Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2009

Document de l’histoire du Québec / Quebec History Document

 

Thomas Chapais, historien

[ce texte a été rédigé en 1935. Pour la source exacte, voir la fin du document]

 

J'aurais dû ajouter: A propos du sixième volume au Cours d'Histoire du Canada. Titre trop long. Je crois toutefois devoir indiquer dès le commencement de cet article qu'il y est question surtout de ce dernier ouvrage.

Long, difficile et méritoire travail que cette histoire inaugurée en 1919 par un homme mêlé aux affaires publiques, pris par de multiples et absorbantes occupations et qui déjà descend l'autre versant de la vie. Et cette histoire a été continuée. A l'automne dernier paraissait le sixième volume. Les deux derniers volumes sont annoncés, ils vont paraître sans délai. C'est très beau. Devant le fruit de son labeur, moisson de la vieillesse après les dures semailles de l'âge mûr, l'ouvrier s'arrête, mettons plutôt pourrait s'arrêter, satisfait et justement fier. Qu'a-t-il devant lui ? J'ai dit moisson. Je change de comparaison. Je mets monument. Large édifice aux assises solides, aux murs puissants, et dont la massive charpente peut défier les années. Exegi monumentum aere perennius. Cet éloge, que je vais justifier, sera sans doute atténué par les légères réserves que je me permettrai. Il restera pourtant mérité.

Cette partie de notre histoire qui va de 1847 à 1851 est loin de manquer d'intérêt. Ce n'est pas sans doute l'épopée héroïque des origines. Ils ne sont plus là les colons et les soldats de légendes se haussant et haussant leur existence, et cela sans en avoir presque conscience, jusqu'au désintéressement absolu, jusqu'au sacrifice, parfois jusqu'au martyre. Ils ne sont plus là les laboureurs de 1760, humiliés par la défaite, attristés mais non découragés devant les ruines amoncelées par la guerre, gardant toutefois force et courage, prêts à résister au vainqueur pour la conservation de ce qu'ils ont de plus cher: leur langue et leur foi. Ils ne sont plus là ou du moins les voilà bien changés, les patriotes qui veulent secouer un joug qu'ils croient intolérable et soulèvent au nom de la liberté les âmes tentées par les aventures et les risques. Non, ce n'est plus tout cela. La paix est venue. Les anciennes animosités se sont adoucies. Peu à peu, lentement, un idéal devient commun et le mot de patrie prend pour un grand nombre un sens plus précis et plus noble. Le Canada existe. Pour lui il y a des efforts à faire, une entente à établir, une industrie à développer, des chemins de fer à lancer dans toutes les directions, l'instruction à répandre, tout un pays à organiser, à consolider en vue des développements futurs.Pour l'exécution de ce plan à si large envergure des hommes surgiront de part et d'autre, du côté anglais comme du côté français, ils s'appelleront LaFontaine, Baldwin, Morin, Draper, Viger, Mcdonald [sic]. Ils chercheront les points de contact et les adaptations désirables entre des aspirations et des vues souvent opposées et finiront par établir, en dépit des conflits et des violences, l'harmonie nécessaire au travail qui veut édifier. Placé au-dessus par les prérogatives de sa charge le gouverneur d'alors, lord Elgin, assurera par son influence cette collaboration. Influence discrète, faite d'intelligence, de bon vouloir, de générosité, que les émeutes de 1849 à Montréal ne décourageront pas. Je ne mentionne pas ici le nom de Papineau. A quoi bon ? Les grands hommes ne savent pas toujours disparaître à temps et passent parfois les dernières années de leur vie à ternir la gloire de leur passé.

Ce qui ajoute à l'intérêt de ces pages c'est l'apparition du vrai système parlementaire enfin conquis. Depuis tant d'années on était en marche vers cette terre promise. Les uns après les autres ils étaient disparus ceux qui, à partir surtout de 1791, croyaient bientôt y entrer. Plus fortunés voici que les derniers chefs y introduisent la nation. Responsabilité ministérielle, indépendance de la chambre, puissance efficace de la majorité, solidarité des ministres: tout ce qui constitue un régime électif et représentatif selon les traditions anglaises est obtenu, mis en pratique, produit ses premiers heureux résultats. Le temps est loin encore où l'abus de cette institution en rendra la pratique difficile, même périlleuse et préjudiciable au vrai bien du pays.

Pour la rédaction de ce volume monsieur Cha­pais s'est servi des journaux de l'époque, des procès-verbaux des séances législatives. Il y a joint ce que les auteurs bien connus, Turcotte et Gérin-Lajoie surtout, pouvaient lui fournir de renseignements. Il y aurait encore à faire mention des mémoires et des correspondances des personnages en vue, acteurs de premier plan dans le drame. La comédie parfois, qui se joue à cette époque. L'historien a pu se servir aussi des papiers pater­nels. Il y a trouvé, avec une pensée élevée et patriotique, des opinions et des jugements sûrs et instructifs. C'est tout. Aujourd'hui on trouve toujours de l'inédit. Il est difficile pour un auteur de ne pas s'en parer par une sorte de coquetterie assez inoffensive si elle n'est pas toujours sérieuse. Quelle est la vie qui résiste aux investigations de ces fureteurs à flair de policier et dont quelques-uns, sans vergogne, crochètent les tiroirs et portent une main sacrilège sur des pages destinées à rester secrètes. Ce n'est pas là certes le défaut de M. Chapais. Ce que l'on pourrait peut-être lui reprocher, ce serait le manque de vie dans son récit.

On voudrait qu'un souffle se levât pour animer cette masse un peu inerte, souffle descendu de la montagne ou venu de la plaine mais qui soulèverait cet ensemble de faits et de figurants, les ferait vibrer et leur imprimerait sous nos yeux un mouvement puissant de force et d'activité.

Autre reproche, moins grave. Le style est celui d'il y a cinquante ans, le style dont se servaient dans leurs discours les hommes d'État de l'Union. Des phrases hérissées de qui et de que, bourrées d'incidentes, lourdes de tout ce que l'on veut y loger. On oublie que les points sont faits pour finir au plus vite des propositions déjà longues et en recommencer d'autres. Quelle différence avec la manière d'écrire d'aujourd'hui! Petites phrases nerveuses et vives vibrantes d'un mot ému, traversées d'un éclair ou d'un cri mais qui disent tant de choses en le disant vite, et bien. Autrefois les pesantes diligences et les lourds véhicules; aujour­d'hui les voitures auxquelles l'essence ou l'électricité donnent des ailes.

Je m'arrête en terminant devant M. Chapais penché sur son travail. Ce labeur d'un homme de soixante-dix-sept ans, puis avec ce labeur, toute cette vie de grand chrétien et de grand citoyen qu'il est difficile de ne pas y associer, nous inclinent avec respect devant un grand exemple et une haute leçon. A nous d'admirer et d'imiter!

Source: Jean DOMBREVAL (pseudonyme d’Henri Gauthier, p.s.s.), «Thomas Chapais, historien», dans Action nationale, Vol. V (1935): 247-251.

 

Monsieur Thomas Chapais

Monsieur Chapais ayant toujours voté bleu (son discours sur la monnaie bilingue couronne une carrière étroitement partisane), ayant toujours pensé bleu, et toujours eu la foi bleue, ne mérite pas d'être cité en modèle à une jeunesse qui assiste en ce moment à la faillite de l'esprit de parti, aux catastrophes qu'il a causées. L'honnêteté privée de ces sortes d'hommes rappelle le mot de Bourassa à Laurier: J'aurais préféré que vous fussiez une canaille: nous nous serions plus aisément détachés de vous.

Quand M. Chapais prend sa plume d'historien, il reste le même homme qui fait oraison devant le mot conservateur. Disposition d'esprit foncièrement hostile à l'impartialité historique. Quand il rencontrera la bagarre électorale ou parlementaire, il est naturel que son sens critique soit tout à fait en défaut.

 

Nous avions dit tout cela, en septembre dernier. La réponse est venue, tardive mais logique. Deux lettres, dont l'une en style vaseux. Désabonnement. Deux hommes cultivés ? Non… Deux hommes indépendants ? … Encore moins. … Alors? … Deux bleus, ce qu'il y a de plus bleu: ce qu'il y a de plus cuit dans le jus bleu.

Nous avons saisi que l'historien, dans l'opinion de ces deux messieurs, ne comptait que dans la mesure où il pouvait donner du lustre au politicien bleu.    

   

P.S. On comprend que nous ne confondions pas Dom­breval avec ces messieurs. Mais bien que son enthousiasme nous semble discutable, nous publions quand même. Nous pratiquons ici la liberté de penser et ne donnons pas de consigne à nos collaborateurs.

Source: Arthur LAURENDEAU, «Monsieur Thomas Chapais», dans Action nationale, Vol. V (1935): 256.

 

 
© 2009 Claude Bélanger, Marianopolis College