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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Samuel de ChamplainTroisième voyage : Havre à Port-Royal, 1604-1607
[Ce texte a été rédigé par Louis-Marie Le Jeune, o.m.i.; il fut publié dans son Dictionnaire en 1931. Pour la citation exacte, voir la fin du texte. Pour une courte biographie du Père Le Jeune et une discussion de la valeur de son Dictionnaire, voir ce texte.]
IV. Troisième voyage : Havre à Port-Royal (1604-07). - Le successeur de M. de Chaste fut le calviniste, sieur de Monts, ami personnel du roi converti au catholicisme. Le 3 novembre 1603, Henri IV signe en sa faveur un édit qui le nommait « lieutenant-général au pays de la Cadie (sic) ». M. de Monts prit Champlain en qualité de navigateur et M. Dupont-Gravé comme pilote et entremetteur de son négoce, en vertu de son monopole. De cette expédition Champlain est le héros et le chroniqueur : rien ne le fait valoir aux yeux de la postérité autant que le bon sens et la précision de ses démarches et de ses actes.
Chap. 1er. - Recherches préables du chemin de la Chine. - L'utilité du commerce a élevé Rome à la domination du monde, les Vénitiens à une grandeur égale, ainsi qu'Alexandrie et Tyr. En 1596 , le roi d'Angleterre commit la recherche de la Chine à Jean et à Sébastien Cabot; le roi du Portugal à Gaspar et à Michel Cortereal; le roi de France à Jacques Cartier et à Roberval; le roi de la Grande-Bretagne encore à Martin Frobisher, à Humfrey Gilbert, à Jean Davis et à George Weymouth. La recherche du même passage avait inspiré le marquis de La Roche en 1598 et le capitaine Chauvin en 1599. Le sieur de Monts voulut aussi tenter une chose désespérée, en proposant à Sa Majesté, sans rien tirer de ses trésors « de lui octroyer privativement à tous autres la traite de pelleterie : ce qui lui fut accordé » (1604).
Chap. 2. - Ile de Sable et Cap-Breton. Le sieur de Monts amassa 120 artisans sur un vaisseau de 120 tonneaux confié à Dupont-Gravé, et sur un autre de 150, montés de plusieurs gentilshommes. Le 7 mars 1604, départ du Havre et de Dupont le 10, ayant le rendez-vous à Canseau. Le 1er mai, on est en vue de l'île de Sable, le 8 du cap La Hève, le 12 dans un port où l'on saisit le vaisseau contrebandier du capitaine Rossignol, le 13 au Port-Mouton « ainsi appelé d'un mouton qui se noya et fut mangé de bonne guerre ». Sur une pointe à l'entrée, chacun se cabana à sa fantaisie. Le sieur de Monts donna à Champlain la charge d'aller reconnaître la côte et les ports, le 19 mai, dans une barque de huit tonneaux avec le secrétaire Balleau et dix marins. En découverte, Champlain nomme un cap Nègre, une baie Sable, une île Cormorans à cause d'une abondance d'oiseaux, un port Fourchu et un cap de même nom (Yarmouth); il visite l'Ile-Longue et la baie Française, ainsi appelée ensuite par M. de Monts, une anse où il y a une mine d'argent, très bonne au rapport du mineur Simon, un autre port (Sandy Cove) avec une mine de fer, puis le port Sainte-Marguerite, le 10 juin. De retour, il fit un rapport exact au sieur de Monts. Celui-ci fit alors lever les ancres pour aller à la baie Sainte-Marie (25 mai, fête de la mère de saint Jacques). Deux jours après s'égara dans les bois messire Aubry.
Chap. 3. - Description de Sainte-Croix et de Port-Royal. - Le 16 juin, M. de Monts partit du vaisseau sur une grande barque pour découvrir les côtes de la baie Française, passant par le détroit de l'Ile-Longue. Successivement, Champlain nomme « l'un des plus beaux ports, où il peut entrer 2,000 vaisseaux en sûreté, qu'il baptise de l'appellation Port-Royal, où descendent les rivières l'Equille, Saint-Antoine, la Roche »; les Deux-Baies, les Mines, la rivière Saint-Jean (24 juin), où l'on rencontre des Sauvages, l'île du Grand Manan, la rivière Sainte-Croix dénommée par le sieur de Monts, la baie Passamaquody, la Norembègue (Pentagouët).
Chap. 4. - Etablissement à l'île Sainte-Croix. - Après un sérieux examen de l'île, le sieur de Monts envoie chercher les vaisseaux à la baie Sainte-Marie. Aussitôt on commence le défrichement du sol. De Canseau il fit venir les provisions restées au vaisseau de Dupont-Gravé. Vint aussi une barque de son second pilote, Guillaume Duglas de Honfleur avec les maîtres des bâtiments basques pris à la traite des pelleteries en fraude du monopole. Avec le chef Massamouet, Champlain se rendit à une mine de cuivre sur la rivière Saint-Jean, et n'obtint aucun résultat satisfaisant. Le 31 août, départ pour la France des sieurs Poutrincourt et Ralleau.
Chap. 5. - De Sainte-Croix à Pentagouët. - M. de Monts, désireux de bien connaître les sites, commit à Champlain la charge de découvrir la côte Norembègue. Le navigateur émérite partit, le 2 septembre, dans une patache de 18 tonneaux, montée de 12 matelots et de deux guides Sauvages. II longe les Iles Rangées et celle des Monts-Déserts le 5 du mois - anniversaire commémoré par une inscription en 1916 (V. T. Campbell, S. J. The Pioneers Priests ) - arrive à Pentagouët, où il est accueilli par le chef Bessabez, région, dit-il, dénommée par les historiens rivière de Norembeg, est mal reçu à Kénébec et revient à l'habitation, le 2 octobre.
Chap. 6. - Hivernement à Sainte-Croix. L'hiver hâtif surprit les colons : semailles brûlées au soleil sans eau d'arrosage. Toutefois, M. de Monts fit labourer à la terre ferme; blé très beau et à maturité, mais neige en octobre, hiver sans pluie jusqu'en avril 1605.
Soudain le scorbut - ou mal de terre fondait sur les gens et amenait la mortalité : 35 sur 79 périrent, les chirurgiens succombant à leur tour. Heureusement les produits de chasse des Sauvages vinrent compenser les chairs salées et permettre d'attendre le retour du printemps. Le 15 juin, arriva le sieur Dupont, qui annonça la venue prochaine du Saint-Etienne de Saint-Malo, apportant vivres et commodités.
Chap. 7. - Excursion aux Armouchiquois. - D'autre part, le 18 juin, le sieur de Monts partit de Sainte-Croix, accompagné de gentilshommes, de 20 mariniers, du chef indigène Panounias et sa femme. Le 1er juillet, on est rendu à Bedabec, puis à Kénébec, à un lac, où campaient trois chefs indigènes. Champlain reconnaît alors « que l'on va à Québec par la rivière Kenebec ». Poursuivant la course vers le Sud, il signale les baies (Gasco Saco), les îles (Ram et Richmond) et rencontre le chef des Armouchiquois Honnemichin, dont les sujets sont cultivateurs sédentaires. Il descend encore aux Ports-aux-Iles jusqu'au Cap-Cod, nommant une baie Du Guast (Charles River).
Chap. 8. - Continuation. - L'explorateur range le littoral jusqu'à un beau port (Plymouth); le 20 juillet, il double une baie et un cap (Cod), évitant un havre fort dangereux (Nauset) qu'il nomme Malebarre - barre ou banc de sable. Le 23, les mariniers descendent faire de l'eau douce : mais les Sauvages leur enlèvent de force l'une des chaudières, tirent des flèches sur un matelot, « charpentier de Saint-Malo » (Lescarbot) et l'achèvent à coups de couteau. De la barque l'on tira des coups d'arquebuse, celle de Champlain lui crevant entre les mains. L'on tint un Sauvage lié à bord, mais M. de Monts le relâcha, étant innocent du crime.
Chap. 9. - Retour à l'habitation. - Pressés par la nécessité des vivres, le sieur de Monts délibéra de s'en retourner, le 25 juillet. A Chouacouet (Saco bay), entrevue avec le chef Marchim , auquel on fit des présents et il donna un jeune captif Etchemin. A Kenebek, le capitaine Anassou échangea quelque pelleterie et dit qu'il y avait à l'île Monhegan un vaisseau de pêche - probablement l'Archangel du capitaine anglais Weymouth. Le 2 août, entrée dans la rivière Sainte-Croix et, le lendemain, à l'habitation, où l'on salua le sieur des Antons de Saint-Malo venu apporter des provisions.
L'Habitation de Port-Royal au temps de Champlain
Chap. 10. - Habitation transférée au Port-Royal. - M. de Monts, n'ayant trouvé aucun port convenable, se délibéra à s'établir au Port-Royal. Dupont et Champlain allèrent choisir un lieu à l'abri du vent Nord-Est. Ils pensèrent le fixer à l'entrée de l'Equille site que choisit M. d'Aunay en 1636 - et s'arrêtèrent à un autre moins engouffré dans le bassin - sur la côte actuelle de Lower Grandville. Et l'on se mit à défricher l'emplacement planté d'arbres. Les logements achevés, le sieur de Monts s'en retourna en France vers Sa Majesté pour les besoins de l'entreprise, donnant le commandement au sieur Dupont, qui l'agréa. Champlain résolut d'y demeurer aussi sur l'espérance de faire de nouvelles découvertes vers la Floride : ce que M. de Monts trouva fort bon. Établissement de Port-Royal
Chap. 11. - Evénements après son départ. - Les 40 à 45 hommes firent alors des jardins : Champlain en fit un, pour éviter l'oisiveté, entouré de fossés d'eau pour les truites, semé de graines qui profitèrent bien. Ensuite, excursion à la rivière Saint-Jean auprès du chef Scoudon, qui mena le parti à la mine de cuivre de Prévert (Black Point), où l'on en trouva l'épaisseur d'un sou et dans le roc. Le mineur, maître Jacques, natif d'Esclavonie (situé entre la Save et la Drave), homme bien entendu aux minéraux, assura qu'il n'était pas croyable que dessus la terre il y eût du cuivre pur sans qu'au fond il n'y en eût en quantité : mais la mer couvre deux fois le jour les mines. De retour à l'habitation, Champlain constate avec douleur les ravages du scorbut : douze hommes succombent, entre autres le mineur. Le 10 mars 1606, Dupont-Gravé apprête la grande barque pour entreprendre la découverte. En cours de route, il fallut relâcher le 25 à Sainte-Croix et Dupont, malade du coeur, ramena son monde au foyer. Puis, le 10 avril, la barque appareille quand un paquet de mer la jette à la côte, à la sortie du bassin Port-Royal; grande disgrâce pour Champdoré que Dupont emmenotta en prison. Le 15 juin, nul bâtiment venant de France, il libéra le détenu pour rachever la barque en chantier. Le 16 juillet, la colonie s'embarque afin de chercher au Cap-Breton ou à Gaspé le moyen de rentrer en France. Toutefois deux hommes Lataille et Miquelet, selon Lescarbot - demeurent volontiers, recevant chacun 50 écus par an; puis le chef Membertou promit de les maintenir comme ses enfants. L'Habitation de Port-Royal selon la reconstruction qui fut commencée en 1938 sur le site original. Celui-ci se trouve à Lower Granville, Nouvelle-Écosse. Colonie éphémère, Port-Royal fut attaquée et pillée par les Anglais en 1613 (expédition de Samuel Argall).
Chap. 12. - Rencontre de Ralleau (1606). - Deux barques, l'une de 18 tonneaux et l'autre de 8, font voile, le 17, vers l'Ile-Longue et une grosse mer brisa le gouvernail au cap Fourchu; une seconde fois, Champdoré est désemmenotté pour le réparer. Proche du cap Sable, on aperçut, le 24, la chaloupe de Ralleau, qui annonça que le Jonas, de 120 tonneaux, amenait 50 hommes et M. de Poutrincourt pour lieutenant-général. L'on rebrousse chemin à Port-Royal, où accoste le vaisseau, trois jours après. Le lieutenant décida que l'on irait reconnaître au Sud un endroit plus commode pour l'établissement; et l'on fit, à une lieue au haut du bassin, beaucoup de labour et de semailles. Le 22 août, M. des Antons vint donner avis de quelques vaisseaux traitant de pelleteries à Canseau : Dupont part sur le Jonas pour les prendre. Le 29, M. de Poutrincourt et Champlain, arrêtés par le mauvais temps, diffèrent leur départ.
Chap. 13. - Nouveau voyage au Sud (1606). - Partis le 5 septembre, ils touchent, le 7, à Sainte-Croix, où l'on vit blé et légumes beaux et grands; ils rangent la côte comme la première fois. « Il eut été plus à propos, selon l'opinion du navigateur, de traverser droit sur Malebarre jusques au 40° ou même plus au Sud et de revoir la côte au retour à plaisir». Ayant pris à bord les capitaines Scoudon et Messamouet, ils n'atteignent Malebarre que le 2 octobre.
Chap. 14. - Continuation. - A quelques lieues, on mouille l'ancre à la côte où l'on perçut la fumée des camps indigènes : les Sauvages se présentent et sont humainement traités. Doublant un cap qu'on appelle Baturier (Pollock Rip Shoals), on entra dans une baie (Stage Harbour), le gouvernail s'étant rompu. L'on vit 500 à 600 indigènes armés d'ares, de flèches, de casse-têtes, bons pêcheurs et laboureurs. M. de Poutrincourt remarqua que, ou bout de huit jours, ils abattaient leurs cabanes, renvoyant femmes et enfants dans les bois, et il soupçonna quelque mauvais dessein : il fit rembarquer ses hommes, excepté cinq ou six ne voulant faire ce qu'on leur disait. Le lendemain, 15 octobre, les trouvant endormis, les Sauvages les criblèrent de flèches; on alla au secours et on enterra leurs corps auprès d'une croix plantée la veille. Mais, trois heures après, les indigènes abattent la croix et déterrent les morts. Une seconde fois, on redresse la croix et on les ensevelit. Le 26, on quitte ce port Fortuné.
Chap. 15. - La saison contraint au retour. - Plus bas, on alla reconnaître une île qu'on nomma Soupçonneuse et une rivière Champlain (Mashpee River). Ayant relâché au havre Fortuné, Robert, fils du sieur Dupont, perdit une main d'un mousquet qui se creva en plusieurs pièces. L'on résolut de prendre quelques Sauvages par ruse et de force : ce qui fut fort bien exécuté. M. de Poutrincourt hâta son retour, ayant quatre ou cinq malades et le chirurgien étant sans remèdes pour les blessés. Ainsi on ne fut que jusqu'au 41°, 30' - ou 20' au-dessous de Malebarre, manquant l'occasion d'aller à Long Island et au fleuve Hudson.
Le parti rentrait le 14 novembre à l'habitation. - Le récit et les cartes de Champlain, publiés en 1613, devaient profiter aux Anglais en 1620-21.
Chap. 16. - Durant l'hivernement (1607). - Au retour, Marc Lescarbot réjouit le monde par quelques gaillardises. Champlain s'occupa de son jardin et entreprit de faire un chemin jusqu'au ruisseau la Truitière (Dixon Brook). L'hiver se passa fort joyeusement et avec bonne chère par le moyen de l'Ordre du Bon Temps, organisé par Champlain lui-même. Sept hommes périrent du scorbut. En mai, on fit les semailles. Le 24, le sieur Chevalier, de Saint-Malo, apporte les lettres de M. de Monts qui mande au sieur de Poutrincourt de ramener en France la colonie : il alla faire la traite des fourrures à Saint-Jean avec Lescarbot et d'autres. Excursion de sept hommes au fond de la baie Française : on visite les Mines (Minas Bay); on y remarqua des pierres à chaux et des morceaux de cuivre; puis au cap Poutrincourt (Cape Split), l'on découvre une croix couverte de mousse et toute pourrie, signe évident du passage antérieur de chrétiens. Le 12 juillet, arrivée de Ralleau qui confirme la nouvelle du sieur Chevalier. Le 30, on équipe trois barques pour tout transporter à Canseau; mais le baron resta, lui neuvième, pour récolter les blés non arrivés à maturité.
Chap. 17. - Retour en France (1607). Le 11 août, on abandonne le Port-Royal, et l'on double le cap Fourchu, passant ensuite à la Hève, à Sésembre (Sambro), à Sainte-Marguerite, à une baie fort saine (Halifax), à Toutes-Iles (Boy of Islands), à la rivière de l'île Verte (Saint-Mary's River), à une autre baie (Tor Bay), au port Savalette (White Haven), nom du capitaine basque qui y faisait la pêche; puis on débarqua à Canseau (Canso), le 27 du mois. On leva l'ancre le 3 septembre et la mouillait au petit port de Roscof (Finistère), le 28; de là l'on fit toute jusqu'à Saint-Malo, « fin de ces voyages, où Dieu nous conduisit sans naufrage ni péril ».
Samuel de Champlain, dont on peut admirer l'art nautique, la rectitude de jugement et la grandeur morale, publia sa narration, en 1613, avec dédicace au jeune roi et à la Régente, sous le titre de Les Voyages du sieur de Champlain Xaintongeois, capitaine ordinaire pour le roi en la marine. Après trois années d'absence, il va revoir le village natal. Ensuite il s'empresse d'aller « auprès du sieur de Monts, auquel il récita les choses les plus singulières, lui donnant la carte et le plan des côtes et ports les plus remarquables ». Grâce à ces dessins et à la Relation, Henri IV consentit à proroger, en dépit des réclamations contre le monopole de la Société du sieur de Monts, les lettres patentes de son ami calviniste, à partir du 7 janvier 1608 jusqu'à la même date 1609. Ce fut le salut de la Nouvelle-France.
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Source : LE JEUNE, L., « Champlain (Samuel de) », dans Dictionnaire Général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mours, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. 1, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931, 862p., pp. 345-348. |
© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |