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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
La vie publique de Georges-Étienne Cartier
L'Union des deux Canadas, le Haut et le Bas, s'était effectuée en 1840. En 1843 Cartier combat Denis-Benjamin Viger dans le comté de Saint-Hyacinthe, et fait échec à son élection pour condamner son rapprochement avec Metcalfe, gouverneur du Canada. Il avait vu Durham et Thompson à l'oeuvre, c'était assez pour deviner que notre salut ne viendrait pas des gouverneurs choisis et envoyés pour travailler à la fusion des races en mettant la nôtre sous le joug. Ses premières armes avaient été heureuses.
Cartier épousait, en 1846, Mademoiselle Hortense Fabre, fille d'Edouard Fabre, libraire, et soeur d'Edouard-Charles Fabre qui devint archevêque de Montréal.
Lafontaine avait pris la succession de Papineau dans la direction des destinées de notre peuple. Caractère d'une grande élévation et d'une fermeté remarquable, il s'était allié à Baldwin, également bien doué et juste. Aussi longtemps qu'il fut mêlé aux affaires de l'Etat, il put compter sur l'appui enthousiaste et intelligent de Cartier, de 1842 à 1851.
Le comté de Verchères députe Cartier au parlement en 1849. La vie politique active, avec son enivrement et ses dégoûts, ses triomphes et ses échecs, ses plaisirs et ses ennuis, commence pour lui.
Pendant près de vingt-cinq ans, il est continuellement sur la brèche, et toujours au premier rang. Soldat intrépide, général hardi, il défend son drapeau avec cette furie française qui le rend particulièrement dangereux à ses adversaires, surtout aux Anglais. Il ne bat jamais en retraite. Il veut vaincre ou être vaincu sur place.
Après la sortie de Lafontaine de l'arène politique, Morin fut appelé à lui succéder avec Hinks qui accepta l'héritage administratif de Baldwin. Le premier, doux, affable, mais inflexible et d'une honnêteté peu commune, fut un digne représentant du groupe français; le second était un homme de grande habileté et un financier renommé. Tous deux, vigoureusement soutenus par Cartier, qui semblait faire partie du ministère tant il le défendait avec chaleur, administrèrent le pays de 1851 à 1854.
A cette époque, et cela n'est-il pas plutôt chronique depuis la Cession? le fanatisme canadien-anglais subissait une crise aiguë. L'Anglo-Saxon raisonne difficilement les droits d'autrui: son intérêt pécuniaire ou politique lui dicte son patriotisme, tantôt impérialiste, tantôt séparatiste. Toujours est-il qu'à cette époque, George Brown, libéral radical, monta à cheval sur le protestantisme pour arriver au pouvoir, exploitant les préjugés et les antipathies du peuple, tandis que MacNab, chef du Family Compact, également assoiffé d'honneurs, lima jusqu'à l'effacement les angles de sa francophobie pour partager la direction des affaires publiques avec Morin.
Toujours prêt à supporter ceux dont la conduite ne choque pas ses principes, Cartier défend la nouvelle combinaison libérale-conservatrice à laquelle il a d'ailleurs travaillé.
Ce rapprochement, peu attrayant au début, était devenu inévitable. Les deux partis, libéral et conservateur, comptaient un certain nombre d'extrémistes, et, comme les extrêmes se touchent, ils faisaient cause commune contre les Canadiens-Français. MacNab évolua rapidement, dans son ambition de tenir les rênes du gouvernement. En ce temps-là, les nôtres avaient de la moelle de lion et l'échine plus résistante: on avait compris devant l'attitude ferme et loyale de Lafontaine, de Morin, de Taché et de Cartier, que pour s'associer avec nous il fallait accepter nos idées d'égalité de race et de justice sociale. On refusait, à l'occasion, un portefeuille avec autant de fermeté qu'on y mettait de désintéressement à l'accepter. Cartier, se retranchant derrière des raisons personnelles, avait déjà décliné deux fois l'honneur d'entrer dans le ministère, offert d'abord par lord Elgin, puis par sir Edmund Head.
Le grand parti libéral-conservateur, formé des éléments les plus sains et les plus modérés, imbu surtout des principes qui dirigeaient la politique de Lafontaine, était désormais fondé.
Le cabinet MacNab-Morin dura peu de temps. En janvier 1855, se formait le cabinet MacNab-Taché, et Cartier devenait secrétaire provincial. Les relations de cabinet l'amenèrent à une alliance avec John Alexander Macdonald, alors procureur général du Haut-Canada, alliance qui ne sera rompue que par la mort de Cartier. Macdonald survivra dix-huit ans à son ami, incertain d'avoir eu une carrière aussi féconde.
En 1857, dans le cabinet de Macdonald-Cartier, celui-ci prend le portefeuille de procureur général du Bas-Canada. Il devient alors le chef reconnu du parti libéral-conservateur. Il peut maintenant exercer toutes ses facultés d'homme d'Etat. Tout l'intéressera dorénavant: législation civile, chemins de fer, administration, confédération.
Depuis l'Union, le siège du gouvernement avait été établi d'abord à Kingston, puis à Montréal de 1844 à 1849, alors que des Anglais fanatiques, mécontents d'une loi passée pour indemniser les Bas-Canadiens des pertes subies en 1837-38, poussèrent leur loyalisme jusqu'à insulter lord Elgin et à incendier l'édifice du parlement. Ce ne sera pas la dernière fois que les sujets anglais de Sa Majesté se montreront plus dévoués aux intérêts britanniques que le gouverneur et Sa Majesté elle-même.
Pour éviter les ennuis du déplacement annuel de la Chambre, à la demande du cabinet la reine Victoria choisit Ottawa comme capitale du pays, en 1858. Ce choix causa la chute du ministère, qui fut remplacé par celui de Brown-Dorion. Il ne dura que deux jours. Cartier fut appelé avec Macdonald à réorganiser l'ancien cabinet. Il le maintint jusqu'en 1862, alors qu'il fut battu sur le bill de la milice présenté par Macdonald. L'interrègne libéral commence et use deux ministères en deux années.
Cartier, appelé de nouveau à mettre en branle le rouage administratif, céda sa place à Taché qui prit Cartier et Macdonald pour principaux collègues. Ce cabinet agonisait deux mois après.
Quand il fut évident que la machine parlementaire ne pouvait plus fonctionner régulièrement, qu'aucun parti n'avait la force de rester en bonne position, les réformistes et les tories du Haut-Canada se coalisèrent avec les amis de Cartier, dans le but de travailler à l'union des colonies anglaises de l'Amérique du Nord.
Brown, le chef des réformistes haut-canadiens, refusa d'entrer dans le cabinet dont la formation avait été offerte à Cartier, puis à Macdonald, par lord Monk. Mais il accepta un portefeuille avec eux dans le ministère formé par sir Etienne-Pascal Taché, et, après la mort de ce dernier en 1865, dans le ministère de sir Narcisse Belleau. Grâce à cette coalition, la Confédération devint une chose possible et acceptable pour le plus grand nombre.
L'année 1867 est une date importante dans l'histoire du Canada. Elle a amené une évolution complète dans notre politique, et qui a probablement empêché une révolution. Le rôle qu'y joua Cartier est l'un des plus intéressants. Ministre de la milice et de la défense jusqu'à sa mort, survenue à Londres le 20 mai 1873, il prend dans l'administration du pays une part égale à celle de son collègue et ami, sir John A. Macdonald.
Défait à Montréal dans les élections de 1872 par M. Louis Jetté, il se fit élire dans le comté de Provencher au Manitoba, où, après sa mort, Louis Riel obtint les faveurs enthousiastes de l'électorat.
Source : Charles-Édouard LAVERGNE, « La vie publique », dans Georges-Étienne Cartier - Homme d'État canadien : 1814-1873 , Montréal, Langevin et l'Archevêque, 1914, 91p., pp. 29-38.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |