Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Stéphane ST-PIERRE, François-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p.

 

Conclusion

 

En introduction nous avons soulevé la nécessité dans l’analyse historique d’accorder un examen équilibré à tous les projets défendus au cours d’une même période. Cette approche d’ouverture nous a permis de redessiner une partie de la carte intellectuelle de l’époque et ainsi de mieux comprendre l’évolution de la société québécoise. Par ailleurs, la brève analyse consacrée au confessionnalisme à l’étranger amène à constater la survivance et la vitalité de la confessionnalité au sein de certains systèmes démocratiques. Dans ces pays où la confessionnalité exerce un rôle au sein des institutions politiques, sociales et culturelles, le maintien de la religion dans la modernité demeure un enjeu. La place occupée par la religion dans ces pays souligne la nécessité de scruter les propositions d’Angers à la lumière de la modernité concrète et non seulement théorique ou radicale puisque la modernité est sujette à plusieurs interprétations et à des applications diverses. Cette approche oblige à accepter la complexité des phénomènes historiques et à rejeter la pensée dichotomique. La référence à la modernité concrète ou vécue fournit un principe de lecture favorisant la compréhension de sa pensée. Or, dans la présente étude, nous avons tenté de démontrer que l’histoire intellectuelle canadienne-française et, plus précisément, la pensée d’Angers ne peuvent se résumer simplement à l’opposition entre tradition et modernité.

À ce titre, l’hypothèse de notre mémoire était que la pensée d’Angers n’est pas l’antithèse de la modernisation. Sa pensée représentait plutôt une instrumentalisation du catholicisme par un projet de modernisation nationale. Il cherchait ainsi une modernisation sans modernité philosophique, c’est-à-dire sans négation du spirituel dans l’espace public. Notre mémoire confirme cette hypothèse. Le projet de nation confessionnelle est une tentative de conjuguer la tradition et la modernité. Il réalise une synthèse harmonieuse entre la philosophie chrétienne, l’essence de la culture traditionnelle canadienne-française, les cadres de la vie moderne et le système démocratique. La religion, la modernisation et le progrès sont compatibles. Il suggère une conception dynamique et originale de l’organisation sociale qui répond aux principaux défis du monde moderne. Bref, sa pensée  peut être considérée comme réformiste.

Périodisation et engagements

L’étude de la pensée d’Angers nous amène à identifier trois grandes périodesdans l’évolution de son engagement: 1937 à 1960; 1960 à 1967; et, finalement, 1967 à 2003. La première période, 1937 à 1960, qui est l’objet de notre étude, correspond à l’édification du projet de nation confessionnelle. Ce projet est marqué par la volonté de développer et de parfaire une nation canadienne-française catholique capable d’affronter les défis de la modernisation par une application rigoureuse, innovatrice et adaptée de la doctrine sociale de l’Église. Cette période est caractérisée par sa lutte à la conscription; son opposition à la centralisation, sa défense de l’autonomie provinciale; et sa recherche de reconquête et de libération économique des Canadiens français.

La deuxième période, 1960 à 1967, correspond à la défense de son projet de nation confessionnelle. Essentiellement, la défense de l’école confessionnelle, son opposition à la nationalisation de l’électricité et sa défense du nationalisme traditionaliste représentent les principales luttes menées par Angers. Cette période est également marquée par le déclin puis l’échec de son projet de nation confessionnelle. Ses espoirs de voir se concrétiser une Révolution tranquille de droite (1) s’éteignent au cours de cette période puisque la Révolution tranquille opère une profonde rupture dans la société canadienne-française, la politique s’imposant progressivement aux dépens de la culture (2). De ce fait, selon Angers, la Révolution tranquille coupe les Canadiens français de leurs racines (3). Force est de reconnaître que les nouvelles élites et, à leur suite, la majorité de la population tourne le dos à son projet. L’explication en profondeur de ce phénomène dépasse le cadre de la présente étude.

Finalement, la dernière période, 1967 à 2003, correspond à sa défense des droits du français au Québec et à une position de repli par rapport au projet de nation confessionnelle. Toutefois, cette période n’étant pas l’objet de notre étude, nous n’en avons pas cerné les principales luttes et oppositions. Une telle étude révélerait peut-être la nécessité d’y pratiquer d’autres coupures temporelles pour refléter plus fidèlement l’itinéraire d’Angers.

Au cours de la période 1937-1960 aucun changement majeur n’est observable quant à sa vision du Canada français malgré l’adoption de nouveaux angles d’analyse. La permanence de sa conception de la nation assure une continuité d’une période à l’autre. Les transformations se produisent dans les options constitutionnelles de son nationalisme. L’offensive centralisatrice du gouvernement fédéral fera évoluer la pensée d’Angers, dans les années soixante, de l’autonomie provinciale aux États associés et, finalement, à l’indépendance du Québec. L’ingérence du gouvernement dans les champs de compétence provinciaux rend le fédéralisme inadapté aux besoins des Canadiens français.

La nation confessionnelle, le cas du Canada français

La notion de nation confessionnelle ne faisant pas partie du vocabulaire historique usuel, il nous a fallu la définir. Essentiellement, c’est par le biais du catholicisme, de la vie collective et de l’économie que la nation confessionnelle s’articule. Cela donne lieu à un projet de société dont la cohérence dépend du jeu organique de toutes ses composantes. En exclure une seule affecterait les autres composantes et compromettrait la solidité de l’ensemble. Ce projet d’envergure propose une synthèse entre le politique, l’économique, le social, le culturel et le religieux. L’objectif de la nation confessionnelle est de servir la personne afin qu’elle puisse atteindre ses aspirations spirituelles, morales, intellectuelles et matérielles. Bref, la doctrine de la nation confessionnelle peut être qualifiée de radicale pour peu qu’elle soit prise au sérieux.

Angers élabore son projet de nation confessionnelle dans une perspective nationale, c’est-à-dire en fonction du nationalisme canadien-français et, plus précisément, de la situation du Québec. En effet, malgré que certains éléments de l’organisation sociale s’appliquent à l’ensemble des Canadiens français du Canada (rôle de la famille, de la paroisse et de l’Église), les propositions de réformes d’Angers ne peuvent connaître une application intégrale que dans le Québec. La défense des intérêts des Canadiens français passe par l’édification d’un Québec fort et d’un État d’inspiration catholique.

Le catholicisme, un trait identitaire

Le catholicisme est omniprésent dans ses écrits, il est un des fondements de sa pensée. Notre analyse révèle que la religion catholique est la donnée structurante de la nation confessionnelle, elle est le principal trait identitaire et le principal guide dans le développement de la nation canadienne-française. Elle est conçue et employée comme un puissant instrument d’édification d’une nation canadienne-française à la fois moderne et fidèle au caractère et à l’héritage culturel des Canadiens français.

Concrètement, la pensée d’Angers est humaniste, c’est-à-dire qu’il accorde de l’importance à la liberté personnelle, à la responsabilité individuelle ainsi qu’à la solidarité nationale selon les principes catholiques. Sa pensée tire une partie de sa cohérence de l’idée de dignité de la personne et de sa recherche de solutions aux maux et aux injustices de la vie en société. Les chrétiens doivent s’appuyer sur le dynamisme de la pensée chrétienne et, plus exactement, sur les encycliques papales pour fournir des solutions aux problèmes sociaux des Canadiens français, qui doivent être étudiés scientifiquement dans leur réalité concrète et leur contexte particulier. C’est dans cet esprit qu’Angers fait de nombreuses références aux encycliques Rerum Novarum et Quadragesimo Anno. Économiste réaliste et rigoureux, il ne pouvait se satisfaire de généralités abstraites. La nation confessionnelle est donc un aménagement temporel de la société réalisé autour de la religion permettant à l’homme d’atteindre sa finalité spirituelle. Angers est incapable de concevoir une société sans religion et refuse de croire à une religion purement subjective. La spiritualité doit trouver son expression dans les institutions et rester en rapport avec la réalité sociale. Par conséquent, la confessionnalité doit structurer l’espace politico-social s’appuyant sur des institutions religieuses reconnues. Une institution est confessionnelle lorsqu’elle accepte la référence religieuse et ce, par opposition à la laïcité qui refuse la référence religieuse dans la vie publique. Dans les faits, la confessionnalité assure une cohésion en favorisant le partage d’une même culture et d’une même appartenance religieuse, elle inspire la conduite de la personne humaine et celle des institutions de la communauté nationale. La confessionnalité est une composante indispensable à la réalisation de l’idéal national d’Angers. Le projet de nation confessionnelle ne saurait renoncer au lien entre le national et le religieux, ni entre le religieux et le culturel. Il fait la promotion d’un être culturel et spirituel. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il est impuissant à distinguer ce qu’il se refuse à séparer, ni qu’il prétend s’affranchir des lois de l’économie ou des pesanteurs sociales. Il se veut réaliste et efficace.

La vie collective, trois grandes structures (État, famille et école)

L’objectif de la nation confessionnelle est d’unifier et d’ordonner la société civile en permettant aux cellules sociales de s’épanouir librement. Dans ce contexte, le devoir de l’homme est de lutter pour que puisse se réaliser le bien-être de la société. La vie personnelle ne peut se dissocier de la vie sociale. L’organisation de la société doit être spontanée et reposer sur la solidarité naturelle des membres. Il s’agit d’accorder une autonomie à la personne et aux structures naturelles afin que la société puisse assurer son existence. La nation confessionnelle obéit aux principes de subsidiarité et de suppléance en valorisant une décentralisation et une autonomie des corps locaux.

Dans ce contexte, le rôle de l’État consiste à mettre les individus en position d’agir et à faire converger la vie collective vers la justice sociale en ordonnant son activité en fonction du bien commun. Il s’agit de réaliser un équilibre entre les notions d’ordre, de liberté et d’égalité.L’État doit réprimer tout ce qui va à l’encontre de la nature de l’homme. Toutefois, son rôle limité confère aux corps intermédiaires une responsabilité majeure dans le développement de la nation confessionnelle. L’intention d’organiser l’État canadien-français autour du corporatisme démontre la volonté à la fois de décentraliser la prise de décision et de rejeter le laisser faire. Cet aménagement de la société conduit donc à céder autant que possible la responsabilité des besoins de la personne à l’institution la plus rapprochée de celle-ci. Il s’agit de créer un esprit de solidarité qui se nourrit par la base et qui conduit à la répartition des compétences au sein d’une société structurée s’articulant de bas en haut et créant entre les individus et l’État une multitude de corps intermédiaires (corporations, syndicats et paroisses).

Essentiellement, la vie collective se réalise autour de la famille, de la communauté  locale et de la nation. Ces structures encadrent et guident l’homme conformément à sa nature, vers sa véritable fin. Dans la nation confessionnelle, la famille et l’école comptent parmi les structures sociales essentielles à la réalisation et au maintien de l’ordre souhaité par Angers. Ces deux structures sociales fixent la personne humaine aux caractéristiques de sa religion, de sa civilisation et de sa nation. Elles protègent la nation contre toute forme d’aliénation liée à la transmission d’une culture étrangère. Par ailleurs, il appuie sa conception du rôle de la famille sur les lois de la nature. La nature donne à la famille une priorité puisqu’elle est antérieure à la recherche de bien-être qui est le terme de la société civile. En fait, pour lui, la nation est un regroupement de familles qui partagent une culture, un héritage et un caractère communs. Bref, elle est la cellule de base de la nation confessionnelle. Par conséquent, attaquer la famille, c’est attaquer le coeur de la nation confessionnelle. Il faut éviter à la famille toutes formes de contagion morale. Toutefois, les moyens d’action limités de la famille l’oblige à se tourner vers les autres structures sociales pour trouver le complément à sa vitalité.

Pour cette raison, Angers accorde une responsabilité majeure à l’éducation, plus précisément, à l’école confessionnelle. L’école est le principal prolongement de la famille dans l’univers social. L’éducation procure aux enfants les éléments que les parents sont incapables de leur fournir. De plus, celle-ci est à la base de la transmission de la culture canadienne-française sur le continent, elle définit la spécificité et l’originalité canadienne-française. Le succès de la nation confessionnelle dépend donc du maintien des institutions scolaires confessionnelles. Le débat entourant l’abolition de l’école confessionnelle durant les années soixante heurte violemment la pensée d’Angers et sape les bases de son projet de nation confessionnelle. Il demeurera extrêmement critique et amer envers le rapport Parent qui mène vers une américanisation du système d’enseignement. Ses principales critiques concernent l’étatisme exagéré et la conception antichrétienne, antifrançaise et antinationale de la réforme de l’éducation. On comprend alors aisément que l’école devienne l’objet de litiges si l’on considère que l’éducation est un des facteurs les plus déterminants dans l’évolution sociale de la nation canadienne-française pour Angers. 

Le nationalisme économique, un outil de reconquête et de libération

En continuité avec la pensée nationale d’Édouard Montpetit, d’Esdras Minville et de Lionel Groulx, Angers estime que l’économie est un aspect essentiel du nationalisme canadien-français. En fait, elle constitue la base matérielle sur laquelle le culturel et le religieux ont besoin de s’appuyer pour prospérer. Il s’agit de promouvoir un équilibre entre le respect des valeurs spirituelles et les exigences matérielles. L’économie doit permettre le respect des principes de dignité, de liberté et de responsabilité. Or, la libération des Canadiens français des entraves inhérentes à leur situation de peuple conquis est un des objectifs du projet d’Angers. Les Canadiens français ne peuvent s’épanouir entièrement sans la mainmise, par exemple, sur les ressources naturelles de la province.

La nation confessionnelle est la recherche d’une voie chrétienne, une voie différente, qui s’impose aux dépens du socialisme et du libéralisme. Elle doit s’appuyer sur des bases économiques solides. La voie adoptée par Angers vise à humaniser le capitalisme et à faire de la propriété privée moralisée la structure fondamentale de l’activité humaine. L’affranchissement du prolétariat passe par l’accession à la propriété personnelle, individuelle, commerciale et industrielle. Cet ambitieux programme de libération économique s’articule à partir du coopératisme. Les intérêts religieux et culturels des Canadiens français exigent d’orienter le développement économique dans la direction du secteur coopératif, car le coopératisme est le système économique le plus juste et le plus rentable au niveau humain. Selon Angers, il est un outil efficace de la réalisation d’une véritable libération économique puisqu’il est impossible de propulser instantanément les Canadiens français au niveau économique qu’ils méritent. La réappropriation de l’économie exige une reconquête lente et constante des différents secteurs de la vie économique. La coopération donne à la propriété son extension sociale maximale. 

D’ailleurs, son nationalisme économique l’amène à accorder une importance particulière à l’agriculture dans son aménagement de la vie économique. Pour Angers, l’agriculture demeure une priorité nationale et ce, même si elle n’est pas l’activité économique la plus rentable financièrement. En fait, le facteur national exige des Canadiens français de ne pas sacrifier l’agriculture aux autres champs de l’activité économique. L’attachement au sol est un gage de la fidélité des Canadiens français envers eux-mêmes. L’emprise sur le sol empêche ceux-ci de s’aliéner par l’absorption d’une mentalité étrangère.Il cherche à prévenir l’exode rural et à favoriser l’édification d’économies régionales dans les campagnes pour assurer la survie des caractéristiques de la nation canadienne-française. Toutefois, il est évidemment qu’Angers ne renonce pas au potentiel industriel du Québec.

Par ailleurs, la réalisation d’une véritable démocratie politique exige le développement d’une démocratie économique. Comme nous l’avons vu dans le chapitre trois, «La nation confessionnelle et l’économie», la présence d’une dictature économique parallèlement à une démocratie politique corrompra progressivement cette dernière. La nation confessionnelle cherche à élargir la démocratie politique à la démocratie économique. Cette organisation mène à la création d’un État où les intérêts de la majorité canadienne-française sont véritablement représentés.  Signalons qu’Angers n’hésite pas à lier organiquement la question économique et la question nationale. Le nationalisme économique l’amène à réaliser certaines entorses à son anti-interventionnisme d’État. Par conséquent, il autorise l’État à intervenir pour aider les agriculteurs à contrôler le prix de leurs produits; dans les politiques de colonisation par une aide aux nouveaux agriculteurs; et dans la nationalisation de l’électricité par la création de coopératives d’électricité. Cette disposition à accepter l’intervention conditionnelle de l’État atteste de sa volonté de permettre aux Canadiens français de reconquérir leur vie économique. D’ailleurs, notre analyse a démontré que sa pensée économique est orientée vers les problèmes concrets du milieu.

En terminant, notre étude révèle une grande similitude entre la pensée économique d’Angers et celle d’Esdras Minville. Une des seules différences majeures observables concerne la tendance plus marquée chez Minville à accepter l’intervention de l’État dans les questions économiques. Notre analyse confirme néanmoins l’influence de Minville sur la pensée d’Angers.

La nation confessionnelle symbole de l’originalité canadienne-française

Par l’entremise de la nation confessionnelle, Angers cherche à défendre l’originalité canadienne-française sur le continent. La situation culturelle des Canadiens français exige de ne pas simplement imiter les systèmes sociaux et économiques provenant de l’étranger. Le caractère minoritaire des Canadiens français les oblige à créer des structures s’accordant avec leur esprit français et leur caractère catholique. Les institutions doivent être conçues en fonction de la nature des Canadiens français. Cette volonté de défendre l’originalité et la spécificité canadiennes-françaises est liée à la peur de domination d’une culture étrangère. Angers craint ainsi une aliénation de l’État canadien-français par la centralisation des pouvoirs provinciaux par un gouvernement fédéral de mentalité étrangère; de l’économie par l’application de modèles économiques anglo-saxons et protestants; et de l’éducation par l’application de structures et de méthodes d’enseignement américanisées.

D’ailleurs, cette peur de voir les Canadiens français renoncer à leur caractère national amène Angers à rejeter le principe de neutralité. La neutralité est une notion valable seulement si les institutions publiques (État et école) sont en présence d’un tel pluralisme qu’elles n’arrivent plus à se définir à partir d’une religion. La nation confessionnelle est donc une nation possédant son originalité et devant être préservée de toutes formes d’aliénation provenant de l’étranger. Le seul gage d’épanouissement des Canadiens français demeure la fidélité à leur histoire, leurs traditions et leur culture. Il s’agit de cultiver la continuité historique de la nation canadienne-française en accord avec son héritage chrétien. À cette condition, le progrès matériel et la modernisation technique seront à tous égards bénéfiques.

Ce sont donc les transformations s’opérant au sein de la société canadienne-française au cours de la Révolution tranquille, dont l’inspiration de base est opposée à celle d’Angers, qui marginalisent progressivement le projet de nation confessionnelle. Le rôle structurant conféré à la religion entre en opposition avec le climat idéologique de l’époque. Essentiellement, l’échec de son projet est attribuable à la sécularisation, à l’abandon de la conception culturelle de la nation et à la croissance du rôle de l’État. La modernité séculière et matérialiste a vaincu la modernisation confessionnelle. Autrement dit, pour Angers, la nation a raté sa modernisation, car en abandonnant la confessionnalité, elle renonçait à une part essentielle d’elle-même. La conviction qu’avait Angers que ce résultat n’était pas fatal s’accorde avec son volontarisme, dont il ne doutait ni de la validité ni de la fécondité.

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François-Albert Angers est une des figures marquantes de l’histoire intellectuelle canadienne-française; elle qui mérite d’être davantage connue. Sa pensée témoigne d’une constante recherche d’évolution et de progrès pour la nation. Il laisse un nombre impressionnant d’écrits ayant eu un impact considérable sur la pensée économique et sur la société canadienne-française. Au même titre que le mémoire de Pascale Ryan, notre analyse souligne la pertinence d’étudier simultanément Angers à titre d’universitaire, de chercheur et d’homme public. Ses responsabilités au sein de l’école des Hautes Études commerciales, de L’Actualité économique (1938-1948), de L’Action nationale (1959- 1968) et, plus tard, de la Société Saint-Jean-Baptiste (1969-1973) montrent une présence marquée dans le domaine scientifique et national. Fernand Dumont résume parfaitement la double vocation : «On sait quelle contribution décisive François-Albert Angers a apportée au développement de la recherche et de l’enseignement de la science économique de notre pays. Ses publications techniques, les initiatives diverses qu’il a suscitées auraient suffi à bien remplir la carrière d’un savant laborieux. Pourtant, il a poursuivi en parallèle une autre carrière aussi chargée que la première, vouée à l’engagement social et national (4).»

D’autre part, Angers marquera l’histoire intellectuelle par une grande rigueur intellectuelle et un engagement constant dans les luttes nationales. En fait, la question nationale ordonnera une grande partie de sa vie et de son action. Il occupera les plus hautes fonctions dans les principales institutions nationalistes: président de la revue L’Action nationale; de la Ligue d’Action nationale; chancelier de l’Ordre de Jacques-Cartier; et, finalement, président de la Société Saint-Jean Baptiste. Paradoxalement, en dépit de son projet de nation confessionnelle, Angers deviendra le premier président de la Société Saint-Jean-Baptiste déconfessionnalisée. Il apparaît comme une figure exemplaire d’intellectuel engagé et comme un représentant éminent du traditionalisme critique.

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Compte tenu des limites de cette étude, nous n’avons pu analyser l’ensemble de ce sujet très vaste. L’imposante œuvre laissée par Angers nous oblige à affirmer que notre étude n’est pas complète, certains aspects de sa pensée demandent à être précisés ou approfondis. Il reste énormément de travail pour retracer l’ensemble des composantes de cette pensée complexe et pour en saisir son évolution. Il nous semblerait ainsi intéressant dans une prochaine étude d’analyser la période allant de 1960 à 1971. Plus précisément, il serait utile d’observer sa conception de la Révolution tranquille et d’explorer comment s’effectue le passage entre la défense du projet de la nation confessionnelle et celui de la langue française. De manière générale, nous devrions nous demander si le concept de nation confessionnelle s’applique à d’autres intellectuels canadiens-français. Le cas échéant, une étude comparative pourrait être féconde.

[Chapitre précédent]

[Bibliographie]

(1) Xavier Gélinas, Tradition et Progrès  (1957-1962). Une révolution tranquille de droite? Mémoire de M.A (histoire), Université de Montréal, 1991, 227 pages.

(2) Jean-Marc Léger, «Oublier l’histoire et mettre en cause l’identité nationale, c’est courir à sa perte»…, p. 65.

(3) Ibid., p. 100.

(4) Gouvernement du Québec. «Prix Léon-Gérin 1980: catégorie scientifique. François-Albert Angers.»

http://www.prixduquebec.gouv.qc.ca/recherche/desclaureats.asp?noLaureat=122.

9 novembre 2004. Consulté le 10 avril 2006.

 

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Source : Stéphane St.-Pierre, Francois-Albert Angers et la nation confessionnelle (1937-1960), Mémoire de M.A. (histoire), Université de Montréal, 2006, 181p., pp. 143-153

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College