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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Lettre de George-Étienne Cartier à Thomas L. Goldie[1838][Cette lettre de Cartier fut envoyée en 1838 à Thomas L. Goldie, secrétaire du gouverneur Colborne. Comme plusieurs autres chefs patriotes, Cartier s'était enfui aux États-Unis, en 1837, pour échapper aux multiples arrestations que les autorités effectuèrent. Il revint au Canada au moment où Lord Durham donna une amnistie générale. Mais à l'automne de 1838, Robert Nelson mena un nouveau soulèvement et proclama l'indépendance du Bas-Canada. Craignant d'être arrêté, Cartier expédia la lettre suivante aux autorités.]
Monsieur,
Vous me pardonnerez en ce moment de prendre la liberté de vous écrire. Je m'adresse à vous en votre qualité de Secrétaire Civil pour vous faire connaître que j'étais un des proscrits mentionnés dans une ordonnance du 28 juin dernier passée et adoptée sous l'administration du Comte de Durham et du Conseil Spécial d'alors; et qu'en conséquence et sur la foi de la proclamation du Comte de Durham, émise au commencement d'octobre dernier, qui mettait fin à mon exil, je suis revenu en cette province pour y reprendre mes occupations, fermement déterminé de ne prendre part à aucun mouvement politique et de tenir la conduite la plus paisible et la plus irréprochable. Il est peut-être bon pour moi de mentionner ici qu'une copie de la dernière proclamation du Comte de Durham m'a été officiellement envoyée, accompagnée d'une lettre que je puis montrer au besoin. Cette circonstance a contribué à hâter mon retour en ce pays où je suis depuis le douze du mois d'octobre dernier, et à me convaincre qu'en m'éloignant de toute affaire et de tout trouble politiques et en me conduisant paisiblement, j'y vivrais dans une sécurité parfaite sous la protection de la loi. Depuis mon retour jusqu'aujourd'hui, j'ai demeuré à Montréal pour donner aux autorités l'occasion d'avoir les yeux sur moi. Je ne me suis absenté de cette ville que pendant deux jours, vers le quinze ou le dix-sept d'octobre dernier, pour aller voir ma famille qui demeure à la campagne et que je n'avais pas vue depuis un an.
Malgré ma conduite paisible et la réserve qui a accompagné mes actes et mes paroles, depuis mon arrivée comme durant mon exil, je dois vous dire que de ce temps-ci je suis loin de vivre sans inquiétude. Les nombreuses arrestations qui ont eu lieu et le langage de quelques personnes m'entretiennent dans des appréhensions continuelles d'être arrêté, ce qui m'empêche de vaquer librement à mes affaires. J'aimerais, s'il m'est possible, parer à toute molestation imméritée. Je dois vous déclarer, sur mon honneur et sur ma conscience, que je ne suis lié en rien aux troubles récents et qu'il n'est personne qui les désapprouve et les déplore plus que moi. Je vous le réitère, ma détermination est bien formée de me conduire de la manière la plus paisible et la plus irréprochable. Maintenant, vous m'obligeriez infiniment en donnant communication de la présente à Son Excellence Sir John Colborne, et en me faisant connaître s'il y a danger pour moi d'être troublé dans ma liberté individuelle.
J'ai la plus grande espérance que Son Excellence Sir John Colborne, appréciant la situation délicate où je me trouve, me fera la justice de donner au contenu de la présente toute l'attention possible.
J'ai l'honneur d'être,
Votre très humble et dévoué serviteur,
George-Et. CARTIER. Source: L.-O. DAVID, « Une lettre de Sir G.-E. Cartier », dans Les Gerbes canadiennes, Montréal, Beauchemin, 1921, 328p., pp. 184-186. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |