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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Sir Guy CarletonLord Dorchester
DORCHESTER (Sir Guy Carleton, lord) (1724-1808), enseigne, lieutenant-colonel, major, puis lieutenant-général, colonel, général, lieutenant-gouverneur, gouverneur général, chevalier du Bain, commandant en chef, lord et baron.
Le troisième des enfants de Christopher Carleton de Newry, au comté de Down (Irlande) et de Catherine, fille de Henry Ball, il naquit le 3 septembre 1724 à Strabane. Ses ancêtres, originaires de Cumberland, se trouvaient parmi les colons immigrants de l'Ulster. Il perdit son père, quand il n'avait que 14 ans; sa mère se remaria au Révérend Thomas Shelton, de Newry, lequel compléta l'instruction de l'adolescent. Le 21 mai 1742, le jeune homme reçut la commission d'enseigne de lord Rothe, dont le régiment devint ensuite le 25e d'infanterie; il servit avec distinction sous le duc de Cumberland. En 1751, il fut fait lieutenant au 1er régiment des gardes à pied. En 1752, on le choisit comme instructeur militaire du fils aîné du duc de Richmond, avec lequel il visita les places fortes des Pays-Bas. Très lié au général Wolfe, il fut promu lieutenant-colonel, en 1758, du 72e régiment et le roi le fit servir dans l'armée du prince Ferdinand au Hanovre.
En 1759, le général Wolfe le fit entrer dans son état-major. Durant le siège de Québec, l'officier fut détaché avec une troupe de vieux soldats aguerris pour opérer une descente à la Pointe-aux-Trembles (Neuville), où il fit quelques prisonnières. Puis, le général lui confia la charge de la retraite des troupes du camp de Montmorency. Le 13 septembre, sur les Plaines d'Abraham, Carleton commandait un régiment de grenadiers : il fut légèrement blessé dans la bataille. Retourné en Angleterre, il prit part, en 1761, à l'attaque de Port-Andro et fut blessé de nouveau. Promu colonel en 1762, il se distingua, ainsi que son régiment, au siège de la Havane, recevant une blessure dans une sortie (22 juillet 1763).
Le 7 avril 1766, on le choisit pour lieutenant-gouverneur de Québec, où il débarquait le 22 septembre, agissant en qualité d'administrateur en l'absence de Murray. Le 12 avril 1768, il reçut sa commission de gouverneur du Canada. En décembre 1767, il écrivait une lettre, pleine de sens et de tact en faveur des coutumes, lois, traditions et moeurs des Canadiens (V. Th. Chapais, t. 1). Ainsi il écartait les rapports officiels de Masères et du juge Hey. Le ministre et ses deux officiers s'en montrèrent fort mécontents, voulant imposer les lois anglaises au Canada. II convenait de s'entendre : Carleton demanda un congé dans ce sens (1770), laissant le gouvernement à Cramahé le doyen des conseillers.
A Londres, Carleton eut à soutenir une longue lutte pour la défense de ses idées. Il y fut secondé par un délégué canadien, François-Joseph Cugnet. En même temps, il approuva en 1772 le choix de Mgr d'Esglis comme coadjuteur. Un comité étudia, durant deux ans, la préparation du texte de l'Acte de Québec, qui allait devenir l'arche de salut des Canadiens et de la colonie elle-même. M. Chapais affirme qu'il fut dû « à l'action persistante de Carleton. Pendant huit ans, il avait plaidé en faveur des lois françaises et de la suppression des incapacités confessionnelles... Notre victoire était sa victoire... »
Le 18 septembre 1774, le gouverneur Carleton était de retour à Québec, après quatre années d'absence. Les notabilités et le peuple s'empressèrent de lui témoigner leur immense gratitude par des adresses de félicitations. Les sujets britanniques manifestèrent aussi «leur désir de voir les habitants de cette province se soumettre à l'autorité du gouvernement et vivre dans l'harmonie» (Gaz. de Québec, septembre 1774); mais ceux de Montréal ne suivirent point cet exemple. Le 11 novembre, Carleton en informait le ministre : et il se demandait « si des colonistes installés à Montréal ne les avaient pas soulevés ou s'ils ont reçu des lettres du Congrès». Ces derniers mots faisaient allusion aux questions de dissidence entre les Américains et la métropole, qui avait contracté une dette de 140 millions en 1764: Carleton pressentait l'invasion du Canada. Il ne reçut sa nouvelle commission et ses instructions qu'au mois d'avril 1775. Se livrant à faire fonctionner immédiatement les provisions de l'Acte de Québec, il alla au plus pressé et nomma, avant le 1 er mai, des magistrats de la paix, chargés temporairement de l'administration de la justice : les sieurs Hertel de Rouville, de Montréal, et de Jean-Claude Panet, de Québec, étaient dans leurs rangs. Malgré la nouvelle de l'incursion américaine, il alla à Montréal et y constata la propagande intense des émissaires du Congrès : il crut opportun d'y proclamer la loi martiale et de mettre sur pied les milices de la Province. Il s'occupa des fortifications de Saint-Jean et du poste de La Galette et fit construire des barques pour protéger la navigation du lac Champlain; il convoqua les Sauvages domiciliés et ceux des pays d'en haut pour les amener à prendre les armes. Puis, le gouverneur redescendit à Québec, où il se hâta de nommer les membres du Conseil législatif, lequel se réunit le 17 août 1775; soit 13 Anglais et 8 Canadiens.
Mais aussitôt éclate la nouvelle que les Américains ont envahi le pays par le lac Champlain. Le gouverneur se rendit aussitôt à Montréal, où régnaient l'alarme et la confusion. Le 31 août, le corps d'armée du général Schuyler, sur les ordres du Congrès, s'était embarqué à Carillon pour venir assiéger Saint-Jean. Ce fort était défendu par le major Preston avec 553 réguliers, 120 volontaires canadiens, 20 volontaires anglais. Peter Schuyler, tombé malade, céda sa place au brigadier-général, Richard Montgomery,. qui dirigea les opérations. Le siège fut commencé régulièrement, le 18 septembre. Des chroniqueurs ont blâmé l'inaction de Carleton à Montréal et son abandon à l'endroit de Saint-Jean. C'était un soldat de carrière, fort expérimenté : ce qui lui inspira la prudence, ne voulant pas tout risquer dans un engagement hasardeux. La ville était infestée d'espions et de complices des envahisseurs. De plus, il ne disposait en tout que de 929 officiers et soldats réguliers, dont 625 à Saint-Jean et à Chambly, quelques compagnies à Québec et environ 150 hommes à Montréal. Bien accueillis des populations du Richelieu et enhardis par les rapports des espions, les Américains envoyèrent des bandes dans les campagnes voisines de Montréal. Le commandant Ethan Allen traversa de Longueuil à la Longue-Pointe, le 24 septembre. Le lendemain, un détachement de 2 à 300 Canadiens et une trentaine de réguliers les alla attaquer, tuant ou blessant un certain nombre et faisant 36 prisonniers. Le brigadier Montgomery s'empara de Chambly et de ses munitions, le 18 octobre et de Saint-Jean, le 2 novembre; le sort de Montréal en dépendait : le 11, les ennemis venaient la cerner. Mais Carleton s'embarqua pour Québec. Toutes les péripéties du trajet sont mises au tableau d'honneur du capitaine Bouchette.
Le gouverneur atteignit la capitale, le 19e du mois; mais l'armée d'Arnold y venait faire sa jonction avec celle de Montgomery pour assiéger Québec. La défiance des Canadiens avait jusque-là paralysé l'activité de Carleton. Sa correspondance a révélé ensuite son état d'esprit. Le juge Hey partageait ses appréhensions, ainsi que Cramahé. Les Canadiens de distinction, loyaux envers l'Angleterre, ne craignaient point d'affirmer les mêmes doutes. L'intervention de l'évêque et du clergé vint enrayer la propagande des fauteurs de déloyauté, ouvrir les yeux aux fidèles qui les écoutaient, affermir la détermination des classes dirigeantes et sauver la situation. Car, en vérité, Carleton ne disposait que de 70 réguliers, de 230 volontaires du Royal Emigrants : soit 300 hommes. Le corps des miliciens canadiens était de 710 hommes, commandés par le colonel Voyer et un état-major des plus beaux noms français de la colonie. Les matelots des vaisseaux hivernants donnaient un chiffre de 425 combattants, auxquels s'ajoutaient 330 miliciens anglais. A tous ces vaillants guerriers la victoire resta assurée; l'annexion aux Provinces américaines disparut dans ses plis, grâce à l'effort héroïque des troupes canadiennes. L'invasion avait duré dix mois.
Mais le lendemain de cet échec, la Guerre de l'Indépendance devait se prolonger, l'espace de six ans. Nouvelle époque fort difficile et troublée, en raison surtout de l'entrée de la France dans le conflit, en 1778. Carleton, encore sous l'influence du mécompte éprouvé dans l'automne de 1775, fit adopter par le Conseil, en 1777, une ordonnance de milice aux dispositions assez rigoureuses. On lui avait préféré le général Burgoyne pour le commandement des opérations contre les Américains dans la Province de New-York : cause pour lui de profonde amertume: Il se résolut aussi à destituer le juge en chef Livius et il se déclara entre lui et le ministre, lord George Germaine, une dissension touchant à l'inimitié, qui se traduisit dans une correspondance très acrimonieuse. Finalement, Carleton demanda son rappel. Le 29 août 1777, il fut promu au rang de lieutenant-général. Et il quitta Québec, en juillet 1778.
En reconnaissance de ses succès et services qui avaient sauvé la colonie, Carleton fut reçu chevalier de l'Ordre du Bain, le 6 juillet 1776, et, le 23 février 1782, il fut nommé commandant en chef en Amérique à la place de sir Henry Clinton; mais à l'approche des préliminaires de la paix, toutes les hostilités cessèrent dans les Colonies (V. A. Bradley, The Makers of Can .).
Le 22 avril 1786, on le choisit une seconde fois comme gouverneur général du Canada et il fut créé, le 21 août suivant, pair d'Angleterre avec le titre de lord Dorchester ou baron de ce nom. Il revenait à Québec (23 novembre), accompagné d'un nouveau juge -en chef, M. Smith, loyaliste américain. On lui fit la plus flatteuse réception. Sa commission mettait sous sa juridiction la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick et l'île du Prince-Edouard. Deux questions, selon M. Chapais, divisaient alors les esprits : la question juridique et la question constitutionnelle. Le gouverneur répartit le Conseil législatif en quatre comités, chargés d'étudier les questions suivantes : 1e les Cours de justice; 2e la milice et la voirie; 3e la population, l'agriculture, la colonisation des .terres de la Couronne; 4e le commerce intérieur et extérieur; et plus tard, un cinquième comité, celui de l'éducation et des moyens de la développer. Les rapports de ces comités amenèrent une série de divergences de vue, qui mirent le gouverneur dans un état d'esprit indécis et complexe. Il soutint énergiquement à Québec et à Londres les droits et coutumes des Canadiens sur le terrain judiciaire. En ce qui concernait le changement constitutionnel, il se réserva en fin politique.
Lord Dorchester négocia avec Silas Deane un plan d'exécution du canal Chambly et se préoccupa sérieusement de la question des Sauvages de l'Ouest. Puis il exprima son intention de visiter les Provinces maritimes, ainsi que les établissements naissants des Loyalistes de l'Ontario. A Montréal, il transféra l'église des Jésuites à l'évêque anglican, en vertu de la suppression de leur Ordre. Ses efforts se portèrent aussi à l'accroissement des effectifs de la milice. Les Chambres du Vermont et du Kentucky lui communiquèrent leur projet de séparation des autres Etats américains. Il ferma les frontières du Canada aux émigrés de noblesse française, retirés aux Etats-Unis.
Le ministère des Colonies lui fit parvenir un plan de réforme de la Constitution : il n'agréa point ce dessein, ni la nomination de Simcoe. Le 18 août 1791, il partit pour Londres, laissant les rênes de l'administration à sir Alured Clarke : il ne revint à Québec que le 23 septembre 1793, pour ouvrir la deuxième session de la législature du Bas-Canada. Il s'empressa de soumettre à la Chambre un projet de réorganisation militaire, en prévision d'un conflit qu'il supposait certain avec les Américains. C'est l'idée qu'il communiqua à une délégation des chefs des Miamis, qui fut désapprouvée à Londres. Aussitôt il songea à démissionner. Le gouverneur ne réussit point à adopter les idées de Simcoe : il optait volontiers en faveur de la centralisation des pouvoirs. Le 12 juillet 1796, il quitta Québec, dont il avait vu le siège en 1759. Son départ provoqua des regrets universels. La frégate l' Active, qui le portait avec sa famille, fit naufrage à Anticosti, sans que l'on eut à déplorer aucune perte de vie. De là, les naufragés se rendirent à Gaspé, d'où un navire de Halifax les conduisit en Angleterre, à la fin de septembre. On conserva au gouverneur son titre officiel, durant six mois jusqu'à la nomination de Prescott.
Les dernières années de sa carrière, le vieux lord et baron les écoula dans sa résidence rurale, soit à Kempshot près de Basingstoke, soit à Stubbings près de Maidenhead, où il mourut subitement le 10 novembre 1808.
Le 25 mai 1772, il avait épousé Maria, troisième fille de Thomas Howard, deuxième comte d'Efflngham, et d'Elizabeth, fille de Peter Beckford, de la Jamaïque, laquelle décéda en 1836, lui ayant donné neuf fils et deux filles. La descendance a perpétué la baronnie jusqu'en 1897 : le titre a passé à un cousin et à son fils, Dudley Massey Carleton. [On pourra consulter avec profit la biographie de Carleton au Dictionnaire biographique du Canada.] Retour à la page sur La Guerre de Sept Ans [en français] Consult the Seven Years' War Homepage [in English]
Source: Louis LE JEUNE, "Dorchester, Sir Guy Carleton, Lord", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 1, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 862p., pp. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |