Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Révision 2013

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Pierre Boucher

L'hiver en Nouvelle-France

(1664)

 

« Les froids y sont-ils grands l'hiver ? Il y a quelques journées qui sont bien rudes, mais cela n'empêche pas que l'on ne fasse ce que l'on ait à faire : on s'habille un peu plus qu'à l'ordinaire, on se couvre les mains de certaines moufles, appelées dans ce pays ici des mitaines ; l'on fait bon feu dans les maisons, car le bois ne coûte rien ici qu'à bûcher et à apporter au feu. On se sert de boeufs pour le charrier sur certaines machines qu'on appelle des traînes : cela glisse sur la neige, et un boeuf seul en mène autant que deux boeufs feraient en été dans une charrette. Et, comme j'ai déjà dit, la plupart des jours sont extrêmement sereins, et il pleut fort peu pendant l'hiver. Ce que j'y trouve de plus importun, c'est qu'il faut nourrir les bestiaux à l'étable plus de quatre mois, à cause que la terre est couverte de neiges pendant ce temps-là ; si la neige nous cause cette incommodité, elle nous rend d'un autre côté un grand service qui est qu'elle nous donne une facilité de tirer les bois des forêts, dont nous avons besoin pour les bâtiments, tant de terre que d'eau, et pour autres choses. Nous tirons tout ce bois de la forêt par le moyen de ces traînes dont j'ai parlé, avec grande facilité, et bien plus commodément, et à beaucoup moins de frais que si c'était en été par charrette. L'air y est extrêmement sain en tout temps, mais surtout l'hiver ; on voit rarement des maladies dans ces pays ici ; il est peu sujet aux bruines et aux brouillards ; l'air y est extrêmement subtil. A l'entrée du golfe et du fleuve, les bruines y sont fréquentes à cause du voisinage de la mer ; on y voit fort peu d'orages... Puisque je suis tombé sur l'hiver, je dirai un petit mot en passant des saisons ; on n'en compte propre­ment que deux, car nous passons tout d'un coup d'un grand froid à un grand chaud, et d'un grand chaud à un grand froid ; c'est pourquoi on ne parle que par hiver et été. L'hiver com­mence incontinent après la Toussaint ; c'est-à-dire les gelées et quelque temps après les neiges viennent qui demeurent sur la terre jusques environ le quinzième d'avril pour l'ordi­naire, car quelques fois elles sont fondues plus tôt, quelques fois aussi plus tard, mais d'ordi­naire c'est dans la seizième que la terre se trouve libre et en état de pousser les plantes et d'être labourée. Dès le commencement de mai, les chaleurs sont extrêmement grandes, et on ne dirait pas que nous sortons d'un grand hiver ; cela fait que tout avance, et que l'on voit en moins de rien la terre parée d'un beau vert ; et en effet, cela est admirable de voir que le blé qu'on sème dans la fin d'avril et jusques au vingtième de mai, s'y recueille dans le mois de septembre et est parfaitement beau et bon ; et ainsi toutes les autres choses avancent en proportion ; car nous voyons que les choux pommés, qui se sèment ici au commencement de mai, se replantent dans le vingt ou vingt-quatrième de juin, se recueillent à la fin d'octobre et ont des pommes qui pèsent de quinze à seize livres. Pour l'hiver, quoiqu'il dure cinq mois et que la terre y soit couverte de neige, et que pendant ce temps le froid y soit un peu âpre, il n'est pas toutefois désagréable : c'est un froid qui est gai, et la plupart du temps ce sont des jours beaux et sereins, et on ne s'en trouve aucunement incommodé. On se promène partout sur les neiges, par le moyen de certaines chaussures faites par les sauvages, qu'on appelle raquettes, qui sont fort commodes. En vérité, les neiges sont ici moins importunes que ne sont les boues en France. Les saisons ne sont pas égales par tout le pays : aux Trois-Rivières, il y a près d'un mois moins d'hiver ; à Montréal, environ six semaines, et chez les Iroquois, il n'y a qu'environ un mois d'hiver. Québec, quoique moins favorable pour les saisons et pour l'aspect du lieu qui n'a pas tant d'agrément, a, toutefois, un très-grand avantage à cause du nombre d'habitants, et qu'il est l'abord des navires qui viennent de France. »

Témoignage de Pierre BOUCHER, tiré de son ouvrage Histoire Véritable et Naturelle des Mœurs et Productions du Pays de la Nouvelle-France, Vulgairement dite Le Canada, Paris, 1664; cité par Benjamin SULTE, Histoire des Canadiens-Français, 1608-1880, Vol. III, Montréal, 1882, Wilson éditeur, 162p., pp. 81-82.

 

 
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