Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Louis-Joseph Marquis de Montcalm

 

MONTCALM (Louis-Joseph, marquis de) (1712-59), enseigne, capitaine, aide de camp, colonel, brigadier, maréchal de camp, commandant d'armée, lieutenant-général et com­mandeur de Saint-Louis.

 

La généalogie de sa famille remonte au XIIe siècle. Elle est représentée par Simon de Montcalm, seigneur de Viala et de Cornus (Aveyron). Heyral, Bertrand, Bernard, Ray­mond continuent la lignée. Jean, fils du der-nier, porte les titres de Saint-Véran (Hautes-Alpes), Tournemire (Aveyron), Viala, la Baume (Haute-Savoie), Pradines (Loire), La Panouse (Lozère). Son fils Guillaume meurt au commencement du XVle siècle et Jean, son aîné, devint aussi seigneur de Candiac. Fran­çois, son fils, est capitaine des galères du roi. Plusieurs des Montcalm embrassent le calvi­nisme, entre autres, Honoré, qui succombe dans un combat singulier à Lodève (1574). Louis, troisième du nom, eut cinq fils, entre autres, Jean-Louis, le cadet, qui fut le père de Louis-Pierre et de Louis-Daniel, baron de Gabriac. Ce dernier, né le 22 septembre 1676, épouse (30 avril 1708) Marie-Thérèse-Char­lotte de Lauris de Castellane, seigneur d'Ampus (Var). Il meurt le 13 septembre 1735, laissant cinq enfants : Louis-Joseph, Jean-Louis-Pierre, Louise-Françoise, Louise-Charlotte, Hervée-Macrine. La mère, fervente ca­tholique, fit abjurer le calvinisme à son mari.

 

Louis-Joseph, seigneur de Saint-Véran, Tournemine, Vestric et Candiac, Saint-Julien d'Arpaon, baron de Gabriac, naquit, le 28 février 1712 au château de Candiac, situé non loin de Nîmes. Durant ses premières années, sa constitution resta délicate. Sa tante le ménagea tant que, à six ans, il ne savait pas encore lire. Son père le confia, alors A. un pré­cepteur de Grenoble, nominé Louis Dumas, et qui était son frère naturel. Cet homme possé­dait une érudition très étendue. Il initia son élève aux éléments français, grecs et latins, mais il ne réussit jamais, en dépit de remontrances quotidiennes, à l'initier à la calligraphie. Les humanités et la réthorique complétèrent le cours classique. En 1724, le jeune étudiant obtint déjà un brevet d'enseigne dans le régiment de Hainaut, où son père était lieu­tenant-colonel; mais il ne commença le service actif qu'en 1727 à Longwy (Moselle). Toutefois, A Paris, il alternait l'étude des classiques, sous la direction d'un certain Etienne Philippe, avec les leçons d'armes et d'équitation à l'Académie de Vendeuil; suivant aussi parfois son régiment à Fort-Louis, Strasbourg, Mézières, Givet.

 

En 1729, il fut promu capitaine. En 1733, désigné pour faire partie de l'armée com­mandée par Maurice de Saxe, qui investit et prit le fort de Kehl, au mois d'octobre, le jeune officier n'eut pas l'occasion de se si­gnaler dans cette campagne. En avril 1734, iI prend part au siège et à la prise de PhiIips­bourg. Au mois de septembre 1735, son père mourut à Candiac. L'année suivante, M. de Montcalm épousa Angélique-Louise Talon du Boulay (3 octobre 1736).

 

En 1741, la France entrait dans la coalition formée contre l'Autriche. Le capitaine solli­cita et obtint la faveur d'accompagner en Bohême, en qualité d'aide de camp, le marquis de La Fare, nommé lieutenant-général. Les troupes s'emparèrent de la haute Autri­che et entrèrent dans Prague. Mais par un retour de la fortune, on vint les y assiéger; ils sortirent de la ville en partie, sous les. ordres du maréchal de Belle-Isle. Enfermé dans la place avec le vaillant Chevert, M. de Montcalm fut légèrement blessé dans une sor­tie. Ce contingent exécuta aussi une merveil­leuse retraite.

 

Rentré en France, il fut promu, le 6 mars 1742, colonel du régiment d'Auxer­rois, lequel allait faire la campagne d'Italie contre les armées autrichiennes et sardes. Ce ne fut qu'en mars 1744 que le colonel partit pour Monaco. Ses mémoires affirment que la campagne dura du 13 avril au 20 décembre, remportant de brillants succès, sous le com­mandement du prince de Conti. Elle reprit en 1745, juste quand on manquait de troupes aguerries à Louisbourg. En 1746, il était sous les ordres du maréchal de Maillebois et de Chevert. Au mois de mai, il enleva 150 Sardes à Monteleone. Le 16 juin, il prenait une part distinguée avec son régiment à la meurtrière bataille de Plaisance, où les Autrichiens furent vainqueurs : il y fut blessé cinq fois dans la mêlée et tomba aux mains de l'en­nemi. « Heureusement aucun de ces coups de sabre, écrivait-il, n'est dangereux, quoique j'aie perdu mon sang en abondance, ayant eu une artère coupée. Mon régiment, que j'avais rallié deux fois, est anéanti. »

 

Remis de ses blessures, M. de Montcalm put rentrer en France prisonnier sur parole. A Paris et à Versailles, il fut accueilli avec honneur par le roi. En mars 1747, Louis XV fit insérer son nom dans la liste de la promotion des brigadiers. La conclusion des né­gociations pour l'échange des prisonniers lui rendit la liberté de se battre : en juillet, il était à la bataille de l'Assiette, où les Fran­çais perdirent 4.000 hommes. Il s'y prodigua avec entrain, fut atteint d'une balle au front et reçut plusieurs contusions. En automne, il était présent aux opérations, qui forcèrent les ennemis à lever le siège de -Vintimille.

 

Le 18 mars 1748, on signa la paix à Aix-la-Chapelle. En 1749, dans la réorganisation de l'armée, son régiment fut incorporé au régiment de Flandre. Puis, l'officier jouit de six années de repos au foyer, s'occupant du soin de ses propriétés et de l'éducation de ses enfants : « J'ai eu dix enfants, écrit-il en 1752; il ne m'en reste que six, deux garçons et quatre filles : Louis-Jean-Pierre et Gilbert-François-Déodat. » Toutefois, il allait inspec­ter son régiment, à des intervalles détermi­nés.

 

Dans l'automne de 1755, M. de Montcalm se rendit à Paris pour régler certaines affaires domestiques. Il se présenta à Versailles, où M. d'Argenson, sachant la défaite du général Dieskau (8 septembre), lui proposa de le remplacer (19 novembre). L'officier consulta les siens. Sa mère lui conseilla d'accepter. Le 31 janvier 1756, il en donna confirmation au ministre, qui le pressa de hâter ses préparatifs, tout en nommant son fils aîné colonel de son régiment, à sa place.

Le 6 février, il fit ses adieux aux siens à Montpellier; le 12, il était à Paris et le lende­main à Versailles aux pieds du roi. Le 2 mars, sa maison militaire était composée; le 11, le roi le nomma maréchal de camp, M. le cheva­lier de Lévis brigadier, M. de Bourlamaque colonel. M. de Bougainville capitaine réformé, les sieurs des Combles et Desandrouins, ingénieurs, l'un promu chevalier de Saint-Louis, l'autre capitaine en second du génie. Les sieurs de Rochebeaucour et Marcel étaient second et troisième aides de camp. Le 21 mars, M. de Montcalm arrivait à Brest, port de l'embarquement, où l'attendaient 1.100 à 1.200 hommes de la Sarre et du Royal-Roussillon: cinq jours après, ces troupes montaient à bord du Héros, de 74 canons, de l'Illustre 64 et du Léopard 60. M. de Montcalm était em­barqué, ainsi que M. de Bougainville, sur la frégate la Licorne, commandée par M. de La Rigaudière; M. de Lévis, ainsi que M. de La Rochebeaucour, M. des Combles et M. de Fonthrune, aide de camp du premier, sur la Sauvage, commandée par M. de Tourville; M. de Bourlamaque, ainsi que MM. Desan­drouins et Marcel, sur la Sirène, commandée par M. de Brugnon. Le départ, faute de vent favorable, ne s'effectua que le 3 avril.

 

Terrible tempête, durant la Semaine sainte, qui sépare la Licorne du Héros : « Je ne savais plus dans quelle assiette me tenir, écrit Montcalm; si j'avais osé, je me serais fait amarrer.» A Terre-Neuve, on pêche la morue. « Il faut convenir que c'est un excellent man­ger; et ce qu'il y a de meilleur est inconnu en Europe : la langue, la tête, le foie. » Le 5 mai, le vaisseau entrait dans le Saint-Lau­rent; le 10, il était rendu au Cap-Tourmente, où le général prit terre dans l'espoir d'aller à Québec; mais il ne trouva aucun véhicule; le 12, il se fit descendre à Saint-Joachim, passa la nuit chez M. du Buron, curé de Château-Richer et arriva, le 13, à Québec, quel­ques heures après la Licorne, « ayant trouvé le pays très beau et bien cultivé ». M. de Vaudreuil étant à Montréal, il fut reçu par M. Bigot, le chevalier de Longueuil, lieutenant de roi, Mgr de Pontbriand, M. de Ramezay major et M. Péan aide-major.

 

Les réceptions étant terminées, il donna ses instructions aux officiers concernant les trou­pes. Le 23 mai, il remonte le fleuve et arrive à Montréal en trois jours. Les premières en­trevues avec le gouverneur furent courtoises et bienveillantes. La Cour avait laissé à M. de Vaudreuil tous les pouvoirs : il commandait à M. de Montcalm, qui ne gardait que le soin et la direction des réguliers ou troupes de terre. Ces troupes étaient ainsi réparties : les régiments de La Reine, 327 hommes; du Lan­guedoc, 326; de Guyenne, 492; du Béarn, 498, tous venus antérieurement avec le baron de Dieskau; de La Sarre, 515; du Royal-Roussil­lon, 520: soit un total de 2.678, auquel il faut ajouter 156 volontaires et 918 recrues, ou 3.752 soldats, sans compter les officiers. Les troupes du détachement de la Marine for­maient un contingent de 1.950, avec un millier de Sauvages domiciliés,

 

1. Campagne de Chouaguen (juin-août 1756).

Chouaguen (Oswego) était situé sur la rive méridionale du lac Ontario. La place comprenait trois forts : le fort Ontario, érigé sur la rive occidentale de la rivière Oswego, en forme d'étoile; le vieux Chouaguen ou fort Pepperel, bâti en pierres, en­touré de murailles avec des parapets et situé en face du premier; le nouveau Chouaguen ou fort George, construit en pieux, à droite sur le bord du lac. Ils étaient défendus par 1.400 combattants environ, commandés respec­tivement par les colonels Mercer, Schuyler et le lieutenant-colonel Littlehales.

 

Le siège de la place commence dès le 5 juin. Le capitaine, Louis Coulon de Villiers, établit un camp à la haie de Niaouré (Sacketts Harbour), à quinze lieues de Chouaguen : escarmouches heureuses sur la rivière Oswego, le 25 juin et le 3 juillet, contre le lieutenant-colonel Bradstreet. Le 6 août, ar­rivée des troupes : 3.200 réguliers et mili­ciens, 250 Sauvages, sous les ordres du géné­ral et de M. de Bourlamaque. Le 8, le déta­chement de M. de Rigaud, composé des indi­gènes et de 500 Canadiens, avance vers la place en éclaireurs. Le 9, débarquement de l'artillerie à l'Anse-aux-Cabanes. A l'aube du 10, un Sauvage tire, par méprise, à bout por­tant sur M. des Combles, qui expire une heure après. Le 12, les canons sont mis en batterie et les tranchées ouvertes par 300 hommes; le 13, nouveaux travaux d'approche. L'artil­lerie bat son plein contre le fort Ontario et la garnison décimée se replie sur le vieux Chouaguen. Celui-ci est battu en brèche, le matin du 14 : vers 9 heures, M. de Rigaud avec son détachement et M. de Bougainville traversent la rivière Oswego, à un gué situé à trois quarts de lieue en amont, afin d'in­vestir la place. Soudain, un boulet coupe en deux le colonel Mercer, qui allait faire face à cette attaque. A 10 heures, le colonel Littlehales, sur l'avis du Conseil de guerre, fait arborer le drapeau blanc et, à 11 heures, il signe l'acte de capitulation. L'affaire avait à peine duré dix jours, depuis le départ de Montcalm de Frontenac.

 

Le butin était immense : environ 1.700 pri­sonniers, y compris les hommes, les ouvriers, les domestiques, cinq drapeaux, trois caisses du trésor contenant 18.000 francs, 122 ca­nons, 23 milliers de poudre, 8 milliers de balles, 450 bombes, 1.476 grenades, 1.800 fusils, 12 paires de roues de fer, 2.950 boulets, 250 boucauts de biscuits, 1.386 quarts de lard ou de boeuf salé, 752 quarts et 200 sacs de farine, 11 quarts de riz, 90 sacs de pois, 7 quarts de sel, 32 boeufs : plus un grenier plein de pois et un autre de farine. Dans le fort se remisaient six embarcations armées : un senau percé de 20 pièces de canon, un brigantin de 14 pièces, une goélette de 8, une barque de 10, une autre de 4 et un esquif de 12 pierriers. L'ennemi comptait 150 tués et 30 blessés; l'assaillant, 6 morts et 24 blessés: Les Canadiens et les Sauvages pillèrent surtout les fusils; ces derniers, repus de rhum, tuèrent une trentaine de fuyards ou de malades. Du 15 au 21 eut lieu la démolition des trois forts. On y érigea une grande croix avec l'inscription de M. de Bougainville : In hoc signo vincunt! ainsi qu'un poteau aux armes de France avec ces mots : Manibus date Iilia plenis : « à pleines mains, semez les lis ». Le jour même, les troupes quittaient le lieu de leur triomphe.

 

M. de Montcalm, suivi de M. de Lévis, avait visité le fort de Carillon, avant la campagne de Chouaguen; il y retourna s'aboucher avec son lieutenant-général à l'automne. Puis il hiverna à Montréal et à Québec.

 

La ligne de fortifications, établie par les Français, comprenait, en amont du Richelieu: Chambly, Saint-Jean, Saint-Frédéric (1727) à la Pointe-à-la-Chevelure (Crown Point) du lac Champlain, Carillon (1755) à l'entrée de la rivière du lac Saint-Sacrement (George). Celle des Anglais, en amont du fleuve Hudson, se composait des forts : Albany, Shenectady, Edouard ou Lydius, William-Henry ou George, à l'entrée méridionale du lac de ce nom; ce dernier était une menace constante pour la colonie : Dieskau échoua dans sa tentative de s'en emparer, Montcalm réussit à l'enlever.

 

2. Campagne de William-Henry (juillet-août 1757).

Le 12 juillet, le marquis de Montcalm part de Montréal, est à Saint-Jean le 15, et le 18 à Carillon. Là il organise son armée, qui est composée de 7.819 hommes : les com­pagnies de la marine en bataillons de 535 hommes chacun; les milices en brigades, com­mandées par les officiers canadiens, le che­valier de La Corne, M. de Saint-Ours, M. de Repentigny, M. de Courtemanche et M. de Gaspé; un détachement de 300 volontaires sous les ordres de M. Coulon de Villiers; les réguliers de France en trois brigades; les Sauvages en corps d'avant-garde sous M. de Rigaud.

 

Le 1er août, on transporta les guerriers et l'artillerie sur le lac. Les jours suivants, éner­giques travaux d'approche. Le 7 et le 8, a lieu l'attaque violente et incessante du fort. Le 9, capitulation des officiers d'état-major : Webb, Munro, Young et Fesch. Les assié­geants ont seulement 17 tués et 40 blessés.

 

Les 2.241 prisonniers ont les honneurs de la guerre et l'escorte jusqu'au fort Lydius; ils ne pourront servir contre la France avant dix-huit mois, clause qui fut violée dans la suite. Confiscation de tout le matériel, vivres et munitions; par malheur, le 10 août, les Sauvages massacrent une cinquantaine de pri­sonniers en route vers Lydius, afin de piller leur bagage. Le 15 août, le fort n'est plus qu'un amas de décombres. — Fenimore Cooper, dans le Dernier des Mohicans, n'a pas manqué de calomnier la mémoire de Montcalm, à propos de ce douloureux épisode.

 

M. de Vaudreuil s'empressa de jeter le blâme sur le vainqueur qui aurait dû, à son sentiment, poursuivre sa victoire par la prise du fort Lydius, situé à la distance de six lieues. « Montcalm, écrivait-il, n'avait qu'à se présenter et il avait tout à souhait. » Le gou­verneur n'avait guère combattu, ni au Ca­nada, ni en Louisiane. Le général français hiverna à Québec, où il fut témoin des folles réceptions de l'intendant, de ses jeux effrénés, du carnaval, des réjouissances mondaines de­vant la misère publique; son Journal est une vivante peinture de la décadence des moeurs et du pressentiment de la catastrophe. Au printemps de 1758, il retournait à Montréal pour organiser les préparatifs de la prochaine expédition. A cette occasion, il eut avec M. de Vaudreuil une terrible passe d'armes.

 

3. Campagne de Carillon (Ticonderoga) (juillet 1758).

— Le fort de Carillon était en bois, ceint d'une palissade, assis sur le versant sud-est d'une péninsule, bordé de terrains bas qui côtoient le lac Champlain à gauche, à droite la rivière La Chute longue de 4 milles, dont 2 navigables; puis une cascade en aval d'une série de rapides; enfin le Portage, qui aboutit au lac Saint-Sacrement (George), long de 36 milles et terminé par les ruines de William-Henry.

 

L'armée anglaise comptait 6.367 réguliers de la métropole, 9.034 provinciaux des Colonies, commandés par James Abercromby gé­néral, George-Auguste comte et lord Howe, brigadier-général, William Johnson, vain­queur de Dieskau, Robert Rogers, l'idole des Indiens, John Bradstreet. Les Français ne comptaient que 3.906 guerriers, parmi lesquels environ 300 Canadiens et 16 Sauvages seulement. La partie s'engageait à cinq contre un.

 

Le vainqueur demeura à Carillon, qu'il tra­vailla à rendre imprenable, jusqu'au 4 no­vembre. De nouveau, M. de Vaudreuil lui écri­vit de Montréal, lui reprochant de n'avoir pas poursuivi 14.000 hommes avec 3.000 combattants épuisés de leur lutte héroïque. Ce duel épistolaire fut suivi de la réconcilia­tion des deux chefs, par voie d'ambassade. Ils convinrent d'envoyer M. de Bougainville auprès du roi et de la Cour. Carillon conserva une garnison de 400 hommes, dont 300 de terre et 100 de la marine, sous le commandement de M. d'Hébécourt.

 

Le marquis de Montcalm acheva l'année à Montréal et se rendit ensuite à Québec, où il fut témoin des divertissements de la haute société au sein de la misère publique.

 

Il écrivait à M. de Lévis, le 12 janvier 1759: « Les plaisirs, malgré la misère et la perte prochaine de la colonie, ont été des plus vifs à Québec. Il n'y a jamais eu autant de bals, ni de jeux de hasard aussi considé­rables, malgré la défense de l'année dernière. Le gouverneur et l'intendant l'ont autorisé. » II ajoutait : « Ah! que je vois noir! Je prévois avec douleur les difficultés de la campagne prochaine. Si la guerre dure, la colo­nie périra d'elle-même, ne succombât-elle pas par la supériorité des forces de l'ennemi!... Qui diable sait où tout en sera au 1er novem­bre 1759?... »

 

A la détresse publique s'ajoutaient les fâ­cheuses nouvelles : perte de Louisbourg le 26 juillet 1758, du fort Frontenac le 25 août, du fort Du Quesne le 24 novembre; insuccès de la mission de M. de Bougainville : «beaucoup d'honneurs et peu de secours a (10 mai 1759). Le marquis de Montcalm était promu lieutenant-général: ce qui lui assurait un traitement de 36.000 livres.

 

4. Campagne de Québec (mai-septembre 1759).

Les Anglo-Américains ont armé : 1° Contre Québec, 125 vaisseaux et 152 transports, montés de 27.000 soldats et marins, sous Ies ordres de James Wolfe, major géné­ral des troupes de terre, qui a pour officiers les trois brigadiers-généraux George Town­shend, Robert Monckton et James Murray; Charles Saunders est chef de l'escadre et des troupes de mer, ayant sous ses ordres Philipp Durell et Charles Holmes; 2° Contre Carillon et Saint-Frédéric, une armée de 12.000 hom­mes sous le commandement de Jeffrey Am­herst, tandis que M. de Bourlamaque n'a qu'un effectif de 2.500 combattants à lui opposer; 3° Contre Niagara, où commande le capitaine Pouchot à la tête de 1.100 hommes, un corps de 5.000 combattants et de 900 Iroquois, sous les ordres du général John Prideaux et de William Johnson.

 

Les Canadiens ne disposent que de 15.000 hommes environ, répartis sur les lacs Champlain et Frontenac et dans le moyen Saint-Laurent.

 

La colonie a déjà subi des échecs douloureux : le 6 juillet, le capitaine de La Corne tente de déloger Haldimand d'une redoute qu'il avait élevée à Chouaguen : il se retira, ayant 30 morts ou blessés; le 25, le capitaine Pouchot capitule à Niagara; M. de Bourlamaque, devant les 12.000 hommes d'Amherst, fait sauter le fort de Carillon (22 juillet), celui de Saint-Frédéric (le 31), et se replie sur l'île-aux-Noix pour arrêter la marche de l'ennemi.

 

Dès le 26 mai, la flotte britannique mouille au sud de l'île d'Orléans qui la couvre; le lendemain, quelques frégates doublent la Pointe-Lévy, qui n'est pas munie d'artillerie : des pilotes français, capturés par Durell, dans le bas du fleuve, qui avait arboré en fraude le drapeau fleurdelisé, conduisaient les navi­res anglais en sûreté. Le 27 juin, des débar­quements s'opèrent à Saint-Laurent de l’Île d’Orléans et, de là, au bout de l'île : le len­demain, insuccès des brûlots de M. de Vau­dreuil en aval. Les deux jours suivants, trois régiments descendent à Beaumont : où affi­chage d'une insultante proclamation de Wolfe contre les agissements possibles des habitants. Puis, escarmouches meurtrières de M. de Lévis et d'Etienne Charest. Le 2 juillet, camp retranché de Monckton à la Pointe-Lévy, du 6 au 12, à Lévis. Le 9, débarquement de Townshend et de Murray vers l'Ange-Gardien : ils établissent leur camp sur la rive gauche du Saut-de-Montmorency. Le 12, échec d'une tentative du capitaine Dumas, à l'ouest de Lévis.

 

Depuis deux ans, M. de Montcalm avait recommandé de faire des retranchements dans la région de Beauport : le gouverneur ne fit rien. Le 29 mai, il les entreprend et y fait travailler, nuit et jour, jusqu'au 4 juillet : redoutes et redans s'alignent de la rivière Saint-Charles au Saut.

 

Le soir du 13 juillet, les batteries anglaises de marine, installées à Lévis, lancent les obus et les projectiles incandescents sur la capi­tale; le 15, des bombes incendiaires; les deux jours suivants, sans répit, nouveaux ravages du feu. Le 18, la nuit et à la marée montante, un vaisseau de 50 canons, une frégate de 20, trois transports et deux corvettes, doublent le Cap-Diamant et mouillent à l'Anse-des-Mères : les batteries du fort Saint-Louis aper­çoivent trop tard leur passage ! C'était un quatrième ennemi à surveiller sans répit, qui menace d'intercepter vivres et munitions, ve­nant des Trois-Rivières. En même temps, l'ar­tillerie de Wolfe et de Saunders frappe et décime l'aile gauche de M. de Lévis, sur la rive droite du Saut-de-Montmorency.

 

Dans la seconde phase du siège, le colonel Guy Carleton, commandant un détachement, fait prisonnières, le 21 juillet, à Neuville, un groupe de dames de Québec, qu'il renvoie le lendemain : le corps de voltigeurs, sous les ordres du capitaine Dumas, arriva trop tard pour attaquer les embarcations du colonel. Le 22, le bombardement, qui ne cesse que par intervalles, est effroyable : la cathédrale, des rues entières prennent feu. Les Religieuses se réfugient à l'Hôpital-Général. Le tir du fort Saint-Louis arrête au passage trois navires de guerre. Mécontent, impatient, aigri, Wolfe lance une nouvelle proclamation; le 25 juillet, ses troupes pillent tout à Saint-Henri, emmenant 250 personnes, ainsi que le curé,, M. Dufrost de La Jemmerais. Le lende­main, une escarmouche se produit aux gués, situés en haut de la rivière Montmorency; un parti de Sauvages les a franchis avec des officiers de la marine : nous eûmes 18 tués ou blessés, l'ennemi en perdit environ 50. La nuit du 27, nouvelle tentative des brûlots, sous l'habile manoeuvre des sieurs de Courval et de Bougainville. Le 31, Wolfe fait atta­quer le camp de Beauport par les feux des transports embossés dans le chenal avec le Centurion de 60 canons, par les batteries de la rive gauche du Saut, par une colonne de 2.000 fusils à la hauteur des gués, plus tard par les troupes passées au pied de la chute. Partout les réguliers de France, les miliciens incorporés, les Sauvages, tiennent ferme et fauchent les rangs ennemis; au milieu du carnage, une pluie d'orage vient détremper le sol et, à sept heures du soir, l'Anglais bat en retraite, laissant derrière lui environ 500 cadavres : c'est la victoire de Montmorency.

 

La troisième phase s'ouvre avec le mois d'août. Irrité de ses pertes, exaspéré de l'insuccès, impuissant à accéder aux hauteurs de la ville par l'est et l'ouest, Wolfe se venge par un redoublement d'énergie dans le bom­bardement : chaque jour du mois amène un sinistre, surtout la nuit du 8, où sont consu­mées 167 maisons. Dans l'intervalle, M. de Bougainville, à la tête de son camp volant, intercepte deux essais d'atterrissement à Neuville. Le 9 août seulement, l'on apprend la capitulation de Niagara. Pour enrayer la marche de Johnson sur Montréal, le général charge le chevalier de Lévis de garder les rapides du Saint-Laurent avec un détachement d'environ 1.000 combattants : ce qui af­faiblit d'autant « la petite armée ». Mais, le lendemain, M. de Repentigny, avec 700 Cana­diens et Sauvages, met hors de combat une centaine d'Anglais aux gués de Montmorency. Malade de la fièvre, aggravée des pertes et des lenteurs d'un triomphe escompté d'avance et des combinaisons de son adversaire, le gé­néral Wolfe exécute son plan de dévastation systématique : la soldatesque de Rogers, chef des Rangers ou Métis, incendie tout dans l'île d'Orléans, les paroisses qui s'échelonnent de l'Ange-Gardien à la haie Saint-Paul, massa­crant le curé de Saint-Joachim et neuf pri­sonniers; les paroisses de l'Islet à la Rivière-Ouelle; au-dessus de Québec, les paroisses de Tilly, de Deschambault, de Saint-François avec sa mission abénaquaise. L'officier Richard Montgomery se distingue par sa fureur sanguinaire : « H faudra un demi-siècle, avoue l'un des incendiaires, pour réparer tout le dommage » (V. A. Gosselin, Mgr de Pont­briand).

 

La quatrième phase commence par le plan de l'état-major des deux antagonistes. De la part Anglais, [sic] l'esprit pressuré par deux mois d'insuccès, le général en chef songe à renou­veler l'assaut du côté de Montmorency : ses trois aviseurs lui conseillent l'attaque de surprise au-dessus du Cap-Diamant; aussi bien, du 26 au 31 août, environ 14 vaisseaux fran­chissent impunément la passe de Lévis, faute de défense préalable sur les deux rives et, par terre, les troupes s'acheminent vers la Chaudière; puis, le 3 septembre, on lève le camp inutile de Montmorency. M. de Montcalm combine aussi ses plans: le 5 septembre, il déplace son aile droite de Beauport; il offre à M. de Bougainville d'établir le batail­lon de Guyenne sur les hauteurs d'Abraham; mais, le 6, M. de Vaudreuil contremande l'ordre et « fait rentrer le bataillon » : faute inexplicable, commise sans doute de bonne foi ou par totale ignorance de la stratégie. Nuit et jour, M. de Bougainville épie les mou­vements des vaisseaux anglais, passés en amont du fleuve. Le 10, résolu à tout hasar­der, Wolfe fait choix de l'Anse-au-Foulon pour la nuit du 12. Il sait par espion que, la même nuit, un convoi de farine doit descendre de Sorel et des Trois-Rivières alimen­ter Québec. Ici se place l'épisode de l'Ata­lante (V. Vauquelin). Cependant il y eut un contre-ordre, lequel ne fut pas peut-être com­muniqué aux sentinelles françaises.

 

On sait que Monckton opéra la première descente sur la rive nord, répondant France ! au cri de Qui vive ! et qu'il surprit en haut le poste endormi et réduit de Vergor Du Chambon. A cinq heures du matin, 1.800 Anglais ont déjà gagné les hauteurs du plateau. Le 13 septembre, 4.800 combattants, tous réguliers de profession, se rangent en ordre de bataille sur les plaines d'Abraham. Le marquis de Montcalm a tout entendu de Beauport par des estafettes; il accourt organiser la défense avec environ 4.000 hom­mes. Il lui manque les 2.000 de M. de Sénezergues, qui ne répond pas à l'appel, les troupes de M. de Bougainville, les 25 canons de Québec, que refuse M. de Ramezay, major de la ville.

 

5. Bataille et défaite des Plaines.

Vers 10 heures du matin l'ordre de bataille combiné, sur le commandement du général, nos troupes s'élancent, avec une grande impétuosité, contre l'ennemi. Par malheur, au bout de cent pas, les miliciens font feu, sans aucun ordre manifesté, et se couchent pour rechar­ger.

 

Les Anglais, sans tirer, avancent avec deux balles au fusil : à 40 pas, les 4.000 balles frap­pent nos soldats, qui tombent ou se relèvent dans la confusion. Puis, l'ennemi, étant si proche, charge vigoureusement à la baïon­nette : la déroute est aussitôt complète.

 

Blessé au poignet et dans l'aine, Wolfe re­çoit une balle dans les poumons et meurt d'une hémorragie. En essayant d'enrayer la déroute, le marquis de Montcalm est atteint à la cuisse et aux entrailles. Ainsi tombaient les deux chefs dans l'action.

 

Toutefois, le marquis est ramené à Québec sur son cheval noir et soutenu par trois offi­ciers. « Ce n'est rien, dit-il, aux femmes qui pleuraient sur le passage, ne vous affligez pas pour moi! » On le conduisit à la maison de M. André Arnoux, chirurgien, absent au lac Champlain avec l'armée de Bourlamaque. Arnoux le jeune, son frère, examina et pansa les blessures : il avoua que la mort était cer­taine et prochaine. — « Combien d'heures ai-je à vivre? demanda le blessé » « Pas beaucoup au delà de trois heures du matin.» Immédiatement, le général mit ordre à ses affaires et se prépara à bien mourir. Il dit à son secrétaire Marcel que tous ses papiers fussent remis aux mains de M. de Lévis, ainsi qu'un écrit contenant ses intentions confié à M. de La Rochette, trésorier de la marine. Il reçut le viatique et l'extrême-onction avec une ardente piété. A cinq heures du matin, le 14 septembre, il expirait, réalisant dans sa personne la devise du blason familial : « La guerre est le tombeau des Montcalm. »

 

Commandeur de l'Ordre de Saint-Louis et lieutenant-général, il eut le cercueil et les funérailles des pauvres. Un vieux contremaître des Ursulines, surnommé « le bonhomme Michel », qui « ramassa à la hâte quelques planches, parvint à confec­tionner, en versant des larmes abondantes, une boite informe, peu en rapport avec la précieuse dépouille qu'elle devait ren­fermer ». Les funérailles, eurent lieu, le même jour, à neuf heures du soir, le cercueil étant escorté par M. de Ramezay, les officiers de la garnison, quelques mornes citoyens, des femmes et des enfants en pleurs, dont une petite fille de 9 ans, qui, devenue Ursuline, racontait encore la cérémonie en 1831. L'inhu­mation se fit aux Ursulines et l'on y voit encore le crâne du héros au monastère.

 

Outre sa mère et son épouse, le marquis décédé laissait deux fils et trois filles. L'une de celles-ci avait épousé M. d'Espinousse de Coriolis; la seconde, un Doria de la célèbre famille génoise de ce nom; la troisième, le vicomte de Damas.

 

Louis-Jean-Pierre-Marie épousa Jeanne-Ma­rie de Lévis, nièce du chevalier. Il devint ma­réchal de camp et fut député de la noblesse de Carcassonne aux Etats-Généraux en 1789. En 1790, au moment où l'Assemblée nationale mettait en question la suppression des pen­sions accordées par le roi, M. de Noailles réclama une exception en faveur de la famille de Montcalm, dont « les services ont fait connaître le nom dans les deux mondes, dont la valeur et les talents ont honoré les armes françaises ». Sa demande fut écoutée. Les enfants de Montcalm, alors au nombre de quatre, reçurent une pension de 1.000 liv. chacun. Le fils aîné de Louis-Jean-Pierre, nommé Louis-Hippolyte, fut aussi maréchal de camp; il épousa Armandine de Richelieu, soeur du duc et premier ministre de Louis XVIII, et il mourut sans postérité. Le cadet, Louis-Dieudonné, fut aide de camp du duc d'Angoulême; il épousa une demoiselle de Sainte-Maure Montausier, qui lui donna André-Victor, lequel s'unit à sa cousine, Ga­brielle de Montcalm; comme il n'eut aucun enfant, il adopta son neveu, le comte de Saint-Maurice; celui-ci, à la mort de son oncle, a pris le nom du marquis de Montcalm et a continué la lignée; son jeune fils est venu à Québec, en 1908, avec le marquis Gaston de Lévis.

 

Gilbert-François-Déodat, étant entré dans l'ordre de Malte, ne se maria point.

 

[Pour compléter l'information présentée ci-haut, consulter le fichier Études et documents sur Montcalm]

 

Source : Louis LE JEUNE, «Louis-Joseph, Marquis de Montcalm», dans Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. II, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931,  829p., pp. 291-297.

 

 

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College