Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2006

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Henri-Raymond Casgrain

 

Une maison canadienne

[Ce texte a été rédigé par Casgrain. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document]

 

Voyez-vous là-bas, sur le versant de ce coteau, cette jolie maison qui se dessine, blanche et proprette, avec sa grange couverte de chaume, sur la verdure tendre et chatoyante de cette belle érablière?

C'est une maison canadienne.

Du haut de son piédestal de gazon, elle sourit au grand fleuve, dont la vague, où frémit sa tremblante image, vient expirer à ses pieds.

Car l'heureux propriétaire de cette demeure aime son beau grand fleuve et il a en soin de s'établir sur ses bords.

Si quelquefois la triste nécessité l'oblige à s'en éloigner, il s'ennuie et a toujours hâte d'y revenir. Car c'est pour lui un besoin d'écouter sa grande voix, de contempler ses îles boisées et ses rives lointaines, de caresser de son regard ses eaux tantôt calmes et unies, tantôt terribles et écumantes...

Voulez-vous maintenant jeter un coup d'oeil sous ce toit dont l'aspect extérieur est si riant?

Je vais essayer, de vous en peindre le tableau, tel que je l'ai vu maintes fois.

D'abord, en entrant dans le tambour, deux seaux pleins d'eau fraîche sur un banc de bois et une tasse de fer-blanc accrochée à la cloison, vous invitent à vous désaltérer.

A l'intérieur, pendant que la soupe bout sur le poêle, la mère de famille, assise près de sa fenêtre, dans une chaise berceuse, file tranquillement son rouet.

Un mantelet d'indienne, un jupon bleu d'étoffe du pays et une câline blanche sur la tête, c'est là toute sa toilette.

Le petit dernier dort à ses côtés dans son ber.

De temps en temps, elle jette un regard réjoui sur sa figure fraîche qui, comme une rose épanouie, sort du couvre-pied d'indienne de diverses couleurs, dont les morceaux taillés en petits triangles sont ingénieusement distribués.

Dans un coin de la chambre, l'aînée des filles, assise sur un coffre, travaille au métier en fredonnant une chanson.

Forte et agile, la navette vole entre ses doigts; aussi fait-elle bravement dans sa journée sept ou huit aunes de toile du pays a grande largeur, qu'elle emploiera plus tard à faire des vêtements pour l'année qui vient.

Dans l'autre coin, à la tête du grand lit à courtepointe blanche et à carreaux bleus, est suspendue une croix entourée de quelques images. Cette petite branche de sapin flétrie qui couronne la croix, c'est le rameau bénit.

Deux ou trois marmots nu-pieds sur le plancher s'amusent à atteler un petit chien.

Le père, accroupi près du poêle, allume gravement sa pipe avec un tison ardent qu'il assujettit avec son ongle. Bonnet de laine rouge, gilet et culottes d'étoffe grise, bottes sauvages, tel est son accoutrement. Après chaque repas, il faut bien fumer une touche avant d'aller faire le train ou battre à la grange.

L'air de propreté et de confort qui règne dans la maison, le gazouillement des enfants, les chants de la jeune fille qui se mêlent au bruit du rouet, l'apparence de santé et de bonheur qui reluit sur les visages, tout, en un mot, fait naître dans l'âme le calme et la sérénité.

Si jamais, sur la route, vous étiez surpris par le froid ou la neige, allez heurter sans crainte à la porte de la famille canadienne, et vous serez reçu avec ce visage ouvert, avec cette franche cordialité que ses ancêtres lui ont transmise comme un souvenir et une relique de la vieille patrie. Car l'antique hospitalité française, qu'on ne connaît plus guère aujourd'hui dans certaines parties de la France, semble être venue se réfugier sous le toit de l'habitant canadien. Avec sa langue et sa religion, il a conservé pieusement ses habitudes et ses vieilles coutumes.

Le voyageur qui serait entré, il y a un siècle, sous ce toit hospitalier, y aurait trouvé les mêmes moeurs et le même caractère.

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Source: Légendes: Tableau de la Rivière-Ouelle. Reproduit dans Camille ROY, ed., Morceaux choisis d’auteurs canadiens, 3ème édition, Montréal, éditions Beauchemin, 1942, 443p., pp. 71-72.

 
© 2006 Claude Bélanger, Marianopolis College