Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

L'Honorable sénateur Laurent-Olivier David

(1840-1926)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

[Note de l’éditeur : Sur le rôle de L.-O. David dans la question religieuse dont il est question dans la biographie qui suit, il faudrait consulter notre collection de documents, et la chronologie, sur Les Québécois, le clergé catholique et l’affaire des écoles du Manitoba qui se trouve ailleurs au site. ]

Laurent Olivier David -L. O. David, comme il signait toujours -, qui a tant écrit et laissé de si précieuses notes biographiques sur ses contemporains, est né, à Sault au Récollet, le 24 mars 1840. Il est mort à Montréal, le 24 août 1926, à 86 ans. Homme politique entendu, grand ami de Laurier, écrivain à la plume alerte et féconde s'il en fût, fondateur ou directeur de plusieurs revues et journaux, sénateur près d'un quart de siècle, ancien greffier de la ville de Montréal, longtemps président de la société Saint Jean-Baptiste de Montréal, catholique convaincu et sincère, mais de teinte un peu libérale, patriote enfin jusqu'au fond de l'âme, David a laissé avant tout le souvenir d'un homme de bien qui, par sa plume et son action constante, a rendu à son pays et à sa race de signalés services.

Le premier ancêtre venu au Canada, Guillaume David, s'était établi à Trois Rivières vers 1655. Son descendant à la sixième génération, Stanislas David, de Sault au Récollet, avait épousé en 1832 Élisabeth Tremblay, la sœur de la mère de feu Mgr Racicot. Leur fils, Laurent Olivier, né en 1840, fit ses études au séminaire de Sainte-Thérèse. A sa sortie du collège en 1858, il vint à Montréal étudier le droit et tout de suite s'occuper de journalisme. En 1862, il fondait Le Colonisateur, journal qui eut du succès. Il fut admis au barreau en 1864. Mais, plutôt que d'être assidu au palais, il continua d'écrire et de "faire de la politique". De 1870 à 1883, il collabora activement à l'Opinion Publique, hebdomadaire illustré de Montréal, le plus important de l'époque, dont la collection est aujourd'hui des plus précieuses. Ce journal avait été fondé en 1870 par M. Mousseau, l'ancien premier ministre, et M. Desbarats. David en devint le rédacteur en chef en 1874. Le Bien Public, fondé en juillet 1874, par M. Beausoleil, eut aussi la collaboration active de David. Personnellement, en octobre 1879, il fonda La Tribune, qui ne vécut pas longtemps. Dans ses années de vieillesse, il publiait encore de nombreux articles dans La Presse et dans La Patrie de Montréal. Il eut toujours au reste le goût de la publicité. Ayant conscience, sans vanité, qu'il pouvait être utile, il ne laissa jamais rouiller sa plume. De ses divers articles, revus et augmentés, il faisait ensuite des livres, qui ont été beaucoup lus, et, quelques uns, fort discutés.

En fait de livres, nous avons de lui Biographies et portraits, Montréal, 1876; des brochures sur Mgr Plessis, sur Mgr Bourget, sur Mgr Taché, d'autres encore ; Les Patriotes de 1837, Montréal 1884 ; Mes contemporains, Montréal 1894; Les Deux Papineau et le Clergé canadien, Montréal, 1896 ; L'Union des Deux Canadas, Montréal, 1898; Le Drapeau de Carillon, un drame en cinq actes, Montréal, 1900 ; des Mélanges historiques et littéraires, des Gerbes canadiennes, un Laurier et son temps ; les Souvenirs et Biographies, Montréal, 1911 ; Au soir de la vie, publié en 1924, alors qu'il avait 84 ans sonnés.

Jeune avocat, L. O. David avait épousé, en juillet 1869, Albina Charest, dont il eut onze enfants, un garçon, l'honorable Athanase David, né en 1885, le 24 juin, aujourd'hui et depuis quatorze ans ministre dans le cabinet Taschereau à Québec, et dix filles, dont huit lui ont survécu, six d'entre elles ayant fondé un foyer et mères de plusieurs enfants. Devenu veuf en 1887, David épousa en secondes noces, en 1892, Ludivine Garceau, décédée en 1915, dont il n'eut pas d'enfants.

Au début de sa carrière, David était conservateur en politique. Mais il se sépara de Cartier et de ses amis à propos du projet de la Confédération des provinces. Il adhéra donc au parti libéral, avec cependant une certaine réserve. Il a contribué fortement, je crois, à assainir le parti trop radical de Dorion, des Doutre et de Laflamme. Avec Jetté, sir Louis Jetté, plus tard juge et lieutenant gouverneur, il orienta le parti dans le sens de la modération. D'octobre 1886 à mai 1890, il représenta Montréal Est, comme député libéral, à la Chambre de Québec. On lui doit plusieurs lois favorables à la classe agricole et à la classe ouvrière. De 1887 à 1892, il fut président de la société Saint Jean Baptiste de Montréal. Il avait précédemment été l'âme ou l'animateur des grandes conventions nationales de 1874, de 1880 et de 1884. C'est lui également qui assura la fondation du Monument national à Montréal. Dans ses premières années, il avait pratiqué le droit en société avec Mousseau, l'ancien premier ministre. Nommé greffier de la ville de Montréal en 1892, il le demeura jusqu'en 1919. Elu à la Société Royale en 1890, il fut président de la section française pour l'exercice de 1904-1905. En juin 1903, son ami Laurier le nommait sénateur à Ottawa. Il était aussi chevalier de la Légion d'honneur de France.

L. O. David avait sa manière d'écrire bien à lui. Formé plutôt par la pratique et par l'entraînement personnel que par des études suivies à l'école des maîtres, habitué de bonne heure à l'article de journal qui doit éclore vite, n'ayant guère le temps de viser au style soutenu, il ne se relisait presque pas et se corrigeait encore moins. Il écrivait comme cela venait au bout de la plume. Il ne remaniait pas, n'arrangeait pas et ne coordonnait pas ses idées et ses phrases après coup. En un mot, il écrivait, mais il ne "composait" pas. A quelqu'un qui, sur sa demande de lui dire ce qu'il pensait de l'un de ses articles, lui en faisait la remarque, il repartit, en penchant la tête de côté selon son habitude : "Tiens, c'est vrai, j'écris comme ça vient. Je n'ai jamais eu le temps ni le goût de refaire mes phrases." Il y gagnait ainsi en spontanéité, il y perdait peut être sous d'autres rapports. Il est certain toutefois qu'il écrivit toujours d'une façon intéressante. Quand il eut vieilli, sa connaissance des hommes marquants -- il avait connu dans l'intimité toutes les célébrités depuis cinquante ou soixante ans -- et le fait qu'il avait vécu tous les événements qu'il racontait donnaient à ses "souvenirs" beaucoup d'originalité et de piquant. Il n'est que de lire Au soir de la vie pour s'en convaincre. S'il ne fut pas un puriste impeccable, il aura été, je pense, l'un de nos conteurs les plus vivants. Le journalisme, qui l'avait un peu gâté, avait contribué par ailleurs à aviver sa verve naturelle et à cultiver heureusement son talent facile.

Dans le domaine des idées, s'il fut toujours de bonne foi et sincère, il a parfois dépassé la mesure. Au sujet du libéralisme, par exemple, tout comme Laurier, il ne distinguait pas assez entre les principes et les faits, entre la thèse et l'hypothèse. Il y a des faits qui s'imposent, une tolérance pour les personnes qu'il faut admettre. De là à conclure à une doctrine trop large, du point de vue social et autre, il n'y a qu'un pas, et, ce pas, David n'a pas toujours su éviter de le franchir.

L'actif écrivain a produit nombre de pages traitant de questions politico religieuses et il a été spécialement le chantre par excellence des héros de 1837. Or, la politique, en notre pays comme ailleurs, est un sujet délicat, souvent même brûlant, à développer. Les "troubles" de 1837 constituent un épisode trop compliqué pour que je prétende à l'exposer en quelques lignes avec la plénitude qu'il faudrait. Les "patriotes" étaient pour la plupart, ceux du peuple et de la masse plus encore que les chefs du fameux "mouvement", des sincères et des généreux, qui ont payé cher, quelques-uns jusqu'à verser leur sang et à donner leur vie, leur fidélité aux origines françaises et aux nobles traditions de nos pères. C'est cette sincérité et cette générosité que David a persisté à voir en eux et à louer avant tout et surtout. Mais, il y a autre chose à voir et tout n'est pas à louer dans l'aventure de 1837. De même, dans les questions politico religieuses que l'actualité a fait passer, au cours de sa longue vie, sous l’œil et sous la plume du sénateur, bien des distinctions étaient à faire qu'il n'a pas su toujours trouver. Pour lui comme pour tant d'autres, l'écueil à éviter c'était d'ériger en principe de doctrine - et c'est là le libéralisme qui ne doit pas s'admettre - ce qui ne saurait être, devant la conscience d'un catholique complètement éclairé, qu'une tolérance de fait.

Ces réserves mises de l'avant, je suis plus à l'aise pour louer sa sincérité, à lui aussi, sa belle générosité d'âme, son désintéressement personnel et son désir du bien. Il eut, comme tous les humains, dans sa vie publique et et [sic] même à son foyer, des heures difficiles des ennuis et des épreuves. Il montra alors de la vraie force d'âme. Un jour, l'une de ses brochures politico religieuses fut condamnée à Rome et mise à l'index. Il s'inclina en bon catholique, retira de la circulation les copies de la brochure qu'il put atteindre, en disant à ceux qui s'étonnaient de ce geste, quasi héroïque du point de vue simplement humain, que sa conscience de croyant lui faisait un devoir de se soumettre. Naturellement, il en souffrit beaucoup. Il en parlait quand même dans l'intimité sans aigreur. Lors de la publication de son dernier livre Au soir de la vie, on lui suggéra de donner au public une explication de cette condamnation. Pour ne pas réveiller des polémiques qui eussent pu paralyser certaines énergies tournées vers le bien, ou tout au moins diminuer leur élan, et par respect pour l'autorité de l'Eglise, il décida de n'en rien faire. Mais, l'explication est prête, signée de sa main j'en possède une copie dont l'histoire plus tard pourra utilement faire état.

D'une vie personnelle très digne et correcte toujours, attentif jusqu'à l'extrême vieillesse à tout ce qui intéressait le bien et l'avenir de ses compatriotes, respectueux des idées des autres, catholique le mieux qu'il savait et patriote ardent -- n'a t il pas incarné en quelque sorte pendant des années le patriotisme canadien français ? - L. O. David est mort à 86 ans, jouissant de l'estime de tous, écouté jusqu'à la fin par ses pairs, admiré du peuple. Sa dernière heure, alors que, entouré de toute sa famille, il donna ses derniers conseils à ses nombreux petits enfants -- conseils de sagesse et de paix -, par une tiède soirée d'août, après avoir reçu en pleine connaissance les sacrements de l'Église, mériterait d'être évoquée dans un tableau de maître. Jamais patriarche biblique ne fit une plus heureuse fin, et, assurément, elle couronnait la vie d'un homme probe et honnête, sincère et digne, vrai gentilhomme et vrai chrétien, dans tout ce que ces termes comportent de beauté et de grandeur.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 155-163.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College