Quebec History Marianopolis College


Date Published:
2004

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

George Etienne Cartier

La Confédération

 

[Ce texte a été rédigé par Charles E. LAVERGNE en 1914. Pour la référence exacte, voir la fin du texte.]

 

L'oeuvre maîtresse de Cartier, son grand oeuvre, c'est la Confédération. Certes, il n'en eut pas le premier l'idée. Avant la déclaration d'indépendance des États-Unis, en 1764, Thomas Pownall, gouverneur de Massachusetts Bay, avait cru à la possibilité d'une confédération de toutes les colonies anglaises d'Amérique. En 1839, lord Durham remarque dans son Rapport qu'une union législative serait très avantageuse pour les différentes colonies de l'Amérique britannique, et, détail important, ce ne serait pas le dernier moyen pour étouffer l'influence française. En 1854, la législature de la Nouvelle-Écosse passe une résolution à l'effet de reconnaître « qu'une union ou confédération des provinces anglaises resserrerait les liens qui les rattachent à la métropole, les pousserait dans la voie du progrès, augmenterait leur force et leur influence. » A l'ouverture de la session de 1858, Cartier, premier ministre, fait dire au gouverneur dans le discours du trône : «  Je me propose d'entrer en relations avec le gouvernement de Sa Majesté et les gouvernements des colonies voisines, pour discuter les bases sur lesquelles pourrait se faire une union d'un caractère fédéral des provinces de l'Amérique du Nord. » Après cette session, Cartier allait en Angleterre, avec Galt et Rose, pour discuter ce projet de confédération avec les ministres anglais.

 

Un peu avant la chute du ministère Macdonald-Dorion, en 1864, un comité des membres les plus en vue du parlement remit à l'étude la question de cette union fédérale désirée par le plus grand nombre. Il conclut en faveur d'un « système fédératif embrassant toutes les provinces de l'Amérique britannique du Nord ou le Canada seulement. » Trois membres du comité, parmi lesquels il faut citer John A. Macdonald, votèrent contre cette résolution. Ce dernier fut enfin gagné à la cause par Car tier et Galt.

Le gouvernement du pays était devenu impossible sous le régime de l'Union. Après les conquêtes constitutionnelles de Lafontaine et de Baldwin, les rivalités de provinces et de races allèrent en augmentant. Ce fut toujours le tort de la population anglaise de ne connaître pas ou de méconnaître les sentiments de notre peuple. Alors, il a toujours été facile à quelques agitateurs de soulever les préjugés et le fanatisme; George Brown est peut-être celui qui réussit le mieux à communiquer sa francophobie aux électeurs de l'Ontario. Au cri de « No French domi nation », il creusa un fossé profond, qui est loin d'être comblé aujourd'hui, entre les populations anglaise et française. Les antipathies étaient telles qu'aucun parti n'avait la puissance de maintenir un ministère, lorsqu'en 1864 George Brown proposa un armistice pour travailler à l'ébauche de la nouvelle constitution.

Au mois de septembre de la même année, les provinces maritimes tinrent une conférence à Charlottetown en vue de leur propre union. Le Ca­ nada s'y fit inviter et représenter principalement par Macdonald, Cartier, Brown et Galt. On laissa la question de l'union des provinces maritimes pour aborder résolument celle de la confédération de toutes les provinces britanniques.

 

Le 10 octobre, une deuxième conférence fut ouverte à Québec pour continuer l'oeuvre de Charlottetown. Elle se termina le 28 octobre, après l'adoption de soixante-douze résolutions, qui furent approuvées par le parlement du Canada en février 1865. Il y avait à la conférence trente-trois représentants des différentes provinces. Les quatre Canadiens-Français présents étaient: sir Etienne-Pascal Taché, qui eut l'honneur d'être élu président de toutes les délibérations, Georges-Etienne Cartier, Hector-Louis Langevin et Jean-Charles Chapais.

 

Une troisième conférence eut lieu à Londres du 4 au 24 décembre 1866, présidée par lord Carnarvon. Seize délégués y représentèrent les provin­ ces anglaises, moins la Terre-Neuve et l'île du Prince-Édouard désireuses de garder leur pleine autonomie. On y adopta soixante-neuf résolutions, calquées sur celles de Québec. En   janvier 1867, on prépara la rédaction de la nouvelle constitution, qui fut soumise au parlement impérial en février, et reçut la sanction royale le 29 mars. C'est « l'Acte de l'Amérique Britannique du Nord, de 1867. » Une proclamation de Sa Majesté, en date du 22 mai, le rendit exécutoire le 1er juillet.

La Puissance du Canada se composa primitivement du Haut-Canada qui devint l'Ontario, du Bas-Canada qui prit le nom de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau­Brunswick. Cartier compléta son oeuvre en faisant entrer dans la Confédération le Manitoba en 1870, et la Colombie Anglaise en 1871. L'île du Prince-Édouard se joignit à la Puissance en 1873, de sorte que, l'année même de la mort de Cartier, le territoire du Canada eut l'étendue actuelle.

 

Aux trois conférences préliminaires à l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, Cartier prit une part prépondérante, non pas tant à cause de sa haute position politique qu'à titre de représentant presque officiel de la race canadienne-française. Le peuple entier du Bas-Canada avait les yeux sur lui. Les évêques, moins un, avaient approuvé publiquement son projet de constitution. Il avait conscience de son énorme responsa­ bilité devant Dieu et devant l'histoire. Car, que deviendrait cette race, dépositaire en Amérique de la civilisation française et des plus pures traditions de l'Église , si l'on lui donnait une charte selon le coeur de ses ennemis déclarés, qui ne serait qu'un piège pour sa langue et sa foi?

 

Il faut se rappeler que depuis la Cession les antagonismes de races allèrent toujours croissant, qu'ils inspirèrent l'Acte d'Union de 1840 dont le but fut détourné, qu'ils amenèrent par la force des choses la Confédération. Les plus fanatiques d'entre les Anglais, ceux qui désiraient le plus notre effacement et notre disparition, finiront par être pris comme de panique à la vue de notre résistance et de notre multiplication. Aussi bien, finalement ils crurent se défendre alors qu'ils nous attaquaient. D'une part, l'Ontario désirait se séparer du Québec afin de se libérer de son cauchemar français; d'une autre part, toutes les provinces britanniques, et particulièrement le Bas-Canada, sentaient le besoin de se rapprocher sur un terrain commun, dans la crainte d'une guerre entre l'Angleterre et les États-Unis. Et comme au Canada le sentiment de fidélité à l'Angleterre a toujours été plus fort que celui du mécontentement soulevé par son arbitraire, il y eut immédiatement unanimité sur l'idée d'unir toutes les provinces.

Unanimité, avons-nous dit, mais au temps du projet, si l'on excepte le petit groupe dirigé par Dorion. Plus le projet se rapprochait de sa réalisation, plus l'opposition populaire dans les provinces maritimes se faisait grande. Celles-ci étaient jalouses des droits reconnus au Bas-Canada, comme si les droits naturels étaient exclusifs les uns des autres. (1)

Cartier fut obligé de combattre plusieurs esprits et d'en éclairer un grand nombre. Il s'opposa vigoureusement à l'union législative, et à toute constitution qui ne donnerait pas à la province une autonomie telle qu'elle pût se constituer la gardienne inviolable de tout ce qui fait notre caractère national : lois, institutions, éducation. Sans l'acceptation de ces conditions, la confédération ne serait pas. Par conviction ou par nécessité, on accepta tout.

 

L'Acte de l'Amérique Britannique du Nord de 1867 crée une union fédérale ayant un parlement central et des législatures provinciales, dont le fonctionnement ressemble à celui du parlement impérial.

 

Est du ressort du parlement fédéral toute législation sur les sujets suivants : la dette et la propriété publiques, la réglementation du trafic et du commerce, la milice et la défense, l'impôt, l'emprunt sur le crédit public, le numéraire et les banques, la naturalisation, le mariage et le divorce, les lois criminelles, la marine et les pêcheries, la nomination des juges, et généralement tout ce qui est d'un intérêt international, comme les traités de commerce, ou d'un intérêt interprovincial, comme les télégraphes et les chemins de fer.

 

La juridiction des législatures s'étend aux objets spécialement déterminés par l'Acte : la propriété et les droits civils, l'administration de la justice, l'éducation, la célébration du mariage, les institutions municipales ; les asiles, hôpitaux et institutions de charité, les prisons et les écoles de réforme ; les travaux publics d'intérêt provincial et les entreprises d'une nature locale; l'emprunt sur le crédit de la province, le revenu provincial provenant de l'impôt et du domaine privé.

 

A la face même de cet Acte, il est évident que Cartier a donné à la province de Québec une autonomie capable de satisfaire ses plus hautes aspirations compatibles avec le lien fé­ déral et le lien colonial.

 

On a bien, il est vrai, dans les autres provinces, fait quelques ampuations aux droits de la minorité garantis par la lettre ou par l'esprit de la constitution, mais ces persécutions ont toujours eu pour effet de nous aguerrir et de doubler notre vitalité.

 

Nous avons fait du Québec une forteresse inexpugnable. Seules, la lâcheté et la vénalité de nos politiciens à courte vue pourraient compromettre notre situation. La province a une population, en 1914, de 2,200,000; les Canadiens-Français ne sont pas moins de 1,800,000. Au prochain recensement, en 1921, nous compterons bien pour la province, une population française de 2,200, 000 sur un total approximatif de 2,600,000.

 

Dans les provinces maritimes nous sommes en bonne posture. La vieille Acadie a une tendance à redevenir française. De 1901 à 1911, la population totale des trois provinces n'a augmenté que de 1.5% quand la population française s'est accrue de 17.5%. C'est dire qu'il y a eu diminution de la population anglaise. E n 1901, les Canadiens-Français formaient 15.5% de la population totale, et 18% en 1911. Au Nouveau­Brunswick, ils sont 28%.

 

En Ontario, nous formons des groupes nombreux, soit environ 9% de toute la population. Un jour, nous serons en majorité dans le triangle formé par le Saint-Laurent, l'Outaouais et le canal Rideau, soit la partie est de la province. L'histoire se répète, et pour qui connaît celle des Cantons de l'Est, il n'est pas de trop grande espérance. Au Manitoba et dans les provinces de l'Ouest, nos compatriotes multiplient leur nombre et leurs richesses, mais leur avenir est grandement compromis par les flots de l'immigration, au point qu'ils ne sont que 5% de la population totale des quatre provinces.

 

Certes, si l'opportunisme de cer tains politiciens avait moins favorisé l'immigration insensée dont nous sommes les victimes, notre situation serait meilleure dans la Confédération. Mais, en somme, le statut politique établi par Cartier nous a été favorable. Nous en avons tiré le meilleur parti possible, en tenant compte de la faiblesse des hommes. Il ne saurait être un état permanent. Deux peuples peuvent vivre ensemble sur un petit territoire, mais nous croyons le fait impossible sur un grand territoire quand ces peuples sont parvenus à la majorité. Un jour viendra où il se fera une scission entre l'Ouest et l'Est. Celui-ci se divisera en trois ou quatre répu­ bliques dont les frontières sont indiquées par la géographie.

 

(1) Note de Claude Bélanger  : Lavergne se fourvoie sur la nature de l'opposition des provinces maritimes à la confédération. Cette opposition trouvait sa source principalement dans la peur des colonies de l'Atlantique de perdre leur autonomie, de devenir une portion insignifiante dans la législature centrale - donc d'être sans influence dans le nouveau pays -, de voir le lien britannique se relâcher et de ne pas tirer du nouveau système établi des avantages économiques. De plus, ils craignaient que leurs gouvernements provinciaux soient incapables de subvenir adéquatement à leurs besoins sans augmenter substantiellement les taxes ou sans accroître leurs dettes.

 

Source : Charles E. LAVERGNE, « La confédération », dans Georges-Etienne Cartier : Homme d'Etat Canadien, Montréal, Langevin et L'Archevêque, 1914, pp. 51-64. Chapitre transcrit par Jessica Drury. Révision par Claude Bélanger. Quelques erreurs typographiques mineures ont été corrigées.

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College