Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Sir Joseph-Adolphe Chapleau

(1840-1898)

 

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Joseph Adolphe Chapleau est né, à Sainte Thérèse, comté de Terrebonne, le 9 novembre 1840. Il est mort, à Montréal, le 13 juin 1898, à 57 ans. Avocat, député, ministre et premier ministre à Québec, puis ministre à Ottawa, il a été l'un des hommes les plus considérables de son temps et, sans aucun doute, l'orateur le plus aimé des foules que nous ayons eu.

Le père de Chapleau était un modeste tailleur de pierre et Joseph Adolphe se trouva être l'un des aînés d'une famille de sept enfants. Le premier ancêtre, venu de la Vendée au Canada, arriva au pays, selon Tanguay, en 1654. Le futur grand homme était encore très jeune quand sa famille alla se fixer à Terrebonne. Et c'est là, au collège Masson, qu'il commença ses études classiques. Il les termina à Saint Hyacinthe, où il fut, en philosophie, l'élève du célèbre M. Desaulniers. Admis au barreau de Montréal en 1861, à 21 ans, Chapleau se faisait élire, en août 1867, à 26 ans, député de Terrebonne à la nouvelle Chambre de Québec. Six ans plus tard, il était ministre, d'abord, en 1873, dans le cabinet Ouimet, puis en 1875, dans le cabinet de Boucherville. En 1879, il devint premier-ministre, et ce fut pour trois ans, jusqu'en 1882. Son ascension, comme l'on voit, avait été rapide. A ce moment, entre 1879 et 1882, à cause de ses talents brillants, de son éloquence surtout, il jouissait, par toute la province, d'une popularité immense. L'affaire du chemin de fer du nord, où, avec le financier Sénécal et le journaliste Dansereau, il suscita de nombreux mécontents, même dans son parti -- c'est de là qu'est né la parti "castor" -- mina bien un peu son prestige. Mais il restait puissant. Professeur de droit criminel à l'Université de Montréal depuis 1878, il se vit octroyé [sic], en 1882, de grands honneurs. Le pape Léon XIII le créa commandeur de l'ordre de Saint Grégoire, et le gouvernement français le décora du ruban de la Légion d'honneur.

Le 25 novembre 1874, à 34 ans, Chapleau avait épousé, à Sherbrooke, Marie Louise King, fille du colonel King, une anglo protestante, femme de haute distinction, mais qui, à cause de la différence de religion précisément, ne lui convenait peut être pas absolument. Aucun enfant n'est issu de ce mariage.

A l'automne de 1882, sir John A. MacDonald [sic], l'ancien collègue de Cartier, alors premier ministre du Canada, avait donc appelé Chapleau à faire partie du gouvernement d'Ottawa, et les électeurs de Terrebonne, que Chapleau représentait à Québec depuis 1867, lui avaient confié avec enthousiasme le mandat fédéral. Mais, à Ottawa, le rusé sir John, qui le redoutait probablement, eut soin, tant qu'il vécut, pendant dix ans, de le tenir dans un ministère de moindre importance, la secrétairerie d'Etat, poste où l'ancien premier ministre de Québec s'ennuya et s'étiola. L'affaire Riel, en 1885 1886, nuisit en plus considérablement à son prestige, jusque dans Québec. Je n'ai pas le loisir de discuter ici cette question délicate. En laissant condamner Riel, Chapleau, soutiennent ses amis, ainsi que l'exprimait récemment M. l'avocat J. A. Beaulieu (conférence de mai 1933 à Saint Jérôme), crut faire son devoir. Il est certain, d'autre part, que sa province, en grande majorité, le désapprouva. Une agitation considérable se produisit. Mercier, à la tête des libéraux et des nationalistes, prit le pouvoir. Le parti conservateur, si puissant jadis, se trouva désemparé dans Québec, et ce fut pour longtemps. Je ne juge pas, je constate un fait. De ce moment, la carrière active de Chapleau se trouva en partie brisée. Il continua cependant à tenir un rang d'honneur. Le 5 décembre 1892, sir John Thompson le nommait lieutenant gouverneur à Québec. Le 20 mai 1896, il était créé baronnet. Son temps d'office expiré, le ler février 1898, sir Adolphe, comme on disait maintenant, rentra dans la vie privée. Il mourut la même année, à l'hôtel Windsor à Montréal. Il avait 57 ans.

Si Chapleau n'a pas toujours été égal à lui même, s'il n'a pas montré en certaines circonstances assez de force de caractère, s'il a vieilli avant l'âge, un peu par sa faute comme tous les intempérants et les gens mal réglés, il n'en reste pas moins, devant l'histoire, l'un de nos grands hommes -- même les grands hommes sont rarement parfaits -- de ceux, je veux dire, qui font le plus honneur à la race dont nous sommes fiers. Il fut en son temps l'orateur canadien populaire par excellence, plus vibrant que Mercier, moins compassé que Laurier. Avec sa tête incomparable, sa chevelure de conquérant, son oeil si clair et sa voix d'or, il électrisait à la lettre ses auditeurs et il les ravissait. Quand il le voulut, il fut éloquent comme jamais personne chez nous ne l'a été. Il avait d'abord un physique irrésistiblement attrayant. Doué en plus d'une imagination très vive et étonnamment fertile, homme de cœur s'il en fût, facilement accessible à toutes les passions, il parlait surtout aux sentiments, trouvait vite et naturellement les mots et les images qui prenaient l'âme, s'exprimait avec une chaleur, une abondance et une aisance qui masquaient parfois le vague ou le flou de la pensée et le laisser-aller du raisonnement. On a publié un recueil de ses principaux discours. Il est intéressant. Mais, ainsi lus dans un volume trop froid, ils sont loin, ces discours, de valoir ce qu'ils donnaient l'illusion d'être -- je l'ai entendu maintes fois-- quand il les prononçait de sa voix merveilleuse, en secouant sa tête de lion et en vous regardant de cet oeil pénétrant, qu'on aurait dit inspiré par quelque divinité cachée.

Les hommes au grand cœur ont d'ordinaire, mêlés à leurs qualités, des défauts et des faiblesses, à moins qu'une forte vertu ne les en garde. Chapleau n'a pas échappé à la loi commune. "S'il n'a pas été tout ce qu'il aurait pu être, a écrit L. O. David, il a quand même, pendant près de quarante ans, fait grand honneur à sa province et à son pays, par son esprit pétillant, son tact et son habileté, surtout par un talent oratoire exceptionnel, talent qu'il a souvent mis au service du droit, de la justice et des plus belles causes religieuses et nationales." Ce jugement comporte une réserve qui peut paraître sévère. Je le crois juste dans son ensemble.

Comme tous les hommes qui mènent la vie publique, Chapleau eut sa part, une large part, d'épreuves et d'ennuis à subir et à supporter. Il sut le faire avec une belle générosité d'âme, ce qui invite à pardonner bien des faiblesses. Il écrivait un jour (mai 1883 ) au curé Labelle, son grand ami : "Les voix qui encouragent et les mains qui bénissent font oublier les voix qui maudissent et les mains qui déchirent . . .". Ces lignes sont d'un homme au noble cœur, il n'y a pas à s'y tromper. L'éloquence de Chapleau, on le saisit sur le vif, coulait de bonne source. Elle jaillissait de son cœur. Or, la parole de l'ancien est toujours vraie : c'est le coeur qui rend l'homme habile à bien dire - Pectus est quod dissertos facit.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 99-104.

 
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