Date Published: |
L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Lettre de Cartier, Ross et Galt en faveur de la Confédération [1858]
Londres, 23 Octobre 1858
Le très honorable, Sir Edward L. B. Lytton, Secrétaire d'État pour les colonies
Monsieur,
Nous avons l'honneur de soumettre à la considération du gouvernement de Sa Majesté qu'il a plu au gouverneur du Canada, agissant d'après l'avis de ses conseillers responsables, de recommander que la question d'une union fédérative des provinces anglaises de l'Amérique du Nord soit l'objet d'une conférence à laquelle assisteraient des délégués de chaque province nommés sous la direction du gouvernement de Sa Majesté; et nous avons reçu instructions de faire ressortir l'importance de cette mesure, tant pour des raisons particulières au Canada que pour des considérations intéressant les autres colonies et l'Empire tout entier.
Il est de notre devoir d'exposer que le gouvernement du Canada éprouve de grandes difficultés à donner, dans la mesure voulue, satisfaction aux désirs de sa nombreuse population. L'union du Bas et du Haut-Canada a eu pour base le maintien d'une parfaite égalité entre ces provinces, condition d'autant plus nécessaire qu'elles différaient par la langue, les lois et la religion et bien qu'il y ait maintenant une population anglaise considérable dans le Bas-Canada, ces différences existent à un tel point qu'elles empêchent toute communauté parfaite et absolue de sentiments entre les deux sections.
Lors de la promulgation de l'Acte d'Union, le Bas-Canada possédait une population beaucoup plus considérable que le Haut-Canada, mais cela n'a jamais donné lieu à aucune difficulté dans le gouvernement des provinces-unies. Depuis cette époque, cependant, le progrès de la population a été plus rapide dans la section-ouest, et celle-ci réclame maintenant dans la législature une représentation proportionnée au nombre de ses habitants, prétention à laquelle s'oppose énergiquement le Bas-Canada en alléguant que cela constitue une atteinte sérieuse aux principes sur lesquels repose l'Union. Il en résulte une agitation qui menace le fonctionnement régulier et paisible de notre système constitutionnel, et nuit par conséquent au progrès de la province.
Sentant la nécessité de trouver remède à un état de choses qui empire d'année en année, et d'adoucir des sentiments qui s'aigrissent chaque jour davantage par les luttes des partis politiques, les conseillers du représentant de Sa Majesté au Canada ont cherché le moyen de mettre fin à ces difficultés de telle façon qu'il n'y aurait plus lieu d'y revenir. Dans ce but, ils ont jugé opportun d'examiner jusqu'à quel point l'union du Bas et du Haut-Canada pourrait être rendue fédérative en l'étendant aux provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de Terre-Neuve et de l'Ile-du-Prince-Édouard, ainsi qu'aux autres territoires de la Couronne Britannique en Amérique qu'il pourrait être jugé désirable d'incorporer dans cette confédération.
Les soussignés sont convaincus que le gouvernement de Sa Majesté ne manquera pas de sentir la gravité des faits qui lui sont exposés avec l'entière responsabilité découlant de leur position comme conseillers de la Couronne au Canada. Ils croient que le temps est arrivé de discuter constitutionnellement tous les moyens de conjurer les dissensions intérieures au sein d'une dépendance de l'empire aussi importante que le Canada. Mais, indépendamment des raisons qui concernent le Canada seul, il est respectueusement représenté que les intérêts des diverses colonies et de l'Empire seront grandement favorisés par un gouvernement plus intime et plus uni des possessions de l'empire britannique dans l'Amérique du Nord.
La population, le commerce et les ressources de toutes ces colonies ont pris un tel accroissement depuis quelques années, et l'abolition des restrictions commerciales les a si bien mises en état de pouvoir se suffire à elles-mêmes, qu'il a semblé au gouvernement du Canada extrêmement désirable de rendre encore plus étroits les liens de leur commune allégeance envers la couronne britannique, et d'obtenir pour elles, en matières d'intérêt général, une identité de législation propre à consolider leur puissance croissante, aidant ainsi à créer sous la protection de l'Empire une grande confédération nord-américaine.
Actuellement, chaque colonie est distincte des autres par son gouvernement, ses coutumes, son industrie et sa législation générale. II n'existe pas entre elles de plus grandes facilités que celles qui sont offertes aux États étrangers, et le seul lien commun est celui qui les unit à la couronne britannique. Nous sommes d'avis que cet état de choses n'est propre à favoriser ni leur prospérité matérielle, ni cette union morale qui est si désirable en présence de la puissante confédération des États-Unis.
Comme ces provinces ont une population de trois millions et demi, un commerce étranger excédant vingt-cinq millions sterling, et une marine commerciale qui ne le cède en importance qu'à celles de la Grande-Bretagne et des États-Unis, il est au pouvoir du gouvernement impérial, en sanctionnant leur confédération, de constituer une dépendance de l'Empire, avantageuse en temps de paix, puissante en temps de guerre et dont la création écarterait pour toujours la crainte de voir ces colonies augmenter la puissance d'une autre nation.
En ce qui concerne les colonies australiennes, le gouvernement impérial a permis la discussion de la question d'une confédération entre ces colonies, bien que les motifs, dans la mesure où il s'agit de l'empire, ne soient ni aussi urgents ni aussi importants que ceux qui touchent à l'Amérique Britannique du Nord.
Le gouvernement du Canada n'a pas la prétention de représenter les sentiments des autres provinces. Tout ce qu'il demande c'est qu'il plaise au gouvernement impérial d'autoriser une réunion des délégués représentant chaque colonie, et le Haut et le Bas-Canada respectivement, pour considérer le sujet d'une union fédérative, et faire rapport sur les principes qu'il conviendrait de lui donner pour base.
Il propose que les délégués soient nommés par le gouvernement exécutif de chaque colonie et que ces délégués se réunissent dans le plus court délai possible.
II propose aussi que le rapport de ces délégués soit adressé au secrétaire d'État pour les colonies, et qu'il en soit déposé une copie entre les mains du gouverneur et du lieutenant-gouverneur de chaque colonie, afin qu'il en saisisse le parlement provincial dans le plus court délai possible.
Le rapport des délégués étant soumis, il appartiendra ensuite au gouvernement de Sa Majesté de décider si la confédération serait favorable aux intérêts de l'Empire, et de diriger l'action du gouvernement impérial avec le concours des législatures des colonies respectives.
Nous avons l'honneur d'être, Monsieur, Vos très humbles et obéissants serviteurs,
Source: Cité dans John BOYD, Sir George-Étienne Cartier, Baronnet. Sa vie et son temps. Histoire politique du Canada de 1814 à 1873, Montréal, Librairie Beauchemin, 1918, 485p., pp. 192-193.
|
© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |