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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Préface
On a souvent dit la vertu de notre histoire française. Il n'est pas de plus fort motif pour nous de croire et d'espérer. Instinctivement, aux heures mauvaises, nous y venons retremper nos volontés; car ceux qui nous ont précédés nous ont laissé la plus belle leçon d'énergie. Il ne tient qu'à nous de les écouter et de les suivre. Pourquoi faut-il que nous lisions si peu ces pages pleines de vie dont est fait notre admirable passé Nous ignorons cette source abondante ! Là pourtant se justifie notre orgueil: l'histoire nous impose sa fierté.
Certains hommes ne peuvent cependant pas subir l'oubli. Leurs noms subsistent et se transmettent comme une tradition d'honneur. Le peuple ignore le plus souvent ce qu'ils ont accompli ; mais il sait qu'il les possède: leur souvenir seul suffit à l'inspirer. Champlain, de Maisonneuve, Dollard, Montcalm, Papineau, Lafontaine, Cartier sont de ceux-là. La cause qu'ils ont servie les a, en triomphant, conduits à l'immortalité.
Cartier, dont Monsieur Edouard Lavergne esquisse la physionomie, vécut au second cycle de notre histoire : au moment le plus aigu de nos luttes politiques. Garneau avait naguère entendu railler notre race et en avait conçu le dessein d'une revanche qui fut sans réplique ; Georges-Etienne Cartier, jeune étudiant en droit, écoutait, lui, le récit de ceux qui avaient autrefois combattu sous le drapeau français et qui se souvenaient d'avoir été vaincus. Heureux ceux qui ont eu de tels maîtres ! Cartier reçut d'eux la leçon de sa vie. Il recueillit ces témoignages : il devait s'en faire une discipline.
Devenu avocat, il poursuivit ses études ; car il ne se flattait pas de pouvoir tout entreprendre sans n'avoir jamais rien appris. Lorsqu'il eut suffisamment scruté cette constitution anglaise que la loi organique de 1840 nous dispensait parcimonieusement et dont elle nous offrait un décalque, Cartier se laissa porter candidat. Il fut élu député en 1849. Il était prêt. Dès les premières années de sa carrière il se livra à l'action: tout de suite on le désigna comme un chef.
A cette époque, Lafontaine poursuivait ses conquêtes. Par un miracle de ténacité il asservissait un régime qui avait été, comme un piège, traqué contre nous. Les luttes, alors, n'étaient pas sourdes, lentes et détournées. On y voyait clair Les uns contre les autres: chacun portait un uniforme et savait où tirer. Aussi bien, les conséquences de cet état de choses étaient-elles immédiatement sensibles. Les coups portaient toujours. Le progrès politique n'était réalisable que par la défaite d'un des combattants. L'esprit français finit par triompher ; et ce fut une belle victoire, que personne ne peut nous ravir et qui est un de nos plus précieux héritages.
Cartier paraît avoir reçu de Lafontaine cette idée arrêtée que l'union des deux races n'est possible que dans la justice souveraine. Ministre, il mit ses énergies au service de cette conception politique. Lorsqu'il eut à diriger les esprits, il les trouva déchaînés. Il ne s'en émut pas. Une victoire ne s'affermit que lentement. Toujours une réaction s'acharne contre elle. Nos adversaires n'ont jamais cédé. La situation, malgré nos droits acquis, restait menaçante. Les partis politiques étaient désemparés. Les ministères se succédaient et les forces s'épuisaient en d'inutiles compromis. Mieux valait en finir par une réforme brusque et radicale: la suppression du régime. Cartier s'employa à faire aboutir le projet de fédération des colonies anglaises de l'Amérique du Nord. Sa voix fut écoutée. S'il a rendu service à son pays en lui apportant une paix relative et des garanties constitutionnelles, sachons également qu'il a inauguré ce jour-là une politique que l'Angleterre devait plus tard appliquer à ses autres colonies autonomes. Le rôle des hommes d'Etat canadiens-français dans l'évolution de la politique coloniale anglaise au dix-neuvième siècle: voilà le sujet d'un livre qui tentera peut-être un de nos historiens.
Le nom de sir Georges-Etienne Cartier reste attaché au pacte de la Confédération. C'est justice. Pour plusieurs, pour la plupart, Cartier n'a guère accompli que cela. Certes, on peut s'y tromper si cela suffit à grandir un homme et à lui a assurer la respect et la reconnaissance de tout un peuple. Cependant, il eut d'autres mérites et il n'a pas laissé que cette ouvre. M. Edouard Lavergne insiste avec raison sur ses idées économiques. L'état de guerre où nous avions vécu n'était pas propice au progrès matériel. La richesse nous préoccupait peu: il fallait, avant que d'y songer, s'assurer d'abord le droit de la posséder. Quand tout fut apaisé, on regarda autour de soi ; et on se rendit compte du domaine royal, de l'abondance des ressources, que nous avions jusque-là négligés. Nos découvreurs avait tracé les bornes d'un continent dont il restait à faire la conquête. On se mit hardiment à la tâche. Mais la masse inerte nous opposait son immensité. Il fallut abattre un passage d'une extrémité à l'autre de ce monde nouveau. Ce fut encore l'oeuvre de Cartier. Il ouvrit des routes sur l'inconnu. Il multiplia les chemins de fer, réalisant ainsi, après la concentration politique, l'unité territoriale. Il s'était écrié: « Vive la Confédération » ; il disait joyeusement, en 1872: « All aboard for the West. » Et la Chambre applaudissait, confiante. Curieux retour des choses: le même homme posait ainsi les deux formidables données du problème de l'avenir; il les créait lui-même en quelque sorte. Depuis 1886, l'Ouest a grandi. Il voudrait aujourd'hui nous imposer ses volont és. Les succès, dont il nous doit au moins les origines, l'ont enivré. Qui peut dire ce qui sera, demain ?
Cette vie d'un de nos plus grands hommes politiques a inspiré à M. Edouard Lavergne des pages élogieuses. La figure de Cartier s'y dégage en beauté. M. Lavergne est jeune et c'est une de ses qualités. Il est enthousiaste: il aime surtout notre valeureux passé. Il ne craint pas d'admirer: son âge ne s'embarrasse pas des rancunes politiques et son esprit est libre d'entraves. D'ailleurs, cette monographie - que d'autres suivront quelque jour - y gagne en simplicité. Elle est vive, sincère. Elle est écrite sobrement et témoigne de sentiments élevés. (1) M. Lavergne veut surtout révéler chez Cartier l'énergie et le travail. Il nous le montre hardi, confiant, impatient d'agir. Rien n'arrête sa volonté: il libère le sol des liens féodaux ; il construit des écoles ; il codifie nos lois, gardiennes passives et sûres de nos droits. Tout cela est d'un bon travailleur.
Il se trouve que cet homme sévère était un poète. Il reste de lui, et par surcroît, ce rien: une chanson, O Canada, mon pays, mes amours. A ce propos, M. Edouard Lavergne écrit une phrase qui nous a fait bondir, avant que nous apparaisse son ironie narquoise et tranquille: « On pardonne à Cartier d'avoir touché à la poésie, à cause de son grand mérite politique. » Tous les hommes d'action ont été des poètes. L'énergie naît de l'idéal ; et ceux qui n'ont pas rêvé n'ont jamais rien osé. Ne perdons pas cette illusion latine. Comment voir dans le lointain quand la vie nous enchaîne à ses mesquineries ; quand la terre retient nos pas ; quand l'existence nous suffit ?
M. Lavergne écrit l'histoire; - et il donne lui-même aux jeunes le dur exemple du travail. On lui en saura gré; et l'on reconnaîtra sans doute qu'il n'a pas perdu ses vingt ans !
(1) L'auteur n'en est pas à ses débuts. Il a publié, dans la Revue Franco-Américaine (décembre 1911-avril 1912) une série d'articles d'un tour très personnel sur: « La politique canadienne et les Canadiens-Français. » L'année dernière il fut le premier directeur d'un journal français de l'Ontario: Le Clairon.
EDOUARD MONTPETIT. Ste-Agathe des Monts, 1er juillet 1911.
Source : Édouard MONTPETIT, « Préface », dans Charles-Édouard LAVERGNE, Georges-Étienne Cartier - Homme d'État canadien : 1814-1873, Montréal, Langevin et l'Archevêque, 1914, 91p., pp. 9-18.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |