Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Le
cardinal Louis-Nazaire Bégin
(1840-1925)
Le cardinal Louis Nazaire Bégin, le successeur du cardinal Taschereau
à Québec, est né à Lévis, le 10 janvier
1840, d'une modeste famille terrienne, qui avait l'honneur d'être
apparentée à celle de Mgr Bourget. Son premier ancêtre
au Canada, Louis Bégin, originaire de Normandie, était
arrivé au pays au XVIIème siècle, et il avait obtenu,
vers 1655, sur la seigneurie de Lauzon, la concession d'une terre, où,
de père en fils, depuis cette époque, on cultivait le
sol. Le père du futur archevêque, Charles Bégin,
avait épousé Luce Paradis. La famille était nombreuse.
Louis Nazaire fit ses études à Québec et y remporta
de grands succès. Il fut, en 18 61, le premier titulaire du prix
du Prince de Galles. A l'automne de 1863, après une année
de grand séminaire, il partait pour Rome, avec les abbés
Benjamin et Louis Honoré Paquet. Logé au séminaire
français, il fréquenta les cours de la Grégorienne
et conquit sans peine ses parchemins de docteur. I1 fut ordonné
prêtre à Rome, par le cardinal Patrizzi, le 10 juin 1865.
I1 fit aussi un séjour d'étude en Allemagne, à
Inspruck [sic].
De retour au séminaire de Québec en juillet 1868, l'abbé
Bégin y vécut jusqu'en 1884, tour à tour, ou en
même temps, professeur, préfet des études, ou directeur
au petit et au grand séminaire. Il y marqua bientôt comme
un maître de haute valeur et publia entre temps d'importants opuscules
sur divers sujets de philosophie, de théologie, d'histoire et
de science sociale. En 1882, il était choisi pour être
l'un des membres fondateurs de la Société Royale. En 1884,
il accompagna à Rome l'archevêque Taschereau. Il fut ensuite
principal de l'Ecole normale de Québec jusqu'en 1888. Elu et
sacré, en octobre 1888, évêque de Chicoutimi, il
gouverna ce diocèse pendant trois ans. En décembre 1891,
il devenait coadjuteur du cardinal Taschereau à Québec,
avec le titre d'archevêque de Cyrène. En mars 1894, le
cardinal, usé par l'âge et les labeurs, lui abandonnait
l'administration diocésaine. En avril 1898, à la mort
de Mgr Taschereau, il lui succédait. En mai 1914, il était
lui même créé cardinal par le pape Pie X. Il est
mort à Québec, le 25 juillet 1925, à 85 ans, après
une administration de plus de trente ans. En avril 1908, Rome lui avait
donné un premier auxiliaire, Mgr Paul-Eugène Roy, qui
devint son coadjuteur en juin 1920 et lui succéda en juillet
1925. En juillet 1924, un deuxième auxiliaire lui avait été
accordé, Mgr Joseph Alfred Langlois, aujourd'hui évêque
de Valleyfield.
Plus grand que la moyenne, de figure aristocratique et fine, avec des
traits réguliers et délicats, des yeux doux et bons, au
regard pénétrant, toujours distingué dans sa tenue
et ses allures, et très aimable dans son commerce, Mgr Bégin
était avant tout un homme de douceur et de paix. Sa devise portait
in fide et lenitate dans la foi et la douceur, et il gouvernait,
en effet, par la patience et la bonté, sans laisser pourtant
d'être résolu et ferme quand il le fallait. Muni de toutes
sortes de connaissances, en philosophie, en théologie, en droit
et en sociologie, versé dans les lettres comme dans les sciences,
parlant également à l'aise cinq ou six langues, orateur
disert et nuancé, sinon vigoureusement éloquent, écrivain
à la plume facile et abondante, doué en plus du sens de
l'observation et possédant d'instinct l'art si difficile du commandement,
il excellait à instruire, à diriger et à se faire
obéir, en se faisant d'abord aimer et vénérer de
tous. C'était un bon père, tout autant qu'un chef prudent,
diligent et entendu. Aussi, au cours de son long épiscopat, a
t il multiplié, sans paraître y mettre jamais d'éclat,
sans heurts et sans secousses, les oeuvres de bien les plus diverses
et les plus méritoires.
Mgr le cardinal Bégin suivit constamment avec vigilance et avec
affection le mouvement de la vie catholique en son vaste diocèse
de Québec. Il visita fidèlement ses nombreuses paroisses,
se plaisant à y présider des cérémonies
d'ordinations à l'occasion, pour promouvoir des vocations. En
l'espace de trente ans, il établit pas moins de soixante dix
paroisses nouvelles. A ceux et à celles qui existaient déjà,
il ajouta plusieurs instituts et communautés d'hommes et de femmes.
Le vieux séminaire et l'Université Laval furent l'objet
de sa prédilection, comme d'ailleurs toutes les maisons d'enseignement.
Il rétablit le chapitre de la cathédrale basilique, favorisa
la création d'une école apostolique et celle d'un séminaire
de vocations tardives, protégea avec sollicitude les oeuvres
et associations de charité. C'est de son temps, en 1909, que
le premier concile plénier de Québec tint ses assises
sous la présidence du délégué apostolique
Mgr Sbarretti. Il s'intéressa beaucoup aux ouvriers et sa sentence
arbitrale de 1901, lors d'un grave conflit entre patrons et employés,
est restée fameuse. En 1907, avec le concours de Mgr Roy, de
l'abbé Lortie et de quelques autres, il fondait l'Action catholique,
dont les activités, par le journal surtout, ont produit tant
d'heureux résultats. En somme, on l'a dit et répété
maintes fois, l'administration du doux et sympathique archevêque
a été de tous points souverainement bienfaisante pour
son diocèse, et, par suite, pour le pays tout entier. Il fut
justement honoré du cardinalat, et tout le Canada avec lui, mais
on pourrait peut être écrire, révérence gardée,
qu'il honora lui même la pourpre romaine, par sa belle vie et
par ses oeuvres de bien.
Quand Son Eminence le cardinal Bégin célébra,
en juin 1925, quelques semaines avant sa mort, son soixantième
anniversaire de sacerdoce, son auxiliaire Mgr Langlois lui disait, avec
un juste à propos, en lui présentant les hommages de son
clergé: "Par la saine doctrine répandue dans vos
lettres et mandements, cette doctrine de Notre Seigneur dont vous avez
gardé si jalousement le dépôt, vous avez été
pour l'Eglise de Québec, Eminence, et je pourrais dire pour tout
le Canada, un ange de lumière. Champion zélé des
droits de Dieu et des droits de votre race, vous n'avez rien omis de
ce qui pouvait mieux définir les uns et faire triompher les autres.
Vous vous êtes toujours montré l'apôtre, parmi nous,
des relations de justice, de sincérité et de bonne entente,
qui doivent régner entre le pouvoir ecclésiastique et
la puissance civile. Vous vous êtes fait une règle d'associer,
dans votre langage et dans vos attitudes, les deux grandes vertus du
gouvernement pastoral : la fermeté et la bienveillance . . ."
Ce sont là des paroles que l'histoire se doit de conserver. Elles
caractérisent si heureusement, en effet, le grand et digne cardinal
archevêque, dont on s'est plu souvent à rapprocher la bonne
et douce figure de celle du pieux et saint évêque de Genève
François de Sales.
Au lendemain du décès du cardinal canadien, quand la
nouvelle en parvint en France, M. François Veuillot, qui l'avait
bien connu, écrivit, dans un journal de Paris, un superbe hommage
à sa mémoire. J'y relève ces lignes : "Le
vaste et populeux diocèse de Québec, doublement important
par sa valeur propre et par les clartés qui en rayonnent, fut
confié à Mgr Bégin à une heure infiniment
délicate. Il n'y avait plus seulement à maintenir les
traditions catholiques enracinées par les générations
précédentes, il fallait les consolider, les rajeunir et
les défendre. Au Canada, comme dans le monde entier, le vent
du scepticisme et de l'indiscipline agitait les esprits, menaçait
de troubler les âmes. Aux coutumes établies par l'expérience
et la foi des ancêtres, aux enseignements donnés par les
vieux maîtres, il était nécessaire d'ajouter de
nouveaux instruments de sauvegarde et de formation, des leçons
tout à la fois plus profondes et plus actuelles. Et, ce travail
patient, minutieux, pénétrant, devait s'accomplir avec
autant de prudence que de hardiesse, avec une égale connaissance
et un égal souci des principes immuables et des besoins des temps.
De cette oeuvre maîtresse, urgente et difficile, le cardinal Bégin
fut l'initiateur le plus énergique et le guide le plus sûr
. . ."
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 83-89. |