Quebec History Marianopolis College


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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Macdonald, Cartier et la Conférence de Londres

(1866-1867)

 

 

[Ce texte a été publié en 1918 par John Boyd. Pour la référence exacte, voir la fin du texte.]

 

Une question historique intéressante se présente en ce qui concerne la conférence de Londres. Une tentative a-t-elle été faite durant ces délibérations pour changer la base de la confédération en une union législative ? On a déclaré à diverses reprises qu'une tentative de ce genre avait été faite par sir John A. Macdonald et autres délégués, et que son accomplissement n'avait pu être empêché que par l'attitude résolue de George-Étienne Cartier. L'histoire semble avoir eu son origine dans un article paru quelque temps après dans le Constitutionnel de Trois-Rivières, dont Elzéar Gérin était l'éditeur. Voici ce qu'écrivait alors Gérin dans son journal: -

 

« Ce fut durant la conférence de Londres, en 1866 et 1867, que celui qui écrit ces lignes vit l'homme (Cartier) à l'oeuvre, et put apprécier l'élévation de ses idées politiques en même temps que son patriotisme ardent et sincère et son incomparable activité. La tâche de Cartier à Londres était très ardue. Ce n'est plus maintenant divulguer un secret. que de dire qu'à la conférence de Londres tous les délégués du Haut-Canada et des provinces maritimes, y compris Galt, voulaient une union législative et désiraient que lord Carnarvon, secrétaire aux colonies, se basât là-dessus pour préparer le bill qui devait être soumis au parlement. Devant un danger aussi imminent, Cartier trouva moyen de redoubler encore d'efforts. Il ne consentirait jamais, disait-il, à ce que les délégués fissent défaut aux engagements contractés envers ses compatriotes, à qui on avait promis l'autonomie provinciale, et il ne voulait pas que ceux-ci fussent ainsi livrés pieds et poings liés à la majorité brutale d'une union législative. En face des tentatives des autres délégués, Cartier alla même jusqu'à déclarer qu'il conseillerait au premier ministre, sir Narcisse Belleau, de dissoudre le cabinet plutôt que de se soumettre. Le projet de confédération serait alors tombé, et tout aurait été à recommencer comme en 1864. La situation était donc excessivement critique. Cartier essaya tout d'abord de faire pénétrer ses idées parmi les hommes les plus influents de la Cour et du parlement. Il trouva moyen de se faire introduire dans presque toutes les grandes familles aristocratiques de Londres ainsi que dans les familles de la bourgeoisie qui portaient intérêt aux affaires politiques. Chaque jour, il avait trois ou quatre invitations à dîner, et c'était la même chose pour le lunch et la soirée. Il acceptait toutes ces invitations, et tout en faisant mine d'apprécier la bonne chère de ses hôtes, il trouvait moyen de converser sur les grandes questions qui le préoccupaient le plus, c'est-à-dire la confédération et les droits de la province de Québec dans cette confédération. C'est ainsi qu'il put communiquer à lord Carnarvon les traités et les articles qui ont assuré nos droits d'une manière incontestable, et le ministre des colonies s'est reposé sur ces documents historiques pour justifier l'indépendance des provinces. Ceux qui ont accusé Cartier d'avoir trahi ses compatriotes ont commis une grande erreur et une grande injustice. II était, certes, bien au-dessus des préjugés de races et de religions, mais il n'aurait jamais toléré une injustice à l'égard de ses compatriotes. Il n'y a jamais eu un caractère plus éloigné de cet esprit de bassesse qui se complaît dans la trahison. »

 

Cet article a donné lieu à bien des racontars, dont l'écho s'est perpétué durant assez longtemps. On a même dit que Cartier, à une certaine phase des négociations, était devenu tellement exaspéré qu'il avertit son collègue d'avoir à se préparer à revenir au Canada, et qu'il avait l'intention de se retirer de la conférence et de câbler à sir Narcisse Belleau de résigner puis de dissoudre le cabinet et de mettre fin à toutes les négociations. Nous avons cherché à diverses reprises à nous assurer de ce qu'il pouvait y avoir de vrai dans tout cela. Dans tous les cas, personne n'ignore que John A. Macdonald était personnellement très en faveur d'une union législative avec un seul parlement pour tout le pays, de préférence à la sorte d'union fédérale que voulait

Cartier. Quelques-uns des délégués, tout en ayant consenti à une union fédérale à la conférence de Québec, espéraient apparemment que ce serait l'union législative qui finirait par triompher. Même l'homme politique astucieux qu'était Galt, à la suite de la conférence de Québec, s'était clairement expliqué. à cet égard, à l'occasion d'un banquet donné aux délégués à Toronto. « Nous pouvons espérer, » disait alors Galt, «  qu'avant longtemps nous serons disposés à faire partie d'une union législative plutôt que de l'union fédérale projetée. Nous aurions tous désiré une union législative, avec le pouvoir con­centré comme en Angleterre dans un gouvernement central qui étendrait l'égide de sa protection sur toutes les institutions du pays, mais nous avons vu que cela était tout d'abord impossible et qu'il y avait des difficultés que nous ne pouvions pas surmonter. » Les difficultés doit parlait Galt étaient évidemment les objections de Cartier, qui s'opposa avec persistance à toute idée d'union législative.

 

II est cependant difficile de croire que John A. Macdonald, qui, tout en inclinant personnellement vers l'union législative, avait dans le même temps déclaré que ce système était impraticable, et qui avait consacré toutes ses énergies à faire approuver par le parlement le projet arrêté à la conférence de Québec, aurait ainsi essayé à la onzième heure de changer la base fondamentale de tout le projet. Cela est d'autant moins probable que Macdonald, savait fort bien quelles graves conséquences découleraient d'une pareille tentative. Nous avons l'assurance solennelle du seul membre survivant, en 1915, de la conférence de Londres que certainement aucune tentative de ce genre n'a été faite durant les délibérations des délégués. Sir Charles Tupper nous a assuré catégoriquement que les délibérations au Westminster Palace Hotel furent marquées, du commencement à la fin, par la plus grande harmonie; que certaines modifications avaient été apportées, il est vrai, aux résolutions de Québec, mais qu'aucune tentative ne fut faite pour changer la base réelle du projet de confédération, et enfin qu'il n'y a jamais eu le moindre froissement entre les délégués. Les collègues canadiens-français de Cartier à la conférence de Londres n'ont jamais non plus laissé le moindrement entendre qu'un semblable incident se fût produit. (1) M. Thomas Chapais, le gendre de feu sir Hector Langevin, nous a écrit en réponse à notre demande de renseignements à ce sujet: « En réponse à votre demande, je dois vous informer que sir Hector Langevin, dans ses conversations sur la confédération, n'a jamais rien dit qui pût m'engager à croire qu'une tentative quelconque avait été faite à Londres pour changer l'union fédérale projetée en une union législative. Je crois que si un incident aussi grave fût survenu il l'aurait mentionné ou il en aurait dit quelques mots occasionnellement, ce qu'il n'a jamais fait. Mon père ( J. C. Chapais) faisait alors partie du gouvernement canadien, et bien qu'il n'ait pas assisté à la conférence de Londres, il aurait certainement été en mesure de connaître quelque chose d'une crise de cette nature. Or, il n'a jamais fait la moindre allusion à cela. Le bruit qui en a couru, comme vous dites, a été souvent répétée mais la chose, suivant moi, ne repose sur aucun fondement historique. »

 

II semblerait donc que si on a jamais songé à tenter un mouvement quelconque en ce sens, ce dut être en dehors de la conférence. Que Cartier lui-même appréhendait le danger d'un semblable mouvement de la part de quelques-uns des délégués est incontestable, s'il faut s'en rapporter aux déclarations qu'il fit plus tard à quelques membres de sa famille. (2) Dans tous les cas, il est certain que si un pareil mouvement avait été tenté, Cartier y aurait résisté de toutes ses forces. Il avait toujours insisté, et cela dès le début, sur une union fédérale comme constituant le seul moyen de sauvegarder les intérêts de ses compatriotes, tout en permettant en même temps que les intérêts communs à toutes les provinces fussent régis par un gouvernement central. Que la constitution ait été basée sur le principe fédéral est dû au fait que la force et le prestige politique de Cartier étaient tels qu'il se trouvait en mesure d'insister sur l'adoption du système fédéral en dépit de l'opposition de tous ceux qui auraient préféré une union législative.

 

 

(2) M. Louis Joseph Cartier nous a raconté qu'il se rappelait que sir George parlait souvent dans la famille des craintes qu'il avait eues à Londres qu'un mouvement de ce genre fût tenté, et il ajoutait qu'il était alors bien résolu à s'y opposer coûte que coûte.

 

M. A. D. DeCelles, le distingué bibliothécaire du parlement, nous a dit qu'il avait une fois demandé à sir Hector Langevin si l'article publié par Gérin reposait sur un fondement quelconque, et que le collègue de Cartier à la conférence de Londres lui avait répondu qu'il n'y avait rien de vrai en cela.

 

Source : John BOYD, Sir George Etienne Cartier, Baronnet. Sa vie et son temps. Histoire politique du Canada de 1814 à 1873, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1918, 485p., pp. 494-496.

 

 

 

 

 

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College