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Documents in Quebec History

 

Last revised:
19 February 2001


Documents sur l’affaire Yves Michaud / Documents on the Yves Michaud Affair

Lettre de Jacques Brossard à Yves Michaud

Le 18 décembre 2000

Monsieur Yves Michaud
4765, avenue Méridian
Montréal (Québec)
H3W 2C3

Monsieur,

J'ai pris connaissance de votre lettre du 18 décembre courant qui appelle plusieurs commentaires.

Vous faites d'abord un lien entre la motion adoptée par l'Assemblée nationale du Québec et les dispositions du code criminel traitant de la littérature haineuse, de la diffamation ou de l'atteinte à l'intégrité des personnes physiques ou morales. Vous en concluez que l'Assemblée nationale n'est pas un tribunal habile à se prononcer sur des opinions exprimées par un citoyen ou une citoyenne et que seul le pouvoir judiciaire peut en disposer.

Votre conclusion est tout à fait erronée. Notre Assemblée est un corps politique légitime formé de représentants du peuple qui, individuellement ou collégialement, ont le droit de se prononcer sur tous les aspects de la vie en société. Les députés le font en adoptant des lois, en tenant des débats ou en adoptant des motions. L'Assemblée nationale n'est pas un tribunal. Elle est toutefois certainement habile à se prononcer sur des déclarations qu'elle considère inacceptables.

Personne n'a assimilé vos propos à de la littérature haineuse, de la diffamation ou une atteinte à l'intégrité des personnes physiques ou morales, comme vous le laissez croire. Les députés les ont condamnés comme inacceptables.

Vous indiquez aussi que la décision de l'Assemblée nationale s'en prend à votre liberté d'expression et à celle de tous les Québécois. Je m'inscris en faux contre cette assertion. La motion de l'Assemblée ne vise pas votre personne mais vos propos. Elle n'emporte aucune sanction de la nature de celles imposées par un tribunal. Vous reconnaîtrez certainement aux députés et donc à l'Assemblée nationale le droit d'être et de se dire en profond désaccord avec vos opinions. La liberté d'expression n'est pas à sens unique.

Il en va ici de l'essence même du débat public et de la discussion politique. Je me permets de souligner que vous êtes, depuis quelques semaines, un acteur politique. Vous êtes candidat déclaré à l'investiture du Parti Québécois du comté de Mercier. Vos propos publics s'inscrivent donc dans le débat politique et prennent une portée autrement plus considérable que dans le cas d'un citoyen qui n'aspire pas à siéger à l'Assemblée nationale.

Je note par ailleurs que votre lettre ne fait aucune mention des affirmations qui ont amené l'Assemblée nationale à se prononcer. S'il y a eu motion, c'est justement parce que vous avez tenu les propos que vous savez.

Le 5 décembre dernier, à l'occasion de votre passage à l'émission de monsieur Paul Arcand, à CKAC, vous avez évoqué un lien, à la fois gratuit et injustifiable, entre l'avènement d'un Québec souverain et les souffrances du peuple juif. Répondant à un sénateur qui vous demandait si vous étiez « toujours séparatiste », vous déclariez avoir répondu :

« Oui, je suis séparatiste comme tu es Juif. J'ai dit, ça pris à ton peuple 2000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J'ai dit moi, que ça prenne dix ans, cinquante ans, cent ans de plus, je peux attendre. Alors il me dit que ce n'est pas pareil. Aie, c'est jamais pareil pour eux. Alors j'ai dit c'est pas pareil. Les Arméniens n'ont pas souffert. Les Palestiniens ne souffrent pas. Les Rwandais ne souffrent pas. J'ai dit c'est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l'histoire de l'humanité. Là, j'en avais un peu ras-le-bol! »

À mon avis, le degré de souffrance des peuples dans l'histoire de l'humanité n'a rien à voir et rien à faire dans la volonté du peuple du Québec de devenir un pays. Il est vrai que tous les peuples auxquels vous faites référence ont beaucoup souffert. Vous auriez pu en rajouter : les Ukrainiens, les Cambodgiens, les Chinois et combien d'autres. Mais peu d'événements dans l'Histoire, s'il en est, ont atteint des sommets d'inhumanité aussi effrayante que le génocide systématiquement organisé par un État moderne, poursuivant la négation planifiée de la condition humaine.

Je ne serai jamais d'accord avec ce genre de propos qui relativisent, donc qui tendent à banaliser le plus grand crime de l'histoire contemporaine et à prêter aux Juifs une obsession de l'holocauste.

Vous poursuivez en présentant le B'Nai Brith comme la phalange extrémiste du sionisme mondial. Je tiens simplement à vous rappeler que le B'Nai Brith s'est inscrit parmi les tout premiers organismes à dénoncer monsieur Lafferty qui avait tenté de tracer des liens entre les politiques du IIIe Reich et celles de messieurs Parizeau et Bouchard.

Je ne crois pas exagérer en disant qu'il faut, pour le moins, pratiquer la prudence et le respect lorsqu'on s'engage sur la voie de l'explication du vote des diverses communautés. Un homme public ou celui qui souhaite le devenir doit bannir de son discours les raccourcis entre le comportement électoral, l'holocauste et l'origine ethnique.

Vous reconnaîtrez que les réactions du gouvernement à votre première envolée ont été on ne peut plus pondérées. Pour un, lorsque interrogé par les journalistes, le premier ministre du Québec, monsieur Lucien Bouchard, a déclaré :

« Ceci étant dit, je crois que les propos de monsieur Michaud sont mal avisés... Je suis convaincu qu'il profitera d'une prochaine occasion pour les pondérer. »

Quant à l'investiture dans le comté de Mercier, parce que c'est aussi à ce sujet qu'on l'interrogeait, monsieur Bouchard ajoutait :

« On me demande d'utiliser les pouvoirs extraordinaires du Conseil national pour interdire monsieur Michaud d'investiture. C'est une chose qui ne se fait à peu près jamais. Il y a très peu de précédents, s'il y en a. Il faut qu'on se retrouve dans une situation d'extrême gravité pour procéder ainsi, ce qui n'est pas le cas, à la lecture même du communiqué. »

Le lendemain, à l'occasion de votre passage aux États généraux sur la langue, vous êtes revenu sur le sujet, cette fois-ci en en remettant, notamment sur la manifestation « d'intolérance » que constituerait « un vote ethnique contre la souveraineté du peuple québécois. » Je me permets de citer quelques-uns de vos propos, tels que rapportés par les média :

« (parlant du vote référendaire dans Côte-St-Luc)

Aucun oui, 2275 non. Il n'y a même pas un étudiant égaré, un aveugle qui s'est trompé. C'est l'intolérance 0. »

« Pis il y a douze comme ça jusqu'à 2075, là je me dis que l'on doit se poser des questions sur notre capacité d'intégration de ceux-là qui massivement, c'est l'intolérance zéro vis-à-vis, il y a un vote ethnique contre la souveraineté du peuple québécois. »

« Je ne retirerai pas un mot de ce que j'ai dit « . » (Les membres du B'Naï Brith sont) des extrémistes anti-québécois et anti-souverainistes. »

Comme député du Parti Québécois et leader parlementaire du gouvernement à l'Assemblée nationale, je refuserai toujours de « peser » le vote d'un de mes concitoyens. Ce n'est pas parce qu'un électeur vote contre moi ou contre notre projet de faire du Québec un pays souverain que je crois pouvoir utiliser des mots comme « intolérance », « vote ethnique »ou « extrémistes anti-québécois » Tout au contraire, ces expressions sont condamnables parce qu'elles sont injustes et peuvent mener à toutes espèces de dérives. Le droit de vote est un droit fondamental. Il ne l'est pas moins lorsqu'il ne nous est pas favorable. Votre liberté d'expression comme vos valeurs démocratiques doivent le respecter.

Je ne vous écris pas aujourd'hui uniquement en réponse à votre lettre mais aussi en réplique à vos propos. Ceux-ci m'interpellent d'autant plus qu'ils émanent de quelqu'un qui aspire à siéger au sein du caucus du Parti Québécois. On me demande si suis d'accord avec vous, avec vos propos et avec vos analyses. Je ne le suis pas, je ne peux pas l'être. Je ne peux non plus permettre qu'un doute subsiste à cet égard. Voilà pourquoi j'ai souscrit à la motion proposée conjointement par les députés de D'Arcy-McGee et de Ste-Marie-St-Jacques.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

JACQUES BRASSARD

Source: Cette lettre ouverte est parue dans la plupart des journaux le lendemain. Au moment d’écrire cette lettre, M. Brassard était Ministre des Ressources naturelles et Leader parlementaire du gouvernement du Québec.