuil alors qu'il consacrait l'autel principal et que d'autres évêques accomplissaient le même rite aux autels latéraux, il envoya son cérémoniaire dire à l'un de ces évêques qu'il se trompait sur un point de détail ? Il n'était jamais si heureux et content, semblait il, que lorsqu'il célébrait une "pontificale". C'était pour lui d'un de ces moments où il rayonnait, à la lettre. Un seul ennui, je pense, le taquinait. Il n'était pas très solide sur le plain chant. Au cours des grands offices de la semaine sainte, qu'il présidait toujours en personne, c'était presque amusant, en dépit du sérieux et de la solennité du temps et du lieu, de l'entendre nous dire, à ses diacre et sous-diacre, au moment d'entonner l'Ecce lignum crucis ou l'Alleluia : "Allons, aidez moi !" On essayait bien, mais ce n'était pas toujours un succès.

Une autre caractéristique de Mgr Fabre, c'est qu'il était doué d'une mémoire prodigieuse, spécialement en ce qua concernant les personnes. Il se souvenait de toutes les physionomies une fois qu'il avait connu les gens. Combien souvent il aimait à rappeler, dans ses conversations, le souvenir de ses condisciples français du séminaire d'Issy, de ceux en particulier qui avaient eu l'honneur d'être promus à l'épiscopat, comme Mgr le cardinal Lavigerie, l'archevêque d'Alger, et Mgr le cardinal Thomas, l'archevêque de Rouen. Il se plaisait

d'habitude à nommer ses curés par le nom de leur paroisse respective. "Tiens, Boucherville n'est pas arrivé, c'est étonnant !" disait il devant moi, à une séance chez les Jésuites de la rue Bleury, en constatant que M. Pruneau, curé de Boucherville, qui avait coutume d'être présent partout, n'était pas encore là. Mgr Fabre, je l'ai noté plus haut, avait ordonné un grand nombre de prêtres. Il se rappelait de chacun et savait ce qu'al était devenu. "C'est mon millième", disait il joyeusement de l'un d'entre eux, qui est maintenant le curé d'une importante paroisse de Montréal. Quand je revins de mes études à Paris, en 1896, peu de mois avant sa mort, j'eus l'occasion de lui dire que j'avais connu, à l'Institut catholique, un jeune prêtre de Nîmes à qui il avait conféré les ordres moindres. "C'est l'abbé Sangunnède", me dit il aussitôt, et c'était bien cela en effet. Cette heureuse et fidèle mémoire lui permettait souvent de faire plaisir à nombre des ouailles de son vaste diocèse. "Ah ? c'est vous à présent, Monsieur Un Tel, qui êtes marguillier. J'en suis bien content et je vous en félicite." Et le brave marguillier, qui n'avait vu Monseigneur qu'une couple de fois dans sa vie, était tout fier de se voir reconnu par son archevêque. Un jour, à l'église Saint Jean Baptiste de la rue Rachel, il reconnut une fillette rien qu'à son air de famille. "Ce doit être la nièce de l'abbé Laforce, me confiat il à mi voix, elle lui ressemble trop." Et> en effet, c'était la fille de la soeur de l'abbé Laforce, plus tard curé de Chambly.

Surtout et par dessus tout, Mgr Fabre était très ecclésiastique. Aux exercices pieux de sa maison épiscopale, comme aux offices de la pro cathédrale, il était toujours le premier rendu. Prêchant d'exemple, il était à l'aise pour demander à ses familiers la même fidélité et la même exactitude. "Je ne vous ai pas vu à vêpres hier soir, disait il un jour à l'un de ses chanoines ? J'ai supposé que vous étiez fatigué. Est ce que cela va mieux ce matin ?" Le regretté Mgr Martin, qui me racontait ce menu fait, ajoutait en souriant : "Il n'y avait presque pas moyen d'y échapper. Le cher Monseigneur voyait tout et n'oubliait rien."

"Esprit éminemment pratique, a t on justement écrit, plein de tact et de prévoyance, d'une persévérance dans ses vues et d'une ténacité dans ses actes vraiment rares, Mgr Fabre était d'abord et avant tout doux et bon. Le Saint Père Léon XIII disait de lui : "I1 ne faut pas lui faire de peine, c'est la bonté même ?"

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 61-68

 
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