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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Marquis de Vaudreuil
VAUDREUIL (Pierre de Cavagnal, marquis de) (1698-1778), frère de [Louis-Philippe de Rigaud-Vaudreuil, et fils de Philippe de Rigaud, Marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France de 1703 à 1725], enseigne, lieutenant, capitaine, major des troupes, gouverneur des Trois-Rivières, puis de la Louisiane, gouverneur général de la Nouvelle-France et grand-croix de Saint-Louis. - Cavagnac, commune dans le Lot.
Né à Québec le 22 novembre 1698, il était le quatrième des fils de Philippe de Rigaud. Le 16 juin 1708, il obtint une enseigne dans les troupes de la marine et, le 5 juillet suivant, une expectative de lieutenant dont il reçut le brevet le 28 mai 1712. Le 14 novembre 1713, le gouverneur écrivait au ministre : « Mon quatrième fils passe en France, sur ce que Mme de Vaudreuil m'a marqué que vous vouliez bien lui permettre. Nous l'avons chargé, M. l'intendant et moi, de notre lettre commune. Il aura l'honneur de vous la rendre et Mme de Vaudreuil - qui était à la Cour depuis 1708 - celui de vous le présenter. »
M. de Cavagnal revint à Québec, durant l'été de 1715. Le 2 juin de cette année, il fut promu capitaine de la compagnie du marquis d'Aloigny de La Groye. En octobre 1722, le père notait ainsi son fils dans son rapport concernant les officiers : « Le sieur de Cavagnal est attaché au service et en état de servir partout où il lui sera ordonné. Il est fort réglé dans sa conduite et n'a aucune mauvaise qualité ». Le 23 avril 1726, il était créé chevalier de Saint-Louis et fait lieutenant de vaisseau. Le 15 octobre 1731, l'intendant faisait part au ministre de son bon travail en faveur des réguliers et des miliciens qu'il faisait exercer les jours de dimanche et de fêtes : « Cet officier est véritablement attaché au service et c'est une justice que personne ne lui refuse, ni ne peut lui refuser ». Le 1er avril 1733, M. de Cavagnal remplaçait M. de Beaucours au gouvernement des Trois-Rivières. Une note anonyme, datée de 1739, le qualifiait ainsi : « Il a le zèle, l'application, les talents et la conduite convenable ».
Le 1er juillet 1742, M. de Vaudreuil remplaçait M. de Bienville au gouvernement de la Louisiane ; mais il ne débarqua à la Nouvelle-Orléans que le 10 mai 1743 : « C'était, écrit un historien, un homme honnête et juste, qui fit prospérer la contrée, autant qu'il était en son pouvoir. Durant son gouvernement, la colonie avait en somme prospéré : les fortifications de la Balise s'achevaient, des troupes régulières étaient arrivées, la population comptait 1,500 habitants. Il n'a laissé en Louisiane que de bons souvenirs et, entre tous les noms des gouverneurs, le sien est encore le plus vénéré. Sa femme, qui adorait les fêtes, sut bien vite policer la société de la ville et parvint à se constituer une petite cour fort élégante, qui faisait venir de Paris des carrosses ». (V. Marc de Villiers, Les Dern. Ann. de la Louis. fr. ).
En 1746, la vallée du Mississipi était encore comme un désert, selon l'historien Bancroft. Il fallut y promouvoir la culture du tabac, du riz, de l'indigo. Dès 1744, le gouverneur supprimait le papier-monnaie : mais il eut le tort d'affermer les postes, établis chez les Indiens, et de caresser la chimère des mines. L'année suivante, le budget colonial atteignait le demi-million, pour une population d'environ 2,000 âmes. Le commissaire-ordonnateur Lenormant (1746) entrave son action et l'accuse de veiller trop à ses intérêts et à ceux des Canadiens. En 1748, une partie des Chactas se déclare en faveur des Anglais, l'autre pour les Français. Deux ans après, les Natchez sont presque anéantis, et les Chicachas vivent en paix. Grâce à ses influences à la Cour, M. de Vaudreuil a obtenu l'envoi de 1,850 hommes de troupes. Mais le nouveau commissaire, Michel de La Rouvillière, rétablit le papier-monnaie, au détriment des colons et des soldats. Il refuse au gouverneur les présents, qui attachent l'amitié des Indiens : ce furent dispute et dénonciation en haut, malaise et souffrance en bas.
Le 1er janvier 1755, le roi nommait M. de Vaudreuil gouverneur général de la Nouvelle-France. Il débarqua à Québec, avec le baron de Dieskau, ayant traversé sur les vaisseaux de l'amiral Du Bois de La Motte, le 23 juin suivant. Son avènement à sa charge coïncidait avec les débuts de la Guerre de Sept ans. Tous ses compatriotes l'accueillirent avec des transports de joie, espérant revoir les jours fortunés du gouvernement de son père. Dès le 7 juillet, il peut enregistrer la victoire de la Monongahéla, remportée par le capitaine Dumas. Mais, le 8 septembre, le baron de Dieskau est battu, blessé et fait prisonnier au lac Saint-Sacrement (George) par le colonel William Johnson. Devant cet échec, M. de Vaudreuil écrivit au ministre, le 30 octobre, que « il n'est pas nécessaire qu'il y ait d'officier général de France à la tête des bataillons, et que l'on peut sans cela les exercer et les discipliner ». Sorte de blâme indirect à l'adresse du ministre et de narquoise condoléance au général Dieskau.
Le ministre passa outre et envoya au Canada le marquis de Montcalm, comme généralissime des troupes, mais le subordonné du gouverneur. Le 26 mai 1756, celui-ci le reçut à Montréal avec courtoisie. Sur l'avis de M. de Vaudreuil, la campagne devait commencer par Chouaguen : le 24 août, eut lieu la capitulation de la place avec 1,780 prisonniers de guerre. Dans ses lettres du 10 et du 13 de ce mois, le gouverneur ne donne d'éloges qu'à son frère, M. de Rigaud, et laisse au général la responsabilité absolue de l'issue de l'expédition (V. Chapais, Montcalm). Après la victoire, il continue son ouvre de dénigrement (Lettr. du 1er septembre au ministre), et il commet plusieurs inexactitudes. Le 23 octobre, il ose expédier un véritable réquisitoire contre Montcalm et les troupes régulières. Le 27 novembre, il donna audience et hospitalité à des députations d'Iroquois des Cantons et des Sauvages du pays d'en haut : elles ne finirent par se retirer que le 29 décembre. Et le gouverneur alla fêter les premiers jours de l'année à Québec. Le 26 janvier, au retour, il tomba gravement malade aux Trois-Rivières. On craignit pour ses jours, mais il se rétablit et remonta à Montréal vers la mi-février 1757.
Son dessein était de former un corps expéditionnaire en raquettes, composé de Canadiens et de Sauvages, avec une poignée de réguliers, et de le lancer contre le fort William-Henry : il ne concevait que la guerre de partisans. Montcalm, qui avait lui-même exprimé le désir d'y marcher en personne, conçut de ce projet un très vif mécontentement : il en résulta des explications aigres-douces. Mais l'expédition, sous les ordres de M. de Rigaud, réussit à causer à l'ennemi des dommages considérables (Lettr. de M. de Vaudreuil, 22 avril). Le 9 juillet, le gouverneur donna ses instructions à Montcalm pour mener l'attaque du fort. Le 9 août, le colonel Webb capitula avec 2,211 prisonniers. « Mais, pas plus qu'après Chouaguen, M. de Vaudreuil n'était pleinement satisfait. Jamais, durant toute la guerre, les succès remportés par Montcalm n'eurent le don d'obtenir son approbation sans réserve. Cette fois, il lui reprochait de n'avoir pas porté plus loin les armes contre le fort Lydius (Edouard). » ( V. Chapais). M. de Vaudreuil oubliait le texte de ses instructions et l'état d'épuisement des troupes, sans compter le portage à faire de l'artillerie. Néanmoins, c'est en 1757 que M. de Vaudreuil est promu commandeur, et l'année suivante grand-croix de Saint-Louis, cueillant les honneurs sur place.
Au printemps de 1758, on décida la campagne de Carillon. Le 15 juin seulement, M. de Bourlamaque y arrivait avec le bataillon de la Reine. M. de Vaudreuil avait, de son côté, conçu le plan de concerter, sur la frontière du lac Champlain, un corps de 5,000 hommes, pour la couvrir de toute attaque de surprise, sous les ordres de M. de Lévis : ce corps devait se porter par Oswego et dévaster les habitations anglaises aux alentours de Shenectady. M. de Montcalm ne goûta point ce projet, qui divisait ses forces déjà trop faibles en présence des formidables armements de l'ennemi. Il se rendit néanmoins à Carillon et y remporta la victoire, le 8 juillet suivant, à un contre cinq ou six ; il envoya courrier sur courrier au gouverneur. Celui-ci harcèle le vainqueur de lettres quotidiennes pour le pousser à la poursuite des troupes d'Abercromby : réponses positives du général et réconciliation apparente des deux personnages. Par les derniers vaisseaux se rendaient en France M. de Bougainville et M. Doreil: le gouverneur, dans la correspondance qu'il leur confia, les accréditait et les discréditait simultanément.
Au mois de mars 1759, Montcalm, ayant quitté ses quartiers d'hiver à Québec, se transporta à Montréal, où il voyait le gouverneur : de part et d'autre, courtoisie de surface, sans confiance, ni cordialité. Au mémoire du général sur la prochaine campagne M. de Vaudreuil répondit par ses instructions (12 avril). Il y disait: « Je ne présume pas que les Anglais entreprennent de venir à Québec » ; le général n'osait user de la même présomption. Le gouverneur optait sans cesse pour les petits partis de guerre en Acadie, à Carillon, sur l'Ohio et ailleurs ; le général pour la concentration des troupes au coeur de la colonie : « Les Anglais, dit-il, ont 60,000 hommes et nous au plus 10 à 11,000 combattants » : aussi voyait-il l'avenir sous les plus épaisses ténèbres, en raison du débordement « de toutes les friponneries » autour du gouverneur, qui fermait les yeux. D'ailleurs le crédit de ce dernier avait singulièrement baissé à la Cour et au Conseil de la Marine.
Il n'est pas encore démontré que la tactique militaire de partisans, chère au gouverneur dirigeant, eût été plus opportune et plus efficace que la stratégie du général exécutant, vainqueur trois années consécutives (1756-1758), et triomphateur final, peut-être, avec les 2,000 réguliers de plus, qu'il réclama vainement, avant de succomber aux Plaines !
Après avoir fait un recensement, qui accusait 15,299 hommes valides, M. de Vaudreuil adressa aux capitaines de la milice une proclamation, leur enjoignant de se tenir prêts à faire marcher tous les habitants valides et de les bien équiper. Le 24 mai 1759, il arriva de Montréal à Québec et approuva toutes les dispositions prises par Montcalm. C'est lui qui prit la direction générale de tous les corps de troupes et envoya ses ordres à tous leurs commandants.
Il se retira à la tête d'un régiment, posté près de la rivière Saint-Charles, à la gauche de celui de Montcalm qui avoisinait le Saut de Montmorency : ce fut son quartier-général durant tout le siège n'ayant jamais eu l'occasion d'intervenir à main armée. A mesure que les flottes anglaises se rassemblaient, il ordonna à tous les habitants des deux rives d'éloigner vieillards, femmes, enfants avec leur bétail. Sa réputation n'était pas accréditée parmi les officiers, ni parmi leurs soldats de France. « Malheureusement son attitude et ses propos trop héroïques fournissaient souvent matière aux brocards : à preuve une lettre du 28 mai au ministre. » (V. It. ibid.). C'est le 30 juin qu'il établit ses quartiers à la Canardière. L'avant-veille, il avait ordonné de lancer des brûlots sur la flotte ennemie, ancrée dans le chenal sud de l'île d'Orléans : la manoeuvre échoua, faute d'avoir été bien combinée la nuit. Le 11 juillet, sollicité de faire passer un détachement pour entraver les préparatifs de l'artillerie anglaise sur les hauteurs de Lévis, il fut témoin d'un nouvel échec. Le 6 septembre, il fit évacuer le régiment de Guyenne des Plaines d'Abraham à son camp. Lorsque le général, y ramassant ses hommes pour livrer le dernier combat, lui dépêcha son aide de camp pour l'envoi de 2,000 hommes, son ordre disait que « pas un homme de la gauche ne devait bouger du camp ». Après la blessure mortelle qui mit Montcalm hors de combat, il prétendit lui avoir notifié qu'il aurait dû attendre M. de Bougainville et sa troupe, avant de frapper. Il écrivit au général agonisant une lettre de regret et de sympathie, lui faisant lire, et demandant son approbation, les conditions de la capitulation de la capitale. Aurait-il pu et dû se transporter à son chevet, comme son estafette ?...
Les funérailles terminées, le soir du 14 septembre, M. de Vaudreuil écrivit au maréchal de Belle-Isle : « Ce général, mort de ses blessures, je l'ai beaucoup regretté ». Le 30 octobre, avec une bassesse d'âme dénaturée, il expédie contre le héros une mensongère et violente diatribe, où il déversait toutes ses rancunes. Il voulut faire main basse sur ses papiers que le défunt avait formellement légués à M. le Chevalier de Lévis (V. Chapais, ibid.).
Le 14 septembre, le gouverneur retraita jusqu'à Jacques-Cartier et de là remonta à Montréal. Il engage M. de Lévis à livrer aux Anglais la seconde bataille des Plaines ou de Sainte-Foy (28 avril 1760), qu'il réussit à gagner sur les Anglais. Mais l'arrivée d'une flotte anglaise le 15 mai, le contraint à lever le siège et à retraiter sur Montréal. L'ennemi va l'assiéger et M. de Vaudreuil doit capituler le 8 septembre (V. H. Garneau). Quelques jours après, les lieutenants de Montcalm et le personnel administratif, Vaudreuil et Bigot, quittaient les rives du Saint-Laurent.
Le gouverneur n'échappa point à la disgrâce de la Bastille. Le 10 décembre 1763, il se vit décharger de toute accusation, après quinze mois de détention. Le 8 mai 1764, M. de Choiseul lui écrivait : « Le roi a reconnu avec plaisir que la conduite que vous avez tenue dans l'administration qui vous a été confiée a été exempte de tout reproche et vous accorde une pension de 6,000 livres ». M. de Sartine, lieutenant de police, s'était vivement intéressé au prisonnier, écrivant au major commandant de la Bastille « de lui laisser dans sa chambre pour le servir son domestique nègre, nommé Canon ; de lui remettre des hardes et une bouteille de lavande ; de lui permettre de recevoir les lettres de son épouse avec un peu de pommade et des livres pour le désennuyer ». Au mois de septembre 1764, M. de Vaudreuil recevait la croix et le cordon de commandeur honoraire de l'Ordre de Saint-Louis, qui lui avait été décerné en 1756-57, mais que l'on avait jusque-là différé de Iui remettre.
M. de Vaudreuil avait épousé à Paris en 1743, Jeanne-Charlotte Fleury de La Gorgendière, née le 10 février 1683 et veuve (1732) de François Le Verrier, qui en eut un garçon et une fille. Elle ne donna aucun enfant au marquis de Vaudreuil, qui vécut avec son frère, Pierre-François, et mourut, en 1778, au château de Muides (Loir-et-Cher). Source : Louis LE JEUNE, "Pierre de Cavagnal, Marquis de Vaudreuil", dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 2, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 829p., pp. 764-767.
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