Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juillet 2009

Document de l’histoire du Québec / Quebec History Document

 

Le nationalisme de Bourassa

 

Les questions auxquelles je vais tâcher de répon­dre dans cet article, je me les pose depuis plus de vingt ans – depuis l’époque où ma génération, celle qui eut vingt ans autour de 1930, commença de s’exprimer.

Le nationalisme canadien-français venait de s’af­faisser avec l’après-guerre. Alors on avait connu une extraordinaire aventure économique, analogue à celle qui suivit le deuxième conflit mondial. Il n’y avait pas seulement la prospérité: c’était la fin du cadre idyllique où le Canada français avait jusque-là vécu ou cru vivre son histoire. Les échanges avec l’extérieur se multipliaient, le rythme de la vie s’ac­célérait, nous gardions les idées de la génération pré­cédente, mais nous sentions déjà qu’il faudrait les rajeunir et les adapter.

Or une époque noire commença. Tous les contem­porains en gardent le plus pénible souvenir. Presque sans transition la vie devint malaisée, plus doulou­reuse ici que ne furent les deux périodes de guerre. Des centaines de milliers d’hommes connurent le chômage prolongé, la vraie faim, toutes les détresses de la misère. La crise pourtant rendit aux gavés de la veille la faculté de réfléchir. Ils battaient la semelle à la recherche d’une situation, étonnés de n’en plus trouver et de ne plus vivre dans la facilité. Ils apprenaient à se contenter de peu, mais l’expé­rience avait un goût amer. Alors de vieilles questions redevinrent actuelles, on s’en posa qu’on n’avait pas encore connues. Un régime politique qui dépassait le quart de siècle était sourdement remis en question. On aurait pu chercher du côté socialiste; comment il se fait que la réaction s’engagea dans le nationa­lisme, ce n’est pas le moment de l’examiner aujour­d’hui. D’ailleurs je n’ai pas la prétention d’écrire de l’histoire, je fais l’histoire de mes souvenirs.

Des jeunes furent parmi les premiers à ébranler les colonnes du temple. La peur et le respect avaient jusque-là fermé la bouche au plus grand nombre; ou peut-être n’avaient-ils pas encore assez souffert. Des jeunes donc se mirent à parler, à protester, à remettre en question; ils le faisaient naïvement, un peu au hasard, par goût de s’affirmer, peut-être pour se chercher, en tâtonnant, une missionpropre. Ils furent bien étonnés du retentissement qu’obtinrent leurs propos.

Ils venaient, par leur famille ou leurs professeurs, de milieux influencés par le nationalisme. Ils eussent aimé se trouver des maîtres. Qui se présentait en dehors des milieux officiels et des vieux partis contre lesquels se dressait leur révolte, sinon les chefs du nationalisme, et quelques intellectuels isolés dont on n’éprouvait guère la présence?

Ils avaient beaucoup entendu parler de la grande équipe, celle de Bourassa. Par eux-mêmes ils la con­naissaient mal, mais on leur avait conté les luttes politiques menées par Bourassa, Asselin, Lavergne, Fournier, Lamarche et combien d’autres. Ils voulurent reprendre cette aventure et la mener jusqu’à ses ultimes conclusions.

De ces aînés, plusieurs vivaient encore: Lavergne, Asselin et Bourassa. En examinant leurs actes récents, les jeunes de 1930 éprouvaient un malaise, car les personnages ne correspondaient pas à leur légende. Lavergne, gouailleur et indépendant, venait d’accep­ter la vice-présidence de la chambre des Communes sous la férule du premier ministre R.-B. Bennett, successeur de M. Arthur Meighen. Asselin, l’homme qui avait giflé L.-A. Taschereau, dirigeait à Montréal, le quotidien de M. Taschereau. Quant à Bourassa, il passait la dernière partie de sa vie à détruire ce qu’il avait construit durant sa jeunesse et sa maturité. C’était du moins ce qui se disait… Les jeunes cher­chèrent ailleurs; du côté du Devoir, qu’ils trouvaient cependant conservateur, et chez les hommes qui avaient pris figure de dissidents par rapport à Bourassa, l’ancienne équipe de l’Action française (de Mont­réal) défaut d’hommes d’action, ils se replièrent sur des intellectuels; au premier rang, ils trouvèrent l’abbé Groulx.

On ne pouvait cependant oublier les autres, qui ne cessaient d’agir. Un rapprochement s’opéra avec Armand Lavergne, d’ailleurs malade, et qui n’appor­tait que du panache. Devant Asselin, il y eut des moments d’hésitation, puis une hostilité farouche qui nous empêcha longtemps de comprendre ce que le directeur du Canada, puis de l’Ordre, apportait d’indiscutablement neuf et positif. Quant à Bourassa, les nationalistes respectaient et admiraient trop son rôle pour l’attaquer publiquement de front.

C’était pourtant le cas le plus pénible: d’abord parce qu’il avait été le chef prestigieux et à peu près incontesté du mouvement; à cause de son immense talent et du dynamisme de sa personnalité; enfin parce que son caractère personnel rendait irrecevables toutes les explications basses ou mesquines de sa «volte-face».

Privément on lui reprochait bien des choses, et en particulier sa série d’articles contre le mouvement sentinelliste: était-ce à lui, créateur du nationalisme contemporain au Canada français, de frapper des malheureux que Rome venait de condamner et qui se préparaient à faire leur soumission? Dans leur résistance aux évêques irlandais, ces Franco-Améri­cains avaient commis de graves imprudences de lan­gage, mais leur exaspération s’excusait; ils avaient bien deviné le rôle assimilateur joué par la hiérarchie irlando-américaine, et n’obéissaient-ils pas au slogan de la langue gardienne de la foi, précisément lancé par Bourassa? On rappelait là-dessus d’autres griefs: notamment les articles, les conférences, les conversations privées mais si souvent et si rapide­ment divulguées, où le directeur du Devoir ratait rarement l’occasion de dénoncer les excès du natio­nalisme canadien-français, en particulier celui de l’Action française, au nom d’un sentiment religieux aussi sincère et estimable que mal orienté. On opposait à ces incompréhensibles violences, toujours diri­gées contre d’anciens amis ou d’anciens disciples, les directives que Bourassa n’avait cessé de donner avant 1920: alors, malgré d’évidentes faiblesses pour le canadianisme, primait toujours chez lui l’impératif canadien-français.

 

*    *   *    *

Je résume ici ce qui courait à Montréal, de 1930 à 1940, dans les milieux nationalistes de Montréal et de Québec. Ces propos, je les ai entendus chez les interlocuteurs les plus divers, dont la bonne foi était évidente. Ils expliquaient les «retournements» du chef par une crise de scrupule, une semonce du Pape, l’isolement, le goût de la contradiction.

Il en résultait que pour nous la vie de Bourassa se divisait en deux parties. Il y avait d’abord l’homme du discours de Notre-Dame, des luttes pour les mi­norités et contre l’impérialisme, l’initiateur d’un mou­vement dont nous prenions la suite. Puis il y avait celui qui est revenu de Rome, qui est transformé, perdu pour nous, n’affirme que le devoir religieux et la patrie canadienne, et entreprend de raser la moisson qu’il avait semée.

J’ai donc parlé sans le moindre remords, dans une conférence sur Lavergne, en 1935, de «Bourassa mort à Rome en 1923» (1). A l’automne 1937, j’ai dé­noncé son «jansénisme» et montré fort irrévérencieu­sement un aïeul qui occupe les loisirs de sa vieillesse à dévorer ses petits-enfants: c’était au Gésu, après une conférence du chanoine Groulx sur l’échauffou­rée de 1837, et je l’évoque comme un mauvais souvenir. Car au fond de moi-même, je commençais à me demander si nous avions raison de parler d’un revirement de Bourassa. Après tout, nous nous ex­primions sur la foi de disciples très fervents, qui, avec le recul des années, pouvaient avoir inconsciemment déformé la pensée du maître. Le problème était-il aussi simple? N’aurions-nous pas commis l’erreur de prendre rétrospectivement la pensée de Bourassa pour celle de l’abbé Groulx? Quelle a été la vraie nature du nationalisme prêché par Bourassa?

Pourtant, restaient les trois conférences de 1935 à la Palestre Nationale. Celles-là, je les ai entendues. Bourassa avait eu, à l’endroit des jeunes nationalis­tes, des duretés et des sarcasmes qui continuaient de nous faire mal. Il nous prêtait des idées que nous n’avons jamais eues ou les produisait dans un tel éclairage que nous ne nous reconnaissions pas. Il prononça une confession publique de ses erreurs et pratiqua lui-même, sur ses oeuvres, une sorte d’auto­dafé. Il paraissait s’accuser d’avoir fait passer la lan­gue avant la foi et de s’être montré trop Canadien français. Il détectait, à l’origine de notre pensée, je ne sais combien de schismes et d’hérésies. Bref c’est nous qu’il traitait en adversaires. Et je ne pouvais douter de mes oreilles, j’étais là. Comment tout cela s’organisait-il?

…Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Nous avons connu la déception de 1935-36, puis l’atonie des années d’avant-guerre. Bourassa se faisait entendre moins souvent, on avait peu à peu l’impres­sion d’un demi-apaisement… Et ce fut la tourmente universelle, le silence des premiers mois de la guerre, l’atmosphère de ghetto moral que nous avons respi­rée tous ensemble – et l’imprévisible rapprochement avec Henri Bourassa. Il s’opéra sans explications. Nous fûmes ensemble parce que nous possédions des idées communes que nous sentions menacées. Jamais nous n’aurions risqué de compromettre cette unité nouvelle, si réconfortante, pour le plaisir de poser des questions qui ne cessaient de nous hanter. D’ail­leurs l’action nous talonnait, il y avait mieux à faire que des rétrospectives. – Ce fut enfin la maladie de Bourassa, son long silence, sa mort.

C’est en préparant le numéro spécial du Devoir que mes soupçons se sont confirmés. En lisant pour la première fois de vieux textes, en interrogeant plus rigoureusement des témoins, en examinant de près des discours déjà connus, nous avons mieux compris l’unité de la vie de Bourassa.

Certes, chez un homme riche et spontané comme lui, le problème demeure complexe. Pour le résou­dre il faudrait bien plus qu’une lecture, même atten­tive, de ses principales oeuvres. Seule une étude sys­tématique de la pensée politique au Canada français permettrait de connaître ses origines intellectuelles, les influences qu’il a subies, les nuances d’une doc­trine beaucoup moins simple que les formules ora­toires ne laisseraient croire.

On n’enferme pas un être comme Bourassa dans une formule: il dépasse toujours par un côté ou par un autre. On peut toujours opposer les textes entre eux. Mais les lignes générales de sa pensée se déga­gent avec assez de netteté.

Bourassa, si Canadien français par ses racines et par la nature même de sa personnalité, a toujours prêché un nationalisme canadien. Mais il donnait à l’expression un sens qui lui faisait tout de suite re­joindre le nationalisme canadien-français. Il a certes évolué durant sa longue vie active; pourtant la structure intellectuelle de son oeuvre n’a guère subi de modifications. Ses variations les plus sensibles sont d’ordre émotionnel et sentimental bien plus que d’ordre rationnel; aux jours où il pourfendait les nationalistes canadiens-français, il ne trahissait pas son propre nationalisme, et sa confession publique revient à peu de chose. La pensée religieuse, chez lui, a pris de plus en plus de place, et ce que gagnait le sentiment religieux à un certain moment, le sen­timent national l’a perdu. Sa passion de l’équilibre – peut-être parce qu’il sentait que chez un être véhément et passionné comme lui l’équilibre est dur à conquérir et surtout à maintenir – l’a porté cer­tains jours à écraser les exigences temporelles sous des exigences spirituelles qui nous paraissent un peu crispées et tendues: ce sont sans doute les moments de sa vie qui furent les plus durs, mais ils gardent une admirable noblesse.

Ce qui nous importe, ce n’est pas de chercher à confirmer nos propres idées, ni de baptiser erreurs les moments qui l’ont éloigné de nous: c’est d’essayer de le voir tel qu’il fut, et de déterminer la nature exacte de son nationalisme. Mais nous pouvons dès l’instant l’affirmer: cet homme n’a cessé de se cher­cher, de s’élargir, de s’approfondir; il ne s’est jamais renié.

– I –

La première fois que Bourassa aborde avec une certaine ampleur le problème de ce qu’il appellera plus tard le nationalisme, c’est par le biais de la lutte à l’impérialisme. Cela paraît assez révélateur.

Dès 1901

 

Nous sommes en 1901. On a demandé au jeune député (il a trente-trois ans) de «définir rigoureuse­ment, par a plus b, l’impérialisme et le contre-impérialisme». Il s’exécute le 20 octobre 1961 dans une conférence au Théâtre National français, et définit l’impérialisme du moment: «la contribution des colonies aux guerres de l’Angleterre». Il en examine la genèse et le développement: en Grande-Bretagne et dans les colonies. La réaction australienne et néo-­zélandaise lui paraît plus saine que la nôtre. Car ici:

L’esprit de parti, poussé à un degré d’intensité inconnu en Angleterre, et la ques­tion de races, sont deux faiblesses qui nous préparent mal à lutter contre les entreprises impérialiste.(2)

Pour la question des races, voici comment il s’ex­plique:

Je ne verrais aucun danger, à peine un surcroît de difficultés, dans la présence de deux races au Canada, si nos hommes politi­ques apprenaient à faire appel aux meilleurs sentiments des deux éléments au lieu de flatter leurs préjugés particuliers.(3)

Bourassa établit tout de suite après sa position, et la primauté, évidente à ses yeux, de la patrie ca­nadienne:

Le seul terrain sur lequel il soit possible de placer la solution de nos problèmes natio­naux, c’est celui du respect mutuel à nos sympathies de races et du devoir exclusif à la patrie commune. Il n’y a ici ni maîtres, ni va­lets, ni vainqueurs, ni vaincus: – il y a deux alliés dont l’association s’est conclue sur des bases équitables et bien définies. Nous ne demandons pas à nos voisins d’origine anglaise de nous aider à opérer un rapprochement poli­tique vers la France; ils n’ont pas le droit de se servir de la force brutale du nombre, pour enfreindre les termes de l’alliance et nous faire assumer vis-à-vis de l’Angleterre des obliga­tions nouvelles, fussent-elles toutes volontaires et spontanées.

Le sol canadien, son sang, ses richesses, son passé, son présent et son avenir – tout cela ne nous appartient que pour le transmet­tre intact à nos descendants. Je respecte et j’ad­mire chez mon voisin l’amour qu’il porte à sa vieille et glorieuse patrie, et je le mépriserais si cet amour vibrait moins fort aux jours d’épreuve. J’attends en retour qu’il respecte la même fidélité du souvenir chez les enfants de la patrie française. Mais en dehors de ce domaine du coeur et de l’esprit, il n’y a qu’un moyen possible d’éviter des malentendus fu­nestes, c’est que nous soyons et que nous res­tions tous deux exclusivement Canadiens sur le terrain constitutionnel et politique. (4)

Bourassa veut-il l’autonomie complète du pays? L’indépendance ne lui apparaît pas comme un «sujet d’actualité», parce que le Canada n’est pas assuré de la paix intérieure et extérieure. A l’extérieur, Bou­rassa craint le voisinage «immédiat et exclusif de la république américaine» et analyse longuement les dangers qu’il nous fait courir; ce passage se termine par le paragraphe fameux:

 

«Ce que je voudrais, c’est qu’entre la vieille frégate anglaise qui menace de sombrer et le corsaire américain qui se prépare à recueillir ses épaves, nous manoeuvrions notre bar­que avec prudence et fermeté afin qu’elle ne se laisse pas engloutir dans le gouffre de l’une ni entraîner dans le sillage de l’autre. Ne rompons pas la chaîne trop tôt, mais n’en rivons pas follement les anneaux».

Ce paragraphe conclut une analyse fort serrée des risques que nous aurait fait courir une émancipation prématurée (5)

Pour la paix intérieure:

Tant qu’une entente plus franche et plus nette n’existera pas entre les deux races – et ce but désirable ne sera atteint que le jour où le peuple canadien aura forcé ses hommes d’Etat à adopter une politique canadienne, je dis que nous ne sommes pas mûrs pour l’indé­pendance. (6)

On peut être assuré que cet amoureux passionné de l’autonomie canadienne ne soulèvera jamais à plaisir les deux «races» l’une contre l’autre.

«Le patriotisme canadien-français»

L’année suivante, Bourassa étudie au Monument National Le patriotisme Canadien-Français, ce qu’il est, ce qu’il doit être. Il y montre nos devoirs envers la Grande-Bretagne (fidélité à la couronne, affaire de raison), envers les Canadiens anglais (ni fusion ni isolement, «nous devons chercher tous les terrains communs où il nous est possible de donner la main à nos concitoyens anglais sans faillir à notre dignité et sans altérer notre individualité nationale»), envers le Canada (fédéralisme modéré), et envers nous-­mêmes:

Le premier problème qui se pose à notre esprit, c’est celui-ci: devons-nous être plus Français que Canadiens ou plus Canadiens que Français? En d’autres termes, devons-­nous être des Français au Canada ou des Canadiens d’origine française?

Je ne conçois pas qu’on puisse hésiter un instant à répondre que nous devons rester essentiellement Canadiens.

Loin de moi la pensée de vouloir étouffer chez mes compatriotes la voix du sang. Notre amour pour la France est légitime et naturel: il peut et doit être réel, profond et durable; mais il doit rester platonique; et surtout il ne doit jamais nous faire oublier nos devoirs envers nous-mêmes et ceux que les circons­tances de notre histoire et de notre situation actuelle nous imposent.

Pour comprendre et déterminer la nature de nos sentiments à l’endroit de la France, il faut employer la même méthode que j’ai indi­quée tantôt, lorsque j’ai parlé de nos obliga­tions envers l’Angleterre: étudier notre his­toire avec sang-froid et ne pas faire de lé­gende. ( 7)

Bourassa analyse ce que nous devons à la France et conclut:

Soyons Français comme les Américains sont Anglais. Conservons et développons chez nous les instincts, les traditions et l’intellec­tualité que notre origine nous a légués; et à ce point de vue, nous ne saurions trop faire pour maintenir et fortifier les liens de parenté qui nous unissent à la France. Mais nous de­vons concentrer notre allégeance politique et nos aspirations nationales sur le sol du Canada. (8 )

Que penser, alors du séparatisme? Bourassa écrit d’une plume à la fois sympathique et détachée:

Quelques-uns de nos compatriotes envisa­gent avec bonheur le jour où nous reconsti­tuerons en Amérique, de droit comme de fait, une nouvelle France, un Etat libre où notre race dominera sans partage. C’est assurément là un rêve légitime et attrayant; et le travail des siècles peut le réaliser plus rapidement que les apparences ne l’indiquent. Mais c’est encore un rêve; et ce qu’il faut faire, c’est le devoir du moment.

Le meilleur moyen de conserver nos tra­ditions nationales et de préparer notre avenir, quel qu’il soit, ce n’est pas de vivre dans les souvenirs d’hier et les aspirations de demain, mais d’exécuter fidèlement le travail de la journée. (9)

Retenons que dès 1902, pour Bourassa, le séparatisme n’est qu’un rêve: à moitié souvenir d’hier, à moitié aspiration de demain… Mais le vrai devoir du moment, c’est de collaborer loyalement avec nos associés:

Nous sommes les voisins et les associés d’une majorité anglaise. Nous ne voulons pas que nos concitoyens resserrent les liens qui nous attachent à l’Angleterre, ni qu’ils rom­pent à leur avantage l’équilibre des deux ra­ces au Canada. En retour, nous ne devons pas blesser leur sentiment national et leurs justes susceptibilités en désirant un rapprochement politique vers la France ou une rupture de la Confédération canadienne. Restons solides sur le terrain où les circonstances de l’histoire nous ont placés. Résistons fermement à l’absorption politique du Canada dans l’Empire et à l’extinction de notre nationalité au Ca­nada. Respectons la foi que nous avons jurée à l’Angleterre et à la majorité anglo-canadien­ne: c’est le meilleur moyen de leur faire respecter leur propre parole.

Il importe à notre sécurité de convaincre les Anglo-Canadiens d’un fait d’ailleurs indé­niable: c’est que ce n’est pas à titre de Français mais à titre de Canadiens que nous ne voulons pas nous rapprocher de l’Angle­terre et assumer des obligations nouvelles dans son Empire. (10)

A remarquer cette notation, sur un thème qu’il orchestrera plus tard, mais qui exprime à la fois sa fierté et son goût de la mesure:

C’est du reste, sur ce terrain de la na­tionalité que se manifestent les excès dange­reux que j’ai signalés tantôt: l’avilissement en face des Anglais, la haine et l’injure dès qu’ils ont le dos tourné. L’instinct de race est, comme tous les instincts naturels, un puissant moyen d’action individuelle et so­cial; mais, comme les autres instincts, il doit être contrôlé et tempéré par la raison. Sinon, il peut conduire à des erreurs funestes et devenir l’agent le plus efficace de notre désagrégation nationale.11

Bourassa maintient son attitude

La Ligue Nationaliste est fondée en 1903. Henri Bourassa expose son programme à Québec le 8 dé­cembre, puis à Montréal le 21 février 1904. Il com­mence par affirmer qu’il ne s’agit pas d’un «mouve­ment de race», mais avant toutes choses d’une protestation contre l’impérialisme britannique. Il a d’ailleurs défendu les mêmes idées dans les provinces anglaises, et trouvé des partisans jusqu’à Toronto. Le discours de Québec se termine par l’envolée sui­vante:

Et soyons convaincus d’une chose, c’est que nous n’avons pas besoin d’avoir peur d’affirmer nos principes et nos idées, et que vous trouverez un nombre considérable de Canadiens d’origine étrangère à la nôtre, ne parlant pas la même langue que nous, ne pra­tiquant pas la même foi, mais qui sont unis avec nous dans un sentiment commun d’atta­chement à notre patrie commune, fiers de son passé, prêts à garder sur cette terre libre du Canada les meilleures traditions des deux grandes races qui lui ont donné naissance, prêts à oublier dans un attachement commun, dans un commun dévouement à la gloire de notre pays, les querelles et les guerres du passé, prêts à s’unir dans une union paci­fique non pas pour oublier nos différences intimes, non pas pour oublier ce qui fait le caractère distinctif de notre race, non pas pour perdre notre langue, non pas pour per­dre l’homogénéité de notre race, mais pour nous unir dans une alliance fructueuse et fé­conde sans laquelle ce pays n’aura pas d’ave­nir, sans laquelle le Canada n’atteindra pas les destinées auxquelles la Providence l’a mani­festement préparé.

En 1905, le Parlement canadien organise les Ter­ritoires du Nord-Ouest en provinces (Saskatchewan et Alberta). Après avoir voulu donner justice aux minorités, Laurier cède devant Sifton et l’opinion anglo-protestante. Bourassa, au Parlement et dans le Québec, défend la thèse catholique et canadienne­française. En résumé, dit-il aux députés anglo-cana­diens, l’Ouest est promis à un immense avenir; si vous voulez qu’il soit canadien, rendez-le attrayant aux Canadiens français. Bourassa voit «avec douleur» se développer dans le Québec «le sentiment que le Canada n’est pas le Canada de tous les Canadiens». On nous rend provincialistes malgré nous; mais Bou­rassa résiste à cette tendance et donne toujours la primauté au sentiment canadien.

Remarquons que plusieurs adversaires de Bou­rassa le combattaient au nom de «l’autonomie pro­vinciale», c’est-à-dire des droits exclusifs des provin­ces en matière d’enseignement – y compris, à leurs yeux, le droit de brimer les minorités. Il haussait alors le ton, portait sur la Confédération des juge­ments sévères, mais refusait à la fois d’attaquer le principe de l’autonomie provinciale et de se replier sur la province de Québec. Ainsi en 1912, lors de la nouvelle affaire du Nord-Ouest, on trouvera sous sa plume ou dans ses discours des affirmations de ce genre:

Français, nous avons le droit de l’être par la langue; catholiques, nous avons le droit de l’être par la foi; libres, nous avons le droit de l’être par la constitution; Canadiens, nous le sommes avant tout; britanniques, nous avons autant le droit de l’être que qui que ce soit. Et ces «droits», nous avons le droit d’en jouir dans toute l’étendue de la Confédéra­tion. ( 12 )

Même plongé dans la plus vive indignation, Bou­rassa se proclame «Canadien avant tout». Et son amer­tume, qui s’exprime pendant des pages et des pages, ne l’accule jamais à la solution sécessionniste.

Durant la guerre

 

En pleine guerre, avec une insistance qu’on trou­vera peut-être monotone, l’orateur réaffirme que «le Canada doit transmettre aux générations à venir de son peuple les avantages inappréciables de sa double origine…» car

Rien n’est plus stérile, rien n’est plus fai­ble et grotesque à mes yeux que d’attiser les haines de races et de baser sur les errements des individus, quelque nombreux et puissants qu’ils paraissent pour l’instant, le jugement qu’on doit porter sur toute une race.

Le nationalisme canadien, tel que nous l’entendons, tel que nous le prêchons, tel que nous le pratiquons, est aussi opposé à l’exclu­sion d’une race au profit de l’autre qu’à la subordination des intérêts de la nation canadienne à ceux de la Grande-Bretagne, de la France, ou de tout autre pays britannique ou étranger. ( 13)

Ces affirmations sont à double tranchant: Bou­rassa y défend d’abord les droits des siens (et les «siens», il l’a déjà écrit, ce sont les Canadiens fran­çais); mais il choisit toujours de le faire en des ter­mes qui valent pour tous.

Il s’inspire du même esprit, qu’il parle français ou anglais et ce serait facile à démontrer.14 Même quand son sujet l’amène à manifester les plus grandes duretés aux Anglo-Canadiens15 il n’y a jamais un ton de rupture, il dénonce les «préjugés raciaux» où qu’il les trouve (y compris dans son auditoire qu’il lui arrive de rabrouer). Il porte des coups au prétendu fair play britannique, va presque jusqu’à identifier anglais et protestantisme, français et catho­licisme; ses résumés historiques tendent au réquisi­toire contre les Britanniques, il prêche «la résistance à la domination anglo-canadienne», c’est l’exaspération du temps de guerre et du règlement XVII, mais Bourassa ne se laisse pas arracher sa conviction de base:

Pour nous, Messieurs, vous savez à quelle enseigne nous logeons. Canadiens, avant d’être Français ou Britanniques, nous voulons la paix, la liberté, la grandeur du Canada, avant celles de toute autre nation. Nous aimons la France, nous admirons l’Angleterre; mais nous croyons que notre premier devoir appartient à la patrie où Dieu nous a fait naître, où six générations nous attachent au sol.

C’est sur ce terrain solide que nous avons livré nos premiers combats contre l’impéria­lisme britannique. C’est sur le même terrain que nous résistons à l’affolement du jour. C’est là que vous nous retrouverez demain et toujours. (16)

Sans doute il le proclame contre l’impérialisme, contre la «fureur tyrannique et tracassière» des per­sécuteurs ontariens. Mais il n’oublie pas de le réaf­firmer. Ses sentiments de l’époque ne le font pas dé­vier de la route qu’il s’est tracée. Et quand éclate le drame de la conscription, n’est-il pas émouvant de l’entendre dire, en dépit de tout, comme sourd à ce qu’il perçoit par ailleurs, comme enfermé dans son idéalisme et son rêve de canadianisme:

J’appartiens à l’école, moins nombreuse qu’on ne le pense, qui voit plus d’avantages que d’inconvénients dans la co-existence des deux races au Canada. Avec un nombre plus restreint encore, j’estime que le Canada tout entier bénéficiera de cette situation et recevra des deux races le maximum de leur apport au patrimoine politique, intellectuel et moral de la nation, dans l’exacte mesure où chacune d’elles restera le plus complètement elle-même, avec ses facultés propres, son tempérament, ses attributs, son héritage intellectuel. La no­tion canadienne n’atteindra ses suprêmes des­tinées, elle n’existera même, qu’à la condition d’être bi-ethnique et bilingue, et de rester fi­dèle au concept des Pères de la Confédération: la libre et volontaire association de deux peuples, jouissant de droits égaux en toutes ma­tières.(17)

«En dépit des désenchantements»…

Le jugement le plus dur sur la Confédération, c’est quatre ans plus tard qu’il le formulera. «L’oeu­vre, dira-t-il alors, a lamentablement avorté», tant pour l’évolution extérieure (impérialisme) que pour la paix intérieure. Il détaille avec amertume les cir­constances de l’échec. On croirait que, blessé par l’expérience, il va modifier son credo politique. Mais il se reprend en dernière page:

En dépit des désenchantements du passé et des sombres perspectives d’avenir, il faut penser et agir comme s’il était encore possible de faire une patrie canadienne, de créer un patriotisme national. Quelle que soit la destinée prochaine ou lointaine du Canada et de la province de Québec, tout effort persévérant pour maintenir ou faire revivre les conditions de l’accord de 1865 aura sa pleine valeur. (18)

Il consent à aller jusqu’au doute, et alors il livre le fond de sa pensée, qui est, si je puis dire, la métho­de des idéalistes lucides: «faire comme si», agir com­me si, malgré la pression des faits, le rêve demeurait viable – et c’est du reste la seule façon de le faire vivre.

Nous ne reproduirons pas pour l’instant de textes postérieurs. Après 1923 ils surabondent, et sont d’ail­leurs plus connus.(19) Ce serait le moment de nous demander si Bourassa n’a pas subi l’influence de Laurier bien plus qu’on ne l’a reconnu. Nous som­mes mal armés pour cette recherche et nous ne pou­vons que déplorer une fois de plus l’absence d’études approfondies sur le mouvement des idées au Canada français.

– II –

Pourtant, avant de quitter cet aspect de la pen­sée bourassiste, nous devrons nous attarder un mo­ment sur un incident qui nous paraît extrêmement révélateur. II remonte à 1904, c’est-à-dire à l’époque de la Ligue Nationaliste.

Bourassa vient de tenir des assemblées pour ex­pliquer les buts de la Ligue, dont il est le porte-­parole et à l’oeuvre de laquelle il s’identifie. Là-­dessus J.P. Tardivel, directeur de la Vérité, entreprend dans son journal de dissiper tout «malentendu». Il écrit:

Nous ne nous faisons pas d’illusion: le nationalisme de la Ligue n’est pas notre na­tionalisme à nous. Nous l’avons déjà dit assez clairement en publiant le programme de la nouvelle organisation, au mois de janvier der­nier.

Notre nationalisme à nous est le nationa­lisme canadien-français. Nous travaillons, de­puis 23 ans, au développement du sentiment national canadien-français: ce que nous vou­lons voir fleurir, c’est le patriotisme canadien­-français; les nôtres, pour nous, sont les Ca­nadiens-français; la patrie, pour nous, nous ne disons pas que c’est précisément la pro­vince de Québec, mais c’est le Canada fran­çais; la nation que nous voulons voir se fon­der, à l’heure marquée par la divine Providence, c’est la nation canadienne-française.

Ces messieurs de la Ligue paraissent se placer à un autre point de vue. On dirait qu’ils veulent travailler au développement d’un sen­timent canadien, indépendamment de toute question d’origine, de langue, de religion.

Nous estimons que notre oeuvre à nous, Canadiens français, c’est de défendre et de développer notre propre nationalité. Les au­tres éléments qui composent la population du Canada sont bien en état de se défendre et de se développer sans notre concours. (20)

Ainsi donc, celui qui sera considéré plus tard comme le chef du nationalisme canadien-français se fait d’abord accuser de déviationisme [sic]; celui qui l’atta­que est un vieux patriote militant. Bourassa va-t-il encaisser le coup?

Il rend hommage à Tardivel, défenseur courageux de la nationalité canadienne-française contre les «an­glicisants» et les «gallicisants». Mais, ajoute-t-il, «cette lutte prolongée a développé chez lui une méfiance exagérée à l’endroit de ceux qui conçoivent autre­ment que lui le patriotisme et le sentiment national». Quelle est donc sa conception à lui, Bourassa? Il écrit:

La Ligue Nationaliste et son organe veu­lent incontestablement «travailler au dévelop­pement d’un sentiment canadien»; mais, loin de vouloir développer ce sentiment «indépen­damment de toute question d’origine, de lan­gue, de religion», la Ligue Nationaliste procla­me hautement que la dualité d’origine, de langue et de religion du peuple canadien doit être reconnue et conservée. Elle en fait même un des articles de son programme:

«Maintien absolu des droits garantis aux provinces par la constitution de 1867 dans l’intention de ses auteurs. Respect du principe de la dualité des langues et du droit des minorités à des écoles séparées». (21)

Mais la Ligue Nationaliste – c’est-à-dire, dans le cas présent, Bourassa – entend couronner le patriotisme canadien-français par un patriotisme «plus gé­néral»:

Nous aussi, nous voulons «défendre et dé­velopper notre propre nationalité»; mais nous estimons que ce n’est là qu’une partie de notre oeuvre; nous croyons que ce développement particulier peut et doit s’opérer concurremment avec le développement d’un patriotisme plus général qui nous unisse, sans fusion, «aux autres éléments qui composent la population du Canada». Nous ne pensons pas, comme M. Tardivel semble le dire, que les autres élé­ments aient besoin de nous pour se dévelop­per. Mais nous considérons que le Canada tout entier est notre patrie, qu’il nous appartient au même titre qu’aux autres races. Nous vou­lons y jouer notre rôle, apporter notre pierre à l’édifice national, nous y ménager la place qui nous revient de droit; et nous croyons que pour atteindre ce but, nous devons cher­cher un terrain où «les autres éléments» trouvent place avec nous. (22)

Bourassa résume en termes fort nets la pensée de la Ligue, c’est-à-dire la sienne propre:

Notre nationalisme à nous est le nationa­lisme canadien, fondé sur la dualité des races et sur les traditions particulières que cette dualité comporte. Nous travaillons au dévelop­pement du patriotisme canadien, qui est a nos yeux la meilleure garantie de l’existence des deux races et du respect mutuel qu’elles se doivent. Les nôtres, pour nous comme pour M. Tardivel, sont les Canadiens français; mais les Anglo-Canadiens ne sont pas des étrangers, et nous regardons comme des alliés tous ceux d’entre eux qui nous respectent et qui veulent comme nous le maintien intégral de l’autono­mie canadienne. La patrie, pour nous, c’est le Canada tout entier, c’est-à-dire une fédération de races distinctes et de provinces autonomes. La nation que nous voulons voir se dévelop­per, c’est la nation canadienne, composée des Canadiens français et des Canadiens anglais, c’est-à-dire de deux éléments séparés par la langue et la religion, et par les dispositions légales nécessaires à la conservation de leurs traditions respectives, mais unies dans un at­tachement de confraternité, dans un commun attachement à la patrie commune. (23)

Laurier et M. Louis Saint-Laurent, à quelques expressions près, eussent pu signer cette page, et peut-être aussi Cartier. Mais la vie politique de Bou­rassa lui donne un contexte auquel il faut prendre garde.

Quand Bourassa se proclame d’abord Canadien, notons que son canadianisme ne flotte pas entre ciel et terre: il n’y a pour lui que deux façons de le pra­tiquer, l’une française, l’autre anglaise. Il n’est pas un «fusioniste»; il est d’ailleurs assez clairvoyant pour se rendre compte que le «fusionisme» jouerait au bénéfice du groupe le plus fort par le nombre et la richesse. Le nationalisme canadien prend donc appui, dans sa conception, sur deux nationalismes culturels solidement enracinés et encadrés. La patrie, pour lui, c’est le Canada tout entier, oui; mais le Canada est une fédération de races distinctes et de provinces autonomes. Il croit à la nation canadienne, mais la voit composée de Canadiens français et de Canadiens anglais, c’est-à-dire de deux éléments sé­parés (le mot est fort) par la langue et la religion, et par les dispositions légales nécessaires à la conser­vation de leurs traditions. Le patriotisme canadien n’est donc pas un reniement mais un dépassement de l’amour qu’on porte aux siens; le patriotisme cana­dien unit deux entités très différentes l’une de l’au­tre, qui se rejoignent dans un commun attachement à la patrie commune. Bref, Bourassa se proclame d’abord Canadien, mais pas Canadien tout court. Il croit au patriotisme «à trait d’union», il ne croit mê­me qu’à cela. Canadien est le dénominateur commun d’êtres qui ne sont pas de simples dénominateurs. Canadien et canadien-français, canadien et canadien-anglais sont des réalités organiquement rattachées l’une à l’autre. Canadien c’est, avant toutes choses, l’acceptation d’un groupe par l’autre groupe, avec les sacrifices légitimes que tout mariage comporte né­cessairement.

– III –

De sorte qu’en pratique, dans sa vie active, on verra Bourassa mener, et avec quelle ardeur, les lut­tes des nationalistes canadiens-français. Il le fera en toute logique: sa définition même du nationalisme canadien l’y contraint. Il s’intéressera donc à la politique provinciale. Dans la mesure où les questions économiques le retiennent (et cette mesure est fai­ble; en ce domaine il n’est pas un novateur, il accepte à peu près les idées très pauvres de son époque), dans cette mesure donc il voudra travailler à l’avancement économique des siens. Quand il parle d’autonomie provinciale, il n’a jamais l’accent d’un Mercier ou d’un Groulx, mais il n’accepte pas d’amoindrissements de l’Etat du Québec.24 Il a donné le meilleur de lui-même, au moins jusqu’à 1923, à la défense de la langue; et lorsqu’une lassitude l’envahit, il n’ab­jure ni sa défense des écoles françaises ni son amour passionné de la langue française. Il est habité par une fierté ombrageuse; aucune force, sauf l’Eglise, et ses propres convictions, ne l’a jamais plié; il pré­tend qu’on l’accepte comme il est, et il est Canadien français, et il se sent solidaire des siens. Quelques-­uns de ses plus beaux mouvements oratoires expri­ment précisément son refus de plier l’échine devant la majorité: il est patriote canadien-français parce qu’il écarte de sa vie toute lâcheté, toute mesqui­nerie. C’est un sentiment noble: il n’y met ni âpreté ni mesquinerie. Mais que son groupe soit vilainement attaqué, il éprouve alors un frémissement de tout son être, on en perçoit l’écho dans la prose un peu refroidie de ses brochures.

Il est de son milieu, il l’accepte, il l’aime quoi­qu’il le juge et le fustige. La petitesse de nos poli­ticiens n’a jamais été flagellée aussi durement que par lui. Nos indigences intellectuelles, cette odeur de rance qu’exhalent tous les petits milieux provin­ciaux, il les flaire chez nous, et de toute évidence elles l’écoeurent. Les affaires du Canada français, il les aime, comme chacun aime sa famille, mais je crois qu’il les trouve assez étroites. Il donne toujours l’im­pression d’un gaillard qui voudrait s’élancer dans le vaste monde; son domaine, ce sont les larges synthè­ses, et il ne se trouve jamais aussi à son aise que dans la politique internationale. Mais là il se heurte à la Grande-Bretagne. En un sens, si engagé qu’il soit, l’homme Bourassa garde toujours, devant les causes temporelles qu’il défend, une liberté de grand sei­gneur: il n’en est pas l’esclave, il consent à les dé­fendre; d’où cette désinvolture du ton, ce naturel irrespect des gloires usurpées même quand elles ap­partiennent à son groupe, et ce qu’il y a dans son oeuvre de perpétuellement inattendu. Oui, il a l’es­prit universel, il se passionne pour les affaires du monde, mais ne peut les rejoindre qu’en passant par Londres, où notre voix de colonie est étouffée. Ici encore, la fierté me paraît, sentimentalement, à l’ori­gine du refus que tout son être oppose à l’impéria­lisme (comme à l’annexion aux Etats-Unis).

La tradition canadienne-française était anti-impé­rialiste: c’est donc dans Québec que Bourassa trouve le gros de ses troupes. Il s’entend bien là-dessus avec les nationalistes canadiens-français. Mais la conquête de l’indépendance canadienne tend à devenir, sur le plan humain, son premier mobile, et cela l’invite à se rapprocher du Canada anglais. Il se rend compte que nous ne saurions conquérir l’indépendance si nous passons notre temps à nous manger le nez entre Ca­nadiens français et Canadiens anglais: l’émancipa­tion implique un fort degré d’unité canadienne. Ici commence peut-être sa séparation d’avec les nationa­listes canadiens-français qui ne sont que cela ou qui sont principalement cela.

Certes, la vie nous plonge dans les contradictions. Il voulait unifier tous les Canadiens et doit consacrer beaucoup de son énergie à des batailles entre Canadiens: par exemple sur l’impérialisme, les Anglo-Ca­nadiens ne le suivent qu’avec un grand retard et sa franchise assez cavalière, son tempérament belliqueux, les blessent, sa lutte pour «l’égalité des races» lui vaut des adversaires farouches dans toutes les pro­vinces. Mais nous avons vu qu’il garda inébranlablement son inspiration canadienne.

Citons à ce sujet un passage caractéristique, qui date de 1905. Bourassa défend le sort des minorités franco-catholiques de l’Ouest. Son exposé magnifi­que tombe sur une Chambre hostile. Après des inter­ruptions, ces mots lui échappent: «Je sais que mes paroles seront vaines...» Il flaire l’échec. Il en con­naîtra d’autres, sur le même sujet; car si son élo­quence intéresse vivement les Anglo-Canadiens, elle ne les convainc jamais. Est-ce que, chez un homme d’action, l’autonomisme à fond, et même le sépara­tisme, ne se présentent pas naturellement à l’esprit après des échecs pareils? Quand les faits auront prouvé à ce grand nerveux que ni au Manitoba ni en Saskatchewan ni en Alberta ni en Ontario ni au Nou­veau-Brunswick nos minorités ne peuvent obtenir pleine justice, n’éprouvera-t-il pas la tentation de rompre avec le régime fédératif? Or jamais Bourassa ne semble avoir sérieusement envisagé cette hypothèse. Quelle que soit la force de son affirmation canadien­ne-française, il a choisi d’être canadien, il ne voit pas comment il pourrait ne plus l’être. Avec le même accent d’indicible fierté, comme une bête de race qui se cabre dès qu’on veut lui passer le mors, il ré­clame toujours un pays autonome, un pays vraiment bilingue où les religions seront vraiment libres, tou­jours on lui ferme la porte au nez, mais toujours il s’obstine dans sa double volonté. Il explique ses échecs et il recommence. On n’a jamais été canadien avec autant de conscience et d’obstination.

Même il se tournera farouchement contre ses dis­ciples ou ses alliés du nationalisme exclusivement canadien-français, quand ceux-ci, tirant des conclu­sions de ses échecs répétés et de son peu d’action sur les Anglo-Canadiens, pencheront vers l’isolement ou le séparatisme.

– IV –

Avant d’aborder cette période de crise, il nous reste pourtant à examiner sommairement un autre aspect de la question.

Bourassa fut toujours un esprit très religieux, un libéral ultramontain, que Laurier qualifiait de «cas­tor rouge». Les problèmes moraux l’ont intéressé dès sa jeunesse, mais plus il allait et plus il leur accordait la première place.

Nous disposons d’assez peu de documents pour analyser dans sa source un sentiment aussi intime et aussi profond. Nous ignorons dans quelle mesure des deuils familiaux, des malheurs individuels, la fatigue qui accompagne nécessairement une large activité publique et en fait ressortir la vanité, la conscience des responsabilités déjà encourues, sans compter d’autres facteurs encore plus personnels comme une tendance au scrupule, ont pu aviver son inquiétude religieuse et l’aiguiser peut-être jusqu’à l’angoisse. Ici, plutôt que d’échafauder des hypothèses, nous préférons avouer que nous savons peu de chose.

Mais nous trouvons dans ses écrits les traces de cette préoccupation sans cesse plus envahissante, d’une pensée morale et religieuse toujours plus affinée et nourrie de vie intérieure.

La langue et la foi

 

Dans un esprit comme celui de Bourassa, les ques­tions de langue et de foi ne sont jamais séparées. D’abord la foi est partout chez elle. Puis les condi­tions mêmes de la vie française en Amérique impli­quent entre les deux un lien à la fois accidentel et vigoureux.

Bourassa avait plusieurs fois rencontré le problè­me. On le trouve au centre de son fameux discours de Notre-Dame: il faut une vie intérieure déjà in­tense et une doctrine bien établie pour s’exprimer avec cette souveraine aisance, sans une seule fausse note et au cours d’une improvisation, sur un sujet aussi complexe. (25)

La thèse de Bourassa, exprimée en termes froids, revient à ceci: «L’Eglise catholique, précisément par­ce qu’elle est catholique, n’est et ne sera jamais l’Egli­se d’une époque, d’un pays, d’une nation… Mais si l’Eglise ne peut être la chose d’une race ou d’une nation, elle les reconnaît toutes, les respecte et les protège également – les victorieuses et les vaincues, les fortes et les faibles, les riches et les pauvres». Elle consent à s’y adapter mais «ne peut être ni française ni anglaise. Elle ne peut non plus asservir une race à l’autre».

«Lier la cause de l’Église à celle de la race et de la langue française au Canada serait une erreur. Faire de l’Église un instrument d’assimilation anglo-­saxonne serait également absurde et odieux». (26)

Pourtant il se trouve que chez nous la langue est gardienne de la foi: Bourassa l’établit en 1918 dans une brochure dont les arguments nous sont devenus familiers (27), mais il les expose avec une grande pru­dence de langage et d’infinies précautions. Les limi­tes de la thèse sont aussi fermement indiquées que la thèse elle-même. Il n’en reste pas moins que pour lui la langue française – «la vraie langue française» – est un «véhicule de la foi»: il l’exalte dans des pages où éclate son amour de la clarté, de l’ordre, des va­leurs rationnelles et cérébrales; sans doute, à côté de «la vraie» il y a l’autre qui, depuis deux siècles fut «la langue du mal et de l’Esprit du mal, la langue de l’enfer et de Satan. Corruptio optimi pessima». (28) Mais nous avons échappé à cette contamination. Aussi, «notre tâche à nous, Canadiens français, c’est de pro­longer en Amérique l’effort de la France chrétienne; c’est de défendre contre tout venant, le fallut-il con­tre la France elle-même, notre patrimoine religieux et national». Ce patrimoine demeure «le foyer inspi­rateur et rayonnant» de «toute l’Amérique catholi­que». Nous sommes «seuls à pouvoir remplir (cette tâche) en Amérique». (29) Nous la remplirons à condi­tion de garder la langue pure et, surtout, la foi vi­vante. – L’ensemble de ce texte est dans la ligne du discours de Notre-Dame; pourtant il en pousse plus loin les conclusions, il tend à accorder plus de valeur propre à la langue et Bourassa sentira plus tard (1935) le besoin d’en désavouer quelques pages, quoi­que l’ensemble soit solidement pensé et empreint de charité pour les nationalités dont il lui arrive de parler. (A ce sujet d’ailleurs, quelles que soient ses violences de langage contre les impérialistes, les gou­vernements persécuteurs ou les prélats assimilateurs, je ne me souviens pas avoir lu sous sa plume de ju­gements sans appel contre tel ou tel groupe ethnique. Il n’existe pas de «races» que Bourassa déteste, ni contre lesquelles il tente de soulever le préjugé).

L’évolution

 

Durant les années qui suivent immédiatement la guerre, (est-ce une illusion?) il nous semble que la pensée de Bourassa s’inspire plus directement et plus littéralement de la parole des Papes. Le conflit universel l’a-t-il écoeuré de toutes les références temporelles, et aurait-il trouvé dans les appels à la paix de Benoit XV une inspiration particulièrement cha­leureuse? Ses divergences avec une partie de l’épis­copat sur les problèmes de guerre, c’est-à-dire sur un sujet où les catholiques sont libres, l’auraient-elles in­quiété lui-même, et lui auraient-elles fait éprouver le besoin d’un appui plus immédiat chez le chef de la catholicité? Il ne saurait s’agir, chez l’ultramontain de toujours, que d’une question d’accent, mais nous croyons reconnaître chez lui une méditation plus acharnée des textes pontificaux.

Son esprit n’a cessé de s’enrichir, il est plus inquiet de doctrines, sa connaissance de l’histoire lui fournit des précédents, des avertissements. Il s’isole davantage et poursuit sa route propre.

Et puis il s’est produit un fait, sur lequel Bourassa lui-même s’est expliqué à diverses reprises depuis et qui a comme polarisé toutes ses craintes: l’audience privée avec Pie XI durant son voyage à Rome en 1926.30 Il ne faut ni en minimiser, ni en surfaire l’importance. Le fondateur du Devoir, le créateur d’un nouveau nationalisme, écoute durant une heure «une conférence sur ce qu’il y a de légitime et d’illégitime (dans) le nationalisme contemporain». Ce fut très certainement un choc; mais Bourassa était prêt à entendre ce que le chef de la chrétienté lui a dit: nous le constaterons dans un instant par un texte de 1920, et c’est encore un domaine où il serait facile de multiplier les citations. Néanmoins, après cette longue et forte entrevue, Bourassa s’estimera chargé d’une mission précise.

– V –

 

Le premier signe de division avec ses disciples, nous le trouvons dans un article de 1920:

On ne saurait trop répéter que la lutte pour la langue et la culture française, légiti­mes en soi, n’est qu’accessoire et subordonnée à la lutte pour la foi et le droit paternel. On ne saurait trop redire que la langue française et les traditions canadiennes-françaises doi­vent être conservées surtout parce qu’elles constituent de précieux éléments de l’ordre social catholique. Certains défenseurs très ardents de la langue semblent l’oublier; ou du moins leurs activités un peu étroites tendent à obscurcir ces notions dans l’esprit du peu­ple. (31)

Ce texte me semble révélateur. En somme, il ne contredit rien du Bourassa antérieur (sauf le mot accessoire, que j’ai souligné), mais il montre comme l’accent se déplace. La lutte pour la langue et la cul­ture française sont «légitimes en soi»; retenons-le, car ces mots ne sont pas écrits par distraction ou par concession; Bourassa croit à la légitimité des luttes qu’il a menées. Seulement, il leur accorde moins d’importance en vieillissant. Car il regarde leur objet comme subordonné à la lutte pour la foi et le droit paternel (allusion évidente aux cam­pagnes contre le règlement XVII en Ontario). Il va jusqu’à la déclarer «accessoire», ce qui lui enlève toute valeur propre; langue et traditions doivent être conservées, «surtout», parce qu’elles aident à sou­tenir «l’ordre social catholique»; elles n’ont qu’une valeur d’étai, surtout. Il y a derrière ces mots une conception religieuse que j’ai baptisée jadis d’un mot passe-partout, jansénisme, et qui consiste à di­minuer la valeur propre de la créature, à ne lui reconnaître de richesse qu’en fonction directe du Créateur. Ici Bourassa se sépare non seulement des nationalistes canadiens-français, mais de tous les chré­tiens qui reconnaissent une splendeur dans la créa­ture elle-même, et sans nier la référence essentielle, ne ramènent pas la créature à une simple référence. Il ne s’agit bien entendu que de tendances. – Enfin, il y a du mépris dans l’allusion aux «activités un peu étroites»; distance de l’homme occupé à de vastes problèmes et qui trouve que les choses du Canada français ne sont pas le bout du monde.

Dans un autre article de la même époque, voici une formule également significative. Bourassa parle de l’Eglise, comme force internationale. Il cite alors Charles Maurras, mais fait précéder sa citation d’un jugement catégorique:

Un incroyant, imbu de nationalisme amo­ral et outrancier…(32)

Ceci nous mènerait au problème de l’influence exercée par Maurras sur le nationalisme canadien-­français en général et sur l’Action française (de Mont­réal) en particulier. Je la crois plus mince qu’on ne l’a pensé et que ne l’a cru Bourassa lui-même. Mais il est vrai que les intellectuels nationalistes passèrent alors par un engouement maurassien, qu’ils lurent l’Action française (de Paris) avec ferveur parce qu’ils y trouvaient, dans une langue magnifique, des raisons de croire en la civilisation française, et que chez cer­tains cela alla jusqu’à l’envoûtement. Il est remar­quable que Bourassa ait flairé dès le début ce qu’il y a chez Maurras d’achrétien et d’excessif. Il a réagi avec une sorte de fureur sacrée contre ce qui lui apparaissait dès lors comme une déviation du sens religieux, contre un positivisme du catholicisme de droite.

On imagine ce que cela deviendra lorsqu’il croira reconnaître dans l’Action française (de Montréal) un appel au séparatisme. (33) Alors d’anciens disciples non seulement s’émancipent – et malgré sa noblesse de caractère il se peut qu’il en ait souffert, –mais ils se dirigent vers une solution qu’il avait écartée dès 1904, contre Tardivel. Seulement le temps a passé. Un Bourassa vieilli, tendu, un peu crispé dans sa foi, se trouve en face d’hommes plus jeunes, dont il sus­pecte les sources d’inspiration. Les vagues intuitions de Tardivel sont devenues un système de pensée va­guement hérésiarque à ses yeux.

Rien d’étonnant dans la réaction de Bourassa. Le nationalisme canadien auquel il s’est consacré depuis le début, sa peur des révolutions (en d’autres termes, la peur de devenir un nouveau Papineau), la façon dont il entend l’exigence chrétienne, tout se conju­gue chez lui pour repousser l’orientation nouvelle.

Oui, il a constaté «la banqueroute de la confédé­ration», mais il n’a jamais voulu lâcher. Il se tient par volonté, même aux heures du noir désenchante­ment, dans le sentiment d’une patrie canadienne. Il ne prend pas le séparatisme au sérieux. Il prend trop au sérieux le maurassisme de notre Action française. Alors, le 18 avril 1923, dans la deuxième de ses con­férences sur Le Pape, médecin social, il passe à l’attaque. Il dénonce le «nationalisme immodéré» dont il trou­ve des traces jusqu’ici. Il poursuit en des termes que Le Devoir résume de la sorte:

Pas d’antagonisme envers les autres grou­pes canadiens, pas de politique d’isolement pour le Québec, non, non. Trente ans d’études convainquent l’orateur qu’il n’y a rien de plus dangereux, de plus irréalisable que le séparatisme. Ce serait déchaîner la guerre civile, semer les divisions dans nos rangs, nuire aux autres groupes français d’Amérique, nous heurter à des forces qui nous écraseraient.

Nous avons triomphé de l’assimilation en gardant à la lutte son caractère catholique, en maintenant le lien constant entre le droit de parler sa langue et de conserver sa foi. Pas de haine pour les autres catholiques, pas d’isole­ment de la tour d’ivoire, pas d’orgueil de race supérieure, pas de pharisianisme à la façon d’Israël qui a perdu ses droits pour avoir vou­lu accaparer Dieu. (34)

La nouvelle «poussée séparatiste» (nous avons vu que l’expression est trop vigoureuse) se produit après l’action bourassiste, après ses luttes en faveur des minorités, luttes dont il faut bien constater qu’aucune ne fut pleinement victorieuse, ou du moins ne l’était à ce moment car l’abrogation du Règlement XVII est postérieure. Les disciples, consciemment ou non, prennent acte des échecs et leur tendance au sépara­tisme s’enracine dans le désespoir: je veux dire qu’ils ont, dans une large mesure, perdu foi dans la capa­cité de justice du régime confédératif, dans sa sou­plesse et finalement dans l’idée même du canadia­nisme, considéré comme une réalité exclusivement anglo-canadienne; ils ne voient plus comment le Ca­nada français pourrait vivre pleinement au sein du Canada; et à la même époque ils sont convaincus que le Canada, absurdité géographique, et l’Empire britannique, tiraillé par des forces internes de désa­grégation, ne sauraient survivre longtemps aux rajustements d’après-guerre. Mais Bourassa, lui, refuse toujours le désespoir. Il ne veut pas croire, profon­dément croire à la banqueroute de la Confédération, que pourtant il enregistre. Au surplus il estime la solution peu sérieuse, et en désaccord avec la réalité.

Il reprend l’exposé de sa pensée dans un discours plus large et plus mesuré, le 23 novembre 1923. Il note que peu de Canadiens sont vraiment canadiens et souligne le péril du provincialisme étroit et entêté. Sa dénonciation du séparatisme, «ni réalisable, ni souhaitable», est vive, précise et solide, mais sans rien de cavalier. Il réaffirme que nous sommes d’abord Canadiens, et définit une fois de plus les éléments de son nationalisme: l’un extérieur, la li­berté, c’est-à-dire le refus de l’impérialisme britanni­que; l’autre intérieur, un «juste équilibre entre les deux races». Et les deux questions demeurent liées l’impérialisme ne sera vaincu que par «l’association des deux races-mères» – nous avons déjà vu que cela est capital dans la genèse sa pensée politique. En somme, son nationalisme demeure actif, vigilant et vigoureux, même sur le plan canadien-français; mais il en surveille davantage l’expression, et on le sent moins impliqué dans l’aventure. Il y a dans l’accent quelque chose de refroidi.

Pour des motifs religieux d’abord. Il me semble trouver à ce moment chez Bourassa un mélange d’in­tuition et d’illusion; intuition du péril que repré­sente le maurassisme, illusion sur l’influence que ce­lui-ci exerce au Canada français: le maître s’enferme un peu dans sa tour d’ivoire, ses jugements devien­dront plus absolus, un peu divorcés de la réalité, et en même temps il lui arrivera de détecter des dangers réels que ses contemporains, désormais plus engagés dans l’action, ne font qu’entrevoir.

Il faut reconnaître que par moments l’âpreté du ton, la mesquinerie réelle de certains nationalistes, des mouvements parallèles comme l’antisémitisme – pratiqué à fond par des hommes qui n’étaient d’ail­leurs pas reliés au mouvement nationaliste –, et l’agressivité des plus jeunes semblaient justifier des condamnations rigoristes.

Mais on en arrivera à ce résultat en apparence paradoxal: d’un homme qui a fondé le nationalisme canadien (on sait en quels termes), qui ne cesse pas d’entretenir pour «les siens» un évident amour de pré­férence, et qui prend pour l’une de ses cibles favorites le mouvement nationaliste canadien-français. Dans cette perspective, l’attitude devant l’affaire de Provi­dence ou les conférences de 1935 se trouve éclairée et expliquée.

– VI –

Car j’en arrive aux trois conférences de 1935 à la Palestre Nationale.

L’impression générale, à la lecture (35), ne corres­pond pas exactement à celle que nous avions éprouvée comme auditeurs à l’époque. Nous vérifions une fois de plus que ce qui se communique dans un discours, ce ne sont pas tant les idées toutes nues que l’émotion de l’orateur.

L’accent a incontestablement changé, depuis l’épo­que où Bourassa défendait la cause du Canada fran­çais, et nous savons pourquoi; n’y aurait-il pas chez lui, en outre, un goût pour les vérités impopulaires, une sorte de faiblesse pour les causes menacées? L’homme que j’ai entendu à la Palestre ne se renie pas; mais, effrayé par le bruit que font ses idées dans le milieu où il les a clamées, il se demande si ses attitudes passées ne contenaient pas des ferments dan­gereux, et il réexamine tout le dossier contre ses dis­ciples.

Il fait d’abord le procès du nationalisme contem­porain, de ce «nationalisme sauvage» qui, à l’épo­que, ne l’oublions pas, s’incarne dans Hitler et Musso­lini. Dès le second paragraphe, il prononce le mot d’«hérésie», pour affirmer bientôt que le nationalis­me n’en est pas une; Bourassa le rangerait plutôt parmi les «vertus devenues folles» dont vient de parler Chesterton. Depuis le 16e siècle, écrit-il, «les doctrines qui s’écartent de la vérité catholique sont plutôt d’aventureuses tendances d’esprit que la né­gation formelle d’une vérité dogmatique ou mo­rale ou que l’affirmation positive d’une contre­vérité». Poussées à bout, elles aboutissent au rationalisme ou au naturalisme. Mais, écrit Bourassa avec une grande finesse psychologique:

Elles suivent des voies tortueuses; beau­coup de leurs adhérents s’attardent en route et cherchent un moyen terme entre l’erreur et la vérité. C’est ce qui les rend si difficiles à saisir; c’est ce qui permet à beaucoup de ca­tholiques qui en sont atteints de persister dans leur erreur; n’acceptant pas les conséquences logiques de la doctrine, ils se croient ou se disent, souvent de bonne foi, à l’abri des censures et des condamnations. (36)

Puis, du haut de ce promontoire, il étudie le na­tionalisme canadien, sentiment naturel à son origine, et qui s’est peu à peu exaspéré. Bourassa analyse une fois de plus le développement de sa propre pensée, pour convaincre ses auditeurs sans doute, mais peut­-être davantage pour se convaincre lui-même qu’il n’a pas erré gravement, et pour rassurer son angoisse inté­rieure.

La seconde conférence est consacrée au nationa­lisme religieux, si présent «en Canada. .. qu’on ne le voit pas». Il en donne des exemples tirés des lut­tes pour les écoles minoritaires, des querelles entre Irlandais et Français au sein de l’Église canadienne, etc. Il raconte l’audience de 1926 avec Pie XI, d’où il a tiré que son «principal devoir» serait de «com­battre le nationalisme» (37), l’excessif, bien entendu, mais Bourassa ne s’embarrasse plus toujours de dis­tinctions. Il est dommage que nous ne possédions pas un texte sténographique de cette conférence, la plus dure, si mes souvenirs sont exacts.

La dernière causerie s’intitule «conflit des natio­nalismes religieux». Elle traite, d’abord des rapports de I’Eglise et de l’Etat, en doctrine et dans l’histoire canadienne; Bourassa met en relief le gallicanisme dont nous avons souffert. Mais tout cela n’est qu’une préface à son vrai sujet: l’antisémitisme. Ici nous lisons de nobles pages, percutantes et justes, sur les excès, l’incompréhension et les criminelles niaiseries de la lutte systématique menée contre les juifs.

Ces pages ont fortement influencé les jeunes Ca­nadiens français, elles ont peut- être, avec certains articles d’Olivar Asselin, empêché le «néo-nationalis­me» de s’embarquer dans cette aventure de folie fu­rieuse. L’indignation s’exprime par de légères mo­queries, une ironie serrée et du sarcasme; Bourassa est ici dans la vie réelle, il y plonge, il y nage à con­tre courant. A l’époque, aucune page de lui n’a cette vivacité, ce bonheur d’expression. Il termine par un beau plaidoyer en faveur du «sens de l’universalité, que le nationalisme [outrancier] est en train de dé­truire dans tous les pays chrétiens», le sens de l’unité et de l’autorité de l’Eglise, le sens, enfin, de la charité. Il force ainsi les jeunes qui se réclamaient de lui à réexaminer leurs positions, et contribue à purifier le nationalisme chez les siens.

Il est très sévère pour eux. Il a cette phrase sur ses disciples: «pendant qu’ils volaient à tire d’aile dans une direction, je marquais un temps d’arrêt». Chez eux il croit reconnaître une «déviation du sens national et du sens religieux», il les peint en «fo­menteurs de haines de race, de dissentions civiles et religieuses», il dénonce les «poussées ultérieures du nationalisme outré et les révoltes sacerdotales ou laï­ques contre certains évêques irlandais du Canada et des Etats-Unis».

Mais tout cela, moins l’agressivité tournée contre ses alliés de la veille, moins cet air de vieillard encore vert mais attelé à une tâche qu’il n’aime pas et dont il s’estime investi, cet air d’homme intérieurement déchiré et malheureux – tout cela est en lui depuis le début. Il n’a pas à se contredire pour proclamer la primauté de la foi, la nécessité d’une collaboration anglo-française au Canada, ou l’importance du rôle joué par les catholiques irlandais aux Etats-Unis. (38)

La confession publique

 

Et il prend soin de bien en témoigner car avant de procéder à l’examen de conscience des autres, il a fait une confession publique de ses péchés. Bou­rassa est alors au moment de sa plus vive opposition au nationalisme canadien-français. Qu’est-ce qu’il va condamner dans son oeuvre à lui? A peine quelques franges de sa pensée, deux ou trois excès de langage amplifiés et systématisés par ses amis.

S’étant relu, attentivement et dans l’esprit que l’on sait, il confessera cinq péchés. Examinons ces pages d’auto-critique.

1er péché – Dans son discours au Congrès de la langue française (1912), il a dit à peu près ceci: on nous reproche d’être plus français que catholiques. Point de vue superficiel; ce qui paraît le justifier, c’est que nous estimons la langue une sauvegarde hu­maine de la foi. Comme d’autre part, elle n’a pas de promesses d’éternité, il faut donc la défendre vi­rilement.

Là-dessus, Bourassa commente, en 1935: «On en pourrait conclure que le premier devoir des Cana­diens français laïques, c’est de défendre leur langue. C’est cela que je veux désavouer», car le devoir de religion, qui vaut pour tous, prime tous les autres. – En réalité Bourassa n’a jamais prétendu autre chose, et son interprétation le calomnie.

2e péché – Au congrès eucharistique de Lour­des, Bourassa a dit que chez nous «les hérésies n’ont pas pris racine». Or, réplique l’homme de 1935, nous avons subi l’influence du jansénisme, du libéralisme et surtout du gallicanisme.

3e péché – Durant la guerre, à plusieurs reprises, le directeur du Devoir a revendiqué «le droit des Canadiens à disposer d’eux-mêmes» (principe des na­tionalités), et à pratiquer le même égoïsme sacré qu’Anglais et Européens. Or, on ne combat pas le mal par le mal: c’était une erreur.

4e péché – Dans La langue gardienne de la foi (1918), après quelques principes justes, «je m’appliquais à démontrer que la langue française constitue, en Amérique, le principal auxiliaire humain de la foi catholique, des traditions catholiques. Voilà l’exa­gération, d’autres l’ont reprise et poussée à l’extrême». Cette tendance à une «religion nationalisée», «je l’ai toujours combattue et je désavoue tout ce qui, dans mes paroles et mes attitudes passées, a pu contribuer à l’entretenir». – C’était, je crois, la partie la plus utile de cette confession; mais Bourassa n’avait pas à rompre avec le nationalisme religieux, ne l’ayant jamais pratiqué.

Enfin, 5e péché – «En 1921, au cours d’une impro­visation peu réfléchie, j’en avais parlé [d’un Etat français et catholique] comme de l’une des possibilités de l’avenir – 20 ans, 30 ans…» Ce fut un «pé­ché accidentel», une «fugue», il s’en repent, car l’esprit séparatiste mène à l’antagonisme de race. – De toute évidence, cette faute-là ne porte guère à conséquence, toute la vie politique de Bourassa, avant comme après 1921, est en opposition au séparatisme.

Et c’est tout. Voilà des péchés qui tiennent dans le creux de la main. De songer que Bourassa, au plus fort de sa réaction antinationaliste, n’ait retranché de son oeuvre que quelques phrases – dont quelques-­unes seulement avaient de la gravité –; qu’il ait choisi cet instant pour réaffirmer le discours de Notre-Dame, car il l’a fait en termes précis, ne rejetant que cer­taines interprétations abusives du texte fameux; qu’il riait pas renié ses luttes si fréquentes et si acharnées pour l’école française, la culture française, les droits du français au Canada, sa défense sans enthousiasme mais sans défaillance de l’autonomie provinciale: ce­la montre à quel point, séparatisme et nationalisme religieux mis à part, les différences avec ses amis et disciples étaient peu profondes, et comme le malen­tendu tenait largement à des mots et à des conflits de personnalités. Le contenu intellectuel de son oeu­vre est allé s’élargissant; il n’a pas changé profon­dément.

Aussi quand viendront, avec les dernières années, un grand apaissement, et avec la guerre, un renouvel­lement de ses idées anticolonialistes, le rapproche­ment avec ses amis d’hier se fera sans drame. Au midi de sa carrière, peut-être étaient-ils moins proches les uns des autres qu’ils n’avaient cru, mais vers la fin, beaucoup moins éloignés que tous, lui compris, ne l’ont pensé et dit.

*     *     *     *     *

Alors comment, en conclusion, Bourassa va-t-il nous apparaître?

Il était d’abord Canadien-français – français jus­qu’à la moëlle, nerveux, raisonneur, impressionnable, savoureux à la française, ironique ou âpre ou violent à la française; même devenu par admiration et ap­plication parlementaire britannique, il a des saillies, des drôleries, des coups d’éloquence qui rompent le cadre traditionnel et révèlent ce qui donnait de force, de volonté, de saveur personnelle et parfois d’insolence chez cette espèce d’aristocrate français.

Il était d’abord canadien-français, ayant bu tous les sucs du terroir, frayé avec les petites gens et ac­quis quelque chose de leur langage, inspiré par ce qu’il appelait le génie de sa race, jamais plus élo­quent que lorsqu’il exaltait la langue, la culture et les droits des siens – jamais, sauf lorsqu’il revendi­quait la liberté de son pays.

Car il y a chez lui une volonté d’indépendance personnelle; il n’accepta qu’un seul joug, celui de l’Eglise, – parfois avec des frémissements d’impatience lorsqu’il se trouvait en face d’un clerc ou d’un évê­que égarés hors de leur domaine propre; presque toujours, et toujours devant le chef de la catholicité, dans la plénitude la plus intégrale, – avec un litté­ralisme qui étonne chez un esprit de cette classe: ne serait-ce pas la traduction intellectuelle d’une inquié­tude intérieure constamment combattue et refrénée? Alors il se veut un petit enfant, il accepte tout, il en remettrait plutôt; et il prêche la même forme de soumission à ses contemporains, il leur fait la morale, et quoiqu’il y mette tout son coeur et que son infor­mation soit très vaste, il reste alors je ne sais quoi de tendu et de fermé (à la manière de Louis Veuillot) qui l’empêche de communiquer toutes ses richesses intérieures. Il y a de l’héroïsme dans sa façon de brider sa fougue, sa naturelle pétulance, la petite tendance anarchiste qui dormait au fond de lui.

Mais les servitudes temporelles, il les a toutes re­fusées: qu’elles s’appellent gloires acquises, partis, empire. D’abord et avant tout il n’accepta pas d’être un colonial, il n’accepta pas pour son pays le destin de colonie. C’est sur le plan humain la grande bataille de sa vie, son oeuvre de prédilection.

Sans doute est-ce même l’Empire britannique qui fit de lui un Canadien au sens large. Il avait, je crois, beaucoup emprunté à Laurier l’idéal de «l’uni­té nationale»; je doute que cet idéalisme de jeunesse eut résisté aux échecs que les Anglo-Canadiens infligèrent aux campagnes qu’il entreprît par souci de la justice et par amour des siens. Mais il était engagé dans une lutte qui l’absorbait encore davantage – celle au bout de laquelle il voyait l’émancipation de son pays, enfin libéré d’un esclavage inacceptable. Il avait réfléchi que cette oeuvre ne serait possible que dans l’union des Anglo-Canadiens et des Cana­diens français. Estimant dès sa jeunesse le séparatisme un rêve venu trop tard ou trop tôt, le regardant bientôt comme une chimère dangereuse, proche pa­rente du «nationalisme sauvage» que son catholicisme lui faisait rejeter, il concluait que le Canada entier serait libéré à condition que les Canadiens cessent de se battre les uns contre les autres.

Seulement, il ne rejetait pas une sujétion pour en subir une autre; en guerre contre la tyrannie de l’empire, il n’allait pas subir dans «sa race» la tyran­nie de la majorité. Pour lui, d’ailleurs, nous l’avons vu, Canadien est un terrain de rencontre et d’amitié, non le lieu où s’opérerait une fusion mortelle aux groupes minoritaires. Avec son goût du paradoxe et son mépris congénital pour tout ce qui est basse flatterie, il prêche volontiers et de plus en plus le canadianisme aux Canadiens français, et les droits du Canada français aux Anglo-Canadiens. Canadien-français par instinct, il ratifie par volonté le mariage de raison imposé par les faits aux deux collectivités nationales; tantôt par sentiment de la nécessité, tan­tôt avec une foi dynamique en la patrie canadienne de demain.

Mais rien ne devait totalement satisfaire un es­prit aussi entier, rien sinon l’absolu. La pensée reli­gieuse de Bourassa est donc allée s’appronfondissant [sic]. Peu à peu le reste, malgré quelques retours de flam­me, lui est apparu peu de chose. Nous avons cru qu’il se mettait en contradiction avec lui-même, c’était une vue simpliste. Certes il a évolué, mais jamais au point de mettre en cause ses idées de fond.

The point about Bourassa, vient d’écrire un uni­versitaire de Toronto à l’un de mes amis, the point about Bourassa is that he does not belong to French Canada alone. C’est vrai. Par ses luttes, Bourassa ap­partient au Canada entier. Aussi est-il l’objet de curiosités nouvelles; dans plusieurs universités anglo­-canadiennes, des professeurs et des élèves préparent des thèses à son sujet, et la recherche est peut-être plus intense de leur côté que du nôtre.

Bourassa est un magnifique exemplaire de Cana­dien: il est l’homme qui refuse les servitudes, mais accepte toutes les fidélités. Son adhésion au Canada ne fut pas préfacée par sa démission comme Cana­dien français. Il est l’homme qui s’asseoit à la table commune, mais ne choisit pas de s’y laisser oublier: il veut qu’on l’accueille, non qu’on l’exploite, et il prétend se faire accepter tout entier, comme lui-mê­me accepte loyalement le partenaire. Tel est, nous semble-t-il, le nationalisme canadien de Bourassa, qui divisa ses contemporains, mais contribuera à unir les Canadiens d’aujourd’hui.  

 

(1) Il aurait au moins fallu écrire «en 1926».

(2) Page 39, Grande-Bretagne et Canada, imprimerie du Pionnier, Montréal, 1901. Les soulignés sont de nous.

(3) Pages 39-40, ibidem.

(4) Page 40, ibidem.

(5) Pages 40-42, ibidem.

(6) Page 40, Grande-Bretagne et Canada, ibidem.

(7) Pages 10 et 11, Le Patriotisme Canadien-Français, la Cie de Publication de la Revue Canadienne. Montréal, 1902.

(8) Page 13, ibidem.

(9) Page 13, ibidem.

(10) Pages 13 et 14, ibidem

(11) Page 14, ibidem.

(12) Page 33. Pour la Justice, discours prononcé au Monument National le 9 mars 1912. – Imprimerie du Devoir, Montréal. Les soulignés sont de nous.

(13) Le Devoir, son origine, son passé, son avenir. – Discours au Monument National, le 14 janvier 1915.

(14) Cf. par exemple, French and English, recueil d’articles, et Ireland and Canada, conférence prononcée à Hamilton à l’occasion de la St-Patrice (deux plaquettes imprimées au Devoir, en 1914).

(15) Cf. La Langue française au Canada, discours au Monument National le 19 mai 1915. Il y compare couramment, en pleine guerre contre l’Allemagne, les persécuteurs ontariens aux Prussiens, et reprend la question du sénateur Landry: de savoir «si la Confédération a été un pacte d’honneur ou un piège d’infamie». Il exalte la langue française avec lyrisme, etc.

(16) Pages 39 et 40. Le Devoir et la guerre. Le conflit des races. – Discours au banquet des «Amis du Devoir», le 12 janvier 1916.

(17) P. 20, La Concription, Editions du Devoir, Montréal, 1917.

(18) Page 78, La presse catholique et nationale, Imprimerie du «Devoir», Montréal, 1921.

(19) Bourassa en a groupé plusieurs dans une brochure de 1930: «Le Devoir, ses origines, sa naissance, son esprit». Aux éditions du Devoir, Montréal.

(20) La Vérité, 1er avril 1904, page 5.

(21) Le Nationaliste, 3 avril 1904, page 2.

(22) Ibidem.

(23) Ibidem. – Tardivel ne fut pas convaincu. Il apporta, dans la Vérité du 15 mai et du 1er juin 1904, des objections dont certaines n’ont pas cessé d’avoir du poids.

(24) A ce sujet, sa clairvoyance (d’ailleurs partagée par Laurier) lui fait repousser en principe l’idée de subsides fédéraux pour asseoir le budget provincial. Bourassa voyait plus loin que les autonomistes de son temps.

(25) On peut le relire, avec les documents annexés, dans l’Hommage à Henri Bourassa publié par Le Devoir du 25 octobre 1953.

(26) Le Devoir, 20 juillet, 1910.

(27) La langue gardienne de la foi: Bibliothèque de l’Action française, Montréal, 1918.

(28) Ibidem. Pp. 41-45. Inutile de rappeler que cette façon de voir est traditionnelle chez nous; nous l’avons empruntée aux catholiques français du 19e siècle; Bourassa l’a trouvée chez Louis Veuillot, son auteur de chevet, qu’il cite abondamment, et dont l’enthousiasme paraît ici assez défraîchi.

(29) Ibidem, pp. 49-50.

(30) En 1935: «la meilleure et la plus forte leçon de ma vie». En 1944«L’audience fut calme…»; «je n’ai pas besoin de vous dire que je suis sorti de là raffermi, réconforté, éclairé pour le reste de mes jours».

(31) Le Devoir, 9 novembre, 1920.

(32) Reproduit dans La presse catholique et nationale; Imprimerie du Devoir, Montréal, 1921.

(33) Qu’on relise l’enquête de 1922, sur Notre avenir politique. Elle n’est pas à proprement parler un appel à la sécession, mais elle contient, sans aucun doute, un ferment séparatiste.

(34) Le Devoir, 19 avril 1923, page 2.

(35) Nous avons en mains: (1) pour chacune des conférences, les résumés du Devoir (1er , 9 et 16 mai 1935; ils sont schématiques et anodins) et les notes manuscrites utilisées par Bourassa comme aide-mémoire; (2) Pour la conférence du 30 avril, sténographie inédite, revue et corrigée par l’auteur; (3) pour la conférence du 15 mai, une sténographie inédite. – Les inédits cités dans cet article nous ont fort aimablement été prêtés par la famille de M. Bourassa.

(36) P. 2; Le nationalisme est-il un péché?, conférence du 30 avril, compte rendu sténographique.

(37) Cf. l’aide-mémoire inédit de Bourassa.

(38) Voir par exemple, pp. 3 et 4. La langue française et l’avenir de notre race, discours prononcé devant le premier Congrès de la langue française au Canada, à Québec, le 28 juin, 1912. Québec, l’Action Sociale Ltée, 1913.

Source: André Laurendeau, «Le nationalisme de Bourassa», dans En collaboration, La Pensée de Henri Bourassa, éditions de l’Action nationale, 1954. 245p., pp. 9-56. Article transcrit par Chun Fan Tse. Révision par Claude Bélanger. Des fautes typographiques mineures ont été corrigées à travers le texte.

 
© 2004 Claude Bélanger, Marianopolis College