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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Manifeste de Louis Hippolyte Lafontaine en 1841
[.] Les événements que l'avenir prépare à notre pays seront de la plus haute importance. Le Canada est la terre de nos ancêtres ; il est notre patrie, de même qu'il doit être la patrie adoptive des différentes populations qui viennent, des diverses parties du globe, exploiter ses vastes forêts dans la vue de s'y établir et d'y fixer permanemment leur demeure et leurs intérêts. Comme nous, elles doivent désirer, avant toutes choses, le bonheur et la prospérité du Canada. C'est l'héritage qu'elles doivent s'efforcer de transmettre à leurs descendants sur cette terre jeune et hospitalière. Leurs enfants devront être, comme nous, et avant tout, CANADIENS.
En Amérique, le plus grand bienfait dont jouissent ses habitants, c'est l'égalité sociale; elle y règne au plus haut degré. Si, dans quelques vieilles sociétés d'un autre hémisphère, elle semble suffire à leurs jouissances et à leurs besoins, il n'en saurait être ainsi pour les populations vigoureuses et fortes de ce nouveau continent. Outre l'égalité sociale, il nous faut la liberté politique. Sans elle, nous n'aurions pas d'avenir; sans elle, nos besoins ne pourraient être satisfaits; sans elle, nous ne pourrions atteindre ce bien-être que nous promet la nature si vaste en Amérique. Avec des efforts constants et dirigés avec fermeté et prudence vers ce but essentiel à notre prospérité, nous obtiendrons cette liberté politique. Pour nous empêcher d'en jouir; il faudrait détruire l'égalité sociale, qui forme le caractère distinctif tant de la population du Haut-Canada que de celle du Bas-Canada. Car cette égalité sociale doit nécessairement amener notre liberté politique. C'est le besoin irrésistible des colonies anglaises dans l'Amérique du Nord. Les moeurs font plus fortes que les lois, et rien ne saurait nous soustraire à leur puissance. Il ne peut exister en Canada aucune caste privilégiée, en dehors de la masse de ses habitants. L'on peut créer des titres un jour: le lendemain, vous voyez les enfants traîner le parchemin dans la boue.
Mais le moyen d'obtenir cette liberté politique, si essentielle à la paix et au bonheur de ces colonies, et au développement de leurs vastes ressources ? Le moyen, c'est la sanction de la volonté populaire à l'adoption des lois; c'est le consentement à voter l'impôt et à régler la dépense; c'est encore sa participation efficace à l'action de son gouvernement, c'est son influence légitime à faire mouvoir les rouages de l'administration, et son contrôle effectif et constitutionnel sur les individus plus immédiatement préposés à faire fonctionner cette administration; c'est, en un mot, ce qui fait la grande question du jour: le gouvernement responsable, tel qu'on l'a avoué et promis à l'assemblée du Haut-Canada, pour obtenir son consentement au Principe de l'union, et non tel que peut-être on l'explique maintenant dans certain quartier.
Ce Principe ne constitue pas une théorie nouvelle. Il est le principal moteur de la constitution anglaise. Lord Durham, en reconnaissant la nécessité de son application aux colonies dans leurs affaires locales, a touché à la racine du mal et a recommandé le seul remède efficace. Dans les circonstances actuelles, l'importance de cette question est telle, qu'un candidat qui a des principes politiques et qui y attache quelque prix, ne doit pas hésiter à exprimer son opinion sur ce sujet. Je ne suis pas du nombre de ceux qui reposent une confiance aveugle dans les promesses du gouverneur-général à cet égard. Loin de là. Je crois que dans la pratique il ne concèdera pas ce Principe de bon coeur, et je pense que le plus ou le moins d'étendue où il entend aller, dépendra beaucoup de la composition de la nouvelle Chambre d'Assemblée. Pour moi, je n'hésite pas à dire que je suis en faveur de ce principe anglais de gouvernement responsable. Je vois, dans son opération, les seules garanties que nous puissions avoir d'un bon gouvernement constitutionnel et effectif. Les colons doivent avoir la conduite de leurs propres affaires. Ils doivent diriger tous leurs efforts dans ce but; et, pour y parvenir, il faut que l'administration coloniale soit formée et dirigée par et avec la majorité des Représentants du peuple, comme étant le seul moyen « d'administrer le gouvernement de cette province selon les désirs et les intérêts du peuple, et d'avoir pour ses sentiments, tels qu'exprimés par des Représentants, la juste déférence qui leur est due ».
Une autre question non moins importante, c'est celle qui résulte même de l'union des deux provinces. Elle est un acte d'injustice et de despotisme, en ce qu'elle nous est imposée sans notre consentement; en ce qu'elle prive le Bas-Canada du nombre légitime de ses représentants; en ce qu'elle nous prive de l'usage de notre langue dans les procédés de la Législature, contre la foi des traités et la parole du gouverneur-général; en ce qu'elle nous fait payer, sans notre consentement, une dette que nous n'avons pas contractée; en ce qu'elle permet à l'exécutif de s'emparer illégalement, sous le nom de liste civile, et sans le vote des représentants du peuple, dune partie énorme des revenus du pays. S'ensuit-il que les représentants du Bas-Canada doivent s'engager d'avance et sans garanties à demander le rappel de l'union ? Non, ils ne doivent pas le faire. Ils doivent attendre, avant d'adopter une détermination dont le résultat serait peut-être de nous rejeter, pour un temps indéfini, sous la législation liberticide d'un Conseil Spécial, et de nous laisser sans représentation aucune. C'est une erreur trop générale de la part des partis politiques, dans les colonies, que de croire qu'ils ont de la sympathie à attendre de tel ou tel ministère impérial. Que le ministère, à Londres soit tory, whig ou radical, cela ne fera aucune différence dans la situation politique des colonies. Le passé est là pour nous en convaincre.
Les réformistes, dans les deux provinces, forment une majorité immense. Ce sont ceux du Haut-Canada, ou au moins leurs représentants qui ont assumé la responsabilité de l'acte d'union, et de toutes ses dispositions injustes et tyranniques, en s'en rapportant, pour tous les détails, à la discrétion du gouverneur-général. Ils ne sauraient, ils ne peuvent pas approuver le traitement que cet acte fait aux habitants du Bas-Canada. S'ils ont été trompés dans leur attente, ils doivent réclamer contre des dispositions qui asservissent leurs intérêts politiques et les nôtres aux caprices de l'exécutif. S'ils ne le faisaient pas, ils mettraient les Réformistes du Bas-Canada dans une fausse position à leur égard, et s'exposeraient ainsi à retarder les progrès de la réforme pendant de longues années. Eux, comme nous, auraient à souffrir des divisions intestines, qu'un pareil état de choses ferait inévitablement naître. Cependant notre cause est commune. Il est de l'intérêt des réformistes des deux provinces de se rencontrer sur le terrain législatif, dans un esprit de paix, d'union, d'amitié et de fraternité. L'unité d'action est nécessaire plus que jamais. Je n'ai aucun doute que, comme nous, les réformistes du Haut-Canada en sentent le besoin, et que, dans la première session de la législature, ils nous en donneront des preuves non équivoques; ce qui, j'espère, sera le gage d'une confiance réciproque et durable. [.]
Source : Louis-P. TURCOTTE, Le Canada sous l'union, 1841-1867, Québec, Imprimerie de L. J. Demers & Frères, 1882, pp. 58-61.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |